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Date : 20070319

 

Dossier : T-1328-06

 

Référence : 2007 CF 294

 

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2007

 

En présence de Monsieur le juge Harrington

 

 

ENTRE :

HEBA HITTI et

YOUSSEF HITTI

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La question qui se pose ici est celle de savoir si Nassif Hitti jouissait d’un statut diplomatique alors qu’il œuvrait comme agent d’information auprès du Bureau de la Ligue des États arabes à Ottawa de 1985 à 1990. La réponse à cette question est affirmative et par conséquent, ses deux enfants nés au pays au cours de cette période ne sont pas des citoyens canadiens.


LE CONTEXTE

[2]               Principalement, un individu peut être citoyen canadien de par naissance ou de par son vécu personnel. Au Canada, la reconnaissance de la citoyenneté par naissance se matérialise de deux façons, qui ne sont pas étrangères aux principes de droit coutumier que sont ceux de jus soli et de jus sanguinis, soit par le droit du sol et par le droit du sang. En bref, en vertu de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, c. C-29 en vigueur au pays, une personne est citoyenne canadienne si elle est née au pays ou si l’un de ses parents était lui-même citoyen canadien advenant qu’elle naisse à l’étranger.

 

[3]               Les demandeurs sont nés à Ottawa au Canada. Heba Hitti est née en 1987, et son frère Youssef est né en 1989. Bien qu’ils soient tous deux nés en sol canadien, le Ministre soutient que les demandeurs n’ont pas la qualité de citoyens canadiens compte tenu de la disposition d’exception prévue à l’alinéa 3(2)a) de la Loi sur la citoyenneté qui énonce que le principe de jus soli :

3.(2)a)…ne s’applique pas à la personne dont, au moment de la naissance, les parents n’avaient qualité ni de citoyens ni de résidents permanents et dont le père ou la mère était :

 

 

a) agent diplomatique ou consulaire, représentant à un autre titre ou au service au Canada d’un gouvernement étranger…

 

[nos soulignés]

3.(2)(a)…does not apply to a person if, at the time of his birth, neither of his parents was a citizen or lawfully admitted to Canada for permanent residence and either of his parents was

 

(a) a diplomatic or consular officer or other representative or employee in Canada of a foreign government…

 

 

[emphasis added]

 

Il serait faux de prétendre que la situation dans laquelle se retrouve aujourd’hui la famille Hitti n’a rien de singulier.

 

[4]               M. Hitti est un citoyen du Liban, alors que Mme Latifa Hitti est une citoyenne de la Tunisie. À leur arrivée au pays en 1985, et pas plus qu’à leur départ en 1990, les parents des demandeurs n’ont bénéficié du statut de résidents permanents au pays. Ils s’étaient installés au Canada pour que M. Hitti puisse remplir ses fonctions d’agent d’information auprès du Bureau de la Ligue des États arabes. Il est important de clarifier que la Ligue en question ne jouissait d’aucun statut diplomatique reconnu par les autorités gouvernementales canadiennes. Pour cause, et par souci d’agir comme le veulent les règles relatives à la courtoisie internationale dans le cours des relations interétatiques, le Canada reconnaissait personnellement à M. Hitti le statut de diplomate, bien que dans les faits, du moins à l’interne, l’État libanais l’entendait autrement.

 

[5]               M. Hitti lui-même, ainsi que l’ambassadeur et chef de mission pour le Liban, qui fût accrédité au pays de 1985 à 1990, affirment qu’en aucun temps, durant cette période, il n’a remplit des tâches liées à la fonction de diplomate au pays, n’a agit à titre de représentant de l’État libanais ou pour le compte de l’Ambassade du Liban à Ottawa, ou n’a été à leur emploi. Dans les faits, un lien d’emploi liait M. Hitti au Bureau d’information de la Ligue des États arabes de qui il recevait un salaire. Peu importe ce qu’il en est, le Ministre soutient qu’un fait demeure, la Cour ne peut ignorer que le nom du père des demandeurs apparaissait sur la liste des diplomates accrédités gérée par le Bureau du protocole, et ce, avec les consentements éclairés de M. Hitti et du gouvernement libanais.

