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Date : 20070321

Dossier : T-863-06

Référence : 2007 CF 306

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2007

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

 

ENTRE

 

LEO PHARMA INC.

demanderesse

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, concernant la décision PMPRB‑04‑D2‑DOVOBET (la décision) par laquelle le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (le Conseil) a statué, le 19 avril 2006, que le médicament Dovobet, distribué au Canada par LEO Pharma Inc. (la demanderesse), était vendu à un prix excessif. Le Conseil a ordonné que soit établi un prix maximal non excessif pour le Dovobet et que la demanderesse verse à la Couronne les revenus excédentaires provenant de la vente de ce médicament au Canada.

 

CONTEXTE

[2]               La demanderesse est l’entreprise de distribution du médicament Dovobet au Canada. Le Dovobet est un médicament topique utilisé pour le traitement à court terme du psoriasis commun chez les adultes. Le psoriasis est un état pathologique auto‑immun qui provoque des plaques rouges écailleuses et d’autres lésions sur la peau. Il s’agit d’une maladie chronique dont on n’a pas encore découvert la cure. Le Dovobet est un onguent que peuvent appliquer les personnes qui présentent des symptômes faibles ou modérés de la maladie pour en atténuer les symptômes.

 

[3]               Le Dovobet est un médicament mixte qui contient deux ingrédients actifs : du calcipotriol non stéroïdien antipsoriasique (analogue à la vitamine D) et du dipropionate de bétaméthasone corticostéroïde. Il s’agit d’une nouvelle combinaison de substances déjà vendues séparément au Canada : le Dovonex (calcipotriol 50 mcg/g) et le Diprosone ou le Diprolene (dipropionate de bétaméthasone 0,5 mcg/g).

 

[4]               Le Dovobet a été classé comme un produit médicamenteux de la catégorie 3, c’est‑à‑dire un nouveau DIN (numéro d’identification du médicament) d’une forme posologique non comparable d’un médicament déjà existant ou le premier DIN d’une nouvelle entité chimique qui procure des bienfaits thérapeutiques modestes ou minimes sinon aucun par rapport à des produits médicamenteux comparables.

[5]               LEO Pharmaceutical Products Ltd. est le propriétaire du brevet canadien no 1,307,288, ainsi que la demanderesse du brevet no 2,370,565 correspondant au Dovobet. La demanderesse, en sa qualité de porteuse de licence, a droit à l’avantage du brevet se rapportant au Dovobet. Elle a commencé à vendre le Dovobet au Canada le 17 décembre 2001, au prix de 1,600 $ le gramme.

 

[6]               Le Conseil a été établi dans le but de surveiller et d’examiner les prix auxquels sont vendus les médicaments brevetés au Canada. Il est investi du pouvoir de prendre des mesures correctives lorsqu’il détermine que le prix d’un médicament est excessif. À la suite d’une enquête qu’il a menée sur le prix du Dovobet, le personnel du Conseil a publié, le 24 novembre 2004, un énoncé des allégations dans lequel il a indiqué que le prix du Dovobet au Canada, qui est de 1,600 $ le gramme, est supérieur au prix maximal non excessif de 1,2310 $ le gramme établi au moyen d’une comparaison selon la catégorie thérapeutique, ainsi qu’au prix international le plus élevé, qui est de 1,2840 $, et au prix international médian, qui est de 1,2370 $. Le 29 novembre 2004, le président du Conseil a publié un avis d’audience annonçant l’examen du prix du Dovobet au Canada en vertu des dispositions de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4 (la Loi).

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[7]               Le 19 avril 2006, le Conseil a rendu sa décision. Il a statué que le prix du Dovobet au Canada était excessif ayant conclu qu’il est supérieur au prix maximal non excessif (prix MNE) établi au moyen d’une comparaison avec les prix, au Canada, des médicaments appartenant à la même catégorie thérapeutique et avec les prix internationaux du Dovobet et d’autres médicaments de la même catégorie thérapeutique.

 

[8]               En conséquence, le Conseil a donné la directive suivante aux parties :

[traduction] Le personnel du Conseil et LEO Pharma devront rédiger, afin de la soumettre au Conseil pour examen, une ordonnance mettant en application la présente décision en fonction des dernières informations disponibles en matière de ventes et de prix, de manière à établir le prix MNE de chaque période sur la base du plus bas prix obtenu au moyen d’une comparaison selon la catégorie thérapeutique et d’une comparaison des prix internationaux. L’ordonnance doit prescrire la fixation d’un prix MNE et le versement à la Couronne de tous les revenus jugés excédentaires en vertu de la présente décision. Le tribunal reste saisi de l’affaire et s’il peut être utile pour la mise en application des conclusions de la présente décision à ladite ordonnance, les parties peuvent lui présenter des observations à cet égard.

 

 

QUESTIONS À EXAMINER

[9]               La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1)      Le Conseil a‑t‑il commis une erreur en ce qui concerne la détermination de la catégorie thérapeutique appropriée en vertu du paragraphe 85(1) de la Loi?

2)      Le Conseil a‑t‑il commis une erreur en effectuant la comparaison des prix à l’étranger en vertu de l’alinéa 85(1)c) de la Loi?

3)      Le Conseil a‑t‑il commis une erreur en refusant de tenir compte de l’effet que la distribution gratuite de Dovobet a eu sur le calcul du prix moyen?

4)      Le Conseil a‑t‑il l’indépendance institutionnelle et l’impartialité suffisantes pour être en mesure de tenir une audience impartiale, conformément aux principes de la justice fondamentale?

 

NORME DE CONTRÔLE

[10]           Pour déterminer la norme de contrôle applicable à la décision du Conseil, nous devons procéder à l’analyse pragmatique et fonctionnelle établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226. Voici les quatre facteurs qui doivent être appréciés pour déterminer la norme de contrôle applicable à chacune des questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire :

1)      la nature du mécanisme d’appel ou de contrôle – lorsque la loi prévoit expressément le droit à un contrôle ou à un appel, le degré de retenue est moindre; lorsqu’il existe une clause privative, un degré de retenue plus élevé s’impose; si la loi est muette, ce facteur est neutre;

2)      l’expertise relative du Conseil – la Cour doit qualifier l’expertise du tribunal, comparer l’expertise du tribunal et la sienne et déterminer la nature de la question précise dont était saisi le tribunal par rapport à cette expertise;

3)      l’objet de la loi – lorsque la loi peut être qualifiée de polycentrique, une plus grande retenue s’impose que lorsque les questions en litige ne constituent qu’un simple différend entre l’État et l’individu;

4)      la nature de la question – plus la question porte sur des faits, plus le degré de retenue est élevé.

 

La nature du mécanisme d’appel ou de contrôle

[11]           En ce qui concerne la nature du mécanisme d’appel ou de contrôle, la Loi ne contient pas de clause privative et elle ne prévoit pas de droit d’appel, puisque les décisions du Conseil ne peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire qu’en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Par conséquent, ce facteur est neutre en ce qui concerne la détermination du degré de retenue dont il faut faire preuve à l’égard du Conseil.

 

 

L’expertise relative du Conseil

[12]           L’analyse suivante a été faite par la juge Elizabeth Heneghan dans la décision Hoechst Marion Roussel Canada Inc. c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 1928 (C.F.) (QL), 2005 CF 1552, aux paragraphes 101 à 104 :

¶ 101       Dans la décision ICN, le juge de première instance a analysé l’expertise au paragraphe 17 :

 

Je n’ai aucune difficulté à conclure que le Conseil est un tribunal spécialisé. Le législateur a mis en place un mécanisme de nomination pour veiller à ce que le Conseil soit composé de membres qui sont bien informés au sujet de l’industrie pharmaceutique. L’article 92 de la Loi sur les brevets prévoit que le ministre peut constituer un comité consultatif formé de représentants des ministres provinciaux responsables de la santé, de repré

précisé dans l’ordonnance et de façon qu’il ne puisse pas être excessif.

 

83. (1) Where the Board finds that a patentee of an invention pertaining to a medicine is selling the medicine in any market in Canada at a price that, in the Board’s opinion, is excessive, the Board may, by order, direct the patentee to cause the maximum price at which the patentee sells the medicine in that market to be reduced to such level as the Board considers not to be excessive and as is specified in the order.

 

 

¶ 103       Selon moi, l’interprétation de certaines dispositions de la Loi, en particulier de l’article 79 et du paragraphe 83(1), dépend en grande partie du sens technique que l’on doit leur attribuer pour établir la compétence du Conseil à l’égard d’un breveté donné. Dans Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, [2003] 1 R.C.S. 476, le juge Bastarache a dit, dans ses motifs dissidents, que l’interprétation donnée par un tribunal spécialisé à sa loi habilitante tient de l’application de cette loi, une composante essentielle de son mandat.

