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Date : 20070313

Dossier : IMM-4903-06

Référence : 2007 CF 282

Vancouver (Colombie-Britannique), le 13 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

 

ENTRE :

JULIET MALINI CHANDRALINGAM

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision rendue le 9 août 2006 par un agent d’immigration JXE-E (l’agent) à Vegreville, Alberta, par laquelle il a refusé à la demanderesse une prolongation de son visa de visiteur.

 

I.   Contexte

[2]               Mme Chandralingam, ainsi que ses deux enfants, veulent demeurer au Canada en tant que visiteur en attendant l’issue de sa demande pour motifs d’ordre humanitaire. Mme Chandralingam est citoyenne du Sri Lanka et elle détient le statut de résidente permanente en Allemagne depuis 1998. Actuellement, Mme Chandralingam réside au Canada chez sa belle-famille. Son mari est devenu résident permanent de l’Allemagne après avoir vainement tenté de s’installer au Canada en 2000 en tant que travailleur qualifié. Mme Chandralingam soutient que la prolongation d’un statut de résident temporaire devrait être accordée à un étranger qui en fait la demande avant la fin de son séjour autorisé et qui continue de satisfaire à toutes les exigences de la Loi. Elle fait valoir que le fait qu’elle veut devenir résidente permanente ne devrait pas être pris en compte dans la décision concernant la prolongation de son visa de visiteur.

 

[3]               L’agent a jugé qu’il y avait un risque que Mme Chandralingam demeure au Canada après l’expiration de son statut de visiteur. L’agent a justifié son raisonnement en affirmant que Mme Chandralingam n’était plus une visiteuse authentique, étant donné qu’elle avait accompli ce qu’elle était venue faire au Canada. De plus, l’agent a souligné que le mari de Mme Chandralingam était en Allemagne depuis 17 ans et que le fait d’obliger la demanderesse à faire sa demande pour motifs d’ordre humanitaire de l’étranger ne lui causerait pas de difficultés excessives. L’agent n’a pas accepté que le manque de famille élargie et la faible population sri lankaise en Allemagne en général étaient des motifs suffisants pour justifier que la demanderesse devait rester au Canada en raison de difficultés excessives. L’agent a aussi pris en considération le fait que Mme Chandralingam n’avait pas de billets de retour pour l’Allemagne et qu’elle était en train de s’enraciner au Canada.

 

 


II.   Dispositions législatives

[4]               Les articles 20 et 22 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 et les articles 179 et 181 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 :

20. (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

[...]

 

20. (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

...

 

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

 

[...]

 

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

 

...

 

22. (1) Devient résident temporaire l’étranger dont l’agent constate qu’il a demandé ce statut, s’est déchargé des obligations prévues à l’alinéa 20(1)b) et n’est pas interdit de territoire.

 

22. (1) A foreign national becomes a temporary resident if an officer is satisfied that the foreign national has applied for that status, has met the obligations set out in paragraph 20(1)(b) and is not inadmissible.

 

(2) L’intention qu’il a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

 

(2) An intention by a foreign national to become a permanent resident does not preclude them from becoming a temporary resident if the officer is satisfied that they will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

179. L’agent délivre un visa de résident temporaire à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

179. An officer shall issue a temporary resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

 

a) l’étranger en a fait, conformément au présent règlement, la demande au titre de la catégorie des visiteurs, des travailleurs ou des étudiants;

 

(a) has applied in accordance with these Regulations for a temporary resident visa as a member of the visitor, worker or student class;

 

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable au titre de la section 2;

 

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2;

 

c) il est titulaire d’un passeport ou autre document qui lui permet d’entrer dans le pays qui l’a délivré ou dans un autre pays;

 

(c) holds a passport or other document that they may use to enter the country that issued it or another country;

 

d) il se conforme aux exigences applicables à cette catégorie;

 

(d) meets the requirements applicable to that class;

 

e) il n’est pas interdit de territoire;

 

(e) is not inadmissible; and

 

f) il satisfait aux exigences prévues à l’article 30.

 

(f) meets the requirements of section 30.

 

[...]

 

...

 

181. (1) L’étranger peut demander la prolongation de son autorisation de séjourner à titre de résident temporaire si, à la fois :

 

181. (1) A foreign national may apply for an extension of their authorization to remain in Canada as a temporary resident if

 

a) il en fait la demande à l’intérieur de sa période de séjour autorisée;

 

(a) the application is made by the end of the period authorized for their stay; and

 

b) il s’est conformé aux conditions qui lui ont été imposées à son entrée au Canada.

 

(b) they have complied with all conditions imposed on their entry into Canada.

 

III.   Questions en litige

[5]               Les questions en litige sont les suivantes :

1.         L’agent a-t-il fondé sa décision sur des considérations inappropriées ou étrangères?

 

2.         L’agent a-t-il commis une erreur en omettant d’examiner adéquatement la question de la double intention prévue au paragraphe 22(2) de la Loi?

 

 

IV.   Analyse

A.   La norme de contrôle applicable à l’allégation selon laquelle l’agent a pris en compte des facteurs non pertinents

[6]               Il est bien établi en droit que la norme de contrôle applicable à une décision refusant le rétablissement d’un statut est celle de la décision raisonnable simpliciter : Lim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 810, au par. 5 (C.F.), 2005 C.F. 657, le juge von Finckenstein; Novak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 307, au par. 17 (C.F.), 2004 C.F. 243, le juge Mactavish; Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 295, 2006 C.F. 224, le juge Martineau.

