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Date : 20070307

Dossier : T-1395-05

Référence : 2007 CF 262

ENTRE:

 

 BMW CANADA INC.

BAYERISHE MOTOREN WERKE AKTIENGESELLSCHAFT

            demanderesses

 

et

 

NISSAN CANADA INC.

 

            défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE Juge suppléant MACKAY

 

[1]               Les demanderesses sollicitent à titre de mesures de redressement un jugement déclaratoire, une injonction et des dommages‑intérêts pour perte de profits, pour corriger la contrefaçon alléguée par la défenderesse de certaines marques de commerce déposées et la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à ces marques, en violation des articles 20 et 22 respectivement de la Loi sur les marques de commerce. L.R.C. ch. T‑13, modifiée (la Loi).

 

[2]               Les demanderesses sollicitent également un jugement déclaratoire interdisant à la défenderesse d’utiliser les marques de commerce M et M6 dont l’emploi, d’après elles, porte atteinte à leurs droits de propriété sur les marques de commerce M, M3, M5, M6 et le M accompagné d’un dessin, en violation de l’alinéa 7b) de la Loi. L’emploi par la défenderesse des marques M et M6 en liaison avec des automobiles, dans le cadre de ses activités publicitaires et de promotion, ainsi que dans la mise en vente et dans la vente d’automobiles, de pièces et d’accessoires, créerait de la confusion entre la source des marchandises des demanderesses et la source de celles de la défenderesse.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je conclus les demanderesses n’ont pas établi en vertu de l’article 20 que leurs droits exclusifs sur certaines marques déposées ont été violés et qu’elles n’ont pas non plus établi en vertu de l’article 22 que l’emploi par la défenderesse des marques M et M6 entraîne la dépréciation de la valeur de l’achalandage attaché auxdites marques déposées. J’estime cependant que l’emploi par la défenderesse de la lettre M seule, dont la forme ressemble à celle de la marque de commerce des demanderesses, et que son emploi de M6 pour désigner un ensemble d’options permettant de modifier un de ses modèles, créent effectivement de la confusion au Canada entre la source des marchandises de la défenderesse et la source des marchandises des demanderesses.

 

BMW ‑ Ses voitures et ses marques de commerce

[4]               Les demanderesses sont BMW Canada Inc. (BMW Canada), constituée en société sous le régime des lois du Canada et filiale en propriété exclusive de l’autre demanderesse, Bayerische Motoren Werke Aktiengesellschaft (BMW AG), constituée en société sous le régime des lois de l’Allemagne. Ces deux sociétés sont ci‑après appelées collectivement BMW. BMW est un important fournisseur bien connu partout au Canada et la société mère allemande est reconnue dans le monde entier comme l’un des grands constructeurs et fournisseurs d’automobiles, de pièces et d’accessoires. BMW a fabriqué, vendu, distribué et fait connaître de nombreux modèles, pièces et accessoires d’automobiles par l’intermédiaire de BMW Canada. Les automobiles BMW sont réputées pour la grande qualité de leur finition et pour leur haute performance.

 

[5]               BMW AG comporte, en propriété exclusive, une société séparée appelée BMW M GmbH, constituée en 1972 sous le nom de BMW Motorsport GmbH et désignée au sein de BMW par la simple lettre M. Cette société a sa propre équipe de direction, ses propres installations de recherche et quelques usines de fabrication. Sa principale fonction est d’adapter la technologie automobile de pointe des voitures de course BMW aux voitures de haute performance qui sont fabriquées spécialement pour être utilisées sur les autoroutes ordinaires et sont destinées aux consommateurs de voitures de haute de gamme et de luxe. Ces voitures étaient à l’origine fabriquées à partir des modèles courants de BMW qui subissaient d’intenses adaptations effectuées par BMW M GmbH. Cependant, depuis récemment, elles sont fabriquées sous la direction de M, mais dans les usines d’assemblage ordinaires de BMW. Au sein de BMW, elles sont connues comme les « voitures M ».

 

[6]               Pour ces voitures, BMW emploie des marques de commerce comportant la lettre M combinée à un chiffre ou à un mot, lesquelles marques indiquent des séries particulières de véhicules. Ces automobiles de BMW, ainsi que leurs pièces et accessoires, sont fabriqués et vendus à des prix plus élevés que les modèles courants et ils ont pour leurs propriétaires et BMW un prestige particulier. Les représentants de BMW estiment que les voitures M sont d’autant plus prestigieuses que leur production est limitée de sorte que les acheteurs de ces véhicules doivent les commander plusieurs mois à l’avance. On ne retrouve pas dans les halls d’exposition des concessionnaires des voitures M qui peuvent être achetées sur‑le‑champ sans avoir été commandées à l’avance.

 

[7]               BMW AG est propriétaire de plusieurs marques de commerce pour lesquelles BMW Canada a une autorisation d’emploi dans ce pays. Parmi les marques de commerce dont BMW AG revendique la propriété, les marques M, M3, M5, M6 et le M accompagné d’un dessin sont d’un intérêt particulier dans la présente instance et seraient employées en liaison avec des automobiles, des pièces et des accessoires en Allemagne et au Canada. Parmi lesdites marques de commerce, BMW AG est propriétaire des marques de commerce canadiennes suivantes, lesquelles sont toutes employées en liaison avec des marchandises, c’est-à-dire des automobiles et des pièces d’automobiles :

 

Enregistrement LMC 544922 (pour M3) - effectué le 11 mai 2001

M3

 

 

Enregistrement LMC 561482 (pour M5) - effectué le 7 mai 2002

M5

 

 

Enregistrement LMC 336985 (pour M accompagné d’un dessin) - effectué le 12 février 1998

 

(Les motifs à lignes correspondent aux couleurs bleue, violette et rouge.)

M & DESIGN

 

 

[8]               Il est allégué que les marques M et M6 ont été utilisées au Canada et que ces deux marques font, en ce moment, l’objet de demandes d’enregistrement déposées par BMW.

 

[9]               BMW AG est également propriétaire d’autres marques de commerce déposées au Canada qui contiennent la lettre M. Les voici : M SERIES (enregistrement LMC 614701, effectué le 13 juillet 2004) en liaison avec des automobiles et leurs pièces; le dessin M POWER (enregistrement LMC 329972, effectué le 10 juillet 1987) (comportant des barres horizontales bleues, violettes et rouges dans le dessin M POWER) en liaison avec des automobiles et leurs pièces, particulièrement des moteurs; M‑THE MOST POWERFUL LETTER IN THE WORLD (enregistrement LMC 664704, daté du 19 mai 2006) et M-THE MOST POWERFUL LETTER (enregistrement LMC 664875, daté du 24 mai 2006), en liaison avec des automobiles et leurs pièces et des services : l’organisation de courses d’automobiles et d’événements de club automobile.

 

[10]           En 2005 et 2006, BMW a déposé des demandes d’enregistrement supplémentaires pour les marques de commerce suivantes : M NIGHT (demande no 1,269,440, déposée le 22 août 2005 et modifiée le 6 février 2006) pour des services de vente de détail dans les domaines des automobiles, des motocyclettes et des pièces et accessoires connexes; pour des services de vente au détail dans les domaines des accessoires de mode, des articles « mode de vie », des articles et des vêtements de sport; organisation et tenue de fêtes et de manifestations thématiques portant sur les automobiles; M (demande no 1,271,794 déposée le 13 septembre 2005) en liaison avec des automobiles et pièces automobiles et des services de vente au détail d’automobiles; M ROADSTER et M COUPE (demandes no 1,273,588 et no 1,273,589, déposées le 27 septembre 2005) en liaison avec des automobiles et pièces d’automobiles; M SPORT PACKAGE, M EXECUTIVE PACKAGE et M PERFORMANCE EDITION (demandes no 1,274,093, no 1,274,092 et no 1,274,333 respectivement, déposées le 30 septembre 2005) en liaison avec des automobiles et pièces d’automobiles; et M6 (demande no 1,244,305 déposée le 6 avril 2006 et modifiée le 2 mai 2006) en liaison avec des automobiles et pièces d’automobiles. Toutes les demandes d’enregistrement mentionnées au présent paragraphe, y compris les demandes concernant M6 et la lettre M employée seule qui font l’objet de la présente affaire, ont été déposées par BMW après le début de la présente instance.

 

[11]           BMW emploie également la lettre M en liaison avec des pièces et accessoires d’automobiles, y compris 16 différentes « pièces M », p. ex. suspension M, sièges sport M, volant M, roues M, et des ensembles spéciaux connus sous le nom d’Ensemble Sport M, M Performance Edition et le Groupe exécutif M. Chaque ensemble comporte des pièces et des accessoires M destinés à « styliser » des voitures BMW pour qu’elles ressemblent à des voitures M ou pour qu’elles soient aussi performantes que ce type de voitures. L’emploi de la lettre M dans les marques de commerce, ainsi que pour désigner ces produits et ces ensembles, est considéré par BMW comme un symbole de la force et de la réputation de sa marque de commerce M.

 

[12]           Les diverses marques M employées par BMW AG sont connues, au sein de BMW, sous le nom de « famille des marques de commerce M ». La marque de commerce M6 et la marque constituée par un M accompagné d’un dessin sont employées au Canada depuis 1986, du moins dans la publicité, et les marques de commerce M3, M5 et M auraient été employées au Canada dès 1987.

 

[13]           La première voiture M ayant été fabriquée et vendue est le modèle M1, en 1978. Au Canada, la première voiture M dont on a fait la publicité et la vente est le modèle M6, en 1987, suivi par les modèles M3 et M5. Dans les années 1990, la société M a commencé à fabriquer des voitures M exclusives, conformément aux commandes personnalisées faites par les clients et avec les matériaux et les pièces de leur choix. Au cours des dernières années, BMW a fait connaître et a vendu toute une gamme de modèles M, mais toutes les séries n’étaient pas en vente au cours de la même année. Parmi les modèles M vendus au Canada en 2006, on trouve les modèles Coupé M3, Convertible M3, Cabriolet M3, M5, M6, Convertible M6, Roadster M et Coupé M.

 

[14]           Les voitures BMW M portent la marque M accompagnée d’un dessin (trois barres obliques de couleur suivies d’une lettre M inclinée vers l’avant (voir le dessin de la marque LMC 336985 reproduit plus haut; parfois, la marque comprend un symbole graphique de la lettre M, mais parfois ladite marque est écrite sous forme de texte « ///M ».)) La marque se trouve sur le pommeau du levier de vitesse, la partie inférieure du volant, ainsi que sur les roues, le couvercle du coffre arrière, le tableau de bord et le garde‑pieds. Les voitures M portent également le logo de BMW (un cercle contenant quatre quartiers de cercle dont les couleurs blanc et bleu s’alternent, entouré par un cercle supplémentaire contenant les lettres BMW) qui se trouve au centre de la partie frontale de la voiture, au centre de sa partie arrière et au centre du volant. Les voitures ne portent pas de marque formée par une lettre M toute seule et, bien sûr, ne portent aucune marque déposée ou revendiquée par Infiniti.

 

[15]           BMW estime qu’à la suite de ses ventes et activités de promotion, ces véhicules sont maintenant généralement connus sous le nom de « voitures M », non seulement au sein de BMW, mais aussi sur les marchés de l’automobile et, plus particulièrement, auprès des journalistes automobiles et des amateurs de voitures. Les représentants de BMW croient également, sans pourtant disposer de documents étayant leur conviction, que le succès obtenu dans la publicité, la vente et la performance des voitures et des pièces M fait augmenter les ventes des modèles courants de BMW et renforce leur réputation. Ils sont d’avis que la publicité et la vente de voitures M produisent un effet de halo ou de rayonnement qui facilite la commercialisation des modèles courants de BMW.