 

¶ 104       En outre, le Conseil applique la section de la Loi portant sur l’examen du prix des médicaments brevetés de façon à réaliser des objectifs de politique. Sur ces questions, il possède une expertise supérieure à celle d’une cour de justice généraliste.

 

 

[13]           J’estime que l’analyse qu’a faite la juge Heneghan au sujet de l’expertise du Conseil est parfaitement appropriée et qu’elle permet de conclure qu’une plus grande retenue s’impose à l’égard des décisions du Conseil en raison de son expertise relative. Il faut en outre souligner que, dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam, [1997] 1 R.C.S. 748, le juge Frank Iacobucci a insisté pour dire, au paragraphe 50, que l’expertise « est le facteur le plus important qu’une cour doit examiner pour arrêter la norme de contrôle applicable ».

 

L’objet de la Loi

 

[14]           Une fois de plus, nous pouvons nous tourner vers l’analyse effectuée par la juge Heneghan qui a dit au paragraphe 106 de la décision Hoechst, précitée :

¶ 106       Je suis d’accord avec les arguments du procureur général du Canada selon lesquels la Loi vise à résoudre et à pondérer des objectifs de politique contradictoires. On peut ainsi affirmer que l’objet de la loi est de nature polycentrique, ce qui milite en faveur d’une plus grande retenue envers le Conseil.

 

 

La nature de la question

 

[15]           En ce qui concerne finalement la nature de la question, la demanderesse et le défendeur ne sont pas d’accord quant à savoir si les trois premières questions sont des questions de droit ou des questions mixtes de fait et de droit. Après les avoir examinées, je conclus qu’elles sont toutes des questions mixtes de fait et de droit, dont certaines sont plus juridiques que d’autres, dépendant de la mesure dans laquelle le Conseil doit interpréter le sens de la Loi en appliquant les exigences de la Loi aux faits de l’espèce. De plus, il est important de garder à l’esprit que la décision du Conseil quant à la question de savoir si le prix d’un médicament est excessif ou non est hautement discrétionnaire, puisque la Loi et ses règlements d’application prévoient très peu de critères à ce sujet. Voilà pourquoi ces décisions commandent une plus grande retenue.

 

Norme de contrôle applicable

 

[16]           Après avoir examiné ces quatre facteurs, je conclus que la norme de contrôle applicable aux trois premières questions est celle de la décision raisonnable. Cela signifie que la Cour doit déterminer si les motifs énoncés par le Conseil à l’appui de sa décision peuvent résister à un examen assez poussé (Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247). La Cour suprême du Canada a apporté des précisions dans l’arrêt Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers’ Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609, au paragraphe 31, en expliquant qu’une décision est déraisonnable :

... si aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait. Si l’un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n’est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir. Cela signifie qu’une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux de la cour de révision.

 

[17]           Finalement, en ce qui concerne la quatrième question dont la Cour est saisie, à savoir l’allégation de partialité institutionnelle, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle, puisque la Cour examine automatiquement selon la norme de la décision correcte un manquement allégué à l’équité procédurale (Ellis‑Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221). Si la Cour statue qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, la décision sera infirmée (Congrégation des témoins de Jéhovah de St‑Jérôme‑Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 R.C.S. 650, à la page 665).

 

ANALYSE

[18]           Avant d’examiner les questions soulevées dans le cadre de la présente demande, il est important de souligner que la Loi et ses règlements d’application ne donnent que très peu de directives au Conseil quant à la manière de déterminer si le prix d’un médicament est excessif ou non. L’article 85 énonce une série des facteurs dont le Conseil doit tenir compte, mais il ne donne pas de précisions quant à la manière dont le Conseil doit appliquer ces facteurs ou les apprécier. Il ne précise pas non plus dans quelles circonstances le prix sera considéré comme étant excessif. Ainsi que l’a indiqué le Conseil dans sa décision : [traduction] « même si une comparaison a été effectuée, il n’est pas obligatoire d’en adopter les conclusions ».

 

[19]           À la suite de consultations avec des intervenants, le Conseil a formulé, en vertu de l’article 96 de la Loi, des directives par lesquelles il n’est pas lié pour l’aider dans ses décisions et pour donner aux brevetés des paramètres et des renseignements pouvant leur permettre de fixer des prix qui ne soient pas réputés excessifs. Ces directives lignes directrices peuvent servir de fondement aux décisions du Conseil, pourvu que ce dernier ne se considère pas lié par celles‑ci. Comme l’a dit le juge Marshall Rothstein dans l’arrêt ICN Pharmaceuticals, Inc. c. Canada (Personnel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés), [1996] A.C.F. n1112 (C.A.F.) (QL), (1996) 119 F.T.R. 114, au paragraphe 6 :

... Or, ces facteurs ne sont pas autant de concepts abstraits applicables en vase clos. Le Conseil est manifestement requis de tenir compte des facteurs prévus au paragraphe 85(1) en fonction d’un certain raisonnement ou d’une certaine approche ou méthodologie qui peut être élaboré pour chaque cas d’espèce ou découler des lignes directrices du Conseil. Que le Conseil se soit appuyé sur ses lignes directrices pour élaborer son raisonnement, son approche ou sa méthodologie n’a pas eu pour effet de l’entraîner au-delà de la portée du paragraphe 85(1) [...]

 

 

 

1) Le Conseil a‑t‑il commis une erreur en ce qui concerne la détermination de la catégorie thérapeutique appropriée en vertu du paragraphe 85(1) de la Loi?

 

 

[20]           La première étape de l’analyse du Conseil était de déterminer la « catégorie thérapeutique » du Dovobet, c’est‑à‑dire les médicaments auxquels le Dovobet devait être comparé pour déterminer si son prix est excessif, en application du paragraphe 85(1)b) de la Loi. Le Conseil a fait remarquer que cette question ne fait généralement pas l’objet de contestations et qu’elle peut être tranchée par les scientifiques qui travaillent avec le breveté et le personnel du Conseil; il s’agit du premier cas depuis la création du Conseil où la question n’a pas pu être résolue et où elle a dû être soumise au Conseil pour décision. Le Conseil a décidé que, puisque deux ingrédients actifs du Dovobet sont vendus séparément sur le marché canadien, le prix du Dovobet devrait être comparé au prix conjugué de ces deux médicaments, à savoir le Dovonex et le Diprosone. Il s’agit de la pratique normale du personnel du Conseil pour déterminer la catégorie thérapeutique des médicaments mixtes. On a également considéré que le Dovonex et le Diprosone, ou le Diprolene, étaient les comparateurs appropriés dans le cadre de la comparaison selon la catégorie thérapeutique effectuée par le Groupe consultatif sur les médicaments pour usage humain. Le Conseil a ainsi justifié sa décision :

[traduction] Les Lignes directrices ne donnent aucune précision sur la détermination de la catégorie thérapeutique d’un « médicament mixte » comme le Dovobet, dont les ingrédients actifs sont disponibles séparément au Canada. Elles prévoient cependant les cas beaucoup plus courants dans lesquels la catégorie thérapeutique doit être déterminée par un examen des médicaments qui se différencient selon les critères pertinents, mais qui sont néanmoins assez semblables en vertu de ces mêmes critères pour justifier une comparaison avec le médicament sous examen.

 

Cependant, la logique suivie dans la manière dont la catégorie thérapeutique est établie aux fins d’une comparaison des prix mène directement à une approche axée sur la détermination de la catégorie thérapeutique d’un médicament mixte dont les ingrédients actifs sont vendus en tant que médicaments distincts au Canada : dans la plupart des cas, la catégorie thérapeutique, aux fins de la comparaison de prix prévue au paragraphe 85(1), comprendra le médicament sous examen et les médicaments qui contiennent ses ingrédients actifs.

 

Dans le cas de médicaments mixtes, en particulier lorsque les autres médicaments qui contiennent exactement les mêmes ingrédients actifs que le médicament mixte sont employés dans le cadre d’une polythérapie, ces derniers forment une catégorie thérapeutique extrêmement convaincante pour la comparaison des prix. Les médicaments séparés employés conjointement se différencient légèrement du médicament sous examen parce qu’il s’agit (par exemple, dans la présente espèce) de deux médicaments plutôt que d’un seul médicament mais, au‑delà de cet aspect, leur comparabilité est pour le moins unique quand vient le temps d’effectuer une comparaison selon la catégorie thérapeutique.

 

Dans une situation idéale où l’on est en présence d’une catégorie thérapeutique si logique et convaincante et en l’absence de toute preuve fiable du contraire, il est tout simplement illogique de détruire l’homogénéité de la catégorie thérapeutique en y ajoutant des médicaments qui sont beaucoup plus différents que les médicaments qui contiennent les mêmes ingrédients actifs […]

 

 

 

[21]           Le Conseil a également souligné que cette approche est [traduction] « soumise à la condition qu’elle ne doit pas être suivie lorsqu’il y a des preuves fiables indiquant que les médicaments séparés utilisés comme polythérapie ont un effet clinique différent de celui du médicament mixte ». Cependant, en l’absence de preuves convaincantes du contraire, l’efficacité clinique des deux traitements est présumée être la même.

