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Date : 20070228

Dossier : IMM-3812-06

Référence : 2007 CF 231

Montréal (Québec), le 28 février 2007

en présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

entre :

ERNESTINE SHA'ER

demanderesse

et

 

le ministre de la citoyenneté

et de l’immigration

défendeur

 

 

 

motifs du jugement et jugement

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), contre la décision d’un agent d’immigration rendue le 15 juin 2006. Dans sa décision, l’agent a rejeté la demande d’exemption de visa de la demanderesse; cette demande était fondée sur des motifs d’ordre humanitaire; la décision de l’agent constitue le fondement du présent contrôle judiciaire.

 

[2]               La demanderesse avait également présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) pour les mêmes raisons que sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agent a rejeté la demande d’ERAR le même jour que celui où la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été rejetée, sur la base d’une absence d’éléments de preuve survenus depuis le rejet aux termes de l’alinéa 113a) de la Loi, et sur la base de l’insuffisance de la preuve qui appuyait les allégations de la demanderesse. Aucune demande d’autorisation n’a été présentée pour cette décision d’ERAR.

 

[3]               Les éléments les plus pertinents relatifs à la présente procédure sont les suivants :

 

[4]               Ernestine Sha’er (la demanderesse) est une chrétienne arabe, citoyenne d’Israël. Elle a présenté une demande d’asile au Canada en avril 2004, en raison des menaces de la famille de son fiancé en Israël. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté sa demande; la CISR a conclu que ses allégations n’étaient pas crédibles. La Cour a rejeté sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la CISR (IMM‑758‑05).

 

[5]               En avril 2005, la demanderesse a présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (modifiée en avril 2006). Elle soutenait qu’elle subirait des difficultés excessives si elle était renvoyée en Israël, en raison de son niveau d’intégration au Canada, en raison des menaces de la famille de son fiancé et en raison de la discrimination envers les Arabes d’Israël. Cette demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été rejetée par l’agent d’immigration le 15 juin 2006.

 

[6]               Lorsqu’il a examiné la discrimination alléguée par la demanderesse dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agent a principalement examiné si la discrimination en cause répondait aux exigences de l’article 97 de la Loi; de ce fait, il a appliqué le critère se rapportant à une demande d’ERAR.

 

[7]               Il est bien entendu, et les parties sont d’accord, que le critère à appliquer pour les décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire est le suivant : si on tient compte de toutes les circonstances pertinentes, est-ce que l’obligation générale imposée à tous les étrangers de présenter une demande de résidence permanente à partir de l’étranger causerait à la demanderesse des difficultés inhabituelles, injustes ou indues (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 17; Legault c. Canada (M.C.I.), [2002] 4 C.F. 358, 2002 CAF 125 au paragraphe 23). Les difficultés inhabituelles, injustes ou indues incluent le risque que la demanderesse courrait dans le pays dont elle a la nationalité, son degré d’intégration dans la société canadienne et les conséquences de son renvoi du Canada.

 

[8]               Il y a des différences substantielles d’analyse entre une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et une demande d’ERAR, comme cela est clairement exposé par le juge en chef Allan Lutfy dans Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 366 (QL), 2005 CF 296, aux paragraphes 3 et 4. 

 

3     Dans une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), le demandeur a le fardeau de convaincre le décideur qu’il y aurait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives à obtenir un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada.

 

4     Dans un examen des risques avant renvoi en vertu des articles 97, 112 et 113 de la LIPR, la protection peut être accordée à une personne qui, suivant son renvoi du Canada vers son pays de nationalité, serait exposée soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels et inusités.

 

[9]               Je remarque que, même si les critères pour une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et ceux pour une demande d’ERAR sont différents, ils sont liés comme l’a conclu le juge en chef Lutfy dans la décision Liyanage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.), [2005] A.C.F n° 1293 (QL), 2005 CF 1045. Au paragraphe 41 il déclare ce qui suit :

[…] l’agente d’immigration pouvait, pour l’analyse de la demande fondée sur des considérations humanitaires, adopter les conclusions factuelles de sa décision relative à l’évaluation des risques avant renvoi. Toutefois, il importait qu’elle soumette lesdites conclusions factuelles au critère des difficultés inhabituelles, injustes ou excessives, un seuil plus faible que le critère des menaces à la vie ou des peines cruelles et inusitées, lequel critère valait pour la décision relative à l’évaluation des risques avant renvoi.

 

[10]           Ainsi, dans la présente affaire, la question est de savoir si l’analyse menée par l’agent révèle qu’il a évalué les faits pertinents par rapport au critère des difficultés inhabituelles, injustes ou indues comme cela est exigé dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire; voir la décision Liyanage précitée, au paragraphe 44.