 

Nissan ‑ Ses voitures Infiniti et ses marques de commerce

[16]           La défenderesse Nissan Canada Inc., est constituée en société sous le régime des lois de l’Ontario. Elle se consacre également à la vente, à la distribution et à la promotion d’automobiles et d’accessoires d’automobiles au Canada. Infiniti est une division de luxe au sein de Nissan par l’intermédiaire de laquelle la défenderesse vend des voitures Infiniti, y compris les modèles M35 et M45 qui sont présentés comme étant des voitures de haute performance à prix raisonnable.

 

[17]           La défenderesse, Nissan Canada Inc. est titulaire de la licence de plusieurs marques de commerce déposées au Canada, y compris l’enregistrement n612,708 pour M45 (déposé le 15 juin 2004) et l’enregistrement no 640,144 pour M35 (déposé le 19 mai 2005). Ces deux marques ont été déposées pour être employées en liaison avec des véhicules automobiles, nommément des automobiles, des camions, des fourgonnettes, des véhicules de sport utilitaires et des pièces de structure. Ces deux marques sont employées en liaison avec deux séries de véhicules Infiniti, M35 et M45, lesquels ont une carrosserie semblable mais sont dotés de moteurs différents. Ces deux marques sont déposées sous le nom de la société mère de Nissan Canada Inc., à savoir Nissan Jidosha Kabushiki Kaisha du Japon. Au sein de Nissan Canada Inc., les voitures qui portent ces marques de commerce sont connues sous le nom de voitures Infiniti M et certains journalistes automobiles parlent de voitures M ou de voitures M Infiniti.

 

[18]           Après que la présente action eut été intentée en 2006, Nissan, la société mère, a également déposé des demandes d’enregistrement des marques de commerce M20, M37, M40, M48, M50, M55 et M56, devant être employées en liaison avec des véhicules automobiles, nommément, des automobiles, des camions, des fourgonnettes, des véhicules de sport utilitaires et des pièces de structure. Si leur enregistrement était obtenu, ces marques seraient employées avec des moteurs de tailles différentes qui seraient installés dans les futurs véhicules M d’Infiniti.

 

[19]           Depuis janvier 2005, Infiniti offre trois modèles de véhicules M au Canada : le M35, le M35X (un véhicule à traction intégrale) et le M45. Outre l’emblème correspondant à la marque de commerce, chaque véhicule M d’Infiniti porte le logo d’Infiniti au centre de la grille frontale et le nom Infiniti à l’arrière de la voiture. Les véhicules M d’Infiniti ne portent aucune marque où la lettre M est employée seule, ni aucune autre marque de commerce revendiquée par BMW.

 

[20]           En 2005 et 2006, Nissan Canada a utilisé la lettre M toute seule dans les campagnes de publicité qu’elle a effectuées sur des panneaux-réclames, dans des journaux et à la télévision pour annoncer les véhicules M d’Infiniti; parfois, on y voyait le contour d’une voiture sur une partie d’une lettre M stylisée, c’est-à-dire la partie supérieure de la lettre M, mais ce symbole n’a pas été décrit comme étant la lettre M, au cours de l’audience, mais comme étant un grand M ondoyant au‑dessous de la publicité. Dans certaines de ces publicités, on a enlevé la lettre « M » de certains mots comme « outperfor_ » (performance supérieure) et « do­_inate » (dominer). Certaines de ces publicités déclaraient « the M is coming » ( [traduction] « le M s’en vient »); des annonces ultérieures indiquaient « the M is here » ([traduction] « le M est ici »), puis « The 2006 M » et « The 2007 M » ([traduction] « la M de 2006 » et « la M de 2007 »). Toutes ces annonces‑amorces portaient le logo d’Infiniti et, en caractères plus petits, le nom Infiniti. Le symbole de la lettre M qu’Infiniti emploie toute seule dans sa publicité figure également sur les banderoles qui désignent Infiniti dans les salons de l’auto.

 

[21]           La forme de ce symbole, la lettre M, est comparable au symbole de la lettre M employée seule par BMW au cours des dernières années dans des publicités et des brochures promotionnelles, ainsi que sur des banderoles, des billets et des annonces de la « Nuit M », un évènement annuel qui a eu lieu à Montréal de 2001 à 2005 en même temps que le Grand Prix de Formule un, pour promouvoir les voitures M de BMW. Les deux constructeurs ont utilisé un M majuscule dont les jambages sont verticaux. Comme nous l’avons vu plus haut, BMW emploie également en tant qu’élément constitutif de certaines marques la lettre M accompagnée de chiffres ou de mots ou un M accompagné d’un dessin. Toutefois, dans ce dernier cas, plutôt que d’avoir un cadrage vertical, la lettre est inclinée vers l’avant ou calligraphiée.

 

[22]           Infiniti emploie également « M6 » pour désigner l’option Ensemble Sport offerte aux acheteurs de la G35 d’Infiniti, leur permettant ainsi d’améliorer le modèle courant d’Infiniti. L’ensemble M6 a été lancé quelques années après la mise en vente au Canada du modèle M6 de BMW, à un moment où les seules voitures M6 disponibles dans ce pays étaient des voitures usagées ou d’occasion. Ni M6, ni la lettre M employée seule ne font l’objet d’une demande d’enregistrement en tant que marque de commerce déposée de Nissan au Canada.

 

[23]           Les véhicules Infiniti de Nissan sont classés par ce fabricant en trois catégories : les véhicules de la catégorie G, les modèles M qui correspondent à une catégorie et à un prix moyens et les modèles de la catégorie la plus dispendieuse, soit ceux de la catégorie Q. De manière générale, les véhicules M35 et M45 ne sont pas considérés, même au sein de Nissan, comme étant aussi concurrentiels que les voitures M de BMW en ce qui a trait à la haute performance et au prix. Ils sont considérés comme des véhicules de luxe et, généralement, on les compare aux modèles courants de la Série 5 de BMW.

 

Mesures de redressement sollicitées par la demanderesse

[24]           La cause principale des inquiétudes de la demanderesse est l’emploi par Infiniti de la lettre M seule dans des brochures, banderoles et publicités, en liaison avec des automobiles. Les diverses mesures de redressement que BMW sollicite dans le cadre de la présente action excluent toutes les demandes à l’encontre de Nissan concernant l’emploi de ses marques de commerce M35 et M45 déposées au Canada. Cependant, ces mesures visent tout autre emploi de la lettre M par Nissan Canada Inc. BMW s’oppose, particulièrement, à ce que Nissan utilise la lettre M toute seule dans ses publicités, à l’emploi de M6 pour désigner l’ensemble sport créé pour la G35 d’Infiniti, ainsi qu’à tout autre emploi de la lettre M. BMW sollicite notamment un jugement déclaratoire portant que la défenderesse :

(a)                est réputée avoir violé les droits de BMW relativement aux marques de commerce déposées M3, M5 et M accompagné d’un dessin, en contravention de l’article 20 de la Loi;

(b)               a diminué la valeur de l’achalandage attaché auxdites marques de commerce déposées, en contravention de l’article 22 de la Loi;

(c)                en employant la marque de commerce M et la marque de commerce M6, porte atteinte aux droits de propriété des demanderesses sur les marques de commerce M, M3, M5, M6 et M accompagné d’un dessin, en contravention de l’alinéa 7b) de la Loi.

 

[25]           Les demanderesses sollicitent également une injonction interdisant à la défenderesse d’utiliser des marques de commerce qui pourraient avoir un effet négatif sur leurs droits en matière de marques de commerce, ainsi qu’une ordonnance lui enjoignant de remettre ou de détruire tout le matériel qui pourrait être contraire aux modalités de toute injonction accordée. Elles réclament également, à titre de dommages‑intérêts, tous les profits réalisés par la défenderesse à la suite de la contrefaçon des marques de commerce ou de la diminution de la valeur desdites marques déposées, ainsi que l’intérêt antérieur et postérieur au jugement à un taux supérieur au taux préférentiel en vigueur, le tout devant être déterminé conformément à une ordonnance de disjonction rendue avant l’instruction séparant la question des dommages‑intérêts et celle de la reddition de comptes des profits, si cela s’avère nécessaire. Finalement, les demanderesses sollicitent les dépens sur la base avocat‑client.

 

L’importance de la marque M pour BMW

[26]           Comme nous l’avons vu plus haut, la lettre M est un élément constitutif de nombreuses marques de commerce déposées ou demandées au Canada par BMW. Il s’agit d’un symbole très important pour BMW et la lettre M, employée seule, figure dans des brochures publicitaires des demanderesses, dans des films, dans des documents de l’entreprise, y compris des ouvrages qui portent sur les voitures et produits M de BMW et dans des guides des produits destinés aux concessionnaires et utilisés pour les commandes internes. La lettre M figure également sur les banderoles hissées lors de la célébration de la « Nuit M » à Montréal, comme nous l’avons mentionné plus haut, et des « Tours M » qui ont lieu dans plusieurs grandes villes canadiennes et au cours desquels les voitures M et leurs propriétaires figurent parmi les principales attractions. Par conséquent, dans la publicité de leurs voitures M, les demanderesses emploient la lettre M au Canada depuis plusieurs années. La politique de BMW prévoit que, dans le cadre des activités susmentionnées ainsi que de toute activité de publicité et de promotion, la marque de commerce générale accompagnée de son logo, c’est-à-dire le cercle de BMW, ou toute autre marque de commerce déposée, doit accompagner la lettre M et qu’une ou plusieurs autres marques doivent généralement accompagner la lettre M employée seule sur un produit ou un article BMW.

 

[27]           La lettre M n’a pas été utilisée toute seule, à titre de marque de commerce, sur aucune voiture M de BMW, mais était toujours accompagnée de marques déposées. Les M3 ou les M5, notamment, portent la marque constituée par un M accompagné d’un dessin qu’on a parfois appelé, au cours du procès, l’« emblème M ».

 

[28]           Il convient de rappeler que la lettre M employée seule n’est pas une marque de commerce déposée de BMW même si, comme je l’ai mentionné plus haut, une demande d’enregistrement a été déposée en septembre 2005. Le M et la marque de commerce M accompagnée d’un dessin, qui ont été parfois appelés, au cours du procès, « la marque de commerce M » ou la « marque M », comme nous le verrons ultérieurement, constituent le fondement des réclamations de BMW contre la défenderesse. Il est allégué que la lettre M constitue l’élément central de BMW. M. Ulrich Bruhnke, président de BMW M GmbH et responsable des voitures M dans le monde entier a dit :

[traduction] M est l’ADN de BMW. Si vous le réduisez à son élément essentiel, il reste le M qui fait référence à « Motor », moteur en allemand, et à « Man », à l’homme, à ses émotions et aux sports automobiles, et c’est le nom de notre marque. Nous ne permettrons pas que d’autres utilisent notre marque et profitent de l’énergie que nous avons mise dans cette marque et de notre succès.

 

Si vous souhaitez réussir, vous devez trouver votre propre voie et non pas copier celle des autres. Voilà pourquoi je suis ici. (Transcription, p. 539)

 

 

Joseph Lawrence, directeur du marketing pour BMW Canada Inc., a décrit la « marque M » de la manière suivante :

 

                        [traduction] La marque M est la meilleure de BMW […] elle représente les véhicules les plus performants de BMW et les plus prestigieux que nous avons sur le marché.