 

[22]           La demanderesse fait valoir à cet égard que le Conseil a commis une erreur lorsqu’il a fait abstraction du fait que, dans l’usage courant, on considère que l’expression « catégorie thérapeutique » correspond à la catégorie de médicaments utilisés pour traiter la même maladie et en adoptant plutôt une interprétation restrictive de cette expression dans le cas de médicaments qui sont composés de deux ingrédients actifs, ce qui limite cette catégorie à la seule combinaison de deux substances, dont chacune est composée d’un des ingrédients actifs. La demanderesse soutient que cette interprétation ne se fonde aucunement sur le sens ordinaire des dispositions de la Loi, de ses règlements, des directives facultatives ou sur les témoignages des divers experts qui ont comparu devant le Conseil. La demanderesse a également contesté le refus du Conseil d’élargir la portée de la catégorie thérapeutique au‑delà des substances composées des deux ingrédients actifs, à moins que la demanderesse ne démontre que l’efficacité du Dovobet pour traiter le psoriasis est supérieure, de façon importante, à un autre traitement thérapeutique nécessitant la combinaison des deux ingrédients actifs, en présentant des preuves scientifiques fondées sur des études comparatives cliniques – une norme de preuve qui dépasse de loin la prépondérance des probabilités que le Conseil aurait dû appliquer.

 

[23]           Le défendeur soutient pour sa part que le Conseil a fourni une explication raisonnable et cohérente pour justifier la manière dont la catégorie thérapeutique devait être définie dans le cas des médicaments mixtes. De plus, il y a un mode d’analyse qui pouvait raisonnablement amener le Conseil, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait. En ce qui concerne l’élargissement de la catégorie thérapeutique lorsque cela est justifié par l’efficacité supérieure du médicament mixte, le défendeur prétend que la demanderesse confond la charge de preuve qui incombe au personnel du Conseil de démontrer que le prix est excessif et l’évaluation de la preuve que le Conseil doit effectuer. Après avoir entendu le témoignage des experts des deux parties, le Conseil a simplement préféré admettre un type d’éléments de preuve (les essais comparatifs) plutôt qu’un autre type de preuves (résumés d’autres essais et observations cliniques).

 

[24]           La première étape pour déterminer le caractère raisonnable de la décision du Conseil consiste à examiner le libellé de la Loi, de ses règlement et des directives ou lignes directrices. L’alinéa 85(1) b) de la Loi prévoit :

85. (1) Pour décider si le prix d’un médicament vendu sur un marché canadien est excessif, le Conseil tient compte des facteurs suivants, dans la mesure où des renseignements sur ces facteurs lui sont disponibles :

 

 

 

 

[…]

 

b) le prix de vente de médicaments de la même catégorie thérapeutique sur un tel marché;

 

85. (1) In determining under section 83 whether a medicine is being or has been sold at an excessive price in any market in Canada, the Board shall take into consideration the following factors, to the extent that information on the factors is available to the Board:

 

...

 

(b) the prices at which other medicines in the same therapeutic class have been sold in the relevant market;

 

 

 

[25]           La Loi et ses règlements ne comportent pas d’autres directives sur la question de savoir ce qui constitue une catégorie thérapeutique appropriée ou sur la manière dont il faut établir une telle catégorie pour un médicament donné. L’article 8.5 des « Lignes directrices : Prix excessifs » prévoit que « le prix de lancement d’un nouveau produit médicamenteux de la catégorie 3 sera considéré excessif s’il est supérieur aux prix de tous les produits médicamenteux comparables vérifiés au moyen d’une comparaison selon la catégorie thérapeutique ». Ce test de comparaison est brièvement décrit à l’article 6.3 comme la comparaison entre « le prix du DIN sous examen aux prix de DIN cliniquement équivalents et vendus sur les mêmes marchés à des prix réputés non excessifs selon les critères du Conseil ». L’établissement d’une catégorie thérapeutique comporte, comme première étape, le choix de médicaments comparables, suivie de la détermination des formes posologiques comparables. Une fois que les produits médicamenteux comparables ont été choisis, il faut évaluer le prix de chacun d’eux. La question en litige, dans le cadre de la présente demande, porte sur la première étape de ce processus, à savoir le choix de médicaments comparables.

 

[26]            L’article 9 du chapitre consacré à l’« Examen scientifique » prévoit que les médicaments comparables sont des médicaments « équivalents sur le plan clinique utilisés pour traiter l’indication approuvée qui devrait être l’indication principale du médicament sous examen » et que, normalement, il s’agit des médicaments appartenant, en vertu du système de classification anatomique thérapeutique chimique (ATC) du Groupe de recherche de l’utilisation des médicaments de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à la sous‑catégorie située juste au‑dessus de la simple substance chimique. Cela dit, le Conseil peut omettre de l’examen un produit médicamenteux appartenant à la même catégorie ATC s’il est d’avis qu’il ne s’agit pas d’un médicament équivalent ou qu’il ne se prête pas à la comparaison. Finalement, suivant l’article 2 de l’Appendice 2 des Lignes directrices, le Conseil se réserve le droit d’exclure tout produit médicamenteux de la comparaison selon la catégorie thérapeutique lorsqu’il a des raisons de croire que le produit est vendu à un prix excessif.

 

[27]           Il ressort d’une lecture attentive de la décision du Conseil que ce dernier était au courant de tous ces éléments lorsqu’il a déterminé la catégorie thérapeutique appropriée. Le Conseil a examiné tous les médicaments que la demanderesse a proposés pour l’établissement de la catégorie thérapeutique, mais il les a finalement tous rejetés parce qu’ils étaient trop différents du Dovobet pour permettre une comparaison convenable. Le Conseil a aussi clairement indiqué que c’est au personnel du Conseil qu’il incombe de le convaincre, selon la prépondérance des probabilités, que le prix d’un médicament est excessif.

 

[28]           De prime abord, l’argument du Conseil semble plutôt convaincant en raison de sa simplicité et de son bon sens – lorsqu’un nouveau produit médicamenteux est une combinaison de deux produits médicamenteux existants vendus au Canada, il semblerait logique, si l’on conjugue les prix de ces deux médicaments existants en respectant leur proportion dans le médicament mixte, d’obtenir un prix maximal non excessif qui soit juste. Après avoir examiné la preuve soumise au Conseil au sujet du Dovobet, le choix des deux ingrédients actifs en tant que produits de comparaison les plus rapprochés semble également raisonnable dans ce cas précis.

 

[29]           La demanderesse fait valoir que le problème d’une approche aussi générale est la possibilité que le breveté ne soit plus en mesure d’augmenter le prix d’une invention brevetable qui combine les deux médicaments dans le même onguent, puisque le prix d’un nouveau produit médicamenteux de la catégorie 3 sera réputé excessif s’il est supérieur au prix de tous les produits médicamenteux comparables appartenant à la même catégorie thérapeutique. En d’autres mots, si la définition de la catégorie thérapeutique se limite aux ingrédients actifs vendus séparément comme médicaments, il ne sera pas possible que le médicament mixte soit supérieur à la somme de ses parties.

 

[30]           Le Conseil a reconnu cette possibilité et il a considéré que cette approche pourrait ne pas être appropriée dans des cas où il est démontré que le médicament mixte est une amélioration importante par rapport à ses ingrédients actifs. Cette réserve soulève de nouvelles questions : en quoi consiste une amélioration importante et comment est‑il possible d’établir cette amélioration de manière à convaincre le Conseil, ce qui est essentiellement, comme l’a laissé entendre la demanderesse, une question d’appréciation de la preuve par le Conseil.

 

[31]           L’approche qu’a adoptée le Conseil pour apprécier lesdites preuves découle, comme l’indique la décision, d’une interprétation téléologique et contextuelle du paragraphe 85(1) de la Loi, ainsi que de l’exercice d’un jugement scientifique et pratique. L’approche du Conseil se fonde également sur la présomption pharmacologique voulant que, en l’absence de toute preuve scientifique du contraire, l’efficacité clinique d’un médicament composé est présumée égale à l’efficacité de l’utilisation conjointe de ses ingrédients actifs. C’est ce que l’on appelle l’« hypothèse nulle ». Pour réfuter cette hypothèse nulle, les témoins experts du personnel du Conseil ont proposé que l’on accorde plus de poids aux essais formels (notamment, les essais à double insu, les essais comparatifs et les essais statistiquement valables), alors que les témoins experts de la demanderesse ont fait valoir que les résumés d’autres types d’essais et d’observations cliniques pourraient suffire. Le Conseil a analysé les deux approches, pour souscrire finalement à la position du personnel du Conseil, concluant que [traduction] « la preuve à ce sujet était scientifiquement convaincante, intuitivement logique et confirmait les attentes des membres du Conseil ». Alors que la demanderesse a présenté le témoignage de dermatologues affirmant que le Dovobet est plus efficace qu’une polythérapie comportant les deux ingrédients dont il est composé, le Conseil a rejeté leurs témoignages en affirmant que seul un essai clinique formel et bien structuré constituerait une preuve fiable, ce qui n’a pas été fait en l’espèce. Le Conseil a conclu qu’on n’a pas démontré que le Dovobet représente une amélioration importante par rapport à l’utilisation combinée de ses ingrédients actifs et que rien ne justifiait donc l’élargissement de la catégorie thérapeutique.

