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Date : 20070307

Dossier : IMM‑3852‑06

Référence : 2007 CF 267

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 7 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

 

 

ENTRE :

PALWINDER SINGH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’égard de la décision rendue le 30 juin 2006 par Ross Pattee, commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention au titre de l’article 96 de la Loi, ni qualité de personne à protéger au titre de l’article 97 de la Loi.


II.   Les faits

[2]               Le demandeur, M. Singh, est un sikh originaire du Penjab, en Inde. Il a présenté sa demande d’asile en alléguant ses liens avec un certain Mohammed Abdul – un ami chez qui se trouvait M. Singh le jour où la police a fait une descente à la maison de M. Abdul. La police y a découvert un fusil AK‑47 portant le nom d’une organisation terroriste – « Lashkare‑Toiba » – gravé sur la crosse. Comme il se trouvait sur les lieux, M. Singh a été arrêté et torturé pendant dix jours. Il a été libéré sur paiement d’un pot-de-vin de 50 000 roupies. Les blessures qu’il a subies l’ont obligé à se faire soigner dans un hôpital durant dix autres jours.

 

[3]               Après le retour de M. Singh à son domicile, la police du Jammu et du Penjab a continué à le chercher et a fait une descente chez lui en novembre 2003. M. Singh, qui n’était pas à la maison ce jour‑là, est parti se cacher. Le 14 janvier 2004, il a fui son village pour se rendre à Delhi, où il est resté à l’hôtel pendant quatre mois.

 

[4]               Le 14 avril 2004, M. Singh est arrivé au Canada pour visiter son père malade et éviter une arrestation. Lorsqu’il est devenu évident pour lui qu’il ne pouvait pas retourner en Inde, il a déposé une demande d’asile le 27 janvier 2005.

 

III.   La décision de la Commission en date du 20 juin 2006

[5]               La Commission n’a pas mis en doute l’identité du demandeur.

 

[6]               Cependant, la Commission a trouvé que le demandeur répondait de façon vague, qu’il confondait les dates et qu’à maintes reprises il se contredisait.

A.   Les prétendues blessures du demandeur

[7]               La Commission a mis en doute les propos du demandeur, qui a déclaré lors de son témoignage que la police lui avait fracturé la jambe droite. Cette lésion était confirmée par le rapport médical du Dr Benipal. Cependant, dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur avait écrit qu’il s’agissait de sa jambe gauche. La Commission a donc mis en doute la crédibilité du demandeur, puisqu’il avait eu la possibilité de corriger son FRP au début de l’audience, mais ne l’a pas fait, affirmant que son FRP était exact.

 

[8]               Lors de l’audience, le demandeur a déclaré qu’il avait eu six doigts fracturés. Cela n’était pas mentionné dans son entrevue avec Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), ni dans le FRP. Le demandeur a expliqué qu’on ne lui avait jamais rien demandé à propos de ses doigts, explication qui a été rejetée par la Commission car l’agent d’immigration lui avait expressément demandé : [traduction]  « Que s’est‑il passé à l’hôpital? ». Le demandeur avait répondu à cette question en précisant les blessures qu’il avait reçues à la jambe et au dos. La Commission a aussi relevé que le rapport médical du Dr Benipal comptait un peu plus de deux pages et était assez détaillé, mais qu’il ne faisait pas mention des doigts fracturés. Le rapport médical faisait bien état de [traduction] « légères contusions […] et écorchures »; cependant, la Commission n’a pas cru que six doigts fracturés constituaient une contusion ou une écorchure. En outre, le Dr Benipal avait indiqué qu’il avait envoyé le demandeur consulter un spécialiste en orthopédie pour sa jambe, mais il n’avait rien précisé pour le traitement des fractures de doigts.

 

B.   L’absence d’une crainte subjective

[9]               La Commission a exprimé l’avis que c’était là l’aspect le plus douteux de la demande d’asile. Elle a mis en doute le fait que le demandeur soit resté à Delhi pendant quatre mois, censément pour obtenir un visa. D’après son témoignage, le demandeur avait payé à un agent la somme de 800 000 roupies (19 000 $CAN); or il n’avait pas demandé l’asile dès son arrivée. Le demandeur avait également un visa valide qui expirait le 28 avril 2004, dont la prolongation jusqu’au 28 octobre 2004 lui a été refusée. La Commission ne comprenait pas pourquoi le demandeur n’avait pas demandé l’asile au lieu de la prolongation de son visa.

