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Date : 20070220

Dossier : IMM-1790-06

Référence : 2007 CF 186

Ottawa (Ontario), le 20 février 2007

En présence de Monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

SERGEY ANDRYANOV

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est un ressortissant russe marié à une citoyenne canadienne. En 2002, l’épouse du demandeur a parrainé la demande de résidence permanente de celui-ci. Un long et déroutant échange de correspondance a eu lieu entre les parties au sujet d’un passeport que M. Andryanov soutient n’avoir jamais eu en sa possession, ce qui a donné lieu à une situation sans issue. En l’absence du passeport, les fonctionnaires du défendeur ont refusé de reconnaître que M. Andryanov était la personne qu’il soutenait être; pour sa part, l’ambassade de la Russie a refusé de lui délivrer un passeport à celui-ci en l’absence d’une demande en ce sens de la part des fonctionnaires du défendeur. Ceux‑ci ont refusé de présenter cette demande, parce que l’obligation de fournir le passeport incombait au demandeur. En conséquence, M. Andryanov a vu sa demande refusée dans la décision du 15 mars 2006 dont il sollicite le contrôle judiciaire.

 

[2]               À la fin de l’audience, qui a eu lieu à Toronto le 13 février 2006, j’ai fait savoir aux parties que la demande serait accueillie. Voici les motifs de ma décision.

 

[3]               Je souligne que le dossier ne comporte aucun indice donnant à penser qu’un doute véritable aurait existé au sujet de l’identité de M. Andryanov. Effectivement, lorsque celui-ci est arrivé au Canada, il avait en main un « passeport de marin » en cours de validité qui avait été délivré par la Fédération de Russie. Le demandeur a également déposé subséquemment un certificat de naissance délivré par l’Union des républiques socialistes soviétiques.

 

[4]               En août 2002, le demandeur et son épouse se sont rendus au bureau du défendeur situé à Etobicoke pour être interrogés au sujet de leur mariage. L’agent qui a mené l’entrevue a été convaincu que le mariage était authentique. Il appert d’une lettre du 15 août 2002 que la demande du demandeur en vue d’obtenir une dispense de l’obligation d’obtenir un visa conformément au paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 a été approuvée.

 

[5]               Une abondante correspondance a ensuite été échangée entre le demandeur et les fonctionnaires du défendeur au sujet de l’alinéa 50(1)a) ou b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR), plus précisément quant à la remise par le demandeur d’un passeport ou titre de voyage délivré par son pays d’origine. Voici le texte de ces dispositions :

50. (1) En plus du visa de résident permanent que doit détenir l’étranger qui cherche à devenir résident permanent à un point d’entrée, l’étranger qui entend devenir résident permanent doit détenir l’un des documents suivants :

50. (1) In addition to the permanent resident visa required of a foreign national seeking to become a permanent resident at a port of entry, a foreign national seeking to become a permanent resident must hold

a) un passeport — autre qu’un passeport diplomatique, officiel ou de même nature — qui lui a été délivré par le pays dont il est citoyen ou ressortissant;

(a) a passport, other than a diplomatic, official or similar passport, that was issued by the country of which the foreign national is a citizen or national;

b) un titre de voyage délivré par le pays dont il est citoyen ou ressortissant;

 

(b) a travel document that was issued by the country of which the foreign national is a citizen or national;

 

[6]               Il appert clairement du manuel que CIC fournit aux fonctionnaires pour les aider à interpréter ce règlement, soit le Guide sur le traitement des demandes au Canada de Citoyenneté et Immigration (IP), que la véritable raison pour laquelle ce passeport ou titre de voyage est exigé est de vérifier l’identité de la personne qui demande la résidence permanente. Ainsi, au chapitre 5 du Guide, Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (IP5), il est question de la dispense de l’obligation d’obtenir un passeport. Selon le chapitre IP5, le sous-alinéa 72(1)e)(ii) du RIPR prévoit que « tous les étrangers doivent être munis d’un passeport en cours de validité pour obtenir le statut de résident permanent ». Cependant, l’article 72 du RIPR énonce simplement les exigences relatives aux demandes de résidence permanente présentées au Canada par les membres de certaines catégories, dont la catégorie des époux ou conjoints de fait. Le sous-alinéa 72(1)e)(ii) prévoit simplement que ces personnes doivent être titulaires « ... de l’un des documents visés aux alinéas 50(1)a) à h) ». Toujours selon le chapitre IP5, l’exigence relative à un passeport en cours de validité s’explique par le fait que ce document « est une confirmation relativement appropriée d’identité car généralement, les pays, pour la plupart, vérifient soigneusement l’identité d’un demandeur avant de lui délivrer un passeport lui accordant le droit d’entrée dans ce pays » et « les gouvernements émetteurs sont souvent mieux placés pour vérifier les pièces d’identité que les agents canadiens ».