 

[32]           Le Conseil a ensuite ajouté qu’il ne faut pas confondre le besoin d’élargir la catégorie thérapeutique avec le critère employé pour déterminer si un médicament représente une amélioration importante par rapport aux autres médicaments comparables, de sorte qu’il peut être classé dans la catégorie 2. Alors que ces deux critères comportent un examen de l’efficacité de médicaments existants comparables, cet examen ne tiendra pas nécessairement compte des mêmes critères ou n’exigera pas le même degré d’amélioration par rapport aux autres médicaments. Le problème avec cette affirmation est que, si on lit bien les lignes directrices, on dirait en fait que le Conseil est en train d’appliquer, du moins en partie, les critères de classification de la catégorie 2 permettant de démontrer une amélioration importante suffisante. Suivant l’article 7.2 du chapitre intitulé « Examen scientifique » dans les lignes directrices, « [l]es données servant à déterminer si un nouveau médicament est vraiment plus efficace qu´un médicament existant doivent être obtenues au moyen d’essais cliniques bien contrôlés, pratiqués à double insu et statistiquement valables ». La distinction faite par le Conseil semble concerner le degré d’amélioration nécessaire dans chaque cas; cependant, compte tenu de l’absence d’essais cliniques en l’espèce, le Conseil a décidé de ne pas s’attarder sur cette question outre mesure, se contentant de dire que la différence en matière d’efficacité clinique doit être [traduction] « au moins importante du point de vue statistique et pertinente du point de vue thérapeutique ».

 

[33]           Dans l’ensemble, même si j’éprouve un peu de réticence à l’égard de la limite que le Conseil semble avoir tracé entre les produits mixtes de la catégorie 3 qui apportent une « amélioration importante » de manière à réfuter l’hypothèse nulle, sans toutefois représenter l’« amélioration importante » suffisante pour être classés dans la catégorie 2 de produits médicamenteux, je ne crois pas qu’elle soit suffisante pour conclure que la décision du Conseil était déraisonnable. En d’autres mots, la définition élaborée par le Conseil de la catégorie thérapeutique appropriée peut résister à un « examen assez poussé » et ne doit pas être modifiée.

 

2) Le Conseil a‑t‑il commis une erreur en effectuant la comparaison des prix à l’étranger en vertu de l’alinéa 85(1)c) de la Loi?

 

 

[34]           En ce qui concerne la comparaison avec le prix du Dovobet à l’étranger en vertu de l’alinéa 85(1)c) de la Loi, le Conseil a tout d’abord souligné que l’exigence dans les Lignes directrices que, parmi les pays de comparaison, le Canada ne soit pas le pays où le prix du médicament est le plus élevé est une conclusion que l’on peut tirer de l’alinéa 85(1)c). Le Conseil a ensuite appliqué le critère en deux étapes : il a d’abord comparé le prix de vente du Dovobet sur le marché canadien au prix de ce médicament dans les pays de comparaison, puis il l’a comparé au prix de produits médicamenteux de la même catégorie thérapeutique.

 

[35]           Après avoir appliqué l’alinéa 85(1)c), le Conseil a conclu que [traduction] « le prix du Dovobet au Canada est plus élevé que le prix international des médicaments qui appartiendraient à la même catégorie thérapeutique, que l’on fasse référence à la catégorie thérapeutique que le Conseil estime appropriée ou que l’on fasse référence à la catégorie plus large proposée par LEO Pharma ».

 

[36]           Encore une fois, la première étape pour déterminer le caractère raisonnable de la décision du Conseil est l’examen du libellé de la Loi, de ses règlements d’application et des Lignes directrices. Voici le libellé de l’alinéa 85(1)c) de la Loi :

85. (1) Pour décider si le prix d’un médicament vendu sur un marché canadien est excessif, le Conseil tient compte des facteurs suivants, dans la mesure où des renseignements sur ces facteurs lui sont disponibles :

 

 

 

[…]

 

c) le prix de vente du médicament et d’autres médicaments de la même catégorie thérapeutique à l’étranger;

 

85. (1) In determining under section 83 whether a medicine is being or has been sold at an excessive price in any market in Canada, the Board shall take into consideration the following factors, to the extent that information on the factors is available to the Board:

 

...

 

(c) the prices at which the medicine and other medicines in the same therapeutic class have been sold in countries other than Canada;

 

[37]           Comme la Loi et ses règlements d’application ne donnent aucune autre indication sur la manière d’effectuer la comparaison des prix à l’étranger ou sur l’importance qu’il faut lui accorder dans le cadre de la fixation générale des prix, la majeure partie de l’information pertinente se trouve encore une fois dans les Lignes directrices. L’article 7.1 des « Lignes directrices : Prix excessifs » prévoit que « [l]e prix d’un produit médicamenteux breveté nouveau ou existant sera présumé excessif s’il est supérieur aux prix auxquels le même médicament est vendu dans les différents pays nommés dans le Règlement ». L’article 1 de l’« Appendice 3 – Comparaison des prix internationaux » prévoit que « [l]a comparaison des prix internationaux permet de comparer le prix du DIN sous examen aux prix de la même concentration et la même forme posologique du même médicament pratiqués dans les pays énumérés dans le Règlement sur les médicaments brevetés (le Règlement) ». Ces pays sont les suivants : Allemagne, France, Italie, Suède, Suisse, Royaume-Uni et États‑Unis. Il n’est pas question dans les Lignes directrices de la comparaison des prix internationaux d’autres médicaments appartenant à la même catégorie thérapeutique.

 

[38]           Au moment de son lancement au Canada, le Dovobet n’était vendu que dans deux autres pays de comparaison. Au moment où le Conseil a rendu sa décision, il était vendu dans six des sept pays de comparaison. Dans tous les cas, le prix du Dovobet était plus élevé au Canada. Les États-Unis étaient le seul pays où le Dovobet n’était pas vendu lorsque le Conseil a rendu sa décision.

 

[39]           À cet égard, la demanderesse soutient tout d’abord que le Conseil a commis une erreur en adoptant un critère « rigoureux » selon lequel le prix d’un médicament est invariablement excessif au Canada si son prix sur les marchés canadiens est supérieur à celui auquel il est vendu dans les pays de comparaison, sans tenir compte du nombre de pays dans lesquels le médicament a été lancé. L’adoption de ce critère rigoureux se reflète également dans la conclusion du Conseil selon laquelle le prix MNE pour une année quelconque est [traduction] « le moindre du prix de référence ajusté à l’indice des prix à la consommation (IPC), établi au moyen d’une comparaison selon la catégorie thérapeutique et du prix international le plus élevé ».

 

[40]           En ce qui concerne le critère « rigoureux » appliqué par le Conseil, je ne suis pas d’accord avec la demanderesse. Même s’il reconnaît dans les Lignes directrices la présomption selon laquelle le prix d’un médicament vendu au Canada sera considéré excessif s’il est plus élevé que son prix dans tout autre pays de comparaison, le Conseil a aussi clairement indiqué qu’il ne s’agit que d’une simple présomption que le breveté peut contester devant lui. Pourvu que le Conseil ne s’estime pas lié par les Lignes directrices, mais qu’il considère simplement qu’elles sont applicables au cas dont il est saisi, on ne peut pas dire qu’il a commis une erreur en les appliquant. Ainsi que le Conseil l’a dit dans sa décision, il [traduction] « aurait pu conclure autrement, mais il n’y avait, dans la présente procédure, aucune preuve l’ayant convaincu de le faire ».

 

[41]           La demanderesse fait également valoir que le Conseil a commis une erreur parce qu’il n’a pas tenu compte du fait que le Dovobet a été lancé au Canada avant d’être lancé dans plusieurs des pays de comparaison pour le bénéfice des Canadiens, ce qui pourrait justifier un prix plus élevé. Comme il s’agit clairement d’un argument subsidiaire et qu’il existe une présomption, reconnue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Woolaston c. Canada (Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration)), [1973] R.C.S. 102, selon laquelle le décideur a tenu compte de tous les éléments de preuve versés au dossier avant de rendre sa décision, l’omission du Conseil de mentionner cet argument dans sa décision ne peut pas être considérée comme une erreur susceptible de contrôle.

