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Date : 20070302

Dossier : T-142-05

Référence : 2007 CF 243

Ottawa (Ontario), le 2 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARRY STRAYER

 

 

ENTRE :

EMALL.CA INC. et EMALL.CA INC.,

faisant affaires sous la raison sociale de CHEAPTICKETS.CA

demanderesses

 

et

 

CHEAP TICKETS AND TRAVEL INC.

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

INTRODUCTION

 

[1]               La Cour statue sur une demande de radiation des marques de commerce CHEAP TICKETS, no 564 905 et CHEAP TICKETS AND TRAVEL & DESIGN, no 564 432 de la défenderesse, au motif qu’au moment de leur enregistrement ces marques donnaient soit une description claire, soit une description trompeuse des services de la défenderesse ou qu’elles ne permettent pas présentement de distinguer les services de la défenderesse.

 

[2]               Les deux marques de commerce sont enregistrées en liaison avec les mêmes services, à savoir : [traduction] « Agence de voyages, information sur les voyages, circuits touristiques et affrètement pour voyages, services de billetterie dans le domaine du transport, du voyage, du spectacle et des manifestations sportives ».  La marque de commerce CHEAP TICKETS a été enregistrée le 18 juillet 2002 avec une déclaration de désistement relativement à l’usage exclusif du mot TICKETS. La marque CHEAP TICKETS AND TRAVEL & DESIGN a été enregistrée le 8 juillet 2002 avec un désistement relativement aux mots TICKETS et TRAVEL.

 

FAITS

 

[3]               L’entreprise qu’exploitait auparavant la défenderesse portait le nom de Far & Away. Elle consistait, en 1997, en l’exploitation d’une agence de voyage au détail à Victoria (Colombie‑Britannique). La défenderesse a commencé à employer à l’occasion l’expression « Cheap Tickets » dans sa publicité. Elle a été constituée en personne morale sous le régime des lois de la Colombie‑Britannique en mai 1998 sous la raison sociale de Cheap Tickets and Travel. Elle a graduellement abandonné le nom Far & Away. Elle a par la suite été constituée en personne morale sous le régime des lois fédérales sous la raison sociale de Cheap Tickets and Travel, Inc., pour faciliter l’enregistrement d’un nom de domaine sur Internet. En octobre 1998, elle a présenté une demande relativement à la marque de commerce « Cheap Tickets and Travel & Design » et, en mai 1999, elle a demandé l’enregistrement de la marque de commerce « Cheap Tickets », dans les deux cas sur le fondement d’un emploi actuel. Elle a obtenu l’enregistrement comme nous l’avons déjà mentionné. En décembre 1999, Far & Away lui a cédé toutes ses activités commerciales et tous ses actifs. À la suite de l’échange d’une correspondance abondante avec l’Office de la propriété intellectuelle du Canada sur la question de savoir si les marques de commerce en question donnaient « une description claire » des services qu’elles visaient, l’enregistrement a été effectué en juillet 2002 comme nous l’avons précédemment mentionné.

 

[4]               Suivant l’affidavit du président de la demanderesse, celle-ci est titulaire de l’enregistrement de noms de domaines canadiens génériques ou descriptifs. Son site Internet principal, EMALL.ca, est considéré comme un [traduction] « centre commercial en ligne » ou un « portail » qui permet aux internautes de visiter une foule d’entreprises en ligne. Le 9 septembre 1999, la demanderesse a enregistré « CheapTickets.ca » comme nom de domaine auprès de l’Autorité canadienne pour les enregistrements Internet (ACEI).

 

[5]               En décembre 2004, la défenderesse a introduit devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique une action dans laquelle elle accusait la demanderesse d’avoir contrefait ses marques de commerce. La demanderesse a par conséquent introduit la présente instance devant la Cour fédérale en vue de faire radier les marques de commerce en question.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[6]               Les parties conviennent que les autres questions qui me sont soumises portent sur la question de savoir si les marques de commerce de la défenderesse sont invalides parce que :

a)                  Les marques de commerce n’étaient pas enregistrables à la date de l’enregistrement parce qu’elles donnaient une description claire de la nature ou de la qualité des services en liaison avec lesquels elles étaient censées être employées;

 

b)                  Les marques de commerce n’étaient pas distinctives à la date de l’introduction de la présente demande, parce qu’elles ne distinguaient pas véritablement et n’étaient ni adaptées ni aptes à distinguer les services de la défenderesse des services de tous les autres, y compris ceux de la demanderesse.

