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Date : 20070305

Dossier : T-2047-06

Référence : 2007 CF 232

Ottawa (Ontario), le 5 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

et

 

LE GOUVERNEUR EN CONSEIL,

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

APERÇU

 

[1]               La Cour est saisie d’une requête présentée par les défendeurs principalement en vue d’obtenir une ordonnance radiant l’avis de demande et rejetant la demande au motif que la demanderesse n’a pas qualité pour introduire la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[2]               Dans une seconde requête qui a été débattue devant la Cour, Eli Lilly Canada Inc. a demandé d’être constituée partie défenderesse à la présente instance ou, à titre subsidiaire, d’être constituée intervenante. La décision rendue en réponse à la première requête tient effectivement compte de la seconde requête, en ce sens que Eli Lilly a reconnu que sa requête serait sans objet ou serait prématurée si la Cour décidait que la demanderesse n’a pas qualité pour présenter la demande de contrôle judiciaire à ce moment-ci.

 

[3]               Apotex est une compagnie qui fabrique et distribue des médicaments génériques. Elle conteste un règlement qui est entré en vigueur très récemment, le Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues (protection des données), DORS/2006-241 (le Règlement sur la protection des données) (publié le 18 octobre 2006). Apotex affirme que le Règlement sur la protection des données ne pouvait être pris en application de la loi habilitante (et plus précisément, du paragraphe 30(3) de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, ch. F-27). Elle affirme également que, dans la mesure où la loi habilitante peut conférer le pouvoir de prendre le Règlement sur la protection des données, cette loi est, elle aussi, ultra vires.

 

[4]               Le Règlement sur la protection des données impose des limites particulières à certains fabricants qui sollicitent, en vertu du titre 8 de la partie C du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. ch. 870, un avis de conformité pour un nouveau médicament; toutefois, pour le moment, Apotex n’a aucun intérêt véritable quant aux questions soulevées et elle n’est pas directement touchée au sens de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, modifiée.

 

[5]               En conséquence, comme la Cour ne dispose pour le moment d’aucun autre élément de preuve soumis à la Cour, la présente demande n’a aucune chance d’être accueillie. L’avis de demande est radié et la demande est rejetée.

 

[6]               Seule la personne directement touchée est habilitée à présenter une demande de contrôle judiciaire, et cette personne doit désigner comme défendeur toute autre personne directement touchée. Dans la mesure où l’ordonnance sollicitée dans la présente demande aura une incidence sur Apotex, elle aura également des conséquences sur un grand nombre d’autres personnes. Toutefois, ces personnes n’ont pas été constituées défenderesses en l’espèce et l’identité de certaines d’entre elles demeure confidentielle.

 

CONTEXTE

            Règlement sur la protection des données

[7]               Le 18 octobre 2006, le nouveau Règlement sur la protection des données a été publié dans la partie II de la Gazette du Canada, après avoir été enregistré le 5 octobre 2006 (ainsi qu’il est noté dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, les modifications projetées ont été publiées au préalable le 17 juin 2006, à la suite de quoi le gouvernement a mené de vastes consultations auprès des intervenants, y compris les innovateurs, les fabricants de produits génériques et leurs associations professionnelles (Règlement sur la protection des données, dossier de la requête des requérants, pages 26 à 35).

 

[8]               La disposition essentielle du Règlement sur la protection des données est le paragraphe C.08.004.1(3), qui est ainsi libellé :

(3)      Lorsque le fabricant demande la délivrance d’un avis de conformité pour une drogue nouvelle sur la base d’une comparaison directe ou indirecte entre celle-ci et la drogue innovante :

 

a) le fabricant ne peut déposer pour cette drogue nouvelle de présentation de drogue nouvelle, de présentation abrégée de drogue nouvelle ou de supplément à l’une de ces présentations avant l’expiration d’un délai de six ans suivant la date à laquelle le premier avis de conformité a été délivré à l’innovateur pour la drogue innovante;

b) le ministre ne peut approuver une telle présentation ou un tel supplément et ne peut délivrer d’avis de conformité pour cette nouvelle drogue avant l’expiration d’un délai de huit ans suivant la date à laquelle le premier avis de conformité a été délivré à l’innovateur pour la drogue innovante.