 

[42]           La demanderesse fait ensuite valoir que le Conseil a commis une erreur en adoptant une approche à deux étapes pour effectuer la comparaison des prix internationaux en comparant d’abord le prix du Dovobet au Canada avec les prix de ce médicament dans les pays de comparaison, puis en comparant le prix des produits médicamenteux appartenant à la même catégorie thérapeutique avec les mêmes produits vendus dans les pays de comparaison, pour finalement accorder plus de poids à la première comparaison. Sur ce point, je dois convenir avec le défendeur que l’approche du Conseil à cet égard était parfaitement raisonnable. Selon le simple bon sens, lorsqu’on dispose exactement du même produit pour la comparaison, la comparaison selon la catégorie thérapeutique à l’étranger devrait être accessoire, puisque les résultats d’une comparaison directe sont susceptibles d’être beaucoup plus pertinents.

 

[43]           Finalement, la demanderesse a contesté l’approche médiane adoptée par le Conseil pour effectuer la comparaison des prix à l’étranger des produits médicamenteux de la même catégorie thérapeutique. Cependant, étant donné que le Conseil a clairement expliqué ne pas avoir accordé un poids significatif à cette comparaison, comme je l’ai indiqué plus haut, on peut considérer que cette question est accessoire et n’a aucune incidence sur le caractère raisonnable de la décision. De plus, les raisons qui ont amené le Conseil à utiliser les prix médians à l’étranger des médicaments de la catégorie thérapeutique, vu les effets que peuvent entraîner les valeurs marginales, étaient valables parce que [traduction] « les consommateurs canadiens ne seraient pas protégés si le prix MNE d’un médicament était régi par une comparaison avec (1) le prix le plus élevé (2) d’un médicament vendu à l’étranger, qui (3) n’est pas le médicament faisant l’objet de l’examen ».

 

[44]           Dans l’ensemble, je suis convaincu que l’approche adoptée par le Conseil, y compris sa décision de suivre de près les Lignes directrices, était raisonnable.

 

3) Le Conseil a‑t‑il commis une erreur en refusant de tenir compte de l’effet que la distribution gratuite de Dovobet a eu sur le calcul du prix moyen?

 

 

[45]           On a également demandé au Conseil d’examiner l’incidence du programme de distribution gratuite de Dovobet mis en place par la demanderesse sur le prix moyen du médicament. Le Conseil a décidé de ne pas tenir compte du programme de la demanderesse, lequel n’a été mis en place qu’une fois que le personnel du Conseil eut avisé la demanderesse qu’une enquête concernant le prix du Dovobet était en cours. Le Conseil a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un véritable programme d’utilisation humanitaire, mais plutôt d’une [traduction] « tentative de réduire artificiellement le prix moyen du Dovobet dans le but d’éviter l’application des Lignes directrices ».

 

[46]           En vertu de l’article 80 de la Loi, les brevetés sont tenus de fournir au Conseil des renseignements sur le prix de vente antérieur ou actuel d’un médicament sur le marché canadien.

80. (1) Le breveté est tenu de fournir au Conseil, conformément aux règlements, les renseignements et documents sur les points suivants :

 

 

 

 

a) l’identification du médicament en cause;

b) le prix de vente — antérieur ou actuel — du médicament sur les marchés canadien et étranger;

 

c) les coûts de réalisation et de mise en marché du médicament s’il dispose de ces derniers renseignements au Canada ou s’il en a connaissance ou le contrôle;

 

d) les facteurs énumérés à l’article 85;

e) tout autre point afférent précisé par règlement.

 

80. (1) A patentee of an invention pertaining to a medicine shall, as required by and in accordance with the regulations, provide the Board with such information and documents as the regulations may specify respecting

 

(a) the identity of the medicine;

 

(b) the price at which the medicine is being or has been sold in any market in Canada and elsewhere;

(c) the costs of making and marketing the medicine, where that information is available to the patentee in Canada or is within the knowledge or control of the patentee;

(d) the factors referred to in section 85; and

(e) any other related matters.

 

 

[47]           La simple lecture de la Loi permet logiquement de conclure que c’est en se fondant sur les renseignements fournis par le breveté en vertu de l’alinéa 85(1)b) que le Conseil sera en mesure de déterminer le premier facteur prévu à l’alinéa 85(1)a) de la Loi, soit le prix de vente du médicament sur un tel marché. De plus, dans les « Lignes directrices : Prix excessifs », il est expressément fait référence au calcul du prix moyen et du revenu net ainsi qu’il est indiqué dans le Règlement de 1994 sur les médicaments brevetés, DORS/94‑688 (le Règlement), dont l’alinéa 4(1)e) prévoit :

 

4. (1) Pour l’application des alinéas 80(1)b) et (2)b) de la Loi, les renseignements identifiant le médicament et ceux sur son prix de vente doivent indiquer :

 

[…]

 

e) la quantité du médicament vendue et soit son prix moyen par emballage, soit les recettes nettes dérivées des ventes de chaque forme posologique, de chaque concentration et de chaque format d’emballage dans lesquels le médicament était vendu sous sa forme posologique finale par le breveté ou l’ancien breveté à chaque catégorie de clients dans chacune des provinces durant les périodes visées au paragraphe (2);

4. (1) For the purposes of paragraphs 80(1)(b) and (2)(b) of the Act, information identifying the medicine and concerning the price of the medicine shall indicate

 

 

(e) the quantity of the medicine sold and either the average price per package or the net revenue from sales of each dosage form, strength and package size in which the medicine was sold in final dosage form by the patentee or former patentee to each class of customer in each province during the periods referred to in subsection (2);

 

 

[48]           Par ailleurs, le paragraphe 4(4) du Règlement prévoit :

(4) Pour l’application de l’alinéa (1)e), le prix après déduction des réductions accordées à titre de promotion ou sous forme de rabais, escomptes, remboursements, biens ou services gratuits, cadeaux ou autres avantages semblables et après déduction de la taxe de vente fédérale doit être utilisé pour le calcul du prix moyen par emballage dans lequel le médicament était vendu.

(4) For the purposes of paragraph (1)(e), in calculating the average price per package of medicine, the actual price after any reduction given as a promotion or in the form of rebates, discounts, refunds, free goods, free services, gifts or any other benefits of a like nature and after deduction of the federal sales tax shall be used.

 

[49]           Le Règlement prévoit également, au paragraphe 4(2), que les renseignements sur le prix de vente sont fournis à l’égard de :

a) la période de 30 jours suivant la date à laquelle le médicament est vendu au Canada pour la première fois;

 

b) chaque période de six mois commençant le 1er janvier et le 1er juillet de chaque année.

(a) the 30 day period following the date of the first sale in Canada of the medicine; and

 

 

(b) each six month period commencing on January 1 and July 1 of each year.

 

[50]           Il convient de souligner que ni la Loi, ni le Règlement ne parlent de la mise sur pied de programmes d’utilisation humanitaire. Le Règlement fait plutôt référence aux « réductions accordées à titre de promotion ou sous forme de rabais, escomptes, remboursements, biens ou services gratuits, cadeaux ou autres avantages semblables », sans qu’il soit question de l’intention d’une telle distribution.

 

[51]           En ce qui concerne les Lignes directrices, l’article 5.2 des « Lignes directrices : Prix excessifs » précise que « [l]es rajustements apportés aux prix ou aux recettes nettes par emballage pour tenir compte des médicaments distribués gratuitement ne doivent inclure que les produits offerts dans un format commercialisable semblables à ceux déjà disponibles sur le marché » et que les « [l]es échantillons remis aux médecins ne sont pas considérés comme des médicaments distribués gratuitement ». L’article 5.3 est la première disposition où il est question d’un « programme humanitaire de distribution » et il précise que les produits distribués dans le cadre d’un tel programme « peuvent, à la discrétion du breveté, être inclus ou exclus des rapports dans la mesure où le choix est maintenu pour les différentes périodes de rapport ».

 

[52]           Le bulletin du Conseil, La Nouvelle, fournit des explications supplémentaires (volume 4, no 2, avril 2000) à la page 5 :

Bref, le Conseil tient à ce que ses politiques et procédures ne découragent pas les brevetés d’offrir des programmes de promotion ou de conclure des ententes qui s’avèrent avantageuses pour les patients. Toutefois, le breveté doit faire rapport de ces programmes de la même manière pour les différentes périodes de rapport des prix afin de prévenir les fluctuations artificielles du prix calculé aux fins de l’examen des prix.