 

 

 

ANALYSE

 

 

 

[7]               L’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, dispose :

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;

 

 

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

 

 

 

 (b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

 

 

[8]               L’alinéa 18(1)b) de la Loi dispose :

18. (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

 

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement;

 

18. (1) The registration of a trade-mark is invalid if

 

 

(b) the trade-mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced, or

 

 

 

Les marques de commerce sont-elles descriptives?

 

 

[9]               Comme nous l’avons déjà signalé, les deux marques de commerce ne concernent que des services, ainsi que l’indique la description précitée.

 

[10]           Pour donner une claire description des services ou des marchandises, une marque de commerce doit [traduction] « être facile à comprendre, être suffisante ou simple ». Il n’est pas essentiel qu’elle soit rigoureusement exacte :

[traduction] […] il ne convient pas d’analyser attentivement et de façon critique le mot ou les mots pour en discerner les diverses conséquences possibles; ce qu’il faut retenir, c’est l’impression immédiate qui est donnée.

 

Voir Hughes dans Trade-Marks (2e édition), art. 30 et les autorités qui y sont citées.

 

[11]           Une demande de radiation n’est pas un appel régi par l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce dont il faut déterminer la norme de contrôle applicable. C’est plutôt une procédure prévue à l’article 57 de la Loi, qui vise à faire biffer une inscription du registre. Il s’agit d’un cas où la Cour fédérale exerce sa « compétence initiale exclusive ». La présente demande a été instruite sur le fondement d’éléments de preuve qui étaient pour la plupart nouveaux. Je ne sais pas avec certitude de quels éléments l’Office de la propriété intellectuelle du Canada disposait lorsqu’il a octroyé ces enregistrements. Les éléments qui ont été portés à mon attention consistaient en la correspondance échangée entre l’examinateur de l’Office et un représentant de la défenderesse. Il ressort de cette correspondance que, au départ, l’examinateur avait fortement l’impression que les marques de commerce en question donnaient une description claire des services offerts par la défenderesse. Par la suite, cette objection a été retirée sans explication. Dans le cadre de la présente instance, on m’a soumis des éléments de preuve sur la façon dont les marques de commerce ont été employées et les parties ont fait l’objet d’un contre-interrogatoire fouillé au sujet de leur affidavit respectif.

 

[12]           À l’instar de l’examinateur des marques de commerce, ma première impression est que les marques de commerce en question donnent une description claire des services d’agence de voyage offerts par la défenderesse. La défenderesse fait valoir que bon nombre des activités auxquelles elle s’adonne ne comportent pas la vente de ce qu’on appelle habituellement des « billets ». Ainsi que je l’ai déjà expliqué, une marque de commerce ne perd pas sa qualité de marque descriptive en raison du fait qu’elle manque de précision. Il suffit qu’elle donne un aperçu de sa nature ou de la fonction des marchandises ou des services en liaison avec lesquels elle est employée (voir, par exemple,  l’arrêt S.C. Johnson & Son, Ltd. c. Marketing International Ltd., [1980] 1 R.C.S. 99, et le jugement Thomson Research Associates Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1982), 67 C.P.R. (2nd) 205 (C.F. 1re inst.)). L’impression que ces marques de commerce donne est que la défenderesse offre des services de voyage à des taux qui sont habituellement avantageux. Je ne crois pas qu’il soit particulièrement pertinent que la défenderesse offre d’autres services, tels que répondre aux demandes de renseignements portant sur le tourisme ou sur la réservation de chambres d’hôtel ou la location de voitures, qui peuvent comporter ou non ce qu’on pourrait appeler un « billet ».

 

[13]           Il est évident que la défenderesse considère elle-même que l’expression « Cheap Tickets » décrit son entreprise. Lorsqu’elle exerçait ses activités sous l’appellation « Far & Away », elle avait fait de la publicité dans les journaux qui, en plus de porter le nom de son agence, comprenait l’expression « Cheap Tickets » pour indiquer qu’elle offrait des billets d’avion à prix réduits pour diverses destinations. Le 2 septembre 1998, après que le nom de l’agence eut été changé, elle a inscrit les mots « Cheap Tickets and Travel » en tête de ses publicités, habituellement en liaison avec l’annonce de tarifs aériens à prix réduits.

 

[14]           Normand Schafer, le directeur et propriétaire de la défenderesse, a été contre-interrogé au sujet de son affidavit à propos de ces questions. Il a répondu, aux questions 103 et 110, que Far & Away employait les mots « Cheap Tickets » dans sa publicité de manière descriptive et non pour suggérer qu’elle offrait des tarifs aériens moins élevés. Aux questions 110, 115, 116 et 117, et aux questions 127 à 137, il a admis que l’emploi des mots « Cheap Tickets and Travel » par la défenderesse dans sa publicité donnait en partie l’impression qu’elle avait des services de voyage à prix réduit à offrir. Il a de nouveau confirmé cet avis en réponse à la question 317. En réponse à la question 136, il a convenu que le mot anglais « cheap », au sens de « bon marché » est un terme mélioratif.