 

[10]           Le demandeur a témoigné qu’il était venu au Canada pour visiter son père malade et qu’il avait toujours eu l’intention de retourner en Inde. Ce n’est qu’après son arrivée au Canada que la situation en Inde a changé et qu’il ne souhaitait plus y retourner. C’était la raison pour laquelle le demandeur n’avait pas demandé l’asile dès son arrivée. La Commission n’a pas trouvé que cette explication témoignait des actes de quelqu’un qui craignait de retourner en Inde.

 

[11]           La Commission a relevé qu’un sarpanch (un aîné) du village avait déposé un affidavit déclarant que le demandeur devait quitter l’Inde pour sauver sa vie. Lorsque le demandeur a été interrogé sur le sujet, la Commission a trouvé qu’il était devenu embarrassé, affirmant que, s’il avait fui l’Inde, c’était pour sauver sa vie et non pour visiter son père. Il était clair pour la Commission qu’elle ne pouvait pas croire le demandeur et que celui‑ci se servait simplement d’une demande d’asile comme moyen de rester au Canada.

 

C.   La question de la traduction

[12]           Au cours de ses conclusions finales, l’avocat du demandeur a soulevé une objection formelle contre la traduction. Cela s’est produit après le témoignage qui, selon la Commission, n’avait pas suscité de difficultés d’interprétation.

 

[13]           La Commission a relevé que l’avocat du demandeur était intervenu, à quelques reprises, pour aider à la traduction du témoignage. Cependant, les réponses données étaient logiques par rapport aux questions posées, et la Commission questionnait à nouveau le demandeur lorsqu’il y avait confusion. La Commission a aussi fait remarquer que le demandeur ne sollicitait pas d’éclaircissements sur tel ou tel aspect avant de répondre aux questions.

 

[14]           Dans ses motifs, la Commission, se fondant sur l’arrêt R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, affirme que l’interprétation doit répondre à une norme élevée, non à une norme de perfection. La Commission a exprimé l’avis que l’interprétation avait été de bonne qualité et que le demandeur avait bénéficié d’une audience équitable.

 

IV.   Les dispositions législatives pertinentes

[15]           La Charte canadienne des droits et libertés ( la Charte), qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, article 14; et les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

14. La partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu’ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée, soit parce qu’ils sont atteints de surdité, ont droit à l’assistance d’un interprète.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

14. A party or witness in any proceedings who does not understand or speak the language in which the proceedings are conducted or who is deaf has the right to the assistance of an interpreter.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

V.   Les points litigieux

Point n° 1           La Commission a‑t‑elle manqué aux principes de l’équité procédurale parce qu’elle n’a pas fourni un interprète compétent et méticuleux durant l’audition de la demande d’asile du demandeur?

 

Point n° 2           La Commission a‑t‑elle agi d’une manière abusive en tirant ses conclusions au sujet de la crédibilité du demandeur?

 

 

VI.   La norme de contrôle

A.   La traduction

[16]           La qualité de l’interprétation fournie concerne l’équité de l’audience; aucune analyse pragmatique et fonctionnelle n’est donc requise. C’est à la Cour qu’il appartient de dire si l’audience s’est déroulée d’une manière conforme aux deux exigences de l’équité procédurale. Voir la décision Saravia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1296; [2005] A.C.F. n° 1595.

 

B.   La crédibilité

[17]           La norme de contrôle applicable aux conclusions en matière de crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable, comme on peut le lire dans la décision Umba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. n° 17.

 

[18]           Dans l’arrêt Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 551, au paragraphe 5, la Cour d’appel fédérale a jugé que « ce n’est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu’une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable ».

 

VII.   Les arguments du demandeur

Point n° 1 – Conclusion principale

[19]           Le demandeur fait observer qu’il s’agissait d’un « nouvel » interprète, car il semble que c’était la première audience du statut de réfugié à laquelle participait cet interprète.

 

[20]           Le demandeur invoque la décision Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 371 (confirmé par [2001] 4 C.F. 85 (C.A.)) qui expose les facteurs à prendre en compte pour déterminer si un demandeur a bénéficié d’une interprétation acceptable selon les exigences de l’article 14 de la Charte. Le juge Pelletier a écrit ce qui suit[1] :

‑‑ en général, on peut dire que la norme d’interprétation est élevée mais qu’il ne s’agit pas d’une norme de perfection.