(3)      If a manufacturer seeks a notice of compliance for a new drug on the basis of a direct or indirect comparison between the new drug and an innovative drug,

 

(a) the manufacturer may not file a new drug submission, a supplement to a new drug submission, an abbreviated new drug submission or a supplement to an abbreviated new drug submission in respect of the new drug before the end of a period of six years after the day on which the first notice of compliance was issued to the innovator in respect of the innovative drug; and

(b) the Minister shall not approve that submission or supplement and shall not issue a notice of compliance in respect of the new drug before the end of a period of eight years after the day on which the first notice of compliance was issued to the innovator in respect of the innovative drug.

 

[9]               Apotex fabrique et distribue des produits pharmaceutiques. La plupart des produits sont « génériques ». Apotex, qui est le plus important fabricant canadien de médicaments génériques, décrit, de façon générale, la procédure que suit normalement le ministre de la Santé pour examiner et approuver les demandes d’« avis de conformité » présentées par les fabricants de produits génériques en vue d’obtenir l’autorisation de commercialiser leurs médicaments.

 

[10]           Nulle part dans son avis de demande Apotex ne dit qu’elle a présenté une demande d’avis de conformité que le ministre aurait, en vertu du Règlement sur la protection des données, refusé d’examiner ou refusé d’approuver ou pour laquelle il aurait refusé de délivrer un avis de conformité. D’ailleurs, Apotex ne fait allusion à aucune mesure de quelque nature que ce soit qui aurait été prise en vertu du Règlement. Elle n’évoque aucun cas dans lequel le Règlement aurait été effectivement appliqué ou mis en oeuvre.

 

[11]           Malgré ces omissions, Apotex invoque les moyens suivants au soutien de sa demande :

a)      l’effet et l’application du Règlement sur la protection des données ne font ressortir aucun lien logique avec la disposition habilitante;

b)      la mise en œuvre des mesures représentées par la disposition habilitante et par le Règlement outrepasse la compétence fédérale;

c)      la disposition habilitante permet l’exercice de pouvoirs vastes, indéterminés et imprécis;

d)      elle ne sait pas avec certitude si le Règlement sera concrètement appliqué de façon restrictive ou libérale.

(Avis de demande, dossier de requête des requérants, aux pages 18 à 22.)

 

            Historique procédural

[12]           Le 22 novembre 2006, environ un mois après la publication du Règlement sur la protection des données, Apotex a déposé un avis de demande dans la présente instance.

 

[13]           Le 19 décembre 2006, les avocats des défendeurs ont écrit à la Cour et aux avocats de la demanderesse en réponse à une requête fondée sur l’article 317 des Règles, pour indiquer que cet article ne s’appliquait pas en l’espèce puisque aucune « décision » n’est attaquée.

 

[14]           Le 8 janvier 2007, la demanderesse a déposé ses affidavits à l’appui de sa demande. Avec le consentement des parties, les affidavits des défendeurs ont été déposés et signifiés le 22 février 2007.

 

[15]           Le 18 janvier 2007, Apotex a déposé un avis de requête en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant aux défendeurs de se conformer à l’article 317 des Règles.

 

[16]           Le 5 février 2007, Eli Lilly Canada Inc. a déposé un avis de requête en vue d’obtenir une ordonnance la constituant partie défenderesse dans la présente instance ou, à titre subsidiaire, lui accordant l’autorisation d’intervenir. Le principal moyen invoqué par Eli Lilly au soutien de sa requête porte sur les deux présentations de drogue nouvelle qu’elle a récemment soumises et qui renferment des données censées être protégées par le Règlement sur la protection des données (avis de requête de Eli Lilly Canada Inc., 5 février 2007, dossier de requête des requérants, aux pages 36 à 48). La requête d’Eli Lilly a également été instruite le 27 février 2007 par le soussigné.

 

Instance connexe

[17]           Le 14 novembre 2006, l’Association canadienne du médicament générique a introduit une demande très semblable à la présente (dossier no T-1976-06) et a modifié son avis de demande le 19 janvier 2007. Le 30 janvier 2007, une requête en radiation de la demande au motif que la demanderesse n’avait pas qualité pour agir a été instruite. Cette requête a été rejetée aux termes de la décision rendue le 9 février 2007 (motifs des ordonnances rendues dans le dossier T-1976-06, dossier de requête des requérants, aux pages 49 à 61). Un avis d’appel portant sur cette décision a été envoyé le 19 février 2007 (dossier de requête des requérants, aux pages 62 à 66).

 

QUESTIONS EN LITIGE

[18]           (1)        Apotex a-t-elle la qualité requise pour pouvoir introduire la présente demande?

(2)        La demande devrait-elle être radiée?