 

LES FAITS

[6]               Durant la période de temps au cours de laquelle la famille Hitti était au pays, la Ligue des États arabes était une organisation regroupant 21 États arabes qui s’occupait, entre autres choses, de coordonner les affaires économiques et culturelles, ainsi que les liaisons commerciales mettant en cause ses États membres dans leurs relations avec le Canada. Pendant plusieurs années, la Ligue a siégée à Ottawa. À plusieurs reprises au cours de cette période, l’organisation a tenté auprès des autorités gouvernementales canadiennes de se faire octroyer un statut diplomatique. Cependant, comme en fait état l’Aide-mémoire de 1976 du gouvernement fédéral canadien, la position du Canada à cet effet était claire. Il n’y a pas de fondement légal en vertu duquel des privilèges et immunités diplomatiques pourraient être accordés à cette organisation. En bref, alors qu’il révisait le statut canadien des agents oeuvrant pour le Bureau d’information de la Ligue des États arabes au pays, le Département des Affaires extérieures concluait que, conséquemment au statut reconnu à la Ligue, ces derniers ne pouvaient jouir de privilèges ou d’immunités diplomatiques au Canada puisqu’ils ne se retrouvaient ni sous le joug de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques ni sous celui de la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales, L.C. 1991, c. 41. L’Aide-mémoire de 1976 prévoit ce qui suit :

However, in the interest of good relations with member states of the Arab League, Canada agrees as a matter of courtesy to list officials of the Centre [the Information Office of the League] as “Attachés (Information)” of embassies of Arab countries accredited to, and with residence in, Canada”.

 

[7]               Afin de donner effet à cette mesure d’accommodement, ou au modus operandi comme les demandeurs la définissent, conformément à la procédure énoncée à l’Aide-mémoire de 1976, l’État arabe pour lequel un agent du Bureau d’information de la Ligue est le ressortissant doit aviser les autorités canadiennes de la fonction de cette personne comme étant bel et bien “… an official of the Centre [the League] of a member of the diplomatic staff of the embassy in question of the country of which he is a citizen.” Suite au respect d’un tel acte de procédure, le département des Affaires extérieures énonce qu’il est reconnu aux agents attachés au Bureau d’information un statut diplomatique au Canada lié à leur État d’appartenance et qu’en cela, les responsabilités à ce titre en découlent. En dernier lieu, l’Aide-mémoire de 1976 énonce que les agents du Bureau d’information de la Ligue qui n’empruntent pas cette procédure pour obtenir un statut légal au pays, qui leur reconnaît par le fait même un statut diplomatique comme il vient d’en être discuté, devait alors entamer des démarches personnelles auprès du département fédéral canadien de la Main-d’œuvre et de l’Immigration afin qu’un quelconque statut leur soit légalement accordé. Il est à propos de reproduire ici un extrait de ce qu’énonce l’Aide-mémoire en question :

(a) The above procedure will go into effect in each individual case upon receipt of a note from the resident embassy of an Arab country with residence in Canada notifying the Department of the appointment as an official of the Centre [the League] of a member of the diplomatic staff of the embassy in question of the country of which he is a citizen.

 

(b) The Department understands that the officials of the Centre who will be granted diplomatic status under the above procedure will obviously have actual diplomatic responsibilities deriving from their status with their respective embassies.

 

Members of the Centre who are not granted diplomatic status under the above procedure must as soon as possible establish their status in Canada with the Department of Manpower and Immigration in order to legalize their presence in Canada and thus to obtain the necessary authority to assume their designated functions at the Centre.

 

[nos soulignés]

 

[8]               Le dossier en l’instance contient une lettre de Linda McDonald, déléguée en chef du Bureau du protocole, directrice, Corps des services diplomatiques, Ministère des affaires étrangères et du commerce international. Tel qu’il appert de ce document, la section de la citoyenneté et immigration du Bureau du protocole était responsable de veiller à ce que les obligations du Canada en regard à l’accréditation des représentants des États étrangers et des membres de leur famille soient rencontrées pour que puissent être adéquatement gérés les immunités et privilèges diplomatiques auxquels les personnes concernées avaient droit. Dans sa lettre, Mme McDonald énonçait ce qui suit : “existing records establish that Mr. N.Y. Hitti was covered by the provisions of the Vienna Convention on Diplomatic Relations between March 30, 1985 and June 11, 1990.”