 

‑‑ continuité : il ne doit pas y avoir de pauses ou d’interruptions, c.‑à‑d. que l’interprétation doit être fournie tout au long des procédures, sans aucune période où l’interprétation n’est pas disponible.

 

‑‑ fidélité : l’interprétation doit transmettre le témoignage sans aucune amélioration de forme, de grammaire ou autrement.

 

‑‑ impartialité : l’interprète ne devrait pas être lié aux parties ou avoir quelque intérêt que ce soit dans l’affaire.

 

‑‑ compétence : l’interprétation doit être d’assez bonne qualité pour assurer que justice soit rendue et paraisse avoir été rendue.

 

‑‑ concomitance : l’interprétation doit être disponible lors du témoignage, sans être nécessairement simultanée.

 

 

[21]           Le demandeur affirme que ce point a été soulevé à l’audience, avant les conclusions finales, contrairement à ce que prétend le défendeur. Le demandeur fait plutôt valoir que la question de la qualité de l’interprétation a été soulevée à plusieurs reprises. Plus précisément, lors de l’interrogatoire principal du demandeur, son avocat lui a posé les questions suivantes :

 

[traduction]

 

L’avocat :             « Avez‑vous eu de la difficulté à comprendre l’interprète? »

 

Le demandeur :     « Oui ».

 

L’avocat :             « Dans quelle mesure a‑t‑il été difficile pour vous de comprendre toutes les questions traduites pour vous par l’interprète présent ici dans cette salle? »

 

Le demandeur :     « C’était parfois très difficile et j’ai eu du mal à les comprendre. »

 

L’avocat :             « Si vous ne compreniez pas l’interprète, pourquoi répondiez‑vous aux questions? »

 

Le demandeur :     « J’y répondais d’après ce que je comprenais. »

 

[22]           Le demandeur signale aussi plusieurs exemples d’erreurs d’interprétation commises au cours de l’audience :

a)         Lorsque l’interprète a confondu le départ différé de l’Inde avec le départ du Canada.

 

b)         Lorsque l’interprète a dû se faire expliquer ce qu’était une possibilité de refuge intérieur.

 

c)         Lorsqu’on a expliqué à l’interprète qu’il ne pouvait pas conférer avec le demandeur sans que tout ce qu’ils se disent soit traduit. L’interprète ne pouvait pas non plus se prononcer sur la traduction d’un Formulaire de renseignements personnels.

 

d)         Lorsque l’interprète s’est mépris sur les mots « AK‑47 », qu’il croyait être des « documents » évoquant le jour où la police avait perquisitionné chez l’ami du demandeur. Il semble que les mots gravés sur la crosse de l’arme signifiaient, dans l’esprit de l’interprète, qu’il s’agissait de documents écrits.

 

e)         Lorsque l’interprète a eu du mal à traduire la manière dont un « bâton » en bois avait servi à battre le demandeur.

 

f)          Lorsque le demandeur n’avait pu comprendre la traduction de la question du président de l’audience sur la raison pour laquelle il était initialement venu au Canada. Le demandeur fait observer que, lorsqu’il a été interrogé par son propre avocat en interrogatoire principal, il a dit qu’il était venu au Canada parce qu’il avait [traduction] « peur […] de la police du Penjab et de la police du Jammu‑Cachemire », en raison de ses liens avec Mohammed Abdul. Le demandeur se sert donc de cette explication pour dire que la Commission n’a pas compris la preuve qui lui a été soumise et qu’elle a commis une erreur en disant que le demandeur avait déclaré « sans grande conviction » qu’il s’était rendu au Canada pour visiter son père.

 

[23]           Le demandeur fait valoir que, puisque cette affaire tient à une question de crédibilité, les erreurs de traduction deviennent d’autant plus pertinentes. L’absence de crédibilité et de crainte subjective s’explique en grande partie par l’incapacité du demandeur d’exposer avec précision sa version des faits à la Commission.

 

Point n° 2 – Crédibilité

[24]           Le demandeur, invoquant la décision Akhigbe c. Canada (M.C.I.), 2002 CFPI 249, [2002] A.C.F. n° 332, soutient que l’absence d’une mention des doigts fracturés dans le FRP est un détail mineur, voire négligeable, et que cela ne devrait pas servir de fondement à une conclusion défavorable sur la crédibilité.