 

ANALYSE

            Apotex a-t-elle la qualité requise pour pouvoir introduire la présente demande?

[19]           Nul ne peut introduire une demande de contrôle judiciaire devant notre Cour s’il n’est « directement touché par l’objet de la demande » (paragraphe 18.(1), Loi sur les Cours fédérales, précité). Il n’y a exception à ce principe que lorsque le demandeur a la qualité pour agir dans l’intérêt public. Nous y reviendrons plus loin. De toute évidence, cette exigence vise un double objectif : s’assurer que les bonnes personnes sont constituées parties à l’instance et s’assurer que le litige porté devant la Cour comporte un objet que la Cour peut effectivement examiner.

 

[20]           Pour pouvoir considérer que le demandeur est « directement touché », il faut que la question en litige ait un effet préjudiciable sur les droits qui lui sont reconnus par la loi, qu’elle lui impose des obligations juridiques ou qu’elle lui porte directement préjudice (voir l’arrêt Rothmans of Pall Mall Canada Ltd. c. Canada (Ministère du Revenu national – M.R.N.), [1976] 2 C.F. 500 (C.A.); Kwicksutaineuk/Ah-kwa-mish Tribes c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), 2003 CFPI 30 (C.F. 1re inst.), [2003] A.C.F. no 98 (QL), au paragraphe 8, conf. pour d’autres motifs par 2003 CAF 484, [2003] A.C.F. no 1893 (C.A.) (QL), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée à [2004] C.S.C.R. no 55).

 

[21]           Le Règlement sur la protection des données impose des restrictions particulières à certains fabricants qui cherchent à obtenir un avis de conformité pour un nouveau médicament. Tant qu’il ne se présentera pas une situation dans laquelle un fabricant demande un avis de conformité et que le ministre donne suite à cette demande ou refuse d’y accéder, conformément au Règlement sur la protection des données, la « question » n’aura pas d’effet direct et personne ne sera directement touché. Tant que cette situation ne se présentera pas, la Cour ne sera pas régulièrement saisie de la question et le demandeur ne sera pas régulièrement constitué partie devant la Cour.

 

[22]           Ce sont les conclusions auxquelles notre Cour est arrivée dans deux décisions antérieures dans lesquelles les demandes, qui avaient toutes les deux également été présentées par Apotex (et par un autre fabricant de médicaments) au sujet d’un autre règlement, avaient été rejetées (Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] A.C.F. no 1092; Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] A.C.F. no 1096, conf. pour d’autres motifs par [1999] A.C.F. no 1978 (C.A.F.). Dans ces affaires, comme dans la présente, le règlement en litige touchait les droits des fabricants de médicaments qui soumettaient des présentations de drogue nouvelle particulières. Dans ces affaires, comme dans la présente, les demanderesses n’avaient pas soumis de telles présentations de drogue nouvelle.

 

[23]           La Cour a jugé que les demanderesses n’avaient pas qualité pour présenter la demande. Dans une de ces décisions, la Cour a déclaré ce qui suit :

[5]        […] Je ne suis pas convaincu que les demanderesses ont la qualité nécessaire pour introduire la présente demande de contrôle judiciaire. Ni l'une ni l'autre n'a en effet déposé d'avis de conformité comme point de comparaison ou de référence d'un médicament visé par le brevet, et ni l'une ni l'autre n'a envoyé d'avis d'allégation de non-contrefaçon au titulaire du brevet.

[6]        Si des observations sont effectivement présentées un jour au sujet d'un avis de conformité, si Glaxo Biochem Inc. présente alors une demande de contrôle judiciaire en vue de faire juger si l'allégation de non-contrefaçon est justifiée, la Cour sera alors saisie de la question de savoir si le brevet est régulièrement consigné au registre et la partie ou les parties qui soumettront alors la présentation de drogue nouvelle se présenteront elles aussi régulièrement devant notre Cour.

 

(Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] A.C.F. no 1092.)

 

[24]           Dans une autre décision, la Cour a déclaré ce qui suit :

[14]      Les demanderesses sont des fabricants de médicaments génériques et, à ce titre, elles soumettent régulièrement des présentations de drogues nouvelles en conformité avec le Règlement. Elles participent aussi régulièrement à des procès visés par le Règlement en question qui sont intentés contre elles par des « fabricants de médicaments d'origine » ou des « premières personnes ». Il n'est toutefois fait mention en l'espèce d'aucun brevet précis inscrit au registre au sujet duquel l'une ou l'autre des demanderesses aurait soumis une présentation de drogue nouvelle.