 

[9]               De temps à autre, la question à savoir si un statut diplomatique devait être reconnu à la Ligue des États arabes a fait l’objet au pays de discussions entre les autorités gouvernementales canadiennes et étrangères. À ce sujet, en août 1986, le très honorable Joe Clark, alors Secrétaire d’État aux Affaires extérieures, écrivait à son excellence Ziad Shawwaf, Ambassadeur du Royaume de l’Arabie saoudite, qui était alors le doyen des ambassadeurs arabes à Ottawa. À cette occasion, il affirmait à l’Ambassadeur le rôle essentiel que jouait la Ligue des États arabes sur la scène internationale et que considérant l’importance que le gouvernement canadien accordait à la coopération et à l’ouverture du dialogue avec le monde arabe, la présence de la Ligue des États arabes dans la capitale nationale était plus que souhaitable. Toutefois, il réaffirmait que considérant que le Canada n’était pas un membre de la Ligue, ni la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques ni la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales trouvaient application. De surcroît, en vertu d’aucun texte législatif en vigueur le Canada aurait-il pu accorder un statut diplomatique à une organisation internationale à laquelle le Canada n’était pas un membre en règle. Pour ce faire, cela ne concernait pas seulement la Ligue, mais aussi des groupements tels l’Association des nations du Sud-Est asiatique (ANSEA), l’Union africaine (UA), ainsi que celui de la Communauté caribéenne (CARICOM). Néanmoins, il prit la peine d’exposer ce qui suit :

Due to our inability to accede to the League’s request for diplomatic status for its Ottawa office, we have sought practical means to ensure that its effectiveness is not impaired because of the importance we attach to its presence. This is why senior officials of the Office in Ottawa are listed as Attachés of embassies of Arab countries accredited to, and with residence in, Canada. For our part, we have found this practice has facilitated an effective working dialogue with the Arab League.

 

 

 

[10]           Ce qui précède fait état de la situation qui avait cours au Canada lorsque M. Hitti a occupé ses fonctions au sein du Bureau d’information de la Ligue des États arabes de 1985 à 1990. Le « Detail Report » du département des Affaires extérieures exposait que M. Hitti n’avait jamais été détenteur d’un passeport diplomatique émis par les autorités libanaises, qu’il était attaché à l’Ambassade du Liban au Canada à titre de membre du personnel administratif et technique où apparaissait la spécification « Arab Information League (AIL) ». À ce titre, lui et son épouse, ainsi que leurs deux enfants, recevaient une carte d’identité faisant état de leur statut au Canada, reconnaissance qui prit fin lorsqu’ils ont quitté le pays pour d’autres horizons en 1990.

 

[11]           En 1991, M. Hitti faisait une demande auprès de l’Ambassade du Canada en Tunisie pour que soit délivré à ses enfants, Heba et Youssef, un certificat de citoyenneté canadienne. L’une des questions figurant au formulaire était la suivante :

Si vous êtes né au Canada après le 1er janvier 1947, est-ce qu’un de vos parents était employé par un gouvernement étranger ou une agence gouvernementale au moment de votre naissance?

If you were born in Canada on or after January 1, 1947, were either of your parents employed by a foreign government or an international agency at the time of your birth?

 

[12]           À cette question, M. Hitti cochait « oui ». Sur le même formulaire, un représentant agissant pour le compte du gouvernement canadien mettait par écrit les remarques suivantes :

The father works for the Arab League. The League’s Office in Ottawa does not have an official or diplomatic status. The father entered on a visitor’s visa. He had an official acceptance in order to stay as a member of the staff of the Lebanese Embassy which is actually part of an established arrangement between Lebanon and the League which is known to the dept of External Affairs.

 

 

[13]           Néanmoins, des certificats de citoyenneté canadienne étaient délivrés aux noms d’Heba et de Youseff Hitti. Subséquemment, ce sont leurs passeports canadiens que les demandeurs obtenaient. Le présent litige a pris naissance lorsque les demandeurs ont voulu faire renouveler leurs passeports auprès de l’Ambassade canadienne à Paris en 2004, après que l’agent présent ait confisqué leur passeport et leur certificat de citoyenneté. Inutile de mentionner que cet état de fait a soulevé l’indignation des parents des demandeurs et provoqué l’attention des avocats au Canada.