 

Le plus intéressant au sujet de la marque M est qu’il ne s’agit pas d’un simple nom choisi au hasard; il s’agit plutôt du patrimoine de BMW Motorsport, voilà d’où provient la marque M, de Motorsport.

 

Ces véhicules ont hérité d’une aptitude pour la course. Ils ont été mis au point pendant plus de trente ans et c’est à force d’un travail acharné que nous avons forgé notre réputation parmi les amateurs de voitures, ainsi que dans les milieux de l’automobile en général, et, je dirais même auprès de ceux qui ne sont pas amateurs de voitures, grâce à nos véhicules exceptionnels de haute performance. (Transcription, p. 878)

 

[29]           L’importance qu’on accorde chez BMW à la marque M se reflète dans le perfectionnement, la commercialisation et la promotion des voitures M et de ses pièces, ensembles et séries, ainsi que de ses accessoires et vêtements de sport, et cette importance semble largement reconnue par les journalistes automobiles et, du moins, par certains amateurs de voitures de luxe, y compris les clients ayant acheté une BMW qu’on appelle parfois les « Beemers » au Canada.

 

[30]           Jim Kenzie, un journaliste automobile de grande expérience, qu’on peut souvent lire dans les journaux et les revues et entendre à la radio et à la télévision et qui détient également un permis de coureur automobile, a présenté un rapport et a été entendu comme témoin en sa qualité de commentateur expert au sujet de l’industrie automobile au Canada et de la réputation des voitures M de BMW. Son opinion au sujet de l’excellente réputation de BMW et de ses voitures M en ce qui concerne la qualité de leur performance et la facilité de leur conduite est étayée par les commentaires d’autres journalistes automobiles canadiens dont certains articles sont annexés à son rapport. Son opinion est également confirmée par les dépositions d’autres témoins qui ont principalement parlé de leurs réactions lorsqu’ils ont vu les publicités d’Infiniti qui mettent en évidence la lettre M. Et ce point de vue n’a pas non plus été remis sérieusement en question par le témoignage de Jacques Duval, un autre journaliste automobile connu provenant du Québec et ayant témoigné en faveur de la défenderesse Nissan. M. Duval a convenu que les voitures M de BMW sont reconnues en tant que voitures de qualité de haute performance, ce qui leur a valu plusieurs prix dans l’industrie automobile, ce qui est également le cas de voitures d’autres fabricants.

 

[31]           En ce qui concerne ses opinions en général, je ne suis pas d’accord avec M. Kenzie lorsqu’il affirme, sans s’appuyer sur quelque preuve que ce soit, que [traduction] « le public canadien associe la marque de commerce M et l’emblème M [c’est-à-dire le M accompagné d’un dessin] à des voitures fabriquées par BMW ». Sans preuves à l’appui, il ne possède pas l’expertise nécessaire, en sa qualité de journaliste, pour agir comme s’il était un porte‑parole du « public canadien ». Je souligne que M. Duval est d’avis que, même si les journalistes automobiles et les amateurs de voitures associent le symbole M à BMW, cela n’est probablement pas le cas du grand public; en effet, on n’a vendu que très peu de voitures M de BMW au Canada comparativement à d’autres voitures de haute performance et, à son avis, BMW n’a pas annoncé ses voitures M et leurs pièces dans des journaux ou des médias s’adressant au grand public. Cette publicité a été plutôt faite dans des revues automobiles s’adressant à des amateurs d’automobiles et dans les brochures publicitaires de BMW qui sont destinées à des amateurs de voitures de luxe.

 

[32]           Le rapport de M. Kenzie porte sur deux autres questions qu’il convient de souligner. La première est que, jusqu’à ce que Nissan commence à annoncer ses voitures M35 et M45 en 2005, il n’y avait, à sa connaissance, aucun autre constructeur d’automobiles que BMW qui utilisait la lettre M toute seule dans ses publicités et brochures ou dans la promotion de ses véhicules. M. Duval a toutefois produit des éléments de preuve démontrant que de nombreux autres constructeurs d’automobiles utilisent la lettre M dans leurs logos (Mazda, Mercury et Maybach utilisent tous des lettres M stylisées dans le logo de leurs marques déposées). D’autres constructeurs utilisent la lettre M conjointement avec des lettres ou des chiffres pour faire référence à des catégories ou à des modèles particuliers de véhicules (par exemple Chrysler, Ferrari, Acura, Mazda et Mercedes-Benz). La lettre M est également employée avec des chiffres ou des lettres dans les accessoires de plusieurs voitures et, dans certaines de ces combinaisons, elle est un symbole indiquant que le véhicule ainsi marqué est doté d’une boîte de transmission manuelle. En bref, la lettre M est employée par de nombreux constructeurs d’automobiles pour désigner des modèles ou des véhicules équipés d’une manière particulière.

 

[33]           Je souligne également, pour compléter les divers usages décrits, que M. Pham, un témoin expert de BMW qui a déposé sur l’importance des marques dans les opérations de commercialisation, a dit que les demanderesses utilisent la « marque M » en tant que marque authentique d’un type de série, pour décrire toute la gamme de voitures M de BMW qui sont reconnues pour leur haute performance et la qualité de leur finition.

 

[34]           La deuxième question soulignée par M. Kenzie est que, après les campagnes de publicité organisées par Nissan, à partir de 2005, pour ses véhicules M35 et M45, plusieurs journalistes automobiles, dont lui‑même, ont commencé à désigner les deux véhicules d’Infiniti en utilisant l’appellation « voitures M », comme ils l’avaient fait pendant un certain temps pour les voitures M de BMW. J’estime que l’appellation qu’utilisent les journalistes pour désigner ces voitures n’est pas importante sur le plan juridique en ce qui concerne les revendications des parties en matière de marques de commerce en l’espèce.

 

[35]           J’ai examiné les dépositions de certains témoins pouvant être qualifiés comme étant des amateurs de BMW et de voitures de luxe pour analyser la confusion alléguée par BMW. Il suffit de souligner que ces témoins, MM. Tennyson, Tam, Lee, Degobbi et Sawhney, sont tous de grands admirateurs des voitures M de BMW, que quatre d’entre eux sont propriétaires de ce genre de voitures et qu’ils ont déclaré associer la lettre M aux automobiles produites par un seul constructeur : BMW.

 

[36]           Avant d’analyser ces témoignages et ceux de deux témoins experts cités par BMW, il convient d’examiner la manière dont BMW emploie les marques de commerce faisant l’objet du litige. Les marques de commerce déposées au Canada M3, M5 et M accompagné d’un dessin sont employées pour la catégorie des véhicules M3 et M5, et le M accompagné d’un dessin est également employé sur tous les autres véhicules M et, vraisemblablement, sur des pièces, des accessoires et des vêtements M. On les emploie également, au besoin, dans la publicité et la promotion des voitures, pièces et accessoires M. La marque de commerce dans laquelle la lettre M est employée seule ne figure au Canada que dans un nombre limité de publicités de voitures M de BMW, de revues, de brochures, de banderoles publicitaires et à la télévision, puis, parfois, dans des ouvrages, sur des billets ou autres articles et elle est généralement accompagnée par une autre marque de commerce de BMW, c’est-à-dire le cercle BMW ou une autre de ses marques de commerce.

 

[37]           La lettre M est certainement employée dans un grand nombre de marques de commerce de BMW, déposées ou faisant l’objet d’une demande d’enregistrement, accompagnée de chiffres, de lettres ou de mots. Cependant, l’emploi répandu de cette lettre n’équivaut pas, à mon avis, à l’emploi de la lettre M toute seule à titre de marque de commerce, même si, à cause de l’emploi répandu de la lettre M, les cadres de BMW n’hésitent pas à parler de la famille de marques M de l’entreprise ou de sa « marque M ». La marque ainsi décrite ne constitue pas, dans ce cas, une marque de commerce. À moins qu’on ne réussisse à me convaincre du contraire, l’emploi de la lettre M dans d’autres marques de commerce, qu’elles soient déposées, comme M3 et M5, ou non, comme M6, M‑the Most Powerful Letter, n’équivaut pas à l’emploi de la lettre M seule à titre de marque de commerce. Après avoir examiné les dépositions des témoins experts, j’analyserai séparément la question de savoir si on peut considérer que l’inclusion de la lettre M en tant qu’élément constitutif de la marque M accompagné d’un dessin, laquelle est une marque déposée très connue, équivaut à l’emploi de la lettre M seule, ainsi que l’allègue BMW.

 

Les témoins experts

[38]           Les demanderesses ont fait comparaître M. George Mantis, directeur de Mantis Group, une entreprise de consultants et de recherche en marketing de Chicago, pour témoigner au sujet d’un sondage qu’il avait effectué et pour lequel il avait préparé un rapport écrit. Cette étude, intitulée « Assessing Whether the « M and Design Mark » in Association with Automobiles has Achieved a Reputation in Canada », a été versée au dossier de la Cour et rend compte des résultats d’un sondage effectué à la demande des avocats de BMW.

 

[39]           Le groupe des répondants au sondage était formé de 29 personnes choisies après une sélection préliminaire dans trois centres commerciaux et de 92 personnes choisies après un processus de sélection préliminaire au téléphone et dont le nom figurait dans une banque de données de répondants éventuels partout au Canada, mise sur pied et tenue à jour par une entreprise de sondages établie au Canada. Les personnes interrogées résidaient dans quatre grands centres urbains : Montréal, Toronto, Calgary et Vancouver. Voici quelques‑unes des principales caractéristiques de ce segment de la population choisi à la suite d’un processus de sélection préliminaire : les répondants étaient âgés de 40 ans ou plus; au cours des 24 derniers mois, ils avaient acheté ou loué (ou quelqu’un habitant dans la même maison familiale avait acheté ou loué) une voiture dont le prix s’élevait à 65 000 $ ou plus, et/ou ils (ou quelqu’un habitant dans la même maison familiale) comptaient le faire au cours des 12 prochains mois; ils avaient participé ou participeraient au choix de la marque de la voiture ayant déjà été achetée ou louée ou qui serait achetée ou louée. Les répondants ont été interrogés sur les impressions et les souvenirs qu’évoquaient le M accompagné d’un dessin de BMW, puis un dessin‑marque fictif appelé Y.

 

[40]           M. Mantis a dit du sondage qu’il s’agissait d’une étude qui n’était pas fondée sur des probabilités, mais était conçue pour représenter la population pertinente, c’est‑à‑dire le segment des personnes intéressées à acheter une voiture de luxe, y compris une voiture M de BMW. La population a été définie, aux fins de l’étude, à l’aide de questionnaires de dépistage concernant les caractéristiques des répondants éventuels. M. Mantis, en consultation avec les avocats de BMW, s’est appuyé sur la grande expérience qu’il a acquise en matière de sondages depuis presque 40 ans de métier pour établir ces caractéristiques. M. Mantis a notamment effectué des sondages pour des procédures judiciaires. La décision de recruter des répondants à l’aide de deux méthodes, c’est‑à‑dire la sélection préliminaire de clients de centres commerciaux choisis au hasard et la sélection téléphonique de personnes dont le nom figurait dans une base de données d’enquête, a été prise avant le début du sondage parce que l’on craignait, comme cela s’était produit dans le passé, qu’une sélection au hasard de clients dans des centres commerciaux ne fournisse qu’un nombre trop limité de répondants.