 

[7]               Dans une lettre du 3 novembre 2003, le demandeur a été informé par un fonctionnaire de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) que les « passeports de marin » ne constituent pas une pièce d’identité acceptable aux fins de l’obtention du droit d’établissement et que le demandeur devait fournir une photocopie d’un passeport « en cours de validité » de la Russie. L’objection touchant les passeports de marin ne semble pas être fondée sur une règle de droit, mais plutôt sur une ligne directrice que CIC a adoptée comme politique. L’exigence relative à un passeport « en cours de validité » découle de l’ancien texte législatif. Aucune explication n’a été donnée dans la lettre quant aux raisons pour lesquelles le document ne pourrait servir de titre de voyage qui, selon l’alinéa 50(1)b) du RIPR, est accepté en remplacement du passeport.

 

[8]               Dans la correspondance qui a été échangée par la suite entre M. Andryanov et des fonctionnaires de CIC, le demandeur a avisé ceux-ci à maintes reprises des efforts qu’il avait déployés pour obtenir un passeport régulier de l’ambassade de la Russie, précisant que les représentants consulaires de l’ambassade étaient disposés à l’aider sur réception d’une demande directe de CIC. Dans leurs réponses, les fonctionnaires de CIC ont soutenu que les lettres qu’ils avaient envoyées à M. Andryanov devraient suffire à titre d’avis aux représentants consulaires de la Russie. Subsidiairement, le demandeur a été informé qu’il devait fournir une lettre dans laquelle l’ambassade expliquerait les raisons pour lesquelles le passeport demandé ne serait pas délivré. M. Andryanov a expliqué aux fonctionnaires de CIC que le passeport de marin lui a été délivré lorsqu’il est allé à l’étranger et qu’il s’agissait de la seule forme de passeport qu’il a reçue. Le demandeur a également déposé sa carte d’identité nationale, laquelle est exigée aux fins internes en Russie. Le dossier fait état d’une certaine confusion entre ces documents lors de la révision occasionnelle du dossier par les fonctionnaires de CIC.

 

[9]               Le 18 janvier 2006, un fonctionnaire a écrit au demandeur pour l’informer que la carte d’identité interne et le permis de conduire de celui-ci n’étaient pas acceptables pour l’octroi de sa demande de résidence permanente; les documents en question étaient joints à cette lettre dans laquelle le passeport est appelé de façon erronée le « carnet de marin ». Il est également mentionné dans cette lettre que le rapport d’examen médical du demandeur est manquant. Comme dans toutes les autres lettres qu’il a reçues, il est précisé dans cette lettre que le demandeur dispose d’un délai de 30 jours pour répondre. Il appert d’une lettre portant la même date que, si le demandeur est incapable d’obtenir un passeport, il doit fournir une lettre de l’ambassade faisant état des raisons de cette impossibilité.

 

[10]           Le 18 février 2006, le demandeur a répondu en faisant savoir qu’il ne serait pas en mesure de fournir « un passeport valide », parce qu’il ne pouvait pas se rendre en Russie pour en obtenir un et, en réitérant que le consulat général de la Russie à Toronto avait refusé de fournir une lettre précisant les raisons pour lesquelles un passeport ne serait pas délivré à moins que la demande ne provienne directement de CIC.

 

[11]           Le 15 mars 2006, le demandeur a reçu une lettre faisant état du refus de la demande de résidence permanente qu’il avait présentée depuis l’intérieur du Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Voici un extrait pertinent de cette lettre :

[traduction] Une décision distincte a été prise au sujet de votre capacité de respecter les autres exigences de la loi et il semble que vous êtes interdit de territoire au Canada. Plus précisément, vous n’êtes pas en mesure de fournir un passeport ou une pièce d’identité satisfaisante afin de me convaincre de votre identité et de respecter les exigences applicables à l’obtention de la résidence permanente. Vous avez obtenu une prolongation de délai et plusieurs occasions de fournir une pièce d’identité satisfaisante ou une explication raisonnable et vous n’avez pu fournir ni l’une ni l’autre.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[12]           Le demandeur a soulevé deux questions au sujet de cette décision :

            1) L’agent d’immigration a-t-il commis un manquement au devoir d’équité procédurale en fournissant des motifs insuffisants à l’appui de sa décision?