 

[14]           En mars 2004, en réponse à une lettre qu’avait fait parvenir Mme Hitti à l’Ambassade du Canada à Paris, le Conseiller et Consul attaché à cette dernière écrivait ce qui suit à l’attention de la mère des demandeurs :

Permettez-moi d’abord de corriger ce qui me semble un malentendu possible. Nous n’avons pas « retiré » la citoyenneté de vos enfants. Selon l’article 3 (2) de la Loi sur la [c]itoyenneté vos enfants n’ont jamais eu droit à la citoyenneté canadienne. De fait, la législation prévoit qu’une personne née au Canada n’a pas droit à la citoyenneté si « au moment de la naissance, les parents n’avaient qualité ni de citoyenneté  ni de résidents permanents et dont le père ou la mère était : a) agent diplomatique ou consulaire, représentant à un autre titre ou au service au Canada d’un gouvernement étranger ». Il y a eu, hélas, une regrettable erreur bureaucratique. Personne ne doute, ni pour un instant, votre bonne foi. Lors de la demande des certificats vous n’avez aucunement caché le statut de votre mari, représentant de la Ligue des pays arabes, attaché auprès de l’Ambassade du Liban.

 

Le dernier paragraphe de cette lettre faisait mention que ce serait Mme Patricia Birkett, en tant que directrice greffière de la Citoyenneté et Immigration Canada, qui veillerait à l’examen du dossier, considérant que l’interprétation de la Loi sur la citoyenneté relève de l’exclusive compétence du poste occupé par cette dernière.

 

[15]           Le mois suivant, Mme Birkett écrivait à l’avocat des demandeurs et lui faisait parvenir une lettre dans laquelle elle reprenait ce qui avait été dit plus tôt par le Bureau du protocole du ministère des Affaires extérieures attestant que M. Hitti était bel et bien un diplomate lorsqu’il avait séjourné au pays entre le 20 mars 1985 et le 11 juin 1990, en y ajoutant que les demandeurs et leur mère étaient reconnus au pays comme étant des membres faisant partie du ménage de M. Hitti. De plus, compte tenu qu’aucun des parents des demandeurs n’est Canadien ou résident permanent du Canada, la qualité de citoyens découlant du principe du jus sanguinis ne peut être accordée aux deux enfants, ce qui leur aurait permis dans le cas contraire de jouir de la citoyenneté canadienne conformément à la Loi sur la citoyenneté en vigueur au pays.

 

[16]           Il apparaît que l’émission des certificats de citoyenneté des demandeurs n’a été en réalité que le fruit d’une erreur administrative. Faut-il le rappeler, ce n’est pas le certificat de citoyenneté en soi qui donne à un individu le droit à la citoyenneté, mais bien le texte législatif qui l’énonce. De surcroît, l’article 26 du Règlement sur la citoyenneté, 1993, DORS/93-246 prévoit que le greffier de la citoyenneté canadienne peut procéder à l’annulation d’un certificat qui a été émis illégalement.

 

 

[17]           Dans cette lettre datée du 20 avril 2004, Mme Birkett concluait sur ces paroles :

Si vous avez de l’information pertinente qui pourrait infirmer ma décision d’annulation, je vous prie de me la procurer dans les plus brefs délais. Dans le cas contraire, je vais devoir procéder à l’annulation des certificats de citoyenneté de Heba Hitti (4842537) et de Youssef Hitti (4842536). N’hésitez pas à communiquer avec moi pour toute autre clarification.

 

[18]           Le 17 mai 2004, l’avocat au Québec agissant alors pour les demandeurs informait par écrit la greffière à la citoyenneté, Mme Birkett, que les demandeurs avaient pris connaissance du contenu de la lettre datée du 20 avril 2004 et qu’il comptait lui transmettre, dans les semaines à venir, leurs observations dans ce dossier.

 

[19]           Après que deux mois se soient écoulés sans qu’aucune correspondance n’ait été échangée, une seconde lettre était envoyée à l’avocat des demandeurs stipulant qu’ils avaient désormais jusqu’au 3 août 2004 pour soumettre l’information qu’il jugeait pertinente à la vue du dossier. Une fois de plus, sans nouvelle des demandeurs, une directive était émise en date du 13 août 2004 statuant sur l’annulation effective des certificats de citoyenneté de Heba et Youssef Hitti.

 

[20]           Ce n’est qu’en 2006 que ce dossier refaisait surface. Par conséquent, le défendeur soumet en l’instance que la demande de contrôle judiciaire introduite par les demandeurs est hors délai, et qu’à tout événement, une telle demande doit être produite dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. À moins, bien entendu, que sur ordonnance de la Cour, un délai supplémentaire soit accordé.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[21]           Les questions soulevées en l’instance sont les suivantes :

1.                  Quelle est la norme de contrôle judiciaire applicable?

2.                  La confiscation des deux certificats de citoyenneté des demandeurs a-t-elle été exécutée d’une façon contraire à la loi ou d’une façon susceptible d’avoir contrevenu à l’équité en matière procédurale?