[…]

[16]     Compte tenu des éléments de preuve qui ont été portés à ma connaissance, je ne vois aucune raison de conclure que les demanderesses sont  « directement touchées » au sens du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale par la façon dont le ministre tient le registre à jour. Les demanderesses ne sont pas des « secondes personnes » ayant des intérêts déterminés en jeu au sens du Règlement en vertu duquel le ministre tient le registre à jour. Je conclus que, bien qu'elles soient de telles personnes, ou qu'elles puissent un jour le devenir, en ce qui concerne une ou plusieurs inscriptions précises du registre, cela ne suffit pas pour constituer un intérêt direct justifiant la présente demande.

[…]

[18]      Je conclus que, même si l'objet de la présente demande peut régulièrement faire l'objet d'un contrôle judiciaire, les demanderesses n'ont toutefois pas la qualité pour introduire la présente demande. (Souligné dans l’original.)

 

(Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] A.C.F. no 1096.)

 

[25]           Dans la présente instance, Apotex se retrouve avec le même défaut de qualité pour agir. Rien ne permet de penser que le Règlement sur la protection des données a été appliqué de manière à imposer effectivement une restriction à Apotex – ou à tout autre fabricant de médicaments cherchant à obtenir un avis de conformité. Comme dans les affaires précitées, la possibilité qu’Apotex puisse à un moment donné dans l’avenir être touchée par le Règlement ne lui confère pas présentement la qualité pour agir.

 

[26]           Il ressort de ces réflexions qu’Apotex n’a pas qualité pour agir et qu’elle ne devrait pas être autorisée à ester en justice. On peut toutefois pousser cette analyse plus loin pour le cas où l’on craindrait que la question puisse par ailleurs être à l’abri d’une contestation.

 

[27]           Un jour, un cas répondant aux conditions prescrites se présentera sous l’une ou l’autre des deux formes suivantes, compte tenu surtout de l’esprit procédurier qui règne dans cette industrie. Un fabricant de médicaments génériques réclamera un avis de conformité pour sa version d’un médicament déterminé fabriqué par un innovateur, et le ministre prendra une décision qui aura pour effet de mettre en œuvre le Règlement sur la protection des données. Dans la première hypothèse, le ministre pourrait refuser d’accepter ou d’approuver la demande ou refuser de délivrer un avis de conformité. Le fabricant de médicaments génériques pourrait alors introduire une demande de contrôle judiciaire en invoquant des moyens légitimes (y compris, s’il le juge opportun, ceux qui sont invoqués en l’espèce). Dans cette demande, la demanderesse désignerait comme défendeur le fabricant innovateur du médicament auquel le médicament générique est comparé. Dans la seconde hypothèse, le ministre pourrait accepter la demande, l’approuver et délivrer un avis de conformité. Le fabricant du médicament innovateur pourrait alors introduire une demande de contrôle judiciaire en invoquant des moyens appropriés. Dans cette demande, le demandeur désignerait comme défendeur le fabricant du médicament générique faisant l’objet de l’avis de conformité.

 

[28]           Dans une hypothèse comme dans l’autre, la Cour sera saisie d’un cas dans lequel il y a un effet direct et dans lequel les personnes directement touchées sont devant elle. Tenter de trancher la présente demande, dans laquelle cette situation n’existe pas, irait à l’encontre du principe judiciaire bien connu suivant lequel on ne peut demander au tribunal d’intervenir dans un débat abstrait s’il n’existe pas de véritable différend portant sur des faits concrets (on cite, à cet égard le jugement Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada), 2004 CF 507, [2004] A.C.F. no 649 (QL), spécialement aux paragraphes 77 et 78, dans lequel la Cour a rejeté la demande au motif qu’elle était prématurée et spéculative; Corp. of Canadian civil Liberties Assn. c. Canada (Procureur général), [1998] O.J. no 2856 (C.A.), spécialement aux paragraphes 91 et 92). Le juge John C. Major a fait remarquer (bien qu’il s’agisse d’une affaire portant sur la Charte ayant trait à la qualité pour agir dans l’intérêt public) que ce principe « reflète la vigilance dont notre Cour fait preuve pour s'assurer qu'elle entend les arguments des parties qui sont le plus directement touchées par une question. L'absence de faits propres aux appelants compromet la capacité de la Cour de s'assurer qu'elle entend ceux qui sont le plus directement touchés et que les questions relatives à la Charte sont tranchées dans un contexte factuel approprié » (Hy and Zel’s Inc. c. Ontario (Procureur général), [1993] R.C.S. 675, au paragraphe 20).