 

[41]           M. Kenneth Deal, directeur du département de stratégies du marché et d’administration des services de santé (Strategic Market Leadership and Health Services Management) de la De Groote School of Business de l’université McMaster et président de Market POWER Research Inc. a comparu en qualité de témoin expert pour la défenderesse Nissan. Son rapport, dans lequel il exprime son avis sur les revendications de BMW, était accompagné d’un affidavit et de son témoignage où il exposait son opinion sur le sondage effectué par M. Mantis. Il a constaté de nombreuses erreurs de méthodologie, y compris la définition et la justification de la classe universelle des répondants sélectionnés, ainsi que la combinaison de données obtenues grâce à deux méthodes d’échantillonnage différentes, le nombre limité de participants et les processus de validation appliqués dans le cadre de ce sondage. Il a estimé que les conclusions dudit sondage n’étaient pas fondées. À mon avis, une partie des critiques de M. Deal ne sont pas très convaincantes parce qu’elles ne tiennent pas compte de tous les aspects de la méthodologie employée, puisqu’il n’était pas présent lors de la déposition de M. Mantis, ni lors de son contre‑interrogatoire, au cours desquels ce dernier a traité de certaines questions soulevées par M. Deal.

 

[42]           J’estime qu’il n’est pas nécessaire en l’espèce de déterminer s’il faut faire entièrement abstraction des opinions de M. Mantis, comme l’a demandé M. Deal. Il est vrai que le nombre de répondants était limité et n’était pas représentatif de l’ensemble de la population canadienne, ni même de la population des grandes villes où le sondage a été effectué. Cependant, l’objectif du sondage de Mantis (pièce p. 1) était :

[traduction] [...] de déterminer si la marque constituée d’un « M accompagné d’un dessin » employée en liaison avec des automobiles a acquis une certaine réputation au Canada et si elle a pour effet de désigner la source du produit. Plus particulièrement, cette étude a été conçue pour évaluer si, et jusqu’à quel point, les consommateurs visés associent la marque constituée d’un « M accompagné d’un dessin » aux automobiles fabriquées ou mises en vente par une seule compagnie, BMW en l’occurrence.

 

 

[43]           M. Mantis a notamment conclu que 62 personnes, soit 51,2 p. cent des 121 participants au sondage, ont associé la marque constituée d’un M accompagné d’un dessin aux automobiles fabriquées ou mises en vente par un constructeur et que, parmi ces 62 personnes, 42 personnes, soit 67,7 p. cent d’entre elles (ou 34,7 p. cent du nombre total de 121 répondants), ont associé cette marque à une seule source de produits, à savoir BMW.

 

[44]           S’appuyant sur ces conclusions, son expérience et sa formation, le premier avis de M. Mantis est le suivant :

[traduction] La marque constituée d’un « M accompagné d’un dessin » a acquis une certaine réputation au Canada et elle représente la source du produit. Un nombre appréciable de consommateurs visés associent cette marque aux automobiles fabriquées par une seule compagnie, BMW en l’occurrence.

 

 

Les critiques les plus sérieuses concernant les caractéristiques des répondants au sondage effectué par M. Mantis se limitaient principalement à l’omission de ce dernier d’expliquer dans son rapport les bases sur lesquelles il s’était fondé pour choisir leurs caractéristiques et à l’exclusion effective des acheteurs éventuels de la M35 d’Infiniti du groupe de répondants en raison du prix minimal de 65 000 $ des voitures qu’ils pouvaient choisir. Je reconnais que les caractéristiques permettaient raisonnablement d’identifier les acheteurs nouveaux ou éventuels de voitures de luxe dispendieuses au prix de base des voitures M de BMW. Je reconnais que le sondage démontre effectivement que, dans le groupe sélectionné, un nombre élevé, c’est‑à‑dire un tiers des répondants, a associé la marque constituée d’un M accompagné d’un dessin aux automobiles fabriquées par BMW. Ce nombre était considérablement plus élevé que pour toutes les autres sources nommées.

 

[45]           Je n’admets pas, cependant, le deuxième avis que M. Mantis a formulé dans la conclusion de son rapport et développé au cours de son témoignage (transcription, p. 785), à savoir que, lorsqu’il faisait référence à la « marque M », il voulait dire la lettre M employée seule. Son deuxième avis est le suivant :

[traduction] D’après mon analyse des réponses textuelles, j’estime également que la marque M représente la source du produit. Un nombre élevé de consommateurs visés ont indiqué explicitement que la lettre M ou la série M était la raison pour laquelle ils associaient la marque composée d’un « M accompagné d’un dessin » à BMW.

 

 

[46]           Ce dernier avis ne correspond pas aux objectifs de l’étude de M. Mantis. Dans son sondage, aucune question n’a été posée aux répondants au sujet d’une « marque M ». Le nombre de répondants qui ont mentionné que le « M » ou la « série M » était la raison pour laquelle ils avaient associé la marque constituée d’un M accompagné d’un dessin à BMW, soit 28 répondants sur 121, ne constitue pas à mon avis un nombre élevé. Il s’agit de moins du quart des répondants et seulement 9 des 28 répondants ont déclaré que la raison pour laquelle ils avaient associé la marque constituée d’un M accompagné d’un dessin à BMW était l’emploi de « série M » plutôt que la lettre « M » employée seule. Le nombre de répondants qui ont précisé qu’ils s’étaient fondés sur la lettre « M » employée seule pour reconnaître BMW constitue moins d’une douzaine, soit environ 10 p. cent du nombre total de répondants. De plus, comme l’a indiqué M. Alain d’Astous qui a témoigné pour la défenderesse, les répondants ayant identifié la lettre M, comme tous les autres répondants, ne l’ont fait qu’après qu’on leur eut posé deux questions que le témoin a qualifiées de suggestives, puisqu’elles faisaient référence à la lettre qui figure dans la marque constituée d’un M accompagné d’un dessin montrée aux répondants pour capter leur attention. En résumé, s’il est vrai que certains des répondants ont indiqué que la lettre « M » les avait amenés à associer la marque constituée d’un M accompagné d’un dessin à BMW, je ne suis pas convaincu que leur nombre est élevé.

 

[47]           Les demanderesses ont fait comparaître un deuxième spécialiste à titre de témoin expert; il s’agit de M. Michel Tuan Pham, professeur de marketing à l’Université Columbia, où il est directeur du corps professoral, au programme de gestion stratégique du marketing (Strategic Marketing Management Program) de l’université. Il se spécialise dans le domaine du comportement et de la psychologie des consommateurs, et il s’y connaît bien en matière d’emploi de marques dans le domaine du marketing. On lui a demandé de préparer un rapport, qu’il a présenté par écrit, sur diverses questions concernant l’emploi par Nissan de la lettre M seule pour la commercialisation de ses voitures M35 et M45 Infiniti. Je reviendrai plus loin sur l’avis qu’il a exprimé sur deux de ces questions, c’est‑à‑dire le risque de confusion et le risque de diminution de l’achalandage attaché à la marque M de BMW et à la marque BMW en général, lors de l’examen de ces deux motifs invoqués pour obtenir réparation en l’espèce.

 

[48]           Il a été brièvement fait référence à M. Alain d’Astous, un universitaire canadien de grande expérience dans le domaine de la gestion des entreprises et spécialiste en marketing. M. d’Astous est directeur adjoint, corps professoral et planification stratégique, à l’École des Hautes Études Commerciales de Montréal. À titre de témoin expert cité par la défenderesse pour réfuter le rapport et le témoignage de M. Pham. M. d’Astous a critiqué les avis exprimés par M. Pham, ainsi que les méthodes sur lesquelles ceux-ci s’appuyaient. Il a critiqué particulièrement l’absence de preuve empirique étayant les conclusions tirées par M. Pham au sujet de l’importance de la lettre M dans la marque constituée d’un M accompagné d’un dessin, et corroborant l’assimilation de cette lettre à BMW par les journalistes et les consommateurs éventuels intéressés aux voitures M de BMW. L’absence d’une telle preuve empirique constituait, à son avis, une grave lacune ne permettant pas d’accepter les hypothèses faites par M. Pham au sujet des réseaux de mémoire associative des consommateurs à l’égard de l’emploi du M dans les publicités d’Infiniti et à l’égard du M qui fait partie et du M et du dessin‑marque de BMW .

 

[49]           M. d’Astous a indiqué qu’il fallait se garder d’accepter l’avis de M. Pham selon lequel c’est la lettre M que les consommateurs identifient et dont ils se souviennent lorsqu’ils examinent la marque constituée d’un M accompagné d’un dessin. De plus, il estime que l’hypothèse sous‑jacente au témoignage de M. Pham, selon lequel il existe un concept général du M dans la mémoire des consommateurs ou que le M d’Infiniti est associé au M de BMW, est conjecturale et ne se fonde pas sur une preuve empirique. Selon M. d’Astous, le seul élément de preuve mentionné par M. Pham, c’est‑à‑dire le sondage de M. Mantis, est peu solide en raison du petit nombre de répondants qui ont mentionné que la lettre M employée seule était la raison pour laquelle ils associaient le M accompagné d’un dessin à BMW.

 

[50]           Un élément clé du rapport de M. Pham se rapporte à sa conclusion que [traduction] « Dans la marque de commerce ///M, c’est la lettre M que le consommateur associe principalement à la marque de commerce » et que [traduction] « la marque M de BMW est une marque authentique du type de celles ayant acquis une réputation considérable sur le marché ». Dans sa dernière conclusion, il n’est pas clair si, lorsqu’il mentionne la « marque M », il fait référence à la lettre M ou à la marque de commerce constituée d’un M accompagné d’un dessin puisqu’il affirme expressément qu’il les appelle toutes les deux la « marque M » étant donné qu’à son avis, elles sont interchangeables. M. Pham énonce quatre éléments pour étayer sa conclusion concernant le caractère de la marque, mais ces éléments ne sont que des hypothèses pour lesquelles il ne produit aucune preuve à l’appui et, d’après M. d’Astous, certaines d’entre elles relèvent de la pure conjecture et ne sont pas étayées par la preuve.

 

[51]           Le témoignage de M. Pham s’est avéré utile pour comprendre, de manière générale, l’importance des marques, la fonction que jouent les marques de BMW, la manière dont les consommateurs mémorisent les marques, ainsi que l’organisation de la mémoire qui peut être décrite comme étant un réseau d’associations. Tous ces éléments peuvent avoir une certaine importance dans la commercialisation de marchandises. Cependant, les arguments de M. d’Astous m’ont convaincu que les motifs sur lesquels reposent les conclusions de M. Pham qui ont une importance particulière dans le cadre de la présente demande, celles qui concernent la marque constituée de la lettre M employée seule revendiquée par BMW et son emploi dans la marque constituée d’un M accompagné d’un dessin, ne sont pas suffisants pour entraîner des conséquences légales.

 

[52]           Il est important à mon avis que M. Mantis et M. Pham aient tous les deux conclu, sans faire référence à des éléments de preuve convaincants, que les répondants au sondage de M. Mantis à qui l’on a montré la marque constituée d’un M accompagné d’un dessin constituent un [traduction] « nombre appréciable » (expression de M. Mantis) ou un groupe représentatif [traduction] « des consommateurs qui connaissent cette marque de commerce » (expression de M. Pham) et qui considèrent ladite marque (c’est‑à‑dire la marque constituée d’un M accompagné d’un dessin) comme étant la marque « M » et lui attribuent ce nom. Cette référence est considérée comme synonyme de l’emploi de la lettre M seule. À mon avis, leur existence n’ayant pas été établie à l’aide d’une preuve empirique, les nœuds de mémoire associative des consommateurs ne sauraient constituer le fondement des conséquences juridiques découlant de l’emploi de marques de commerce.