 

            2) L’agent d’immigration a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas fourni une preuve d’identité satisfaisante ou une explication raisonnable?

 

ANALYSE

            La norme de contrôle

[13]           Étant donné que la décision soumise au contrôle est celle qu’un agent d’immigration a prise au cours de l’examen de facteurs d’ordre humanitaire, il est bien établi que la norme générale est la norme de la décision raisonnable : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 [Baker]. Tel qu’il est mentionné au paragraphe 62 de cet arrêt, « on devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi... ».

 

[14]           La question de savoir si l’agent d’immigration a commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas fourni une preuve d’identité satisfaisante est une question mixte de droit et de fait qui nécessite l’interprétation de l’article 50 du RIPR et l’application de cette disposition aux faits. En conséquence, la norme de contrôle est également la norme de la décision raisonnable : Ly c.  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 527, [2003] 4 C.F. 658, au paragraphe 20 (C.F. 1re inst.); Dave c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 510, 272 F.T.R. 168, au paragraphe 4; Woldeselassie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1540, au paragraphe 14.

 

[15]           La question de savoir si les motifs qui ont été fournis sont suffisants est une question d’équité procédurale et la norme de la décision correcte s’applique à ce type de question : Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 486, 250 F.T.R. 303, au paragraphe 9; Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, 139 A.C.W.S. (3d) 164, au paragraphe 9. Il n’est pas obligatoire de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle : Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 44.

 

            L’équité procédurale

[16]           La première question à examiner est de savoir si l’agent était tenu de fournir des motifs en l’espèce. La deuxième est de savoir si les motifs qui étaient exigés sont suffisants. Une comparaison avec les décisions rendues au sujet du paragraphe 46.04(8) de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 [Loi sur l’immigration], est éclairante pour les deux questions. Cette disposition énonçait que le droit d’établissement ne serait pas accordé, à moins que le demandeur n’ait en main un passeport ou titre de voyage en cours de validité ou une pièce d’identité satisfaisante. Dans Oumer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1353, 243 F.T.R. 155 [Oumer], il a été souligné que le paragraphe 46.04(8) prévoit des « exigences semblables » à celles qui sont maintenant énoncées au paragraphe 50(1) du RIPR.

 

[17]           Dans Popal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 532 (C.F. 1re inst.) [Popal], la Cour a conclu que l’affirmation de l’agent selon laquelle « ces documents [non identifiés] ne satisfont pas aux exigences de l’Immigration en ce qui a trait à l’établissement de votre identité » ne constituait pas une explication ou un motif au soutien du refus de la demande. La Cour a ensuite formulé les remarques suivantes au paragraphe 42 :

 

... Le défendeur avait peut-être bien des motifs valables de rejeter le permis de conduire de l’Ontario et sa carte d’assurance-maladie de l’Ontario en tant que « papiers d’identité acceptables », mais aucune explication et aucun motif n’ont été donnés. De même, aucune explication et aucun motif n’ont été donnés au sujet du rejet de l’affidavit dans lequel le frère du demandeur principal confirmait l’identité du demandeur principal. Je ne suis pas prêt à reconnaître que la phrase suivante de la lettre que le défendeur a envoyée au demandeur principal le 22 juin 1999 équivaut à une explication ou à un motif.

 

[traduction] Les papiers d’identité que vous avez soumis ne satisfont pas aux exigences du paragraphe 46.04(8) de la Loi sur l’immigration.

 

 

[18]           La Cour a ensuite conclu que le défendeur avait commis une erreur susceptible de révision en ne fournissant pas de motifs pour justifier le rejet des divers papiers d’identité qui lui avaient été remis, parce qu’il serait injuste à l’égard d’une personne visée par une décision de cette nature de ne pas lui expliquer pourquoi cette conclusion a été tirée.

 

[19]           Le résultat contraire a été atteint dans Vairamuthu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 195 F.T.R. 44 (C.F. 1re inst.) [Vairamuthu]. Dans cette affaire, la Cour s’est attardée à nouveau à l’obligation de fournir des motifs selon l’article 46.04. Cependant, elle a conclu que le devoir d’équité dans ce contexte ne comprenait pas l’obligation de fournir des motifs. Elle a établi une distinction entre l’affaire dont elle était saisie et la décision rendue dans Popal au motif que les papiers d’identité rejetés n’avaient pas été précisés dans celle-ci alors que, dans Vairamuthu, les demandeurs ont été informés que leurs certificats de naissance n’étaient pas satisfaisants.