 

[29]           On ne saurait par ailleurs prétendre qu’Apotex pourrait avoir la qualité pour agir dans l’intérêt public. Celui qui cherche à se faire reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public doit notamment convaincre la Cour qu’il n’existe aucun autre moyen raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux. La Cour suprême du Canada a expliqué que ce critère « se situe au cœur même du pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir dans l'intérêt public » (arrêt Hy and Zel’s, précité, au paragraphe 16), parce que, « lorsqu'il statue sur un point litigieux, [le tribunal devrait être en mesure de permettre aux] principaux intéressés [de] faire valoir contradictoirement leurs points de vue » (Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607 infra, au paragraphe 35). Il existe de toute évidence un moyen plus raisonnable et plus efficace de saisir la Cour de la question, en l’occurrence l’un ou l’autre des moyens déjà évoqués.

 

[30]           Ainsi, Apotex n’est pas une personne directement touchée par l’objet de la demande et elle est donc irrecevable à introduire la présente demande de contrôle judiciaire pour le moment.

 

La demande devrait-elle être radiée?

[31]           Bien que l’on dise qu’on ne devrait recourir que dans des cas tout à fait exceptionnels à une requête en radiation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour rejettera une demande de contrôle judiciaire par ce moyen si cette demande est à ce point irrégulière qu’elle n’a pas la moindre chance d’être accueillie pour le moment (Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (C.A.F.), [1995] 1 C.F. 588 (C.A.); [1994] A.C.F. no 1629 (QL)).

 

[32]           Sur ce fondement, des avis de demande ont été radiés dans de nombreuses affaires, et notamment dans les cas suivants :

a)         lorsque la Cour n’a pas compétence parce que le demandeur :

i.          aurait pu recourir à la procédure de règlement des griefs prévue par la loi (Bouchard) ou à une procédure d’appel (Hydro-Ontario et Fast);

ii.          n’a pas présenté sa demande devant la bonne section de la Cour (Rocky Mountain);

iii.         a contesté une décision qui n’émanait pas d’un office fédéral (Mennes, Spatling, Scheuneman et Brazeau);

iv.         a contesté une lettre ou une décision qui ne comportait pas d’effets juridiques pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire (Kourtchenko et Moses);

v.         a fait défaut de réclamer une réparation de fond qui relevait de la compétence de la Cour (Nourhaghighi, Lavoie et Al-Mhamad).

b)         lorsqu’il était évident que le demandeur ne pouvait remplir les conditions préalables à l’octroi d’une réparation dans le cadre d’une demande de bref de mandamus (Rocky Mountain);

c)         lorsqu’un autre texte législatif prévoyait un code complet qui ouvrait d’autres recours (Syntex);

d)         lorsque le demandeur sollicitait un jugement déclaratoire pour enjoindre au défendeur de se conformer à la loi à l’avenir (Syntex);

e)         lorsque la réparation demandée est théorique ou qu’elle ne peut par ailleurs avoir d’effet pratique (Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information));

f)          lorsque le fait de permettre l’instruction de la demande équivaudrait à un abus de procédure parce que précisément la même question a déjà été plaidée dans une autre demande (même si les défendeurs sont différents) (Hoffman-LaRoche et Syntex).

(Bouchard c. Canada (1999) 255 N.R. 183 (C.A.F.), [1999] A.C.F. no 1807 (QL);

 

Hydro-Ontario c. UMG Telecommunications Inc., [1998] A.C.F. 746 (C.A.) (QL);

 

Fast c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 1 C.F. 257, [2000] A.C.F. 1116 (C.F. 1re inst.) (QL);

 

Rocky Mountain Ecosystem Coalition c. Canada (Office national de l’Énergie), (1999) 174 F.T.R. 17, [1999] A.C.F. no 1223 (QL);

 

Mennes c. Canada (Procureur général), (1998) 149 F.T.R. 317 (C.F. 1re inst.); [1998] A.C.F. no 800, conf. par (1999), 247 N.R. 295 (C.A.);

 

Spatling c. Canada (Solliciteur général), 2003 CFPI 621, [2003] A.C.F. no 621 (QL), au paragraphe 5;

 

Scheuneman c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 194, [2003] A.C.F. no 686 (C.A.) (QL);

 

Brazeau c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 621, [2003] A.C.F. no 687 (C.A.) (QL);

 

Kourtchenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998) 146 F.T.R. 23 (C.F. 1re inst), [1998] A.C.F. no 159 (QL);

 

Moses c. Canada, 2002 CFPI 1088, [2002] A.C.F. no 1444 (QL);

 

Nourhaghighi c. Canada (Commission des droits de la personne), [2001] A.C.F. no 75 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 6;

 

Lavoie c. Canada, [2000] A.C.F. 360 (C.F. 1re inst) (QL);

 

Al-Mhamad c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), 2003 CAF 45, [2003] A.C.F. no 145 (C.A.) (QL);

 

Rocky Mountain, précité;

 

Syntex (U.S.A.) L.L.C. c. Canada (Ministre de la Santé), 2002 CAF 289, [2002] A.C.F. no 2020 (QL);

 

Syntex (U.S.A.) L.L.C. c. Canada (Ministre de la Santé, 2001 CFPI 1185, [2001] A.C.F. no 1647 (QL);

Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), [1998] 1 F.C. 337 (C.F. 1re inst.), [1997] A.C.F. no 1160, conf. par [2000] A.C.F. no 17 (C.A.);

 

Hoffmann-LaRoche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1998) 158 F.T.R. 135 (C.F. 1re inst), [1998] A.C.F. no 1706;

 

Syntex (U.S.A.) L.L.C. c. Canada (Ministre de la Santé), 2001 CFPI 1185, précité, aux paragraphes 18 à 22).

 

 

[33]           De même, une demande de contrôle judiciaire devrait être radiée lorsque le demandeur n’a pas qualité pour l’introduire. La Cour peut trancher la question de la qualité pour agir en tant que question préliminaire dans le cadre d’une requête en radiation d’une demande de contrôle judiciaire, et elle peut radier la demande dans un cas très clair.

(On cite à cet égard les décisions suivantes Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), [1999] 2 C.F. 211 (C.F. 1re inst.), [1998] A.C.F. no 1761 (QL), aux paragraphes 24 à 26; Alberta c. Canada (Commission du blé), [1998] 2 C.F. 156 (C.F. 1re inst.), [1997] A.C.F. 1484 (QL), conf. pour d’autres motifs par [1998] A.C.F. no 1747 (C.A.) (QL)).

 

 

[34]           Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a fait remarquer dans l’arrêt Finlay, précité :

 

[16]     […] relevait du pouvoir discrétionnaire du tribunal, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, la question de savoir s'il fallait rendre une décision définitive sur la question de la qualité pour agir, en tant qu'exception préliminaire, ou s'il fallait attendre et statuer sur ce point en même temps qu'on statuait sur le fond […] Cela dépend de la nature des points litigieux et de savoir si le dossier dont la cour est saisie, les énoncés des faits et du droit, et les arguments invoqués sont suffisants pour lui permettre de bien comprendre, au stade de l'exception préliminaire, la nature de l'intérêt invoqué. (Souligné dans l’original.)

 

 

[35]           Apotex n’est pas une personne directement touchée au sens de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales et l’on ne saurait prétendre qu’elle a pour le moment la qualité pour agir dans l’intérêt public. Ainsi que le juge John Evans l’explique, dans l’arrêt Sierra Club, précité :

[26]     Bien sûr, le tribunal qui estime être saisi d'un dossier suffisant pour lui permettre de se prononcer peut légitimement refuser de reconnaître la qualité pour agir à l'étape d'une requête préliminaire […]

 

CONCLUSION

[36]           Par conséquent, on peut et on doit conclure à ce moment-ci que la demande n’a pas la moindre chance de prospérer. Comme une demande de contrôle judiciaire ne peut être présentée que par une personne directement touchée par l’objet de la demande et comme Apotex ne répond pas à cette définition, il est évident et manifeste que la demande de contrôle judiciaire ne saurait être accueillie. L’avis de demande est radié et la demande est rejetée avec dépens.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’avis de demande soit radié et que la demande soit rejetée, le tout sans frais.

 

 

« Michel M. J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-2047-06

 

INTITULÉ :                                                   APOTEX INC.

                                                                        c.

            LE GOUVERNEUR EN CONSEIL,

            LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

                                                 LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 27 février 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 5 mars 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Simpson

Miles Hastie

 

POUR LA DEMANDERESSE

F.B. Woyiwada

Richard Casanova

 

Richard R. Dearden

Wendy Wagner

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

POUR L’INTERVENANTE PROPOSÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

POUR L’INTERVENANTE PROPOSÉE

 

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