 

[53]           Dès le début de son rapport (au paragraphe 11), M. Pham dit croire que les consommateurs qui connaissent la marque de commerce ///M (le M accompagné d’un dessin) associent le M, plutôt que l’aspect graphique de la marque, à la marque en question. Il invoque quatre motifs justifiant cette croyance. Le premier d’entre eux, qui est une comparaison de l’espace occupé par la lettre M et de celui occupé par l’autre élément du dessin, est directement contredit par M. d’Astous qui affirme au sujet de deux autres de ces motifs qu’en l’absence d’une preuve empirique, il ne s’agit que d’hypothèses. M. Pham conclut également que [traduction] « la marque de commerce ///M est interchangeable avec la marque de commerce M, car toutes les deux représentent la marque M et, dans le reste de mon rapport, j’utiliserai les mots la marque M pour faire référence aux deux » (au paragraphe 13).

 

[54]           Cette référence collective attribuée à plus d’une marque de commerce est peut‑être utile dans l’examen des ententes de commercialisation de BMW et des marques employées pour identifier ses produits. Mais, comme je l’ai souligné plus haut, la « marque M » identifiée par M. Pham n’est pas en soi une marque de commerce. Son rapport, qui porte sur les deux principales marques de commerce qui font l’objet du présent litige, laisse subsister certains doutes quant à savoir laquelle de ces marques est visée par plusieurs des éléments qu’il a énoncés.

 

[55]           Cela m’amène à une question sous‑jacente au présent litige. BMW s’appuie, du moins en partie, dans ses revendications sur les conclusions de M. Mantis et de M. Pham au sujet de l’importance de la lettre M dans la marque constituée d’un M accompagné d’un dessin pour déclencher une association de ladite marque avec BMW et les voitures de sa fabrication. Dans ses observations préliminaires à l’audience, l’avocat de BMW a fait référence à l’emploi par sa cliente de la lettre M dans sa publicité, puis a dit :

[traduction] Nous soutenons également que, lorsque BMW utilise la marque constituée d’un M accompagné d’un dessin, elle utilise la marque de commerce M. (Transcription, p. 6).

 

 

[56]           Cet argument est développé dans le mémoire supplémentaire des demanderesses et s’appuie sur le témoignage de M. Pham et sur le réseau d’associations auquel M. Pham fait référence et qui se forme au sujet de la marque M dans l’esprit des consommateurs qui voient la marque constituée d’un M accompagné d’un dessin. La lettre M serait très facile à reconnaître d’après sa forme familière et, lorsque des consommateurs voient la marque constituée d’un M accompagnée d’un dessin, la lettre M serait alors enregistrée dans leur mémoire. Il y aurait alors entre la marque M, c’est‑à‑dire dans la mémoire des consommateurs, et la marque constituée d’un M accompagné d’un dessin un avis de liaison satisfaisant aux exigences de l’article 4 de la Loi en ce qui a trait à l’emploi d’une marque de commerce. Je ne suis pas convaincu qu’il en est ainsi. L’article 4 concerne l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec des marchandises : si, lors du transfert de la propriété ou de la possession des marchandises, la marque de commerce est apposée sur les marchandises ou sur les colis dans lesquelles elles se trouvent ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises, un avis de liaison est alors donné à la personne qui acquiert ou prend possession des marchandises. Même si l’emploi du M accompagné d’un dessin sur les voitures M de BMW constitue un emploi de cette marque, je ne suis pas convaincu que l’utilisation du M accompagné d’un dessin constitue simultanément un emploi de la marque M.

 

[57]           Les demanderesses invoquent les décisions Alibi Roadhouse Inc. c. Grandma Lee’s International Holdings Ltd. (1997) 76 C.P.R. (3d) 327 (C.F. 1re inst.), et Beirsdorf AG c. Becton, Dickinson & Co. (1992), 44 C.P.R. (3d) (C.O.M.C.)), à l’appui de leurs arguments. Je suis d’avis qu’aucune de ces décisions n’appuie le principe que les demanderesses cherchent à faire valoir, à savoir que l’emploi de la marque de commerce A constitue un emploi simultané de la marque de commerce B, simplement parce que la marque B constitue un élément de la marque A, même si elle y est bien en évidence. Dans la décision Alibi, précitée, l’agent d’audition a rejeté une demande de radiation d’une marque de commerce parce qu’il avait conclu que la marque de commerce déposée, utilisée conjointement avec d’autres éléments parmi lesquels ladite marque de commerce occupait per se une place prépondérante par rapport à l’ensemble de tous les autres éléments, était employée à titre de marque de commerce conformément à l’article 4 de la Loi. Dans Briersdorf, une demande de radiation d’une marque de commerce utilisée en liaison avec des marchandises décrites de manière générale a été rejetée lorsque le propriétaire de la marque de commerce a établi l’emploi de ladite marque en liaison avec quelques marchandises appartenant à chaque catégorie générale comprise dans la description de la marque de commerce. À mon avis, aucune des décisions invoquées n’appuie la position des demanderesses.

 

[58]           Je ne suis pas convaincu que, dans les circonstances de l’espèce, l’emploi de la marque constituée d’un M accompagné d’un dessin sur les voitures M de BMW ou dans le cadre de publicités ou de promotions y associés, quelles que soient les idées qui viennent à l’esprit des consommateurs lorsqu’ils voient ladite marque, constitue, de la part de BMW, un emploi simultané de la marque M employée seule.

 

[59]           J’estime que l’emploi du dessin‑marque, une marque de commerce déposée, aussi fréquent soit‑il, ne peut pas être considéré, en droit, comme un emploi de la marque M, une marque non déposée revendiquée par BMW. De même, l’emploi de la lettre M dans d’autres marques de commerce de BMW, dans des combinaisons alphanumériques comme M3, M5 ou en conjonction avec des mots comme Roadster M, ne peut pas non plus être considéré comme un emploi de la marque constituée par la lettre M employée seule dans le cadre de l’examen des revendications des demanderesses.

 

[60]           Je vais maintenant examiner une autre conclusion de M. Pham, c’est‑à‑dire que [traduction] « la campagne de commercialisation lancée récemment par Nissan pour ses modèles M35 etM45 et laquelle s’articule autour de la lettre « M », constitue un emploi de cette lettre comme s’il s’agissait d’une marque de commerce appartenant à Nissan » (voir le rapport de M. Pham, pièce P‑24, aux alinéas 2d) et 158d)). Cette conclusion pourrait être acceptable, du moins dans certains cas où Nissan emploie la lettre M toute seule dans ses publicités, bien que les motifs invoqués pour justifier cette conclusion (paragraphe 111 du même rapport) ne sont pas tout à fait convaincants. Cette conclusion ne peut pas se fonder uniquement sur la possibilité qu’il y ait association entre la lettre M et les voitures M35 et M45 d’Infiniti dans l’esprit d’acheteurs éventuels, la première fois qu’ils voient les annonces où la lettre M employée seule occupe une place proéminente. De plus, l’emploi par la défenderesse de « M6 » pour identifier son ensemble sport de voitures G35 ne signifie pas obligatoirement que Nissan avait l’intention d’utiliser la lettre M en tant que marque de commerce plutôt qu’à titre de désignation d’un ensemble conçu pour une transmission manuelle à six vitesses.

 

[61]           Pourtant, tout observateur bien informé pourrait conclure que Nissan emploie la lettre M seule comme s’il s’agissait d’une marque de commerce, si l’on tient compte du fait que la taille de la police de caractères de la lettre M est plus grande que celle du mot Infiniti ou du logo d’Infiniti, dans les mêmes tableaux-réclames, journaux, publicités à la télévision, affiches, brochures et sur la barre d’outils du site Web d’Infiniti. L’observateur raisonnablement bien informé, au courant des efforts faits pour décrire les voitures d’Infiniti en utilisant la lettre M, en faisant collectivement référence, par exemple, aux modèles M35 et M45 sous le nom de « M » ou de « M d’Infiniti », ainsi que dans la promotion des nouveaux modèles « M 2006 » ou « M 2007 », conclurait que Nissan utilisait la lettre M en tant que marque de commerce d’Infiniti.

 

[62]           Mêmes si des éléments de preuve indiquaient que les voitures Infiniti ne sont pas appelées « voitures M » au sein de Nissan, M. Ian Forsyth, directeur de la planification des produits et de la société pour Nissan Canada et ancien directeur du marketing jusqu’en avril 2006, a répondu de la manière suivante aux questions qu’on lui a posées lors de son contre‑interrogatoire (transcription, vol. 7, p. 1616.) :

[traduction]

Q.    Lorsque vous avez dit de vos voitures M35 et M45 qu’il s’agissait de voitures M, vous souhaitez que vos clients les appellent des voitures M, n’est‑ce pas?

 

R.    Ce serait bien s’ils le faisaient, oui.

 

Q.    C’est là votre véritable intention, n’est‑ce pas?

 

R.    Il s’agit d’une série de voitures identifiées par la lettre de l’alphabet M, alors cela ne nous dérangerait pas. Les journalistes le font. Nous ne voyons pas pourquoi les consommateurs ne le feraient pas.

 

Q.    Mais ce sont les consommateurs qui achètent des voitures, est‑ce exact?

 

R.    Exact.

 

 

[63]           La défenderesse a effectivement utilisé la lettre M et l’expression « voitures M » pour décrire ses modèles M35 et M45. Cet emploi de la lettre M en liaison avec les voitures Infiniti a été fait à titre de marque de commerce permettant d’identifier et de distinguer ses produits de ceux d’autres constructeurs. Il est allégué que l’association entre Infiniti et la lettre M a causé de la confusion, non pas au sujet des produits des parties, mais au sujet de la source des voitures Infiniti et de la source des voitures M de BMW, en vertu de l’article 20 de la Loi. L’association découlant de l’emploi de la lettre M par Nissan aurait aussi entraîné la diminution de la valeur de l’achalandage attaché aux marques déposées de BMW, en vertu de l’article 22.

 

[64]           Avant d’examiner ces allégations des demanderesses, ainsi que leur allégation selon laquelle Nissan a fait passer la source de ses produits pour celle des produits BMW, en violation de l’alinéa 7b) de la Loi, je vais analyser la preuve concernant la confusion qui découle de l’emploi par Nissan de la lettre M et de la désignation M6 à titre de marques de commerce. Pour deux de ces allégations, il est essentiel d’établir l’existence d’un risque de confusion découlant de l’emploi de ces marques par la défenderesse.

 

[65]           Dans deux arrêts récents, Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, 2006 CSC 22, [2006] A.C.S. no 23 (QL), et Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée et al., [2006] 1 R.C.S. 824, 2006 CSC 23, [2006] A.C.S. no 22 (QL), la Cour suprême du Canada a examiné la procédure appropriée pour déterminer toutes les circonstances de l’espèce dont il faut tenir compte pour décider si une marque de commerce, employée par un tiers sans l’autorisation du propriétaire d’une marque de commerce déposée, crée de la confusion avec la marque de commerce du propriétaire inscrit. Selon le paragraphe 6(2) de la Loi, il y a confusion entre des marques de commerce lorsque, compte tenu de toutes les circonstances, il est possible de conclure que les marchandises ou les services liés à la marque de commerce en question sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale (voir le paragraphe 6(2) de la Loi et Mattel Inc., précité, au paragraphe 51).