 

[20]           Dans les circonstances particulières de la présente affaire, j’estime que l’équité procédurale exigeait la communication de motifs. Dans l’arrêt Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25, au paragraphe 21 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a souligné en toutes lettres que l’obligation de motiver une décision « n’est remplie que lorsque les motifs fournis sont suffisants » et que « ce qui constitue des motifs suffisants est une question qui doit être tranchée en fonction des circonstances de chaque espèce ». La Cour d’appel fédérale a ensuite formulé les remarques suivantes :

22. On ne s’acquitte pas de l’obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l’examen des facteurs pertinents.

 

[21]           La Cour a cité ces remarques avec approbation à maintes reprises; voir, par exemple, Abdollahi-Ghane c. Canada (Procureur général), 2004 CF 741, au paragraphe 23; Demirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1284, au paragraphe 13. Cela étant dit, comme la Cour fédérale l’a souligné dans Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1501, 33 Imm. L.R. (3d) 262, au paragraphe 42, il ne faut pas scruter les motifs à la loupe ni leur appliquer la norme de la perfection. Il faut les lire dans leur ensemble.

 

[22]           Dans la présente affaire, la lettre fournie au demandeur comporte simplement des énoncés de conclusion. Il en est de même des notes informatisées de l’agent d’immigration (notes du SSOBL) qui ont été deposees dans le dossier certifié. Le 15 mars 2006, l’agent d’immigration D. Jonas a écrit que la demande était refusée au stade 2, pour les raisons suivantes : [traduction] « demandeur incapable de se conformer à la demande de fournir un titre de voyage ou une autre pièce d’identité satisfaisante. Demandeur incapable de me prouver son identité. Lettre de refus envoyée... .»

 

[23]           La lettre de refus et les notes du SSOBL ne comportent pas le moindre détail quant à la façon dont l’agent en est arrivé à la conclusion que le demandeur n’avait pas fourni de passeport, titre de voyage ou autre pièce d’identité satisfaisante, ou une explication raisonnable. Même s’il était loisible en bout de ligne à l’agent d’en arriver à cette conclusion, étant donné que le demandeur avait fourni son passeport de marin, sa carte d’identité interne, son certificat de naissance et son permis de conduire valide de la Russie, en plus d’avoir donné de nombreuses explications, l’agent devait aller plus loin pour que les motifs de sa décision soient suffisants.

 

[24]           Pour en arriver à la conclusion que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment de documents pour prouver son identité, ou une explication raisonnable, l’agent a évidemment constaté que la preuve et les explications qui avaient été présentées étaient insuffisantes. En raison des faits à l’origine du présent litige et des efforts résolus que le demandeur a déployés pour se conformer aux exigences concernant son identité, j’estime que l’agent devait expliquer pourquoi les efforts en question étaient insuffisants. Je suis donc d’avis que l’agent a manqué à son obligation d’égalité envers le demandeur dans les circonstances de la présente affaire.

 

            L’agent d’immigration a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas fourni une preuve d’identité satisfaisante ou une explication raisonnable?

 

[25]           Compte tenu de ma conclusion susmentionnée, il n’est pas absolument nécessaire que j’examine cette question. Cependant, je formulerai les commentaires suivants au profit du prochain agent d’immigration qui examinera la demande.

 

[26]           Dans les observations qu’elle a présentées en l’espèce, l’avocate du défendeur a invoqué la décision rendue dans Diarra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1515 [Diarra], où la Cour a conclu que l’agent n’avait pas agi de façon déraisonnable en rejetant la demande au motif que les documents fournis pour établir l’identité étaient insuffisants. L’intéressé avait fourni un certificat de naissance et un document scolaire et avait été avisé du fait que le paragraphe 50(1) du RIPR exigeait un passeport ou un titre de voyage. Cependant, une distinction peut être faite entre la présente affaire et la décision rendue dans Diarra, parce que celle-ci portait sur d’autres types de papiers d’identité à l’égard desquels l’agent d’immigration possédait peut‑être une plus grande marge de manoeuvre. Il est permis de penser que le pouvoir discrétionnaire d’accepter ou de rejeter un passeport ou un titre de voyage est plus restreint.