 

[7]               Dans le cadre d’un contrôle s’appuyant sur la norme de décision raisonnable simpliciter, la Cour doit déterminer si la décision n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. (voir : Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au par. 56). La décision n’est déraisonnable « que si aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait ». (Voir : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 55).

 

B.   Décision fondée sur des considérations inappropriées

[8]               La demanderesse fait valoir que le critère que l’agent aurait dû appliquer était celui de savoir si la demanderesse aurait quitté le Canada à la date convenue. L’agent n’avait pas l’obligation de juger de l’admissibilité ou du bien-fondé de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Elle soutient que ses liens et son degré d’établissement en Allemagne n’auraient pas dû être pris en compte dans la décision de l’agent. Notamment, la demanderesse prétend que le fait d’avoir considéré son mari comme son lien avec l’Allemagne n’était pas pertinent, car il est un réfugié et n’est pas en Allemagne par choix.

 

[9]               En outre, la demanderesse soutient que la raison première de sa venue au Canada n’est pas pertinente dans le cadre d’une demande de prolongation. À l’appui de sa thèse, elle cite la décision Stanislavsky c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ), [2003] A.C.F. n1064, au paragraphe 15, 2003 C.F. 585, où la juge Heneghan affirme :

À mon avis, le fait que les demandeurs aient présenté une demande de parrainage était pertinent à leur intention de séjourner au Canada à titre temporaire, c’est-à-dire jusqu’à ce que leur demande de droit d’établissement soit tranchée. Soit, il s’agissait d’une fin temporaire nouvelle et différente de la fin temporaire initiale visée au moment où ils sont entrés au Canada à titre de visiteurs en juillet 2000. Toutefois, les dispositions législatives et réglementaires actuelles ne mentionnent pas que la fin temporaire initiale visée par une personne doit demeurer inchangée. La seule exigence est qu’il existe une « fin temporaire » et, en l’instance, j’estime que l’agent n’a pas examiné cette question en rapport avec la situation personnelle des demandeurs qui prévalait à ce moment-là. Il s’agit d’une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

 

[10]           À mon avis, ce passage se rapporte à une situation analogue aux faits de la présente affaire. Bien que Mme Chandralingam ne soit pas venue au Canada en ayant comme objectif de faire une demande pour motifs d’ordre humanitaire, elle a clairement dès maintenant « une fin temporaire nouvelle et différente de la fin temporaire initiale visée au moment où [elle est entrée] au Canada » tout comme c’est le cas dans la décision Stanislavsky.

 

[11]           Je souligne que, dans la lettre du 9 août 2006 adressée à la demanderesse pour lui expliquer la raison du refus de la prolongation, le premier motif fourni pour justifier le rejet de la prolongation était : [traduction] « [l]a fin de leur entrée initiale et la fin de leur demande de prolongation ».

 

[12]           Je reconnais que l’agent disposait peut-être d’autres éléments de preuve à l’appuie de sa conclusion dans la présente affaire. Toutefois, puisque l’agent a conclu à tort qu’il n’y avait plus de « fin temporaire », on ne peut présumer que l’agent en serait venu à la même conclusion s’il avait tenu compte des éléments pertinents. Dès lors, la décision de l’agent n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé.

 

[13]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

C.   Décision quant à la double intention prévue au paragraphe 22(2)

[14]           Pour être exhaustif, j’aborderai maintenant la seconde question soulevée par la demanderesse. Mme Chandralingam soutient que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte de la double intention prévue au paragraphe 22(2) de la Loi. Cette disposition permet expressément à un étranger qui a le statut de résident temporaire de demander le statut de résident permanent pour autant que l’agent est convaincu que l’étranger aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. À mon avis, selon les faits de l’affaire, l’argument de la demanderesse est bien fondé. Compte tenu de l’erreur examinée dans la première question, l’agent n’a pas bien tenu compte de la double intention prévue au paragraphe 22(2). Encore une fois, un des motifs invoqués pour justifier le rejet de la demande était « la fin de leur demande de prolongation », comme il était indiqué dans la lettre du 9 août 2006. Puisque le Règlement prévoit expressément cette procédure, la demanderesse est en droit de demander le statut de résidente permanente pendant qu’elle séjourne au Canada. Par conséquent, je suis d’avis que l’agent a commis une erreur en donnant autant d’importance à la demande pour motifs d’ordre humanitaire qui est en attente d’une décision.

 

[15]           De plus, l’avocat de la demanderesse, avec le consentement de celle-ci, a informé la Cour qu’en cas d’un rejet de la demande pour motifs d’ordre humanitaire, la demanderesse et ses deux enfants quitteraient le Canada pour ne pas se retrouver sans statut juridique.

 

[16]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée en vue d’une nouvelle audience devant un autre agent conformément aux présents motifs.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L’affaire est renvoyée en vue d’une nouvelle audience devant un autre agent conformément aux présents motifs. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et aucune ne sera certifiée.

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4903-06

 

INTITULÉ :                                                   JULIET MALINI CHANDRALINGAM c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 8 MARS 2007

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 13 MARS 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas Cannon

 

POUR LA DEMANDERESSE

Helen Park

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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