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Date : 20070308

Dossier : 07-T-12

Référence : 2007 CF 269

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

ENTRE :

JAMES COTTRELL

demandeur

et

 

LE CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION

DES CHIPPEWAS DE RAMA MNJIKANING

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agissait d’une requête en prorogation du délai de dépôt d’une demande de contrôle judiciaire, qui opposait une bande et l’un de ses membres et qui était vigoureusement contestée. Si cette requête était rejetée, le demandeur était privé de la possibilité d’être entendu par la Cour.

 


II.         LE CONTEXTE

[2]               M. Cottrell, un Indien inscrit, résidait dans une maison unifamiliale qu’il louait dans la réserve de la bande. Il avait le droit de se porter acquéreur de la maison après en avoir payé le loyer durant 15 ans. Il en était à sa 12e année de location quand, selon ses dires, la bande, sans préavis ni avertissement, l’a expulsé le 1er novembre 2006.

 

[3]               L’avis de requête est daté du 20 février 2007, soit plus de 80 jours après l’expiration du délai dans lequel une demande de contrôle judiciaire d’une « décision » doit habituellement être déposée. Si la conduite de la bande était aussi contestée, sous réserve des questions de compétence, ce délai ne s’appliquerait pas.

 

[4]               M. Cottrell souffre d’un trouble neurologique grave et rare (la polyneuropathie démyélinisante inflammatoire chronique) depuis 2005. Bien que ce trouble fasse en sorte que ses bras et ses jambes soient de plus en plus faibles, il n’affecte pas ses fonctions cognitives.

 

[5]               M. Cottrell se déplace en fauteuil roulant et a de la difficulté à se servir de ses mains. Il a aussi fait une consommation abusive d’alcool dans le passé. Ce problème semble avoir eu des répercussions sur ses relations avec la bande, lesquelles sont manifestement très tendues.

 

[6]               Même si M. Cottrell devait des arriérés de loyer très élevés le 1er novembre 2006, il n’a pas été expulsé pour non‑paiement du loyer et il est trop tard pour invoquer ce fait à titre de motif d’expulsion. La bande s’est plutôt appuyée sur une clause du bail portant sur l’incapacité physique et mentale, en vertu de laquelle elle avait le pouvoir de déplacer le locataire dans un autre endroit approprié. Dans un tel cas, le bail est résilié et la bande est libre de relouer la maison.

 

[7]               Le jour de l’expulsion, le 1er novembre 2006, avant que M. Cottrell soit informé de son expulsion, son fauteuil roulant est tombé en panne. M. Cottrell a téléphoné aux services médicaux de la bande pour qu’on l’aide à le recharger. Il a dû ramper jusqu’au téléphone pour faire cet appel et attendre l’arrivée des services médicaux pour reprendre place dans son fauteuil.

 

[8]               À la suite de son appel, les ambulanciers paramédicaux de la bande ont transporté M. Cottrell à l’hôpital contre son gré, où il est resté.

 

[9]               Pendant qu’ils s’occupaient de lui, les ambulanciers paramédicaux ont dit à M. Cottrell que le responsable des soins de santé de la bande suivrait l’ambulance à l’hôpital. Une fois rendu à l’hôpital, le responsable des soins de santé de la bande a remis l’ordre d’expulsion à M. Cottrell et l’a avisé de vive voix qu’il avait été expulsé.

 

[10]           La bande soutient que M. Cottrell lui a causé beaucoup de problèmes au fil des ans et qu’elle est justifiée en conséquence de l’expulser puisqu’il est incapable de vivre seul. Cette prétention n’est pas pertinente quant aux fins de la présente requête. Elle concerne le bien‑fondé de la décision, non la question de savoir si M. Cottrell peut la contester.

 

[11]           Le fait que M. Cottrell a avisé le responsable des soins de santé de la bande, au moment où ce dernier lui signifiait l’ordre d’expulsion, qu’il avait l’intention d’obtenir l’aide d’un avocat afin de contester l’expulsion est pertinent en l’espèce.

 

[12]           La capacité (physique et mentale) de M. Cottrell était directement contestée par l’ordre d’expulsion. Après que M. Cottrell eut été admis à l’hôpital, le personnel a demandé une évaluation de ses capacités. Le rapport d’évaluation a été préparé par un médecin compétent le 22 janvier 2007. Selon ce médecin, M. Cottrell est capable d’administrer ses biens.

 

[13]           M. Cottrell a retenu les services d’un avocat de la clinique juridique communautaire après avoir reçu l’avis d’expulsion et avant de déposer la présente requête. Pendant cette période, il y a eu une série de communications entre les avocats et entre l’avocat de M. Cottrell et le bureau du psychologue clinicien, des documents ont été rassemblés, mais aucune démarche judiciaire n’a été entreprise.