3.                  La demande de contrôle judiciaire est-elle hors délai? Si oui, est-il opportun en les circonstances d’accorder un délai supplémentaire?

 

L’ANALYSE

[22]           Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le Ministre soutient que les questions en litige que soulève la présente demande ne sont clairement que des questions de droit, que cette Cour ne doit faire preuve d’aucune déférence envers la greffière de la citoyenneté canadienne et qu’en conséquence, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de la décision correcte.

 

[23]           Alors que pour leur part, les demandeurs allèguent que les fonctions qu’occupaient M. Hitti au sein du Bureau d’information de la Ligue des États arabes, lors de son séjour au pays, sont partie au litige. S’il en est ainsi, la question soulevée en est une mixte, de fait et de droit, qui est généralement sujette à la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, considérant que je rejette la présente demande sur la base de la norme de contrôle judiciaire de la décision correcte, qui, il va sans dire, favorise les demandeurs, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de la déférence dont cette Cour doit faire preuve à l’égard du décideur en cause.

 

[24]           Advenant que la confiscation des certificats de citoyenneté ait été illégalement exécutée, la norme de contrôle judiciaire applicable à cette détermination serait celle de la décision correcte puisqu’il s’agit là d’une question de droit. Il en serait de même de l’examen de la question que sous-tend celle de la violation de l’équité procédurale ou d’un autre principe de justice naturelle en ce qu’elle soulève une question de droit, alors qu’a priori, l’examen relatif à la méthode pragmatique et fonctionnelle n’aurait pas à être observé (S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539).

 

[25]           Je suis d’avis qu’il n’est pas nécessaire d’aborder la question de la confiscation des certificats de citoyenneté des demandeurs de manière approfondie. La confiscation, s’il s’agit là du traitement réel qui a été donné aux documents des demandeurs, a été exécutée par une agente consulaire de l’ambassade canadienne à Paris, France. En vertu de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, incorporée en grande partie au Canada par la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales et y apparaissant à l’Annexe I, les fonctions relatives à une tâche consulaire inclues celles d’émettre des passeports ou des documents liés aux déplacements interétatiques des personnes concernées.

 

[26]           Je partage l’avis du Ministre à l’effet que, dans les circonstances, il aurait été sans intérêt de retourner aux demandeurs leur certificat de citoyenneté sachant qu’en les recevant, l’agente consulaire aurait pu aussitôt en exiger la restitution. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que, suite à une demande écrite ordonnant la restitution de leur certificat de citoyenneté, Heba et Youssef auraient promptement coopéré. De plus, faut-il le rappeler, la reconnaissance de la citoyenneté ne repose pas sur un morceau de papier, mais bien sur ce qui est prévu à la loi. Il faut en convenir, non seulement les Hitti devaient-ils être sous le choc lorsqu’ils ont constaté que leurs passeports ne seraient pas renouvelés, mais à plus forte raison, lorsqu’ils ont constaté que par la même occasion, les documents attestant de leur citoyenneté au pays étaient saisis et sous la loupe des autorités gouvernementales canadiennes. Cependant, je ne crois pas pour autant qu’il faille en conclure qu’un déni de justice a été commis. Advenant qu’il en soit ainsi, l’issue du litige n’en serait pas pour autant affectée vu les circonstances particulières du présent dossier comme l’expose à la page 228 l’arrêt Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada−Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202 :

[(…)] les circonstances de la présente affaire soulèvent un type particulier de question de droit, savoir une question pour laquelle il existe une réponse inéluctable.

 

[27]           En regard de la question du sens à donner à la Loi sur la citoyenneté, les demandeurs contestent les allégations du Ministre voulant que puisque M. Hitti a joui de privilèges et immunités diplomatiques lors de son séjour au Canada conformément à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, ce dernier était alors un « agent diplomatique ou consulaire, représentant à un autre titre ou au service au Canada d’un gouvernement étranger », alinéa 3(2)a) de cette loi. En bref, sur la base de l’objet que poursuit la Loi sur la citoyenneté, les demandeurs soutiennent qu’il serait faux de prétendre que la jouissance de privilèges et d’immunités diplomatiques est garant de la jouissance d’un statut diplomatique au Canada. En conséquence, les demandeurs allèguent que pour en décider, il devrait être démontré, le fardeau de la preuve incombant au Ministre, que M. Hitti a réellement occupé au Canada des fonctions qualifiées de « diplomatiques » ou de « consulaires ».