 

[15]           Dans l’arrêt Canada (Registraire des marques de commerce) c. GA Hardie & Co., [1949] R.C.S. 483, la Cour suprême du Canada a statué que la marque de commerce « SUPER‑WEAVE » supposait qu’on offrait un produit de qualité supérieure et qu’elle donnait donc une description des marchandises auxquelles elle était associée. De même, j’estime que l’expression « Cheap Tickets and Travel » donne la première impression que les services offerts par la défenderesse permettront fréquemment ou le plus souvent de voyager à meilleur prix. Tout comme dans le cas qui nous occupe, dans l’arrêt Canadian Shredded Wheat Co. c. Kellogg Co., [1938] 2 D.L.R. 145, le Comité judiciaire du Conseil privé a statué que l’expression « Shredded Wheat » (blé filamenté) donnait une description du produit de la demanderesse parce que, dans sa publicité, celle-ci avait employé ces termes de façon générique pour décrire son produit. En l’espèce, la défenderesse admet qu’elle a employé les expressions « Cheap Tickets » et « Cheap Tickets and Travel » pour décrire les services qu’elle offre. Bien qu’en ce qui concerne la marque de commerce « CHEAP TICKETS », la défenderesse a renoncé à revendiquer le mot « TICKETS » et qu’en ce qui a trait à la marque « CHEAP TICKETS AND TRAVEL & DESIGN », elle a renoncé à revendiquer à la fois le mot « TICKETS » et le mot « TRAVEL », ce désistement ne vaut que pour l’emploi de ces mots précis par autrui. Tant et aussi longtemps que ces marques de commerce existent, la défenderesse peut contester l’emploi que d’autres personnes font des combinaisons « CHEAP TICKETS » et « CHEAP TICKETS AND TRAVEL ». En fait, ces combinaisons de mots sont retirées de l’usage dans le monde commercial au Canada et ne peuvent être utilisées que par la défenderesse. Je ne crois pas que cela devrait être permis, parce que je suis convaincu que ces marques de commerce donnent une description claire.

 

Les marques de commerce sont-elles descriptives?

 

[16]           Comme j’ai conclu que les marques de commerce sont descriptives et qu’elles n’auraient par conséquent jamais dû être enregistrées, il n’est pas nécessaire que je me demande si elles étaient distinctives lorsque la présente demande a été introduite. Si j’étais obligé d’examiner cette question, je serais empêché de la trancher en raison de l’insuffisance des éléments de preuve présentés par la demanderesse au sujet de la question de savoir si ces marques de commerce avaient perdu leur caractère distinctif au moment où la présente demande a été introduite. Il me semblerait que, comme elles ont été enregistrées, les marques de commerce sont présumées valides et que, pour réfuter cette présomption, la demanderesse aurait à démontrer qu’elles avaient perdu leur caractère distinctif entre la date de leur enregistrement et la date à laquelle la demande a été introduite.

 

DISPOSITIF

 

[17]           Je vais donc ordonner que la marque de commerce « CHEAP TICKETS », enregistrée sous le numéro 564 905, et la marque de commerce « CHEAP TICKETS AND TRAVEL & DESIGN », enregistrée sous le numéro 564 432, soient radiées du registre des marques de commerce. Les dépens sont adjugés à la demanderesse.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  la marque de commerce « CHEAP TICKETS », enregistrée sous le numéro 564905 est radiée du registre des marques de commerce;

 

2.                  la marque de commerce « CHEAP TICKETS AND TRAVEL & DESIGN », enregistrée sous le numéro 564 432, est radiée du registre des marques de commerce;

 

3.                  les dépens sont adjugés à la demanderesse.

 

 

 

 

« B. L. Strayer »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-142-05

 

INTITULÉ :                                                   EMALL.CA INC. et EMALL.CA INC.,

                                                 faisant affaires sous la raison sociale de CHEAPTICKETS.CA

demanderesses

                                                                        et

 

                                                                        CHEAP TICKETS AND TRAVEL INC.

                                                            défenderesse

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 7 février 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 2 mars 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Zak Muscovitch                                                          pour les demanderesses

Sean Langan

                                                                                  

 

Gregory N. Harney                                                     pour la défenderesse

                                                                                                                                                           

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Muscovitch & Associates                                            pour les demanderesses

Avocats

Toronto (Ontario)                                                       

 

 

Shields Harney                                                            pour la défenderesse

Avocats

Victoria (Colombie-Britannique)                                 

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