 

III.       ANALYSE

[14]           Les critères qui servent à déterminer s’il y a lieu de proroger le délai imparti pour le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire ont été bien établis dans des affaires comme Canada (Procureur général) c. Hennelly, [1999] A.C.F. no 846 (QL), et Baksa c. Neis (f.a.s. Brookside Transport), [2002] A.C.F. no 832 (QL). Ces critères sont les suivants :

1.         le demandeur a constamment eu l’intention de poursuivre la demande;

2.         l’affaire révèle une cause défendable;

3.         le défendeur ne subit aucun préjudice;

4.         il existe une explication raisonnable du retard.

 

A.        La constance de l’intention

[15]           Il n’est pas obligatoire que le demandeur ait eu constamment l’intention d’exercer un recours précis devant un tribunal particulier (voir APV Canada Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [2001] A.C.F. no 1099 (QL)). Il doit avoir eu l’intention d’exercer une certaine forme de recours judiciaire.

 

[16]           Il ressort clairement de la preuve que M. Cottrell avait l’intention de contester l’expulsion dès le début. La preuve n’indique pas qu’il n’avait plus l’intention de le faire à un certain moment ou qu’il a accepté l’expulsion. Il a rencontré son avocate et il s’est opposé à toute démarche visant à le faire déclarer « incapable » (le motif invoqué par la bande); il a même accepté une évaluation de ses capacités. Il a toujours eu l’intention d’exercer un recours en justice, si cela était nécessaire.

 

[17]           Les efforts de M. Cottrell pour trouver une autre solution, comme des soins de longue durée, ne peuvent pas être considérés comme une acceptation ou un abandon de son intention d’exercer un recours en justice. Ces efforts ressemblent beaucoup à des négociations menées en vue d’un règlement, un processus que les parties sont encouragées à utiliser avant de se lancer dans des procédures coûteuses.

 

B.         Une cause défendable

[18]           Le défendeur prétend que le demandeur n’a pas de cause défendable, qu’il n’a [traduction] « aucune chance d’avoir gain de cause » et que les règles du droit administratif ou public régissant les droits d’un locataire sont bien établies. Le défendeur insiste fortement sur Gamblin c. Nation crie de Norway House (Conseil de bande), [2002] A.C.F. no 1411 (QL), rendu d’abord de vive voix par la Cour d’appel, et, en particulier sur le paragraphe 8 de cet arrêt :

Quant à la question de l’obligation d’équité, on ne nous a reportés à aucun arrêt dans lequel il serait statué que le conseil de la bande est tenu d’accorder une audience au sujet de la mise en application des conditions des contrats de location résidentielle qu’il conclut.

 

[19]           Ce que le défendeur fait, sans cependant le dire ainsi, c’est contester la compétence de la Cour fédérale à l’égard de ce qui est décrit comme une question de droit privé. Le litige n’en est qu’au début et on ne sait pas du tout quelle est la source du pouvoir de location et si les questions en litige sont dénuées d’éléments de droit public. La thèse du demandeur n’est pas totalement élaborée à cette étape‑ci et il est trop tôt pour rendre une décision définitive sur l’existence de droits relevant du droit privé ou du droit public ou sur la compétence de la Cour.

 

[20]           Dans Gamblin, en première instance, la Cour était saisie d’une cas d’expulsion et de bannissement. M. Gamblin et sa bande avait signé une déclaration selon laquelle M. Gamblin devait mettre fin à ses activités illégales reliées aux drogues et à l’alcool. On reprochait à M. Gamblin de ne pas avoir respecté cet engagement personnel.

 

[21]           Même si l’utilisation d’une maison mobile par M. Gamblin présentait certaines caractéristiques d’un bail, le juge du procès a considéré que l’entente intervenue entre M. Gamblin et la bande était un contrat de droit privé. Il a fait la distinction suivante :

Elle ne constitue pas un bail puisque l’utilisateur ne paie pas de loyer et il ne s’agit pas non plus d’une fiducie [...]

 

[22]           Le juge du procès semble ainsi laisser entendre que les droits et les recours qui se rattachent à un bail peuvent être différents de ceux qui sont liés à un contrat de droit privé. Les commentaires du juge Sexton doivent être lus dans ce contexte, surtout que l’affaire dont il était saisi ne concernait pas un bail sur des terres de réserve.

 

[23]           Le juge Sexton a mentionné qu’aucune source démontrant l’existence d’un droit à une audience – ce qui, selon moi, désigne les principes d’équité procédurale, les principes de justice naturelle et d’autres principes de droit public – n’avait été présentée à la cour. En l’espèce par contre, la décision Obichon c. Heart Lake First Nation No. 176, [1988] A.C.F. no 307 (QL), qui traite des droits conférés par le droit public à l’égard d’une expulsion, a été portée à l’attention de la Cour.