 

[28]           Pour faire valoir leurs arguments relativement au sens à donner à la disposition d’exception énoncée à l’alinéa 3(2)a) de la Loi sur la citoyenneté, les deux parties en cause ont eu recours à l’article 35 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I-21 qui se lit comme suit :

35. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à tous les textes.

«agent diplomatique ou consulaire »


"diplomatic or consular officer
"

 

«agent diplomatique ou consulaire » Sont compris parmi les agents diplomatiques ou consulaires les ambassadeurs, envoyés, ministres, chargés d’affaires, conseillers, secrétaires, attachés, les consuls généraux, consuls, vice-consuls et leurs suppléants, les suppléants des agents consulaires, les hauts-commissaires et délégués permanents et leurs suppléants.

[nos soulignés]

35. (1) In every enactment,

 

"diplomatic or consular officer"


«agent diplomatique ou consulaire »

"diplomatic or consular officer" includes an ambassador, envoy, minister, chargé d’affaires, counsellor, secretary, attaché, consul-general, consul, vice-consul, pro-consul, consular agent, acting consul-general, acting consul, acting vice-consul, acting consular agent, high commissioner, permanent delegate, adviser, acting high commissioner, and acting permanent delegate;

 

[emphasis added]

 

[29]           Dans son affidavit daté du 28 août 2006, M. Hitti a lui-même reconnu que le titre que lui a conféré les autorités gouvernementales canadienne est celui de membre du personnel administratif et technique de l’ambassade du Liban au Canada, bien qu’il renchérit dans ce même document que cette accréditation n’était nulle autre :

[(…)] qu’une mesure d’accommodement proposée par le ministère canadien des affaires étrangères concernant les employés du bureau de la ligue arabe; [(…)]

[nos soulignés]

 

[30]           Il ajouta qu’en aucun temps, de 1985 à 1990, il n’a possédé de passeport diplomatique et il rétabli les faits de son récit pertinents à la question en litige comme suit :

                                             i.                        J’étais en tout temps durant la période susmentionnée membre du bureau d’information de la Ligue des États Arabes à Ottawa;

                                           ii.                        Je n’étais pas à l’emploi de l’état libanais et je ne recevais pas de salaire ni de l’état libanais ni de l’Ambassade libanaise à Ottawa;

                                          iii.                        Je recevais mon salaire directement du secrétariat de la Ligue des États Arabes.

                                         iv.                        Je n’avais pas de bureau de travail à l’Ambassade libanaise d’Ottawa;

                                           v.                        Je ne relevais pas de l’autorité de l’ambassadeur du Liban à Ottawa qui n’exerçait sur moi aucun contrôle;

                                         vi.                        J’ai toujours été reçu par les membres du ministère canadiens des Affaires étrangères en mes qualités d’attaché d’information au bureau de la Ligue des États Arabes;

 

[31]           Au soutient de son affidavit, sans qu’il n’est été procédé à la tenue de contre-interrogatoires, M. Hitti déposait l’affidavit de M. Makram Ouaïdat, accrédité comme ambassadeur du Liban au Canada de 1985 à 1990.

 

[32]           En ce qui a trait à l’allégation des demandeurs à l’effet que l’accréditation de leur père en tant que membre du personnel administratif et technique de l’ambassade du Liban au Canada n’ait été qu’un modus operandi de la part de l’État canadien, un fait demeure, le Liban était l’un des États signataires de cette mesure et à mon avis, il n’est pas pertinent de déterminer ce que faisait M. Hitti alors qu’il était au pays. Comme il en a été question précédemment, l’Aide-mémoire de 1976 du gouvernement fédéral canadien clarifie l’examen de la question contestée en l’instance puisqu’il relate que l’État arabe, de qui l’agent du Bureau de la Ligue des États arabes est le ressortissant, qui ne respecte pas la procédure qui y est prescrite en inscrivant l’agent en question sur la liste relative au statut diplomatique de ses membres affectés à l’ambassade, oblige l’agent d’information du Bureau de la Ligue des États arabes de voir lui-même, par la voie ordinairement entreprise, à se faire reconnaître un statut légal au pays.

