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Date : 20070125

Dossier : IMM-2900-06

Référence : 2007 CF 82

Montréal (Québec), le 25 janvier 2007

en présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

entre :

le ministre de la citoyenneté

et de l’immigration

demandeur

et

 

BRIAN PHILLIP KELLEY

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT et jugement

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), contre une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a rejeté la demande présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) de révoquer le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi obtenu le 20 décembre 1996 en vertu de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2, aujourd’hui abrogée (l’ancienne Loi).

[2]               M. Brian Kelley (le défendeur) est né au Guyana en 1962 et est devenu résident permanent le 15 mars 1990.

 

[3]               Le 23 août 1996, une mesure de renvoi a été prise à l’encontre de M. Kelley parce qu’il avait été déclaré non admissible en vertu des sous‑alinéas 27(1)d)(i) et 27(1)d)(ii) de l’ancienne Loi pour avoir été déclaré coupable de plusieurs accusations criminelles susceptibles d’entraîner des condamnations de plus de cinq ans d’emprisonnement et pour lesquelles le défendeur avait été condamné à des emprisonnements de neuf et de douze mois.

 

[4]               Le 20 décembre 1996, après son appel, le défendeur a obtenu un sursis de cinq ans à l’exécution de la mesure de renvoi sous réserve qu’il respecte un certain nombre de conditions qui ont été énoncées le 8 janvier 1997. Le 26 octobre 2001, ce sursis a été officiellement prorogé de cinq autres années, mais il était toujours soumis à l’obligation pour le défendeur de respecter les conditions.

 

[5]               Parmi les conditions de ce sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, le défendeur devait rendre compte de toute déclaration de culpabilité au criminel et « ne pas troubler l'ordre public et […] avoir une bonne conduite ».

 

[6]               Le 29 mars 2005, le défendeur a été déclaré coupable de harcèlement criminel et de méfait, infractions pour lesquelles il a été condamné à trente jours d’incarcération et à trois années de probation à purger concurremment. Les deux sont des infractions mixtes, le harcèlement criminel étant susceptible d’entraîner un emprisonnement maximal de dix ans lorsqu’il y a poursuite par voie de mise en accusation.

 

[7]               Par conséquent, le 2 août 2005, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a présenté une demande à la SAI pour qu’elle révoque le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi conformément aux paragraphes 36(1) et 68(4) et à l’article 197 de la Loi.

 

[8]               Dans sa décision du 27 avril 2006, la SAI a conclu que l’application de l’article 197 de la Loi n’était pas déclenchée parce que le défendeur ne tombait pas dans le champ d’application des paragraphes 36(1) et 68(4) de la Loi puisque « la peine d’emprisonnement maximale est inférieure à dix ans ». Le défendeur ne tombait pas non plus dans le champ d’application de l’article 64 de la Loi. Ainsi, la SAI a rejeté la demande de révocation du sursis à l’expulsion du défendeur et elle a décidé de conserver sa compétence sur l’appel et d’effectuer le contrôle du sursis du défendeur à une date ultérieure. Le ministre conteste cette décision dans le présent contrôle judiciaire.

 

[9]               Les dispositions pertinentes de la Loi se trouvent à l’annexe A des présents motifs. Je remarque également que ces dispositions ont été récemment examinées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hyde, 2006 CAF 379, [2006] A.C.F. n° 1747 (QL).

 

[10]           En ce qui concerne particulièrement les dispositions légales qui forment la base de la présente affaire, la Cour d’appel fédérale a décidé que la décision correcte était la norme de contrôle des décisions de la Commission; voir Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 70, 2005 CAF 417, au paragraphe 25.

 

[11]           Par conséquent, je dois décider si la décision de la SAI de conserver sa compétence sur l’appel du défendeur était correcte.

 

[12]           Étant donné qu’il avait enfreint une condition du sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, le défendeur a déclenché l’application de l’article 197 de la Loi.

