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Date : 20070327

Dossier : IMM-1203-07

Référence : 2007 CF 325

Toronto (Ontario), le 27 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

 

THEODORA BRIDGET TOBIN

 

demanderesse

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit ici d’une autre requête visant à examiner le pouvoir discrétionnaire dont dispose un agent pour différer le renvoi du Canada d'une personne faisant l'objet d'une ordonnance exécutoire.

 

[2]               L’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est ainsi rédigé :

48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

48. (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

 

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

[3]               En 1990, Mme Tobin est arrivée au Canada en provenance de la Grenade et n’y est pas retournée depuis. Elle est demeurée sans statut pendant presque toute cette période.

 

[4]               En novembre 2005, elle a déposé une demande de résidence permanente au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Cette demande est toujours en cours de traitement.

 

[5]               De plus, la demanderesse a fait l'objet d'un examen des risques avant renvoi qui s’est soldé par un résultat négatif et a donc été contrainte de quitter le pays.

 

[6]               Son avocat a demandé à l’agent de différer l’exécution du renvoi jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire, en raison de la situation actuelle à la Grenade et de graves problèmes de santé. L’agent a refusé. Ce refus fait maintenant l’objet d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

[7]               Entre-temps, Mme Tobin demande un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. Il est bien établi que, pour avoir gain de cause, cette dernière doit prouver que la demande sous-jacente soulève une question sérieuse, qu’un préjudice irréparable sera causé si le sursis n’est pas accordé et que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur (Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.)).

 

[8]               Pour trancher la présente requête, il n’est pas nécessaire, d’une manière ou d’une autre, de se demander si la demande pour motifs d’ordre humanitaire (demande CH) a été présentée en temps suffisamment opportun pour déclencher le pouvoir discrétionnaire de l’agent (Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 936 (QL)) ou de tenir compte de la situation à la Grenade, particulièrement après l’ouragan Ivan.

 

[9]               Je suis convaincu que Mme Tobin souffre de graves problèmes de santé qui n’ont pas été dûment pris en compte par l’agent d’exécution.

 

[10]           Mme Tobin souffre de glaucome qui limite sérieusement sa vision. Bien qu’elle soit sans statut et qu’elle ne bénéficie pas de l’assurance Medicare, elle détient une assurance auprès de son employeur et a reçu de l’aide financière d’un centre de santé communautaire. Elle a subi une intervention chirurgicale à l’œil droit en 2005 et son médecin lui a dit qu’elle devra subir une intervention chirurgicale à l’œil gauche dans un avenir prochain. Elle craint, si elle est renvoyée à la Grenade, de ne plus avoir les moyens de payer l’intervention chirurgicale et, en fait, même si elle avait les moyens de le faire, il n’est pas clair qu’une telle intervention chirurgicale se pratique dans ce pays.

 

[11]           L’agent d’exécution a dit avoir consulté le médecin agréé à Ottawa qui a confirmé que Mme Tobin pouvait prendre l’avion. De plus, l’agent d’exécution a ajouté que le médecin [traduction] « a indiqué que des soins médicaux de base sont disponibles à la Grenade. De plus, la chirurgie oculaire est disponible à Trinité-et-Tobago s’il elle ne peut pas être effectuée à la Grenade ».

 

[12]           Il n’a pas été allégué que Trinité-et-Tobago a une obligation quelconque de traiter les citoyens grenadiens. Tout ce qu’on peut dire est que Trinité-et-Tobago est proche géographiquement. Si la chirurgie oculaire est disponible là-bas, elle l’est aussi au Canada, aux États-Unis et dans bien d’autres pays.

 

[13]           Une question sérieuse est donc soulevée. Dans la décision Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 C.F.P.I. 614, le juge Russell a souligné que la présente Cour a manqué de cohérence dans son évaluation des facteurs pertinents qui peuvent influencer le pouvoir discrétionnaire de l’agent que lui confère l’article 48 de la LIPR. Il a conclu au paragraphe 32 :

En résumé, la jurisprudence semble indiquer que le pouvoir discrétionnaire conféré à l’agente à l’article 48 lui permet de tenir compte des circonstances qui influent directement sur les arrangements de voyage, mais que son examen ne doit pas aller plus loin. L’agente doit aussi tenir compte des autres circonstances particulières de l’affaire. D’une part, le simple fait qu’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire soit en instance ne justifie pas le report du renvoi et il n’appartient pas à l’agente d’exécution d’évaluer le bien-fondé d’une telle demande. D’autre part, l’agente peut entraver illégalement l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne tenant pas compte de circonstances impérieuses propres à la personne visée par la mesure de renvoi, par exemple sa sécurité personnelle ou sa santé.

 

 

[14]           Plus récemment, Prasad et d’autres jugements ont été cités par le juge O’Reilly dans la décision Ramada c. Canada (Solliciteur général), 2005 C.F. 1112, [2005] A.C.F. no 1384, où il a énoncé au paragraphe 3 :

Les agents d'exécution disposent d'un pouvoir discrétionnaire limité pour surseoir au renvoi d'une personne faisant l'objet d'une ordonnance d'expulsion du Canada. De manière générale, les agents ont l'obligation de renvoyer ces personnes dès que les circonstances le permettent (paragraphe 48(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27; reproduit en annexe). Cependant, aux termes de cette obligation, les agents peuvent prendre en considération les motifs valables de retarder le renvoi, le cas échéant. Les motifs valables peuvent être liés à la capacité de voyager de la personne (maladie ou absence de documents de voyage appropriés), à la nécessité de satisfaire à d'autres engagements (obligations scolaires ou familiales) ou à des circonstances personnelles impérieuses (raisons d'ordre humanitaire). (Voir : Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n° 936 (1ère inst.) (QL), Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 3 C.F. 682 (1ère inst.) (QL), Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n° 805 (1ère inst.) (QL); Padda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n° 1353 (C.F.) (QL)). Il est clair, toutefois, que le simple fait qu'une personne ait déposé une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire n'est pas suffisant pour justifier le sursis au renvoi. Par contre, l'agent doit examiner si des circonstances personnelles impératives, surtout lorsqu'elles concernent un enfant, justifient le sursis.

 

[15]           Le risque de préjudice irréparable auquel s’expose Mme Tobin est que sans traitement, elle pourrait devenir fonctionnellement aveugle.

 

[16]           La prépondérance des inconvénients penche aussi en faveur de la demanderesse. Tel qu’énoncé par le juge Beetz dans l’arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, la Cour doit déterminer « laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

 

            LA COUR ORDONNE que la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prévue pour le 2 avril 2007 soit accueillie jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue relativement à la demande sous-jacente d'autorisation et de contrôle judiciaire.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B, trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1203-07

 

INTITULÉ :                                       THEODORA BRIDGET TOBIN

 

                                                            c.

                                                           

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 26 MARS 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 MARS 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mordechai Wasserman

 

POUR LA DEMANDERESSE

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mordechai Wasserman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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