 

[11]           D’une part, le défendeur soutient que la question de savoir si l’agent a appliqué le mauvais critère juridique est seulement théorique dans la présente affaire, puisqu’il n’y avait aucun motif valable sur lequel la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire aurait pu être accueillie. La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire reposait sur les mêmes allégations, réputées non crédibles, que la demanderesse avait présentées à la CISR. Ces allégations avaient également été soulevées relativement à sa demande d’ERAR, que l’agent n’a pas accueillie au motif que la demanderesse n’avait pas suffisamment étayé ses prétentions quant aux craintes qu’elle disait éprouver. Par conséquent, le défendeur soutient qu’il n’y avait pas de preuve valable sur laquelle la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire aurait pu être accueillie et que donc, son résultat serait resté le même.

 

[12]           D’autre part, la demanderesse soutient que l’agent a pris acte de ce que la discrimination contre les Arabes d’Israël alléguée par la demanderesse était [traduction] « un problème bien concret » en Israël. Étant donné qu’il avait accepté cette allégation, l’agent a commis une erreur de droit lorsqu’il n’a pas tenu compte de cette discrimination pour juger des difficultés inhabituelles, injustes ou indues et qu’au contraire, il a rejeté l’importance de la discrimination par suite d’une analyse propre à juger de la « persécution » dans le cadre d’un ERAR. Je suis d’accord avec la demanderesse.

 

[13]           Même s’il est clair que l’agent a étudié la preuve relative à la discrimination que la demanderesse disait avoir subie et lui a accordé peu d’importance, les motifs du rejet de son applicabilité reposaient uniquement sur une analyse propre à un ERAR, sans qu’il soit fait mention des difficultés inhabituelles, injustes ou indues pour la demanderesse. Cela ressort clairement de l’extrait suivant de la décision :

 

[traduction] […] J’accorde peu d’importance aux documents de la demanderesse relatifs à la discrimination contre les Arabes d’Israël qui décrivent principalement des questions liées à la vie civile (la propriété foncière, les possibilités d’emploi, etc.) qui ne sont pas liées aux allégations de la demanderesse quant aux risques qu’elle courait ou à son inaptitude à obtenir la protection de la police. Je remarque également que dans son FRP, la demanderesse ne mentionne pas qu’elle a été victime de discrimination en Israël sur la base de son origine arabe ou chrétienne, autre que la discrimination qui provient de la famille de son fiancé.

[Non souligné dans l’original.]

 

[14]           En outre, la décision de l’agent montre qu’il a pris acte des allégations de discrimination de la demanderesse et que par la suite il en a minimisé l’importance en raison d’une mauvaise analyse juridique :

[traduction] Même s’il est vrai que la discrimination est un problème bien concret pour les minorités ethniques et religieuses en Israël, cela ne constitue pas en soi une persécution et ne démontre pas que le gouvernement israélien n’a pas la volonté et n’est pas en mesure de protéger la demanderesse. La preuve documentaire révèle que les citoyens israéliens peuvent compter sur la protection de la police et des tribunaux et que des recours officiels existent pour les personnes qui ont le sentiment d’être victime de discrimination de la part des policiers.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[15]           L’agent a fondamentalement pris acte de la discrimination, mais il a omis d’examiner correctement si cela constituait une difficulté inhabituelle, injuste ou indue pour la demanderesse dans les circonstances, comme cela est exigé dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Au lieu de cela, ses motifs révèlent qu’il a effectué une analyse propre à un ERAR qui a abouti au rejet de la discrimination comme moyen valable d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il s’agit là d’une erreur de droit et cette erreur justifie l’intervention de la Cour; voir Pinter, précitée au paragraphe 6; Liyanage, précitée, au paragraphe 44.

 

[16]           Au vu de ce qui précède, il n’y a pas lieu d’examiner la question de la crainte raisonnable de partialité, puisque l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

 

[17]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de la décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.

 


JUGeMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est accueillie et l’affaire est renvoyée devant un autre agent d’immigration pour nouvel examen.

 

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                              IMM-3812-06

 

INTITULÉ :                                             Ernestine Sha’er

                                                                  c.

                                                                  le ministre de la citoyenneté

                                                                  et de l’immigration

 

lieu de l’audience :                       Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                     le 27 février 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

et jugement :                                    la juge TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                            le 28 février 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Jared Will

 

pour la demanderesse

Evan Liosis

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Jared Will

Montréal (Québec)

 

pour la demanderesse

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

pour le défendeur

 

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