 

[66]           En ce qui concerne l’allégation de violation en vertu du paragraphe 20(1), les demanderesses souhaitent démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’emploi par la défenderesse de la lettre M et de la désignation M6 crée de la confusion avec les marques de commerce M3, M5 et M accompagné d’un dessin de BMW. Le critère de la confusion est généralement décrit comme la première impression d’un consommateur raisonnable tenant compte de toutes les circonstances. Ces circonstances sont celles qui sont énumérées au paragraphe 6(5) de la Loi mais elles ne s’y limitent pas : le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; le genre de marchandises, services ou entreprises; la nature du commerce; le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent.

 

[67]           L’allégation de violation des droits des demanderesses ne porte que sur trois de leurs marques déposées : M3, M5 et M accompagné d’un dessin. Les demanderesses font valoir que l’emploi de la lettre M toute seule pour la publicité des voitures Infiniti, ainsi que la promotion et la vente de l’ensemble M6, est un emploi des marques de commerce qui créent de la confusion et qu’il est possible que les acheteurs éventuels de voitures M ou de pièces d’Infiniti considèrent que ces produits proviennent de la même source que les produits M3, M5 et M accompagné d’un dessin de BMW.

 

[68]           Parmi les circonstances importantes dont il faut tenir compte en l’espèce, outre les circonstances énumérées au paragraphe 6(5) de la Loi, il y a : les témoignages des « simples témoins » qu’a fait comparaître BMW pour décrire leurs impressions et leurs réactions lorsqu’ils ont vu les publicités de Nissan où la lettre M était en évidence et les dépositions des témoins experts sur le risque de confusion. Parmi les autres circonstances pertinentes, notons l’importance et la nature du processus d’achat d’une voiture dispendieuse, ainsi que le milieu particulier des consommateurs qui constituent la clientèle pour les véhicules vendus par les deux parties. Je traiterai de ces deux dernières circonstances en tant qu’éléments de la nature du commerce de voitures dispendieuses, de luxe et de haute performance.

 

Déclarations des témoins ordinaires et des témoins experts au sujet de la confusion

[69]           Les demanderesses ont fait comparaître cinq personnes pour témoigner sur leurs impressions et leurs réactions la première fois qu’ils ont vu une publicité de Nissan mettant en évidence la lettre M. Elles ont également fait comparaître un détective privé qui a témoigné au sujet de ce qui s’est produit chez quatre concessionnaires de Nissan chez lesquels il s’est présenté.

 

[70]           M. Paul Tennyson provient d’une famille qui, au fil des ans, a été propriétaire de nombreuses voitures BMW. Il a lui‑même été propriétaire d’environ huit voitures de cette marque, y compris deux M5. Pour lui, BMW est un synonyme de performance suprême, de qualité et de prestige en matière d’automobiles et le M de l’entreprise porte ces qualités à leur plus haut degré. C’est en 2005 qu’il a vu pour la première fois une publicité de Nissan affichant un grand M sur un panneau-réclame situé le long de la rue Bloor, à Toronto, et sur lequel sa femme a attiré son attention. Il a d’abord pensé qu’il s’agissait d’une publicité de BMW pour le nouveau modèle M5 qui, croyait‑il, serait bientôt lancé sur le marché. Lorsqu’il a regardé plus attentivement l’affiche et comme il l’a constaté plus tard en regardant des publicités d’Infiniti dans des revues, il s’est rendu compte que le symbole M était utilisé par Nissan. Pour lui, la marque M, qu’il croyait être synonyme de BMW et appartenir exclusivement à celle‑ci, a perdu beaucoup de prestige à cause de l’emploi du M pour promouvoir Infiniti dans les publicités qu’il a vues.

 

[71]           Le deuxième témoin, M. Norman Tam, de Vancouver, est un admirateur des voitures BMW et, plus particulièrement, des voitures M dont il souhaite pouvoir acheter un modèle un jour. C’est en juillet 2006 qu’il a vu, pour la première fois, une publicité d’Infiniti à la télévision où la lettre M était mise en évidence et où une voix hors champ décrivait les phares adaptatifs, la haute performance du véhicule et les caractéristiques de la carrosserie. Au début, il a pensé qu’il s’agissait d’une publicité de la nouvelle série M de BMW qui, croyait-il, serait lancée au cours de l’année mais, à la fin de l’annonce, la voix hors champ a indiqué qu’il s’agissait de la nouvelle série M d’Infiniti. Il s’est senti confus parce qu’il avait toujours associé le M à BMW. Il a d’abord pensé que BMW avait acheté Infiniti. Lorsqu’il a découvert que ce n’était pas le cas, il a été déçu par l’emploi de la lettre M par Infiniti. En contre‑interrogatoire, il a admis ne pas avoir regardé attentivement la publicité à la télévision et ne pas savoir que Nissan vend son modèle M45 depuis plus de quatre ans. Sa première impression, lorsqu’il a vu la publicité, était qu’il s’agissait d’une publicité de BMW.

 

[72]           M. Joseph Lee, de Calgary, est propriétaire de voitures BMW depuis 1986, dont une M3. La lettre M est symbole pour lui des voitures BMW de très haute performance. Il aime la construction mécanique, la performance, la tenue de route et le style de ces voitures. Il se demande tout le temps avec ses amis lequel d’entre eux sera le prochain à acheter une voiture M de BMW. La première fois que M. Lee a vu une publicité mettant en évidence la lettre M, qui s’est avérée être une publicité d’Infiniti, c’était sur le canal Golf à la télévision. Il a été étonné d’apprendre, à la fin de la publicité, qu’il s’agissait d’une publicité d’Infiniti. Il avait toujours pensé que BMW avait un droit exclusif d’utiliser la lettre M, en tant que brevet ou nom de marque.

 

[73]           M. Kitty Sawhney, de Montréal, est un amateur de voitures et il est actuellement propriétaire d’une M5, sa cinquième voiture BMW depuis 1997. Il est un admirateur des voitures BMW depuis son adolescence. Il a participé aux Nuits M à Montréal et, en 2005, une M5 qui y était exposée lui a tellement plu qu’il en a commandé une qui devait lui être livrée plus tard. Il estime que sa M5 est une voiture très spéciale, prestigieuse, capable de haute performance et ayant une bonne tenue de route. Il ne se souvient pas exactement de la première fois où il vu une publicité de Nissan mettant en évidence la lettre M, mais il se rappelle avoir vu des publicités vers la fin de juillet ou le début d’août 2006. Il a vu d’abord des publicités à la télévision qui mentionnaient les phares adaptatifs et montraient le plan latéral d’une voiture ressemblant à une BMW et mettant en évidence la lettre M. Lorsqu’il a appris, à la fin de la publicité, que les références à ladite lettre concernaient une voiture Infiniti, il a été vraiment surpris. Il n’avait jamais entendu parler d’une voiture M qui ne soit pas une BMW. Il avait présumé que BMW était la seule à avoir des voitures M et jusqu’à la fin de la publicité à la télévision, il pensait qu’il s’agissait d’une annonce de BMW.

 

[74]           Le dernier témoin ordinaire, Joseph De Gobbi, est propriétaire à Granby, depuis près de 20 ans, d’une concession d’automobiles où il vend des automobiles d’une autre marque que celles des parties, et il fait des affaires dans le secteur automobile depuis 33 ans. Il est propriétaire d’une M Coupé 2006, sa deuxième voiture BMW. Il a participé à un programme de formation pour conducteurs offert par BMW à Toronto en 2004 et il a assisté aux Nuits M à Montréal. Son fils travaille pour BMW Canada Inc. Pour M. De Gobbi, être propriétaire d’une voiture M est une question de prestige, bien qu’il ait reconnu que seuls les amateurs de voitures sont capables de reconnaître les voitures M. Même s’il s’y connaît bien en général en matière d’automobiles, il n’était pas au courant des modèles M35 et M45 d’Infiniti jusqu’en juillet 2006, lorsqu’il a vu une publicité d’Infiniti dans un journal de Montréal. En voyant le M, il a d’abord pensé qu’il s’agissait d’une publicité BMW parce qu’il associe la lettre M aux séries de voitures 3, 5 et 6 de BMW. Pour lui, le M est un symbole de pouvoir, de performance et de prestige. Il a été dans une certaine mesure contrarié en constatant l’emploi que fait Infiniti de la lettre M qu’il a toujours associée à BMW. Dans son esprit, la lettre M ne désignait plus uniquement des voitures spéciales, mais il a reconnu que son appréciation de sa propre voiture M Coupé est demeurée ce qu’elle était avant qu’il voie la publicité d’Infiniti.

 

[75]           Bref, ces témoins ordinaires se sont présentés lorsque BMW le leur a demandé et ils ont témoigné après avoir été interrogés par les avocats de BMW et après examen de leurs dépositions éventuelles. En résumé, ils se sont présentés devant la Cour comme le font souvent des témoins. Ils n’ont pas été présentés comme des témoins représentatifs des amateurs de voitures intéressés aux voitures de luxe de haute performance, même s’ils font partie de ce groupe et si quatre d’entre eux sont propriétaires de voitures BMW ou de voitures M. Leurs déclarations se fondent peut‑être sur des souvenirs reconstruits ultérieurement, comme M. d’Astous a indiqué que cela pourrait se produire. Ils ont dit collectivement que la première fois qu’ils ont vu des publicités de Nissan pour les voitures M Infiniti, la M35 et la M45 en 2005 ou en 2006, ils ont eu tout d’abord l’impression, à cause de la place dominante occupée par la lettre M, qu’il s’agissait de publicités de BMW pour ses voitures M. Cependant, tout en continuant de regarder le même panneau-réclame ou la même publicité dans un journal ou à la télévision, cette impression a fait place à la prise de conscience qu’il s’agissait d’une publicité pour des voitures Infiniti. Cette première impression découlait de l’association que chacun d’eux avait fait, dans sa propre mémoire, entre la lettre M et BMW, mais celle‑ci n’a pas duré. Lorsqu’ils ont constaté qu’Infiniti employait la lettre M, il leur a semblé que cette lettre avait perdu son caractère unique et que, dans une certaine mesure, elle avait perdu son prestige en tant que symbole des voitures BMW.

 

[76]           M. Edward Reshen, un détective privé dont les avocats de BMW ont retenu les services, a témoigné au sujet des quatre visites qu’il a effectuées à des concessionnaires Nissan pour leur demander des renseignements sur les voitures M Infiniti. Je ne considère pas que son témoignage est utile et je n’en tiens pas compte. Son témoignage reposait sur des souvenirs et non sur des notes qu’il aurait prises lors de ses visites. De plus, la preuve produite par Nissan indiquait clairement que les voitures Infiniti sont vendues, par l’intermédiaire de concessionnaires Nissan, par des conseillers de vente spéciaux affectés séparément aux concessions. Les concessions s’engagent à vendre des véhicules Nissan et Infiniti et ils achètent les véhicules pour ensuite les revendre, sur le marché, aux acheteurs. On n’a pas vraiment tenté de remettre sérieusement en question l’indépendance des concessionnaires, les relations entre Nissan et ses concessions ou la responsabilité de Nissan à l’égard des actes des concessionnaires ou de leur personnel.

 

[77]           Enfin, je vais examiner les déclarations des témoins experts, dont les rapports et témoignages portaient notamment sur le risque de confusion découlant des publicités de la défenderesse mettant en évidence la lettre M.