 

[33]           M. Hitti est entré au pays avec un visa temporaire en poche et sans contredit, il n’aurait pu séjourner au Canada pendant cinq ans comme il l’a fait sur la foi de cette seule carte de visite. S’il n’était pas demeuré au pays conformément au modus operandi mis en oeuvre par l’État canadien, M. Hitti aurait dû quitter le pays et par conséquent, ses enfants seraient nés à l’extérieur des frontières canadiennes.

 

[34]           Il n’est pas inutile de souligner qu’en l’espèce, soit dans l’hypothèse où une décision défavorable est rendue envers les demandeurs, cela ne ferait pas d’eux des sans-papiers, des apatrides en l’occurrence. La preuve déposée au dossier démontre sans équivoque que les demandeurs jouissent de la citoyenneté libanaise.

 

[35]           Aujourd’hui, il n’est pas rare de constater que la jouissance des droits découle dans plusieurs cas d’espèce de l’application de fictions légales que prévoient différents textes de loi en vigueur au Canada. Ne serait-il pas alors hasardeux de croire qu’il peut en être autrement lorsqu’il s’agit de questions relevant du grand ensemble que représentent les relations interétatiques impliquant le Canada? Quel qu’il en soit, l’application de telles conceptions de l’esprit entraînent parfois avec elle des conséquences non souhaitées. Le présent dossier en est un exemple patent considérant que l’un des effets pervers de la mesure d’accommodement ou du modus operandi mis en œuvre par le gouvernement canadien, auquel a bénéficié le Canada, le Liban, la Ligue des États arabes et M. Hitti, est que les deux enfants nés au pays ne peuvent jouir de la citoyenneté canadienne.

 

[36]           Bien que les données du Bureau du protocole ne soient pas déterminantes en soi quant à l’information qu’elle transmet au Ministre des Affaires étrangères à propos du statut d’un pays comme étant reconnu être un État étranger remplissant des fonctions diplomatiques au Canada sur la foi du seul certificat qu’émet ce ministère à cet effet, il appert du dossier que le nom de M. Hitti avait été inscrit sur la liste des bénéficiaires du statut diplomatique à la suite des consentements du principal intéressé, M. Hitti, et de celui de l’État libanais.

 

[37]           M. Hitti était réputé être un membre du personnel administratif et technique de l’ambassade du Liban au Canada, et selon le dessein qui se dégage de l’article 1 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, jointe en annexe à la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales, il était effectivement un membre du personnel de mission lié à cette ambassade. S’il se trouvait que M. Hitti n’était pas un membre du personnel de mission ou un agent diplomatique alors qu’il séjournait au Canada de 1985 à 1990, il était réputé être un représentant à un autre titre ou au service au Canada d’un gouvernement étranger. En tant qu’agent d’information du Bureau de la Ligue des États arabes attaché à l’ambassade du pays dont il est le ressortissant, celle du Liban, M. Hitti était un « agent diplomatique ou consulaire » au sens de la Loi d’interprétation. Conséquemment, en vertu de cette loi et des principes généraux d’interprétation des lois, le sens à donner au texte « agent diplomatique ou consulaire » doit être celui qui a préséance lorsqu’il est interprété en regard de la Loi sur la citoyenneté.

 

[38]           Bien que les deux parties en cause, particulièrement le Ministre, ont eu recours à la doctrine relative au droit international pour faire valoir leurs prétentions et qu’il s’agit d’un outil utile, complémentaire à la loi, je suis d’avis qu’en l’instance, vu les circonstances singulières du présent dossier, il n’est pas opportun d’y recourir compte tenu de la clarté du texte en cause à interpréter qui relève du droit international coutumier et des prérogatives royales. Par la voix de M. le juge Linden dans la décision Copello c. Canada (Ministre des Affaires étrangères) et al. (2003), 308 N.R. 175, 2003 CAF 295, la Cour d’appel fédérale a établi ce qui suit :