 

[13]           Lorsque, soit l’article 64, soit le paragraphe 68(4) de la Loi s’applique à une personne, cette personne ne peut pas poursuivre son appel à la SAI. Cela a été récemment confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hyde précité, au paragraphe 7, en ces termes :

 

[…] un résident permanent dont la SAI a sursis au renvoi avant l’entrée en vigueur de la LIPR, et qui ne respecte pas une condition du sursis accordé, ne peut poursuivre un appel devant la SAI dans l’une ou l’autre des deux conditions suivantes : soit le fondement de la mesure d’expulsion était une condamnation criminelle assortie d’une peine d’emprisonnement d’au moins deux ans, soit l’infraction commise après que la SAI a sursis à la mesure de renvoi était punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou qu’un emprisonnement de plus de six mois a été infligé.

 

[14]           La présente affaire ne concerne que le paragraphe 68(4). Cette disposition a essentiellement deux exigences pour que le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi puisse être révoqué et pour qu’il soit mis fin au droit d’interjeter appel par application de la Loi :

 

a.       la personne, un résident permanent ou un étranger déclaré interdit de territoire pour grande criminalité ou criminalité bénéficie d’un sursis à la mesure de renvoi;

 

b.      la personne est déclarée coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1).

 

[15]           Le défendeur a été déclaré coupable en vertu de l’article 264 du Code criminel et par conséquent, il était passible d’un emprisonnement maximal de dix ans.

 

[16]           Le demandeur soutient que puisqu’il pouvait être condamné à une peine « allant jusqu’à dix ans d’emprisonnement », le défendeur répond aux exigences du paragraphe 36(1) de la Loi.

 

[17]           Le défendeur soutient que puisqu’il a été déclaré coupable d’une infraction par procédure sommaire, il n’était passible que d’une peine maximale d’emprisonnement de six mois et non pas de dix ans et que donc, la SAI a eu raison de rendre sa décision en ce sens.

 

[18]           Je ne suis pas d’accord avec le défendeur. Le paragraphe 36(3) de la Loi est clair. Les infractions punissables soit par mise en accusation soit par procédure sommaire sont assimilées à des infractions punissables par mise en accusation, indépendamment du mode de poursuite effectivement retenu.

 

[19]           Par conséquent, je conclus que la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a conclu que la « peine d’emprisonnement maximale est inférieure à dix ans », relativement au paragraphe 264(3) du Code criminel. Il est clair que cette infraction fait partie de la catégorie de la « grande criminalité » par application du paragraphe 36(1) puisqu’elle est punissable d’une peine « maximal[e] de dix ans », ce qui inclut nécessairement la possibilité d’une peine de dix ans.

 

[20]           La SAI a mal interprété le paragraphe 264(3) du Code criminel, de même que les paragraphes 36(1) et 36(3) de la Loi; par conséquent, la SAI a commis une erreur dans son application du paragraphe 68(4) et de l’article 197 de la Loi. Dans les circonstances de la présente affaire, l’interprétation correcte était que le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du défendeur était révoqué de plein droit et que l’appel était rejeté.

 

[21]           Pour ces motifs, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire du ministre, j’annulerai la décision de la SAI du 27 avril 2006 et je renverrai l’affaire à la SAI pour qu’elle statue de nouveau sur la demande du ministre qui vise le rejet de l’appel de M. Kelley, sur le fondement qu’elle n’avait pas compétence sur cet appel par application de l’article 197 de la Loi. Sans dépens.

 


JUGeMENT

 

            La demande de contrôle judicaire du ministre est accueillie. La décision de la SAI du 27 avril 2006 est annulée et l’affaire est renvoyée à la SAI pour qu’elle statue de nouveau sur la demande du ministre qui vise le rejet de l’appel de M. Kelley, sur le fondement qu’elle n’avait pas compétence sur cet appel par application de l’article 197 de la Loi. Sans dépens.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M.

 


Annexe A

 

 

 

Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

 

190. La présente loi s’applique, dès l’entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu’aux autres questions soulevées, dans le cadre de l’ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n’a été prise.

 

190. Every application, proceeding or matter under the former Act that is pending or in progress immediately before the coming into force of this section shall be governed by this Act on that coming into force.