 

[53]           En l’espèce la demanderesse n’a pas déclaré, pour les premières années, de distribution gratuite de médicaments dans le cadre d’un programme humanitaire de distribution, un tel programme n’ayant pas existé avant 2004. La date de lancement de ce programme, conjuguée à la distribution de tubes de Dovobet de grand format seulement (à savoir, le format le plus cher) et à l’omission de donner aux médecins la consigne d’évaluer les moyens financiers des patients lors de la distribution gratuite de Dovobet, a convaincu le Conseil que la principale raison de la mise en place de ce programme était de réduire artificiellement le prix moyen du Dovobet déclaré au Conseil et qu’il ne s’agissait pas d’un véritable programme d’utilisation humanitaire. Le Conseil n’a pas exclu la possibilité de tenir compte d’un véritable programme d’utilisation humanitaire, si la demanderesse en mettait un sur pied, pour déterminer le prix du Dovobet à l’avenir. Le Conseil a finalement conclu que, pour qu’il s’agisse d’un véritable programme de ce genre, il ne doit pas servir à des fins de commercialisation, ni viser à réduire artificiellement le prix moyen d’un médicament; de plus, la distribution gratuite de produits ne devrait être effectuée qu’à la demande de chaque médecin qui les reçoit.

 

[54]           La première question qu’il faut examiner est celle de savoir si la conclusion du Conseil en ce qui concerne le caractère « humanitaire » de la distribution gratuite de Dovobet par la demanderesse était raisonnable. La demanderesse insiste pour dire que le Conseil a commis une erreur dans son évaluation de l’authenticité du programme puisque le Dovobet était distribué gratuitement à la demande des médecins et que, dans le cadre de ce programme, on leur a envoyé des formulaires indiquant que le programme était destiné à des [traduction] « patients aux ressources financières limitées et ne disposant pas d’une assurance privée ». À cet égard, je dois convenir avec le défendeur que, même si le Conseil avait commis une erreur sur ce point précis, une distribution soudaine de grandes quantités de Dovobet deux ans après son lancement sur le marché et à la suite d’une lettre d’enquête constitue un motif suffisant pour que le Conseil conclut qu’il ne s’agit pas d’un véritable programme d’utilisation humanitaire.

 

[55]           Cela dit, je conclus qu’il m’est impossible de concilier l’exigence générale selon laquelle les produits gratuits doivent être distribués uniquement pour des raisons « humanitaires » pour qu’on en tienne compte dans les calculs, et la disposition du Règlement prévoyant que les produits gratuits peuvent être inclus dans le calcul du prix moyen d’un médicament, sans qu’il soit question de l’intention qu’avait le breveté en distribuant ces produits. En fait, la raison pour laquelle une telle distinction a été établie dans les Lignes directrices n’est pas claire du tout. Même si le législateur a été plutôt vague lorsqu’il a établi les facteurs dont il faut tenir compte dans le cadre d’une comparaison selon la catégorie thérapeutique ou d’une comparaison des prix internationaux, il a cependant donné dans le Règlement des indications très claires sur la manière d’évaluer le prix moyen d’un médicament, ce qui rend beaucoup plus incertain le besoin de précisions en la matière.

 

[56]           En outre, le fait que la distribution gratuite de produits puisse bénéficier au breveté ne devrait pas diminuer la valeur de ladite distribution aux yeux des patients qui reçoivent les médicaments gratuits. En fait, il semble être beaucoup plus raisonnable de présumer que le législateur, par l’article 4 du Règlement, a voulu rendre les médicaments brevetés plus accessibles aux Canadiens, dont plusieurs n’ont pas d’assurance‑médicaments. Pour atteindre cet objectif, le libellé du Règlement a été formulé de manière à inciter les brevetés à distribuer gratuitement des médicaments, en leur permettant d’inclure ces produits dans le calcul du prix moyen en vertu de l’article 80 et, par extension, de l’article 85(1)c), quelle que soit leur« intention » véritable en distribuant ces produits gratuits.

 

[57]           Par conséquent, je conclus que la décision du Conseil de refuser de tenir compte de la distribution gratuite de Dovobet pour établir le prix moyen du Dovobet est déraisonnable.

 

4) Le Conseil a-t-il l’indépendance institutionnelle et l’impartialité suffisantes pour être en mesure de tenir une audience impartiale, conformément aux principes de la justice fondamentale?

 

[58]           Enfin, la demanderesse conteste la compétence du Conseil au motif que, d’après la manière dont le Conseil a été institué par la Loi et dont il fonctionne en pratique, il n’a pas l’indépendance institutionnelle et l’impartialité nécessaires pour accorder à la demanderesse une audience équitable, conformément aux principes de la justice naturelle, ce qui est contraire à son obligation d’équité en vertu de la common law et de la Déclaration canadienne des droits, L.C. 1960, ch. 44. La demanderesse souhaite établir une distinction entre l’espèce et l’affaire Hoechst, précitée, dans laquelle la juge Heneghan a conclu qu’il n’y avait pas eu manquement à l’équité procédurale et a déclaré, en faisant référence à l’arrêt de la Cour suprême Ocean Port Hotel Ltd.c. Colombie‑Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781, qu’on n’a pas soulevé d’argument constitutionnel dans la demande de contrôle judiciaire. Dans la présente espèce, la demanderesse prétend soulever un argument constitutionnel, car elle invoque expressément le droit à une audience impartiale prévu à la Déclaration canadienne des droits, lequel droit ne peut pas être abrogé par une loi du Parlement, si ce dernier n’a pas stipulé expressément que la loi est dérogatoire à la Déclaration canadienne des droits.

 

[59]           Le défendeur soutient pour sa part que cette question, y compris l’argument fondé sur la Déclaration canadienne des droits, a déjà été soulevée dans la décision Hoechst, précitée, et que l’analyse effectuée par la juge Heneghan dans cette décision constitue une réponse complète et suffisante aux allégations soulevées par la demanderesse dans la présente affaire. Le recours de la demanderesse à la Déclaration canadienne des droits ne modifie pas l’analyse de la Cour pour déterminer s’il y a eu équité procédurale et n’a aucun effet sur le résultat de cette analyse. Le défendeur conclut que, par conséquent, il n’y a pas manquement à l’équité procédurale dans le cadre de la présente procédure et que l’argument de la demanderesse doit être rejeté.

 

[60]           Dans la décision Hoechst, précitée, la juge Heneghan a appliqué les critères établis dans l’arrêal, le droit à un avis et la possibilité de répondre, s’appliquent aux décisions du Conseil. Cependant, j’accorderais une grande latitude au Conseil à l’égard des exigences procédurales, compte tenu des facteurs décrits dans l’arrêt Baker. Le paragraphe 97(1) de la Loi prévoit clairement que le Conseil doit agir sans formalisme, en procédure expéditive, dans la mesure où les circonstances et les principes d’équité le permettent, ce qui lui laisse une grande marge de manœuvre, à condition que les principes de justice naturelle et d’équité procédurale soient respectés.

 

 

[61]           Comme ce fut le cas dans la décision Hoechst, précitée, la demanderesse n’allègue pas en l’espèce qu’il y a eu violation du droit à un avis ou du droit de présenter une réponse, mais elle se concentre uniquement sur le droit à un tribunal impartial, qu’elle prétend être violé en raison du cumul des fonctions d’enquête, de poursuite et de décision.

 

[62]           Ainsi que l’a reconnu la juge Heneghan, le critère permettant de déterminer s’il y a une crainte raisonnable de partialité est celui qui a été établi par le juge Louis-Philippe de Grandpré de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, aux pages 394 et 395 :

la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

 

[63]           Examinant l’argument concernant le cumul inadmissible de fonctions, la juge Heneghan a fait l’analyse suivante, aux paragraphes 77 à 85 :

 77 L’exercice par un tribunal administratif de plusieurs fonctions ne suscite pas, en soi, une crainte raisonnable de partialité. Sur ce point, la Cour suprême du Canada a fait les commentaires suivants, dans l’arrêt Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884, au paragraphe 40 :

 

[...] ce cumul de fonctions différentes au sein d’un seul organisme administratif n’est pas inhabituel et n’engendre pas en soi une crainte raisonnable de partialité (voir Régie des permis d’alcool, précité, par. 46‑48, le juge Gonthier; Newfoundland Telephone, précité, p. 635, le juge Cory; Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301). Comme la juge en chef McLachlin l’a fait remarquer dans Ocean Port, précité, par. 41, « [l]e cumul de fonctions d’enquête, de poursuite et de décision au sein d’un organisme est souvent nécessaire pour permettre à un [organisme] administratif de remplir efficacement son rôle ».

 

 

 78 De même, dans l’arrêt Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie‑Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781, la Cour suprême du Canada rappelle que la common law n’a pas préséance sur des dispositions législatives qui sont raisonnablement claires, car cela aurait pour effet de restreindre les droits à l’équité procédurale. Dans l’arrêt Ocean Port, la juge en chef McLachlin a ajouté, au paragraphe 41, que « [s]ans trancher la question, je ferais observer qu’une telle flexibilité peut être appropriée dans le cas d’un système d’octroi de permis mettant en cause des intérêts purement économiques ».