[22]      Bien qu'il puisse sembler injuste que le Canada peut expulser un diplomate de son territoire sans jamais avoir à justifier sa décision devant un tribunal, cette prérogative traditionnelle a pour objet de favoriser les relations diplomatiques amicales entre les nations. Elle est également conforme aux principes de droit international. Les diplomates sont des hôtes dans les pays étrangers où ils vivent et travaillent. Ils ont pour rôle de contribuer « à favoriser les relations d'amitié entre les pays, quelle que soit la diversité de leurs régimes constitutionnels et sociaux, » (voir le préambule de la Convention de Vienne). Le statut diplomatique emporte certains privilèges et immunités, mais le but de ces privilèges et immunités n'est pas d'avantager des individus. Le préambule de la Convention de Vienne le précise bien, le but desdits privilèges et immunités « est d'assurer l'accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentant des États » . En conséquence, les règles normales de droit administratif - celles qui visent l'équité procédurale et la règle de droit - ne s'appliquent pas. Au surplus, le fait de faire rappeler un diplomate en Italie n'engage aucun droit protégé par la Charte.

 

[23]      Il y a lieu de mentionner que l'appelant, qui continue de résider au Canada, ne semble pas avoir perdu son droit individuel de demeurer au Canada ou de demander le statut d'immigrant par suite du retrait de son statut diplomatique par la République d'Italie.

 

[39]           Suite à la décision contestée prise par les autorités gouvernementales canadiennes, il serait faux de prétendre qu’Heba et Youssef Hitti ont perdu leur droit à la citoyenneté canadienne puisque dans les faits, ils n’ont jamais été en droit d’en jouir. Au Canada, un « citoyen de facto » tient de l’imaginaire et en cela, aucun droit constitutionnel relevant de la Charte canadienne des droits et libertés n’a pu et n’a été nié en l’instance. (Voir Canepa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.), [1992] 3 C.F. 270 et Solis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 254 N.R. 362 (F.C.A.))

 

[40]           La dernière question qu’il reste à examiner est celle du dépôt hors délai de la présente demande de contrôle judiciaire. Les demandeurs prétendent que le dépôt de la première demande était prématurée dû au fait qu’ils n’ont pas été informé au mois d’août 2004 que leurs certificats de citoyenneté avaient été confisqués. Ils vont jusqu’à prétendre que la lettre de la greffière de la citoyenneté, celle de Mme Birkett datée du 20 août 2004, n’est pas une décision ou une ordonnance en soi, susceptible de faire l’objet d’une révision judiciaire conformément à la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7. Toutefois, si c’était le cas, les demandeurs allèguent qu’ils ont toujours eu l’intention de contester dans ce dossier et que pour ce faire, une période plus longue leur était nécessaire. Par exemple, ils allèguent qu’il leur a fallu multiplier les démarches pour retracer l’ambassadeur du Liban qui était accrédité au Canada pour la période au cours de laquelle M. Hitti oeuvrait au sein du Bureau d’information de la Ligue des États arabes. En tout état de cause, ils demandent à cette Cour d’accorder un délai supplémentaire.

 

[41]           De l’avis du Ministre, dans l’éventualité où les demandeurs avaient réellement eu besoin d’une période de temps plus longue que d’ordinaire pour mettre leur cause en état, la communication de lettres entre les parties au cours de l’année 2006 révèle qu’il a tout de même fallu trois mois avant que les demandeurs ne déposent finalement leur demande de contrôle judiciaire en bonne et due forme.

[42]           Compte tenu qu’il n’est pas nécessaire de statuer sur cette question, et compte tenu du fait qu’un grand nombre de « Canadiens envolés » ont pu dans le passé soulever la question du non respect des délais dans de nombreux cas d’espèce, je considère qu’il est à propos de ne pas me prononcer sur ce point.

 

[43]           Enfin, Youssef Hitti étant aujourd’hui majeur, j’amende de mon propre chef l’intitulé de la présente demande de contrôle judiciaire en conséquence.

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

2.                  Considérant le changement de capacité du demandeur Youssef Hitti lui donnant aujourd’hui la qualité et l’intérêt pour agir en l’instance, l’intitulé de la cause est amendé et doit désormais se lire comme suit :

HEBA HITTI et

YOUSSEF HITTI

 

demandeurs

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

« Sean J. Harrington »

 

Judge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1328-06

 

INTITULÉ :                                       HEBA HITTI et YOUSSEF HITTI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 6 MARS 2007

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET L’ORDONNANCE :                   LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 19 MARS 2007

 

 

 

COMPARUTIONS:

 

Me Alain Adam

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Ian Demers

Me Lynne Lazaroff

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Me Alain Adam

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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