 

[25]           Le demandeur fait aussi valoir que le rapport médical avait été rédigé deux ans et demi après les blessures et qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que le Dr Benipal se souvienne de toutes les blessures subies. Subsidiairement, le demandeur soutient que la Commission n’a pas d’expertise en matière de soins médicaux et ne peut affirmer que des contusions ou des écorchures n’engloberaient pas des doigts fracturés.

 

VIII.   Les arguments du défendeur

Point n° 1 – Interprétation

[26]           Le défendeur soutient que la Commission a pris des moyens suffisants pour assurer la qualité de l’interprétation. La Commission clarifiait les questions lorsqu’il y avait confusion. En outre, le propre avocat du demandeur était intervenu dans le travail d’interprétation afin de clarifier toute erreur, et le demandeur lui‑même comprenait assez bien l’anglais. La Commission a dit clairement à maintes reprises que, si le demandeur ne comprenait pas une question, il pouvait obtenir des éclaircissements.

 

[27]           Le défendeur admet que la norme de contrôle pour cet aspect est celle de la décision correcte; cependant, cette norme ne requiert pas la perfection, comme on peut le lire dans la décision Mohammadian.

 

[28]           Le défendeur fait observer que le demandeur n’a produit aucune preuve par affidavit montrant que la preuve a été mal comprise; il n’y a donc aucun fondement justifiant une nouvelle décision.

 

Point n° 2 – Crédibilité

[29]           Le défendeur soutient qu’il n’était pas manifestement déraisonnable pour la Commission de tirer les inférences qu’elle a faites, puisque, outre l’absence de la mention des doigts fracturés dans le rapport médical, ce renseignement n’avait pas non plus été signalé dans les entrevues et les conclusions antérieures du demandeur. Le défendeur invoque le dictionnaire Oxford, où l’on peut lire qu’une écorchure est une [traduction] « éraflure » et qu’une contusion est une ecchymose, sans rupture de la peau. Par conséquent, il n’était pas déraisonnable pour la Commission de refuser d’admettre que ces passages du rapport médical englobaient les doigts fracturés.

 

[30]           En outre, le demandeur avait bien dit que, s’il était venu au Canada, c’était pour visiter son père, et non parce qu’il ressentait une crainte subjective.

 

IX.   Analyse

Point n° 1

[31]           Je dois dire que, dans la décision Mohammadian, le juge Pelletier a tenu des propos sans équivoque :

[…] les plaintes portant sur la qualité de l’interprétation doivent être présentées à la première occasion, savoir devant la SSR, chaque fois qu’il est raisonnable de s’y attendre […] Si l’interprète a de la difficulté à parler la langue du demandeur ou à se faire comprendre par lui, il est clair que la question doit être soulevée à la première occasion. Par contre, si les erreurs se trouvent dans la langue dans laquelle a lieu l’audience, que le demandeur ne comprend pas, il ne peut être raisonnable de s’attendre à ce qu’il y ait eu plainte à ce moment‑là.[2]

 

 

[32]           Le défendeur ne semble pas prétendre que le principe de la renonciation est applicable ici.

 

[33]           Je conviens avec le demandeur qu’il a bien soulevé la question de l’interprétation avant les conclusions finales, puisque cette question a été soulevée au début de l’interrogatoire principal du demandeur. Le président de l’audience avait répondu : [traduction] « Nous venons de passer les trois dernières heures de cette audience ensemble, et moi‑même ainsi que l’agent de la protection des réfugiés avons posé une diversité de questions, et les réponses ont été, à mon avis, compatibles avec les questions posées ». Puis le président de l’audience avait ajouté : [traduction] « Dites, M. Sandhu, vous‑même, depuis le début, vous êtes intervenu dans l’interprétation. Je trouve presque déplaisant de vous entendre mentionner cela trois heures après le début de l’audience. ».