 

 79 À mon avis, cette description s’applique au type de régime en cause en l’espèce. Le Conseil doit s’assurer que les titulaires de brevets liés à des médicaments brevetés ne vendent pas leurs produits à des prix qui sont excessifs suivant les lignes directrices. Le Conseil exerce une fonction de réglementation économique, comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt CIBA‑Geigy. C’est pourquoi il convient de lui accorder une certaine latitude.

 80 Je mentionnerai une fois encore l’arrêt Ocean Port, sur lequel s’est appuyé l’intervenant, et dans lequel la Cour suprême a fait les commentaires suivants au paragraphe 42 :

 

En outre, en l’absence de contrainte constitutionnelle, il est toujours loisible au législateur d’autoriser un cumul de fonctions qui contrevient par ailleurs à la règle de l’impartialité. Le juge Gonthier fait allusion à cette possibilité dans l’arrêt Régie, au par. 47, en citant les motifs du juge L’Heureux‑Dubé dans Brosseau, précité, p. 309‑310 :

 

 

 

Comme la plupart des principes, celui‑ci a ses exceptions. Il y a exception au principe « nemo judex » lorsque le chevauchement de fonctions est autorisé par la loi, dans l’hypothèse où la constitutionnalité de la loi n’est pas attaquée.

 

 

[...]

 

 

Dans certains cas, [le législateur] estimera souhaitable, pour atteindre les objectifs de la loi, de permettre un chevauchement de fonctions qui, dans des procédures judiciaires normales, seraient séparées [...] Si la loi autorise un certain degré de chevauchement de fonctions, ce chevauchement, dans la mesure où il est autorisé, n’est généralement pas assujetti per se à la doctrine de la « crainte raisonnable de partialité ».

 

 

 81 La demanderesse n’a pas soulevé d’argument constitutionnel dans la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 82 Le régime législatif dont il est question en l’espèce prévoit expressément que le Conseil exercera plusieurs fonctions, y compris des fonctions d’enquête, de poursuite et de décision. En vertu des paragraphes 96(2) et (3) de la Loi, le Conseil peut, avec l’agrément du gouverneur en conseil, établir des règles régissant ses pratiques et ses procédures, et prendre des règlements administratifs pour régir ses travaux, la gestion de ses affaires internes et les fonctions de son personnel. Ce régime législatif milite contre l’existence d’une partialité institutionnelle inhérente ou un manque d’impartialité.

 

 83 Les arguments de la demanderesse ne m’ont pas convaincue que le Conseil n’a pas l’impartialité institutionnelle nécessaire en raison du cumul de fonctions par les personnes faisant partie du personnel du Conseil ou siégeant au comité du Conseil. La demanderesse reconnaît qu’un cumul de fonctions peut être permis en vertu de la loi, si la législation peut effectivement autoriser un tel cumul. Elle reconnaît aussi que le Conseil peut établir ses propres politiques et procédures.

 

 84 Dans l’arrêt ICN, la Cour d’appel fédérale a conclu que, même s’il est tenu d’agir à la fois comme poursuivant et comme décideur dans l’exercice du mandat qui lui est confié par la loi, le Conseil a décidé, dans sa politique, d’agir indépendamment de son personnel. Dans l’arrêt ICN, la Cour a souligné que les rapports entre le Conseil et son personnel ont été décrits par la majorité des membres du Conseil dans Genentech Canada Inc. (Re) (1992), 44 C.P.R. (3d) 316 (C.E.P.M.B.), à la page 320 :

 

[traduction] Lorsqu’il tient une audience relativement au prix d’un médicament breveté, le personnel du Conseil agit indépendamment du Conseil. Par l’entremise de son propre avocat, le personnel du Conseil présente des éléments de preuve, analyse la preuve des autres parties et formule des observations sur des questions de procédure, de compétence, de droit et de fond pendant le déroulement de la procédure.

 

 

 85 La politique du Conseil vise à mettre en application les principes d’équité procédurale et de justice naturelle en tentant d’assurer une séparation des fonctions et d’offrir les garanties nécessaires qui ne sont pas déjà prévues dans la Loi elle‑même.

 

 

[64]           Comme je souscris à l’analyse de la juge Heneghan, il n’y a aucune raison pour que je réexamine la question. En ce qui concerne la thèse de la demanderesse selon laquelle son recours à la Déclaration canadienne des droits soulève une question constitutionnelle, il m’est impossible de reconnaître le bien‑fondé de cet argument, puisque la Déclaration canadienne des droits n’est pas considérée comme un document constitutionnel (cet argument pourrait tout au plus être qualifié de quasi constitutionnel). De plus, quel que soit le caractère de la Déclaration canadienne des droits, la question soulevée dans la décision Hoechst, précitée, était celle de savoir si le cumul des fonctions d’enquête, de poursuite et de décision du Conseil créait une crainte raisonnable de partialité qui « ne peut être excusé[e] en droit et va à l’encontre des principes de justice fondamentale et de la Déclaration canadienne des droits ». Il est clair que l’argument avancé au sujet de la crainte raisonnable de partialité dans la décision Hoechst, précitée, se fonde sur le droit à une audience impartiale garanti par la Déclaration canadienne des droits et c’est pourquoi il ne s’agit pas d’un « nouvel » argument pouvant être utilisé pour faire une distinction avec l’analyse de la juge Heneghan.

 

[65]           Par conséquent, je dois rejeter l’argument de la demanderesse selon lequel le Conseil n’a pas l’indépendance institutionnelle et l’impartialité requises pour être en mesure d’accorder une audience impartiale à la demanderesse, conformément aux principes de la justice fondamentale.

Conclusion

[66]           Pour les motifs susmentionnés, je conclus que la décision du Conseil, en ce qui concerne la détermination du prix maximal non excessif en vertu du paragraphe 85(1) de la Loi, est raisonnable. Le Conseil a toutefois commis une erreur en déterminant le prix moyen du Dovobet parce qu’il n’a pas tenu compte de l’effet de la distribution gratuite de produits par la demanderesse à partir de 2004.

 

[67]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie.

 

[68]           Les conclusions du Conseil sont confirmées, exception faite des conclusions portant sur la distribution gratuite de Dovobet dans le cadre de son programme d’utilisation humanitaire, lesquelles conclusions sont annulées.

 

[69]           La directive que le Conseil a inclus dans sa conclusion est confirmée, sous réserve de la modification suivante :

[traduction] Le personnel du Conseil et LEO Pharma devront rédiger, afin de la soumettre au Conseil pour examen, une ordonnance mettant en application la présente décision en fonction des dernières informations disponibles en matière de ventes et de prix, de manière à établir le prix MNE de chaque période sur la base du plus bas prix obtenu au moyen d’une comparaison selon la catégorie thérapeutique et d’une comparaison des prix internationaux. La détermination du prix moyen par paquet de médicament pour chaque période doit tenir compte de toutes les réductions effectuées dans le cadre d’une promotion ou sous la forme de remises, rabais, remboursements, distribution gratuite, services gratuits, cadeaux ou de tout avantage semblable. L’ordonnance doit prescrire la fixation d’un prix MNE et le versement à la Couronne de tous les revenus jugés excédentaires en vertu de la présente décision. Le tribunal reste saisi de l’affaire et s’il peut être utile pour la mise en application des conclusions de la présente décision à ladite ordonnance, les parties peuvent lui présenter des observations à cet égard. [Non souligné dans l’original]

 


JUGEMENT

 

1.                  La demande est accueillie en partie;

 

2.                  Les conclusions du Conseil sont confirmées, exception faite des conclusions portant sur la distribution gratuite de Dovobet dans le cadre de son programme d’utilisation humanitaire, lesquelles conclusions sont annulées;

 

3.                  La directive que le Conseil a incluse dans sa conclusion est confirmée, sous réserve de la modification suivante :

[traduction] Le personnel du Conseil et LEO Pharma devront rédiger, afin de la soumettre au Conseil pour examen, une ordonnance mettant en application la présente décision en fonction des dernières informations disponibles en matièrede ventes et de prix, de manière à établir le prix MNE de chaque période sur la base du plus bas prix obtenu au moyen d’une comparaison selon la catégorie thérapeutique et d’une comparaison des prix internationaux. La détermination du prix moyen par paquet de médicament pour chaque période doit tenir compte de toutes les réductions effectuées dans le cadre d’une promotion ou sous la forme de remises, rabais, remboursements, distribution gratuite, services gratuits, cadeaux ou de tout avantage semblable. L’ordonnance doit prescrire la fixation d’un prix MNE et le versement à la Couronne de tous les revenus jugés excédentaires en vertu de la présente décision. Le tribunal reste saisi de l’affaire et s’il peut être utile pour la mise en application des conclusions de la présente décision à ladite ordonnance, les parties peuvent lui présenter des observations à cet égard. [Non souligné dans l’original]

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


ANNEXE

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4.