 

192. S’il y a eu dépôt d’une demande d’appel à la Section d’appel de l’immigration, à l’entrée en vigueur du présent article, l’appel est continué sous le régime de l’ancienne loi, par la Section d’appel de l’immigration de la Commission.

 

192. If a notice of appeal has been filed with the Immigration Appeal Division immediately before the coming into force of this section, the appeal shall be continued under the former Act by the Immigration Appeal Division of the Board.

 

197. Malgré l’article 192, l’intéressé qui fait l’objet d’un sursis au titre de l’ancienne loi et qui n’a pas respecté les conditions du sursis, est assujetti à la restriction du droit d’appel prévue par l’article 64 de la présente loi, le paragraphe 68(4) lui étant par ailleurs applicable.

 

197. Despite section 192, if an appellant who has been granted a stay under the former Act breaches a condition of the stay, the appellant shall be subject to the provisions of section 64 and subsection 68(4) of this Act.

 

68(4) Le sursis de la mesure de renvoi pour interdiction de territoire pour grande criminalité ou criminalité est révoqué de plein droit si le résident permanent ou l’étranger est reconnu coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1), l’appel étant dès lors classé.

 

68(4) If the Immigration Appeal Division has stayed a removal order against a permanent resident or a foreign national who was found inadmissible on grounds of serious criminality or criminality, and they are convicted of another offence referred to in subsection 36(1), the stay is cancelled by operation of law and the appeal is terminated.

 

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

 

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

 

[…]

 

[…]

 

(3) Les dispositions suivantes régissent l’application des paragraphes (1) et (2) :

 

(3) The following provisions govern subsections (1) and (2):

 

a) l’infraction punissable par mise en accusation ou par procédure sommaire est assimilée à l’infraction punissable par mise en accusation, indépendamment du mode de poursuite effectivement retenu;

(a) an offence that may be prosecuted either summarily or by way of indictment is deemed to be an indictable offence, even if it has been prosecuted summarily;

 

 


L’article pertinent du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés est le suivant :

 

320. (5) La personne qui, à l’entrée en vigueur du présent article, avait été jugée être visée à l’alinéa 27(1)d) de l’ancienne loi :

 

320. (5) A person who on the coming into force of this section had been determined to be inadmissible on the basis of paragraph 27(1)(d) of the former Act is

 

a) est interdite de territoire pour grande criminalité en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés si elle a été déclarée coupable d’une infraction pour laquelle une peine d’emprisonnement de plus de six mois a été infligée ou une peine d’emprisonnement de dix ans ou plus aurait pu être infligée;

 

(a) inadmissible under the Immigration and Refugee Protection Act on grounds of serious criminality if the person was convicted of an offence and a term of imprisonment of more than six months has been imposed or a term of imprisonment of 10 years or more could have been imposed; or

 

b) est interdite de territoire pour criminalité en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés si elle a été déclarée coupable d’une infraction punissable d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans mais de moins de dix ans.

(b) inadmissible under the Immigration and Refugee Protection Act on grounds of criminality if the offence was punishable by a maximum term of imprisonment of five years or more but less than 10 years.

 

 

 

Les dispositions pertinentes du Code criminel, L.R. 1985, ch. C-46, sont les suivantes :

 

 

264. (3) Quiconque commet une infraction au présent article est coupable :

 

264. (3) Every person who contravenes this section is guilty of

 

a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;

 

(a) an indictable offence and is liable to imprisonment for a term not exceeding ten years; or

 

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

 

(b) an offence punishable on summary conviction.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOssier :                                             IMM-2900-06

 

INTITULÉ :                                            le ministre de la citoyenneté

                                                                 et de l’immigration

                                                                 c.

                                                                 Brian Phillip Kelley

 

lieu de l’audience :                      Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 23 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

et jugement :                                   la juge TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                           le 25 janvier 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Daniel Latulippe

 

pour le demandeur

Jacques Del Vecchio

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

pour le demandeur

Jacques Del Vecchio

Montréal (Québec)

pour le défendeur

 

 

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