 

[34]           Ainsi, même si la Commission a pu se tromper dans ses motifs quant au moment où a été soulevée l’objection initiale, cela ne change rien au fait que trois heures s’étaient écoulées et que l’avocat du demandeur n’avait pas soulevé d’objection, mais avait plutôt facilité le déroulement de la procédure. Je reconnais avec le défendeur que, pour l’essentiel, les questions se sont succédé sans trop de difficulté et que le demandeur a semblé répondre à la plupart d’entre elles d’une manière qui présentait un lien logique avec la question posée. Les moments où il y a eu confusion semblent avoir résulté des contradictions et omissions dans le FRP du demandeur. Selon moi, on pourrait certainement soutenir que la confusion entourant ces questions tenait davantage à l’incapacité d’expliquer les omissions et contradictions qu’à l’interprétation en tant que telle.

 

[35]           Je relève aussi que le demandeur a été prié de dire, dès le début de l’audience, s’il comprenait l’interprète.

 

[36]           Il reste la question de la qualité de l’interprétation. D’après la norme visée, l’interprétation « doit être d’assez bonne qualité pour assurer que justice soit rendue et paraisse avoir été rendue »[3].

 

[37]           Après lecture de la transcription intégrale de l’audience, il est clair que l’interprète n’a pas donné une bonne interprétation de ce qui se disait.

 

[38]           Je suis d’avis que, si l’une quelconque des difficultés d’interprétation avait été un incident isolé, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire. Cependant, vu le nombre d’erreurs recensées par le demandeur, je ne puis être certain qu’elles ont toutes été rectifiées ni que le demandeur a bénéficié d’une audience équitable.

 

[39]           La Cour a jugé, dans la décision Saravia, précitée, que, lorsque l’intervention d’un interprète est nécessaire, il est impératif que tous les intéressés sachent qu’ils doivent s’exprimer avec des phrases courtes, parler lentement, se servir de mots ou d’expressions de rechange lorsqu’un mot ou une expression n’est pas compris ou n’est pas facilement traduisible et, de manière générale, agir de bonne foi. Vu que, en l’espèce, la Commission a à plusieurs reprises prié le demandeur (et l’interprète) de s’exprimer par  [traduction] « morceaux de phrase », les directives énoncées dans Saravia n’ont pas été observées dans la présente affaire. En outre, eu égard aux rappels répétés de la Commission priant l’interprète de traduire tout ce que disait le demandeur, j’ai l’impression que cela accroît les probabilités que d’importants témoignages n’aient pas été entendus et que le demandeur n’ait pas bénéficié d’une audience équitable.

 

[40]           Je relève aussi que, même s’il a été utile que l’avocat du demandeur traduise correctement certains des témoignages de son client, je me demande ce qu’aurait été le résultat si l’avocat n’avait pas parlé la même langue que lui. Je ne crois pas que la traduction de dépositions fasse partie du travail d’un avocat. Cette obligation incombe au défendeur, et le fait qu’il a dû recourir à maintes reprises à l’aide de l’avocat me donne à penser que le défendeur n’a pas rempli cette obligation.

 

[41]           Je conviens avec le défendeur que la Commission a dit au demandeur qu’il pouvait obtenir au besoin des éclaircissements. Cependant, à mon avis, cela n’est pas une garantie suffisante car elle ne tient pas compte des difficultés fondamentales que suscite le fait pour l’interprète de poser les questions incorrectement ou de communiquer les réponses du demandeur à la Commission d’une manière peut‑être inexacte.

 

[42]           Je ne doute nullement que la Commission et l’interprète aient agi de bonne foi, mais, vu le nombre d’erreurs, je ferais droit sur ce point à la demande de contrôle judiciaire.

 

X.   Conclusion

[43]           Bien qu’il ne soit pas nécessaire que l’interprétation soit de qualité parfaite, celle-ci n’a pas, dans le cas présent, atteint le niveau qu’elle aurait dû avoir pour que justice « paraisse avoir été rendue ».

 

[44]           Je ferai droit à la demande de contrôle judiciaire et je renverrai l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui-ci procède à une nouvelle audition.

 

[45]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 

JUGEMENT

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui-ci procède à une nouvelle audition. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et aucune n’est certifiée.

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑3852‑06

 

INTITULÉ :                                       PALWINDER SINGH c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 6 MARS 2007

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 7 MARS 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher Elgin

 

POUR LE DEMANDEUR

Peter Bell

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elgin, Cannon et Associés

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1]  Décision Mohammadian, paragraphe 7.

[2]  Paragraphes 27 et 28.

[3]  Thambiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 15, [2004] A.C.F. n° 14.

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