83. (1) Lorsqu’il estime que le breveté vend sur un marché canadien le médicament à un prix qu’il juge être excessif, le Conseil peut, par ordonnance, lui enjoindre de baisser le prix de vente maximal du médicament dans ce marché au niveau précisé dans l’ordonnance et de façon qu’il ne puisse pas être excessif.

 

 

 

 

 

(2) Sous réserve du paragraphe (4), lorsqu’il estime que le breveté a vendu, alors qu’il était titulaire du brevet, le médicament sur un marché canadien à un prix qu’il juge avoir été excessif, le Conseil peut, par ordonnance, lui enjoindre de prendre l’une ou plusieurs des mesures suivantes pour compenser, selon lui, l’excédent qu’aurait procuré au breveté la vente du médicament au prix excessif :

 

 

 

 

a) baisser, dans un marché canadien, le prix de vente du médicament dans la mesure et pour la période prévue par l’ordonnance;

 

b) baisser, dans un marché canadien, le prix de vente de tout autre médicament lié à une invention brevetée du titulaire dans la mesure et pour la période prévue par l’ordonnance;

 

 

c) payer à Sa Majesté du chef du Canada le montant précisé dans l’ordonnance.

 

(3) Sous réserve du paragraphe (4), lorsqu’il estime que l’ancien breveté a vendu, alors qu’il était titulaire du brevet, le médicament à un prix qu’il juge avoir été excessif, le Conseil peut, par ordonnance, lui enjoindre de prendre l’une ou plusieurs des mesures suivantes pour compenser, selon lui, l’excédent qu’aurait procuré à l’ancien breveté la vente du médicament au prix excessif :

 

 

 

 

 

a) baisser, dans un marché canadien, le prix de vente de tout autre médicament lié à une invention dont il est titulaire du brevet dans la mesure et pour la période prévue par l’ordonnance;

 

 

b) payer à Sa Majesté du chef du Canada le montant précisé dans l’ordonnance.

 

 

(4) S’il estime que le breveté ou l’ancien breveté s’est livré à une politique de vente du médicament à un prix excessif, compte tenu de l’envergure et de la durée des ventes à un tel prix, le Conseil peut, par ordonnance, au lieu de celles qu’il peut prendre en application, selon le cas, des paragraphes (2) ou (3), lui enjoindre de prendre l’une ou plusieurs des mesures visées par ce paragraphe de façon à réduire suffisamment les recettes pour compenser, selon lui, au plus le double de l’excédent procuré par la vente au prix excessif.

 

 

 

 

 

(5) Aux fins des paragraphes (2), (3) ou (4), il n’est pas tenu compte, dans le calcul de l’excédent, des recettes antérieures au 20 décembre 1991 ni, dans le cas de l’ancien breveté, des recettes faites après qu’il a cessé d’avoir droit aux avantages du brevet ou d’exercer les droits du titulaire.

 

 

 

(6) Avant de prendre une ordonnance en vertu du présent article, le Conseil doit donner au breveté ou à l’ancien breveté la possibilité de présenter ses observations.

 

 

(7) Le présent article ne permet pas de prendre une ordonnance à l’encontre des anciens brevetés qui, plus de trois ans avant le début des procédures, ont cessé d’avoir droit aux avantages du brevet ou d’exercer les droits du titulaire.

 

 

85. (1) Pour décider si le prix d’un médicament vendu sur un marché canadien est excessif, le Conseil tient compte des facteurs suivants, dans la mesure où des renseignements sur ces facteurs lui sont disponibles :

 

a) le prix de vente du médicament sur un tel marché;

b) le prix de vente de médicaments de la même catégorie thérapeutique sur un tel marché;

c) le prix de vente du médicament et d’autres médicaments de la même catégorie thérapeutique à l’étranger;

 

d) les variations de l’indice des prix à la consommation;

e) tous les autres facteurs précisés par les règlements d’application du présent paragraphe.

 

(2) Si, après avoir tenu compte de ces facteurs, il est incapable de décider si le prix d’un médicament vendu sur un marché canadien est excessif, le Conseil peut tenir compte des facteurs suivants :

 

 

 

 

a) les coûts de réalisation et de mise en marché;

b) tous les autres facteurs précisés par les règlements d’application du présent paragraphe ou qu’il estime pertinents.

 

 

 

(3) Pour l’application de l’article 83, le Conseil ne tient compte, dans les coûts de recherche, que de la part canadienne des coûts mondiaux directement liée à la recherche qui a abouti soit à l’invention du médicament, soit à sa mise au point et à sa mise en marché, calculée proportionnellement au rapport entre les ventes canadiennes du médicament par le breveté et le total des ventes mondiales.

 

83. (1) Where the Board finds that a patentee of an invention pertaining to a medicine is selling the medicine in any market in Canada at a price that, in the Board’s opinion, is excessive, the Board may, by order, direct the patentee to cause the maximum price at which the patentee sells the medicine in that market to be reduced to such level as the Board considers not to be excessive and as is specified in the order.

 

(2) Subject to subsection (4), where the Board finds that a patentee of an invention pertaining to a medicine has, while a patentee, sold the medicine in any market in Canada at a price that, in the Board’s opinion, was excessive, the Board may, by oentee pertains in any market in Canada, to such extent and for such period as is specified in the order; or

(c) pay to Her Majesty in right of Canada an amount specified in the order.

 

(3) Subject to subsection (4), where the Board finds that a former patentee of an invention pertaining to a medicine had, while a patentee, sold the medicine in any market in Canada at a price that, in the Board’s opinion, was excessive, the Board may, by order, direct the former patentee to do any one or more of the following things as will, in the Board’s opinion, offset the amount of the excess revenues estimated by it to have been derived by the former patentee from the sale of the medicine at an excessive price:

(a) reduce the price at which the former patentee sells a medicine to which a patented invention of the former patentee pertains in any market in Canada, to such extent and for such period as is specified in the order; or

(b) pay to Her Majesty in right of Canada an amount specified in the order.

 

 

(4) Where the Board, having regard to the extent and duration of the sales of the medicine at an excessive price, is of the opinion that the patentee or former patentee has engaged in a policy of selling the medicine at an excessive price, the Board may, by order, in lieu of any order it may make under subsection (2) or (3), as the case may be, direct the patentee or former patentee to do any one or more of the things referred to in that subsection as will, in the Board’s opinion, offset not more than twice the amount of the excess revenues estimated by it to have been derived by the patentee or former patentee from the sale of the medicine at an excessive price.

 

(5) In estimating the amount of excess revenues under subsection (2), (3) or (4), the Board shall not consider any revenues derived by a patentee or former patentee before December 20, 1991 or any revenues derived by a former patentee after the former patentee ceased to be entitled to the benefit of the patent or to exercise any rights in relation to the patent.

 

(6) Before the Board makes an order under this section, it shall provide the patentee or former patentee with a reasonable opportunity to be heard.

 

 

(7) No order may be made under this section in respect of a former patentee who, more than three years before the day on which the proceedings in the matter commenced, ceased to be entitled to the benefit of the patent or to exercise any rights in relation to the patent.

 

 

85. (1) In determining under section 83 whether a medicine is being or has been sold at an excessive price in any market in Canada, the Board shall take into consideration the following factors, to the extent that information on the factors is available to the Board:

(a) the prices at which the medicine has been sold in the relevant market;

(b) the prices at which other medicines in the same therapeutic class have been sold in the relevant market;

(c) the prices at which the medicine and other medicines in the same therapeutic class have been sold in countries other than Canada;

(d) changes in the Consumer Price Index; and

(e) such other factors as may be specified in any regulations made for the purposes of this subsection.

 

(2) Where, after taking into consideration the factors referred to in subsection (1), the Board is unable to determine whether the medicine is being or has been sold in any market in Canada at an excessive price, the Board may take into consideration the following factors:

(a) the costs of making and marketing the medicine; and

(b) such other factors as may be specified in any regulations made for the purposes of this subsection or as are, in the opinion of the Board, relevant in the circumstances.

 

(3) In determining under section 83 whether a medicine is being or has been sold in any market in Canada at an excessive price, the Board shall not take into consideration research costs other than the Canadian portion of the world costs related to the research that led to the invention pertaining to that medicine or to the development and commercialization of that invention, calculated in proportion to the ratio of sales by the patentee in Canada of that medicine to total world sales.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                              T-863-06

 

INTITULÉ :                                             LEO PHARMA INC.

                                                                  c.

                                                                  PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 12 FÉVRIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 21 MARS 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nicholas McHaffie

Craig Collins-Williams

 

POUR LA DEMANDERESSE

Christopher Rupar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stikeman Elliott LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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