 

[78]           M. Pham, témoin de BMW, a émis l’hypothèse, en l’absence d’une preuve empirique et sur le fondement de sa théorie des réseaux d’associations de la mémoire humaine, que [traduction] « il est probable que l’emploi de la lettre M par Nissan […] créera une grande confusion avec la marque M de BMW chez les consommateurs visés ». M. Deal, lors de son témoignage pour la défenderesse et dans son rapport, a également émis des hypothèses pour diverses autres raisons sur les motifs pour lesquels, à son avis, il est peu probable que la lettre M employée par Nissan soit associée à BMW et que, même s’il y avait tout d’abord une telle association, celle‑ci disparaîtrait au cours du processus que suivent les consommateurs qui envisagent d’acheter une voiture de luxe et le font.

 

[79]           Avec égards, aucun de ces avis n’est utile. En l’espèce, la Cour ne peut se fonder sur aucun des avis d’experts pour statuer sur les revendications des demanderesses eu égard à l’allégation de confusion par suite de la contrefaçon en violation du paragraphe 20(1) de la Loi et de la commercialisation trompeuse en violation de l’alinéa 7b) de la Loi.

 

Les circonstances de l’espèce

[80]           Outre les circonstances décrites par les témoins ordinaires, il convient de tenir compte également pour déterminer le risque de confusion des circonstances ou éléments d’appréciation énumérés au paragraphe 6(5).

 

[81]           Le premier élément est le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues. Il n’y a rien de particulièrement unique ou distinctif dans les marques de commerce déposées des demanderesses M3, M5 et M accompagné d’un dessin. Les combinaisons alphanumériques M3 et M5 comportent la lettre M et un chiffre unique, lesquels constituent des éléments connus et utilisés très couramment. La marque constituée d’un M accompagné d’un dessin, qui comporte trois barres obliques de couleur et la lettre M en style calligraphique penchée vers l’avant, n’est distinctive qu’en ce qui concerne la combinaison de symboles et de couleurs. J’accepte le témoignage de M. Kenzie et de certains témoins ordinaires selon lequel les trois marques déposées des demanderesses qui font l’objet du présent litige sont connues des journalistes automobiles et des amateurs de voitures de luxe. En ce qui concerne la lettre M employée par Nissan, cette marque, associée aux voitures M35 et M45 d’Infiniti, est utilisée depuis le printemps 2005, soit environ deux ans, et elle n’est pas plus distinctive que la même lettre utilisée par les demanderesses. La lettre M toute seule constitue une marque faible offrant, tout au plus, une protection très limitée, qu’elle soit déposée en tant que marque de commerce ou non.

 

[82]           Le deuxième élément, la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage, a déjà été mentionné : les marques déposées des demanderesses sont en usage, au Canada, depuis un certain nombre d’années et la marque de la défenderesse constituée de la lettre M est en usage depuis environ deux ans. De plus, il convient de souligner que les marques des demanderesses qui sont reconnues en common law et qui font l’objet du présent litige sont également en usage depuis plusieurs années : l’emploi de la lettre M est revendiqué depuis 1986 et M6, du modèle M6 de BMW, est en usage au Canada au moins depuis le lancement de ce modèle au Canada en 1987. Il est clair que les marques des demanderesses sont en usage au Canada depuis plus longtemps que celle de la défenderesse.

 

[83]           Le troisième élément est le genre de marchandises, services ou entreprises en liaison avec lesquels les marques sont employées. En l’espèce, les marques des demanderesses et celle de la défenderesse sont toutes employées en liaison avec des voitures ou des véhicules à moteur de luxe, de haute performance et avec leurs pièces et accessoires. Il est vrai que les modèles M35 et M45 de la défenderesse et leurs pièces ne concurrencent pas, sur le marché, les voitures M des demanderesses destinées aux amateurs de voitures. Cependant, le marché de ces deux constructeurs est constitué de cette partie des consommateurs et des journalistes qui s’intéressent véritablement aux véhicules de luxe, dispendieux et de haute performance.

 

[84]           De manière générale, la nature du commerce de chacune des deux parties se ressemble à de nombreux égards. Pour les deux parties, le marché de leurs produits est limité. Il s’agit de celui des consommateurs éventuels, intéressés à acheter des voitures de luxe et de haute performance et capables de le faire. Alors que BMW estime que le Canada constitue un marché qui s’intéresse de manière surprenante à ses véhicules, et notamment à ses voitures M, et que Nissan a vendu initialement un nombre assez élevé de véhicules M35 et M45, les ventes combinées de ces véhicules par les deux entreprises représentent moins de 2 p. cent du nombre total annuel de voitures vendues au Canada qui est de plus de 160 000 véhicules.

 

Les deux constructeurs et fournisseurs, BMW et Nissan, assemblent leurs véhicules à l’étranger et les vendent en vertu des arrangements conclus par les sociétés canadiennes avec des fournisseurs et des concessionnaires automobiles locaux dans tout le pays. Une grande partie des opérations publicitaires et des activités de promotion mettant en vedette les véhicules sont menées à l’échelle nationale par la société canadienne, la publicité locale étant effectuée par les concessionnaires locaux.

 

[85]           Il y a une autre circonstance qui concerne la nature du commerce et dont on ne peut pas faire abstraction. Il s’agit du processus suivi par les acheteurs qui font l’acquisition d’un des véhicules en question. M. Deal a décrit plusieurs phases du processus mental que suit un acheteur éventuel. Ainsi que l’a souligné le juge Binnie, en rédigeant l’arrêt de la Cour suprême du Canada, dans Mattel, précité, au paragraphe 58 :

De toute évidence, le consommateur ne prend pas chacune de ses décisions d’achat avec la même attention, ou absence d’attention. Il prend naturellement plus de précautions s’il achète une voiture ou un réfrigérateur, que s’il achète une poupée ou un repas à prix moyen : General Motors Corp. c. Bellows, [1949] R.C.S. 678. Dans le cas de l’achat de marchandises ou de services ordinaires de consommation courante, ce consommateur mythique, quoique d’intelligence moyenne, est généralement en retard sur son horaire et a plus d’argent à dépenser que de temps à perdre à se soucier des détails.

 

 

[86]           À mon avis, dans le cadre de la nature du commerce, c’est‑à‑dire le marché des véhicules de luxe haute performance, un acheteur ne décide d’acheter qu’après avoir examiné en général les produits du fabricant et plus en profondeur les produits qui l’intéressent en particulier. Les publicités et les promotions peuvent attirer son regard et susciter son intérêt, mais l’acheteur ne procédera pas à l’achat sans y réfléchir et, notamment, sans comparer ses besoins et le produit offert, et sans tenir compte de son expérience avec d’autres véhicules.

 

[87]           La qualité du commerce a une certaine importance, selon moi, quant au point de vue qu’il convient d’adopter pour apprécier la possibilité d’une conclusion erronée par suite de l’emploi par la défenderesse de la lettre M. Il ne s’agit pas du même point de vue que celui de l’acheteur pressé qui a un souvenir incomplet des marques déposées des demanderesses. De plus, l’acheteur prudent et réfléchi d’une voiture M de BMW ne peut pas acquérir une de ces voitures auprès d’un concessionnaire BMW sans la commander à l’avance et sans attendre la livraison pendant quelques mois. Il est peu probable que l’acheteur d’une voiture M neuve de BMW soit pressé de la commander ou d’en prendre livraison.

 

[88]           Lorsqu’on compare les marques de commerce déposées des demanderesses avec la lettre M utilisée par Nissan, on constate qu’il y a une certaine ressemblance dans la lettre M. Le M utilisé par Nissan, sauf en ce qui concerne la partie supérieure de la lettre qui glisse vers le bas de l’annonce, comporte deux jambages verticaux, gauche et droite, unis par un V. Il a la même forme que le M qui figure dans les marques certifiées M3 et M5 de BMW. Le M utilisé par BMW dans la marque constituée d’un M accompagné d’un dessin est un M penché vers l’avant, dont les jambages gauche et droite penchent vers la droite de haut en bas. Parfois, le M faisant partie de ce dessin est un M calligraphique penché vers l’avant. Il est facile de reconnaître qu’il s’agit d’un M, mais il n’a pas exactement la même apparence que le M utilisé par Nissan.

 

[89]           Je tiens compte des déclarations des témoins ordinaires et des témoins experts, ainsi que de toutes les circonstances de l’espèce pour trancher les allégations des demanderesses.

 

L’allégation de contrefaçon en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi

[90]           Les demanderesses allèguent que l’emploi par Nissan de la lettre M et de la désignation de l’ensemble M6 dans la publicité de ses véhicules et pièces crée de la confusion dans le milieu visé, c’est‑à‑dire celui des consommateurs et amateurs de voitures s’intéressant aux automobiles dispendieuses, de haute performance et à leurs pièces, au sujet de la source des marchandises associées à la marque de commerce Nissan et de la source des marchandises BMW associées aux marques de commerce déposées M3, M5 et M accompagné d’un dessin.

 

[91]           La partie pertinente du paragraphe 20(1) de la Loi est la suivante :

20. (1) Le droit du propriétaire d’une marque de commerce déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l’employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion […]

 

 

20. (1) The right of the owner of a registered trade-mark to its exclusive use shall be deemed to be infringed by a person not entitled to its use under this Act who sells, distributes or advertises wares or services in association with a confusing trade-mark or trade-name …

 

[92]           Toutes les marques déposées de BMW faisant l’objet du présent litige, que Nissan aurait contrefaites en utilisant la lettre M et la marque M6, comportent plus d’un symbole. Lorsque j’examine toutes les circonstances de l’emploi des marques en cause, je conclus qu’il n’y a aucun risque de confusion entre la source des marchandises ni entre les marchandises elles‑mêmes dans le groupe pertinent d’acheteurs éventuels.

 

[93]           L’emploi de la lettre M par Nissan ne copie aucune marque déposée de BMW. Un certain nombre, relativement petit, de répondants interrogés pour le compte de BMW ont dit avoir associé le M accompagné d’un dessin à BMW et les témoins ordinaires ont déclaré que, la première fois qu’ils ont vu une publicité de Nissan mettant en évidence la lettre M, ils ont cru qu’il s’agissait d’une publicité de BMW; toutefois, cela n’établit pas que l’emploi par Nissan de la lettre M risque de créer de la confusion avec les marques déposées M3, M5 et M accompagné d’un dessin de BMW. Les témoins qui ont vu les publicités se sont rendus compte, avant la fin de la publicité, qu’il s’agissait de publicités de Nissan et non de BMW. La déduction qu’ils ont tirée initialement n’a pas créé, dans leur esprit, de confusion permanente au sujet de la source des marchandises de manière à embrouiller leurs idées en ce qui a trait à l’achat d’une automobile.

 

[94]           De plus, aucun argument, et il y en avait peu, n’a réussi à me convaincre que l’usage de M6 par Nissan pour désigner son ensemble sport pouvant être installé dans les véhicules G35 a créé de la confusion avec les marques déposées M3, M5 et M accompagné d’un dessin de BMW.

 

[95]           Puisque je conclus qu’il n’y a aucun risque de confusion découlant de l’emploi par la défenderesse de la lettre M et de la désignation M6 avec les marques déposées M3, M5 et M accompagné d’un dessin des demanderesses, je rejette l’allégation de contrefaçon avancée par BMW en vertu du paragraphe 20(1).

 

Risque de diminution de la valeur de l’achalandage en vertu du paragraphe 22(1)

[96]           La deuxième allégation principale des demanderesses concerne le risque de diminution de la valeur de l’achalandage attaché aux marques déposées M3, M5 et M accompagné d’un dessin des demanderesses par suite de l’emploi par la défenderesse de ces marques de commerce, en vertu du paragraphe 22(1) de la Loi qui prévoit :

22. (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce.