 

[27]           Tel qu’il est mentionné plus haut, dans la décision Oumer, la Cour a comparé le paragraphe 46.04(8) de la Loi sur l’immigration aux « exigences semblables » qui se trouvent maintenant à l’alinéa 50(1)a) du RIPR. Le litige dans cette affaire portait sur le fait qu’un agent d’immigration avait rejeté le passeport du demandeur au motif qu’il lui avait été délivré par l’ambassade de l’Éthiopie à Ottawa après son entrée de celui-ci au Canada (Oumer, précité au paragraphe 9). La Cour a conclu qu’il n’était pas loisible à un agent d’immigration de rejeter un document simplement parce qu’il estimait qu’il n’était pas conforme à une norme préconçue.

 

[28]           Bien entendu, la question de savoir si un document est ou non un passeport ou un titre de voyage se pose. Cette question est toutefois beaucoup plus restreinte que celle de savoir si d’autres papiers d’identité sont suffisants. Cette dernière question est un aspect plus résiduel qui n’est analysé que lorsqu’un passeport ou titre de voyage ne peut être fourni. Il s’agit d’une exception aux documents habituellement exigés pour satisfaire à l’obligation énoncée dans la loi. Toutefois, cet aspect n’a pas été soulevé à strictement parler dans la présente affaire.

 

[29]           Ainsi, dans la présente affaire, la raison pour laquelle le passeport de marin n’a pas été accepté comme titre de voyage n’est pas expliquée clairement. Le demandeur a expliqué qu’il s’agissait du document dont il s’était servi pour venir au Canada. De plus, il est évident que ce document avait été délivré par le pays dont le demandeur est citoyen et qu’il était encore valable lorsqu’il a été soumis. Les fonctionnaires de CIC ne mentionnent à aucun moment qu’ils ont des doutes au sujet de la validité du document. Même s’il était loisible à CIC de conclure que ce document ne suffisait pas, en soi, pour établir l’identité du demandeur, des motifs plus précis étaient nécessaires dans les circonstances.

 

[30]           De plus, la preuve ne permet pas de savoir pourquoi la carte d’identité interne du demandeur n’a pas été acceptée à titre de preuve d’identité suffisante. Il appert manifestement du dossier que les fonctionnaires de CIC se demandaient si le document était encore valide, étant donné qu’il ne portait aucune date d’expiration. Cependant, comme la Cour l’a souligné dans la décision Oumer, lorsque le gouvernement qui a délivré un document est convaincu de la validité de cette délivrance, il n’appartient pas à l’agent d’examiner cet aspect. De plus, tel qu’il est mentionné plus haut, les mots « en cours de validité » qui figuraient au paragraphe 46.04(8) de la Loi sur l’immigration n’apparaissent plus à l’alinéa 50(1)a) ou b) du RIPR. Il semblerait qu’il appartient carrément au gouvernement ayant délivré un document de déterminer la façon dont celui-ci vient à échéance. Étant donné que le demandeur a clairement expliqué que le document était délivré pour la vie et que les fonctionnaires de CIC n’ont pas rejeté l’explication du demandeur ou décidé que le document était frauduleux, il ne leur appartenait pas de conclure que celui-ci n’était plus valide. Eu égard à la nature du document, il était raisonnable que les fonctionnaires de CIC aient eu des doutes au sujet de sa validité de celui-ci; cependant, aucune analyse n’est présentée à l’appui de cette conclusion.

 

DISPOSITIF

[31]           J’arrive à la conclusion que la décision de refuser la demande au motif que le demandeur avait été incapable de fournir un passeport ou une pièce d’identité satisfaisante pour convaincre les fonctionnaires de CIC de son identité était déraisonnable. En conséquence, la décision sera renvoyée pour réexamen par un agent différent conformément aux présents motifs. Je suis d’avis que, si une attention suffisante avait été accordée à la demande, le présent contrôle judiciaire n’aurait pas été nécessaire. J’espère que l’affaire ne reviendra pas à nouveau devant la Cour.

 

[32]           Aucune question grave de portée générale n’a été proposée et aucune ne sera certifiée.

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un agent différent conformément aux motifs de la présente décision. Aucune question n’est certifiée.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L., trad. a.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1790-06

 

INTITULÉ :                                       SERGEY ANDRYANOV

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 13 février 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  Monsieur le juge MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      le 20 février 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Beiles

 

POUR LE DEMANDEUR

Sally Thomas

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

STEVEN BEILES

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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