 

[24]           Étant donné que la Cour doit seulement déterminer s’il existe une cause défendable, et non statuer sur les différentes sources, je conclus qu’il existe une cause défendable concernant les droits conférés au demandeur par le droit public qui justifie, à tout le moins, que la question puisse être soumise à la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Il est préférable d’avoir un dossier plus complet sur lequel s’appuyer pour trancher ces questions juridiques.

 

C.        Le préjudice

[25]           Il est juste de dire que le présent contrôle judiciaire cause un préjudice ou, à tout le moins, des inconvénients à la bande et, à tout le moins, à certains membres en particulier. La bande n’a pas loué la maison de M. Cottrell et il y a une liste d’attente; cela prive une famille (ou une personne) de l’usage de la maison parce que la bande n’a pas loué la maison même de manière temporaire.

 

[26]           Ce préjudice repose cependant sur l’idée que la bande avait le droit d’expulser M. Cottrell. Si la bande n’avait pas ce droit, elle ne peut relouer la maison. La bande a choisi d’expulser M. Cottrell et elle doit vivre avec les conséquences de sa décision jusqu’à ce que la légitimité de l’expulsion soit déterminée.

 

[27]           Compte tenu de ce préjudice mineur, il semble que ces difficultés puissent être considérablement minimisées si une décision est rendue rapidement relativement au contrôle judiciaire. La Cour a offert cette possibilité à la bande, mais l’avocat du défendeur avait sûrement une bonne raison de ne pas accepter une procédure accélérée ou une date d’audience approximative.

 

[28]           Le défendeur n’a pas été en mesure de démontrer le préjudice de façon certaine parce qu’il présuppose l’issue du contrôle judiciaire. En outre, lorsqu’on compare le préjudice de part et d’autre, la perte de toute possibilité de contester devant la Cour l’expulsion ordonnée par la bande l’emporte sur la nature temporaire du préjudice causé à la bande (si un tel préjudice existe).

 

D.        Une explication raisonnable

[29]           Le demandeur fait principalement valoir que, comme il subissait une évaluation de ses « capacités », il aurait été imprudent pour son avocate d’aller de l’avant avant que la question de sa capacité mentale soit réglée définitivement.

 

[30]           Pendant ce temps, l’avocate du demandeur tenait les [traduction] « propos menaçants » habituels dans les litiges, ce qui, selon le défendeur, montre qu’elle n’était pas incapable d’obtenir des instructions pour soumettre l’affaire aux tribunaux. Le défendeur souligne que l’avocate du demandeur n’a jamais demandé du temps pour obtenir des instructions, ni même laissé entendre qu’elle avait de la difficulté à obtenir des instructions.

 

[31]           Le défendeur ne peut pas mettre en doute la pertinence des questions concernant la capacité mentale (et physique). C’est lui qui a soulevé ces questions avant même que M. Cottrell soit expulsé.

 

[32]           Quoi qu’il en soit, M. Cottrell subissait une évaluation de ses capacités à l’instigation de l’hôpital. Il aurait été pour le moins imprudent pour son avocate d’accepter sans réserve toute instruction qui lui était donnée. L’évaluation des capacités de M. Cottrell est plus qu’une explication raisonnable du retard.

[33]           Compte tenu de la fermeté des positions adoptées, il n’est guère surprenant que l’avocate de M. Cottrell n’ait pas essayé de s’arranger avec le défendeur. Il convient de noter que ce dernier s’est opposé obstinément à la prorogation de délai; cela en dit long sur les autres arrangements que l’avocate aurait pu obtenir.

 

[34]           Finalement, le défendeur dit que le demandeur devrait faire valoir ses droits en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne plutôt que de se lancer dans le présent litige. Il n’appartient pas au défendeur de décider des recours que le demandeur devrait utiliser pour contester l’ordre d’expulsion.

 

IV.       CONCLUSION

[35]           Pour tous ces motifs, la présente requête sera accueillie et les dépens suivront l’issue de la cause. Le demandeur doit déposer son avis de demande de contrôle judiciaire dans les 14 jours suivant la date de la présente ordonnance, sauf ordonnance contraire de la Cour.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE QUE la présente requête soit accueillie et que les dépens suivent l’issue de la cause. Le demandeur doit déposer son avis de demande de contrôle judiciaire dans les 14 jours suivant la date de la présente ordonnance, sauf ordonnance contraire de la Cour.

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        07-T-12

 

INTITULÉ :                                                       JAMES COTTRELL

                                                                            c.

                                                            LE CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION DES CHIPPEWAS DE RAMA MNJIKANING

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 5 MARS 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 8 MARS 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Linda Rothstein                                                    POUR LE DEMANDEUR

 

Brendan J. Van Niejenhuis                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Palaire Roland Rosenberg                                    POUR LE DEMANDEUR

Rothstein LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Stockwoods LLP                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

 

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