 

 

22. (1) No person shall use a trade-mark registered by another person in a manner that is likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching thereto.

 

[97]           Le juge Binnie de la Cour suprême du Canada a examiné, aux paragraphes 38 à 70 inclusivement, le contexte, l’objet et les exigences du paragraphe 22(1) dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin, précité, et a écrit au paragraphe 46 :

L’article 22 comporte quatre éléments. Premièrement, la marque de commerce déposée de la demanderesse a été employée par la défenderesse en liaison avec des marchandises ou services — peu importe que ces marchandises ou services entrent en concurrence avec ceux de la demanderesse. Deuxièmement, la marque de commerce déposée de la demanderesse est suffisamment connue pour que l’achalandage qui y est attaché soit appréciable […] Troisièmement, la marque de la demanderesse a été employée d’une manière susceptible d’avoir une incidence sur cet achalandage (c.‑à‑d. de faire surgir un lien) et, quatrièmement, cette incidence sera probablement la diminution de la valeur de l’achalandage (c.‑à‑d. un préjudice).

 

 

[98]           Si l’on considère ces éléments d’appréciation en l’espèce, on constate que l’emploi par la défenderesse de la lettre M ne constitue pas l’emploi d’une marque de commerce déposée des demanderesses. BMW soutient essentiellement que sa marque constituée d’un M accompagné d’un dessin est associée, dans l’esprit des consommateurs éventuels, à M et que ces derniers lui attribuent ce nom. Cela ne satisfait pas aux exigences de l’article en ce qui concerne l’emploi non autorisé d’une marque de commerce déposée. De plus, en l’espèce, les seuls éléments de preuve concernant le risque de diminution de la valeur de l’achalandage sont les déclarations des témoins ordinaires. Leur première impression lorsqu’ils ont vu la publicité de Nissan comportant la lettre M était que le M n’était pas une marque exclusive de BMW comme ils le croyaient auparavant. Il n’y a aucune preuve établissant des pertes au niveau des ventes, une diminution du prix des voitures ou des pièces BMW, ou une diminution mesurable de la valeur de l’achalandage attaché aux marques déposées de BMW.

 

[99]           M. Pham a conclu que, en raison du risque de confusion découlant pour les consommateurs visés de l’emploi par Nissan de la lettre M, il se pourrait qu’avec le temps [traduction] « BMW subisse un préjudice considérable en raison de la diminution de l’achalandage attaché à la marque M et à la marque BMW en général ». Sa conclusion résulte de la description qu’il a faite du risque de confusion dans la mémoire associative des consommateurs. En l’absence d’une preuve empirique, sa conclusion, quoiqu'intéressante, relève de la pure conjecture. De plus, il ne s’agit pas d’une question qui requiert l’avis d’un expert, puisque c’est à la Cour de la trancher en fonction des éléments de preuve produits par les parties.

 

[100]       À mon avis, la preuve dont j’ai été saisi est insuffisante pour conclure que la défenderesse a employé les marques de commerce déposées des demanderesses ou d’autres marques semblables d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché aux marques déposées de BMW. Par conséquent, je rejette l’allégation des demanderesses concernant la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à leurs marques de commerce déposées M3, M5 et M accompagné d’un dessin.

 

L’allégation de commercialisation trompeuse

[101]       Les demanderesses allèguent que l’emploi par la défenderesse de la lettre M et de M6 viole les droits de propriété de BMW sur les marques de commerce M, M3, M5, M6 et M accompagné d’un dessin, en contravention de l’alinéa 7b) de la Loi. Cet alinéa prévoit :

7. Nul ne peut :

[…]

b) appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

7. No person shall

(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another;

 

 

[102]       Les demanderesses prétendent que l’emploi par la défenderesse de la lettre M et de la désignation M6 à titre de marques de commerce a appelé l’attention du public sur ses marchandises et son entreprise de manière à causer de la confusion lorsqu’elle a commencé à y appeler ainsi l’attention au Canada (c’est‑à‑dire au début de 2005) entre ses automobiles, pièces et accessoires et ceux de BMW en violation de l’alinéa 7b) de la Loi.

 

[103]       Compte tenu de ma conclusion antérieure selon laquelle les actes de la défenderesse ne sont pas réputés porter atteinte aux droits des demanderesses à l’emploi exclusif des marques de commerce déposées M3, M5 et M accompagné d’un dessin, l’allégation de commercialisation trompeuse est établie, de sorte qu’elle est traitée comme une allégation selon laquelle les actes reprochés à la défenderesse ont créé de la confusion, au début de l’année 2005, entre les marchandises de Nissan et celles des demanderesses associées aux marques non déposées M et M6 que BMW prétend utiliser au Canada depuis plusieurs années, au moins depuis 1987.

 

[104]       La preuve indique que les demanderesses utilisent leur marque de commerce non déposée M dans leurs activités publicitaires, leur matériel de promotion et lors de la Nuit M de Montréal depuis au moins quelques années avant 2005. Elles ont utilisé leur marque de commerce M6 en liaison avec l’édition M de véhicules de la Série 6 tout au moins dans le cadre de leurs ventes des voitures M6 au Canada pour la première fois en 1987. Ce véhicule n’a plus été produit jusqu’en 2006, mais il se peut que des modèles usagés roulent encore sur les routes canadiennes. L’introduction de l’ensemble M6 de Nissan, composé de pièces et accessoires automobiles destinés au modèle G35, a eu lieu à un moment où BMW ne vendait plus de nouveaux véhicules M6 au Canada. Cependant, il y a peu de doute que Nissan savait en 2005 que BMW avait déjà vendu des M6, sinon qu’elle comptait relancer le modèle M6 en 2006.

 

[105]       Les témoignages de M. Kenzie et des amateurs de voitures BMW qui ont comparu comme témoins ont permis à la Cour de conclure que BMW est connu parmi les journalistes automobiles et les amateurs de voitures de luxe et de haute performance, en particulier parmi les propriétaires de voitures BMW, pour les marchandises qu’elle annonce avec la marque M, y compris son modèle M6. Le fait que ces marques soient ainsi connues par des groupes d’intérêt particuliers dans un marché assez restreint de consommateurs suffit, en l’espèce, pour établir l’achalandage attaché aux deux marques de commerce reconnues par la common law que revendique BMW et qu’elle a employées dans le passé.

 

[106]       Dans une action en commercialisation trompeuse, il faut établir trois éléments : l’existence d’achalandage, la déception du public due à la représentation trompeuse et des dommages actuels ou possibles pour le demandeur (Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S 120, à la page 132, 143 N.R. 241, 44 C.P.R. (3d) 289).

 

[107]       Lorsqu’on examine le risque de confusion dans la présente espèce, on constate une grande différence avec les circonstances examinées pour trancher l’allégation de contrefaçon avancée en vertu du paragraphe 20(1), dans le cadre de laquelle les marques M et M6 employées par Nissan n’étaient pas identiques aux marques de commerce déposées de BMW. À mon avis, l’emploi de la lettre M par Nissan en 2005, à titre de marque de commerce, et de la désignation M6, à titre de marque de commerce, lesquelles ressemblent toutes les deux, dans leur présentation, aux mêmes marques de commerce de BMW, employées en liaison avec des marchandises semblables, c’est‑à‑dire des automobiles et des pièces d’automobiles dans un domaine ou industrie essentiellement identique à celui de BMW, a créé un risque de confusion entre la source des marchandises de la défenderesse et celle des marchandises des demanderesses. Qu’elle ait été créée intentionnellement ou non, cette confusion découlait des actes de Nissan.

 

[108]       En l’absence d’une preuve des dommages‑intérêts lesquels, conformément à l’ordonnance de disjonction rendue par la Cour avant l’instruction, doivent être réglés une fois présentées les observations des parties, je présume, sous réserve d’autres facteurs, qu’il y aura lieu à des dommages‑intérêts, symboliques ou élevés.

 

[109]       Dans les circonstances, je conclus que la défenderesse est passible de dommages‑intérêts, qu’il reste à déterminer, en vertu de l’alinéa 7b) de la Loi, pour avoir employé la lettre M et la désignation M6 à titre de marques de commerce pour des automobiles, des pièces et des accessoires d’automobiles ce qui a créé un risque de confusion entre la source de ses marchandises et celle des marchandises de BMW associées aux marques de BMW, la lettre M et le symbole M6.

 

Conclusions

[110]       Pour ces motifs, je rejette, dans un jugement distinct, les demandes présentées par les demanderesses afin d’obtenir un jugement déclaratoire et d’autres mesures de redressement pour contrefaçon présumée, en contravention de l’article 20 de la Loi, de leurs marques de commerce déposées M3, M5 et M accompagné d’un dessin, ainsi que pour la diminution de la valeur de l’achalandage attaché auxdites marques de commerce déposées, en vertu de l’article 22 de la Loi.

 

[111]       Le présent jugement fait droit à la demande présentée par les demanderesses afin d’obtenir un jugement déclaratoire portant que l’emploi par la défenderesse de la lettre M et de la désignation M6 à titre de marques de commerce porte atteinte à leurs droits de propriété sur les marques de commerce M et M6, en violation de l’alinéa 7b) de la Loi. Il est donc interdit à la défenderesse, à ses dirigeants, administrateurs, préposés, mandataires, employés et à toutes les personnes à l’égard desquelles elle exerce un contrôle direct ou indirect, d’appeler l’attention du public sur ses marchandises et sur son entreprise, notamment en les annonçant, en faisant leur promotion, en les offrant en vente ou en les vendant, de manière à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses marchandises et celles des demanderesses, en faisant usage des marques M et M6 à titre de marques de commerce en liaison avec des automobiles, des pièces et des accessoires d’automobiles.

 

[112]       La Cour ordonne également à la défenderesse de remettre aux demanderesses ou de détruire sous serment tous les documents, factures, emballages, affiches, annonces, matériel promotionnel ou de vente, imprimés ou enregistrements, qui se trouvent en sa possession, sous sa garde ou sous son contrôle et qui pourraient aller à l’encontre de l’injonction accordée aux présentes.

 

[113]       Tous les dommages subis par les demanderesses ou tous les profits réalisés par la défenderesse à la suite de la commercialisation trompeuse ainsi que l’intérêt antérieur ou postérieur au jugement accordés aux demandeurs seront déterminés en conformité avec l’ordonnance de disjonction rendue le 5 octobre 2005.

 

 

[114]       La Cour déterminera les dépens de la présente action après avoir examiné les observations que les parties présenteront conformément aux directives données après consultation des avocats.

 

 

« W. Andrew MacKay »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Dossier :                                                             T-1395-05

INTITULÉ :                                                           BMW canada inc. et BAYERISCHE MOTOREN WERKE AKTIENGELSELLSCHAFT

                                                                                c.

                                                                                NISSAN CANADA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :                                   DU 16 AU 30 OCTOBRE 2006

                                                                                LES 2 ET 3 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                           Le juge suppléant MacKay

 

DATE DES MOTIFS :                                          Le 7 mars 2007

 

 

COMPARUTIONS :                 

Ron Dimock

Henry Lue

Ahmed Bulbulia                                                        POUR LES DEMANDERESSES

 

Carol Hitchman

Warren Sprigings

Paul Lomic                                                               POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dimock Stratton LLP

Toronto (Ontario)                                                     POUR LES DEMANDERESSES

Hitchman & Sprigings

Toronto (Ontario)                                                     POUR LA DÉFENDERESSE

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