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Date : 20070222

 

Dossier : T-209-07

 

Référence : 2007 CF 202

 

Ottawa (Ontario), le 22 février 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

ENTRE :

WINSTON WEEKUSK (père), en sa qualité de chef

DARRYLE WEEKUSK, en sa qualité de conseiller

HAROLD JIMMY, en sa qualité de conseiller

WILTON ANGUS, en sa qualité de conseiller

ISABELLE HORSE, en sa qualité de conseillère

ABSOLOM STANDINGWATER, en sa qualité de conseiller

LEO PADDY, en sa qualité de conseiller

et MEL THUNDERCHILD, en sa qualité de conseiller

demandeurs

 

et

 

LE TRIBUNAL D’APPEL DE LA PREMIÈRE NATION THUNDERCHILD

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande d’injonction interlocutoire conformément à l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, afin d’obtenir un sursis à la décision du Tribunal d’appel de la Première nation Thunderchild (le défendeur ou le Tribunal d’appel) annulant les élections du 16 octobre 2006, en vertu desquelles un des demandeurs, Winston Weekusk (père), a été élu chef et les autres demandeurs ont été élus conseillers (collectivement appelés les demandeurs) et ordonnant la tenue de nouvelles élections.

 

[2]               Dans la présente affaire, les faits les plus pertinents sont les suivants.

 

[3]               La Première nation Thunderchild est une bande indienne en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-05, et elle élit le chef et le conseil selon la coutume de la bande, comme le prévoient la Thunderchild First Nation Constitution (la constitution) et la Thunderchild First Nation Election Act (la Loi).

 

[4]               Le Tribunal d’appel est l’instance désignée pour entendre les appels en vertu de la Loi et, en conséquence, il possède les pouvoirs précis prévus dans la Loi et la constitution.

 

[5]               La Première nation Thunderchild (la bande) a tenu des élections le 16 octobre 2006 conformément à la Loi. Winston Weekusk (père) a été élu chef et les autres demandeurs ont été élus conseillers, dans tous les cas pour un mandat de quatre ans.

 

[6]               Au milieu de novembre 2006, des appels des élections d’octobre 2006 ont été interjetés auprès du Tribunal d’appel, alléguant des irrégularités dans la tenue des élections. Dans ces appels, on soutenait que le directeur général des élections, Lyndon Linklater, avait apporté les boîtes de scrutin dans une autre pièce sans les témoins requis et était revenu avec les boîtes ouvertes, rendant ainsi les élections nulles.

[7]               L’audition de l’appel a duré deux jours. Le 16 janvier 2007, le défendeur a entendu les trois personnes qui avaient logé les appels et ensuite, le 18 janvier 2007, le témoignage des deux directeurs généraux adjoints des élections. Le directeur général des élections, M. Linklater, a refusé de témoigner au sujet des événements entourant les élections du 16 octobre 2006, malgré l’assignation du défendeur à ce faire.

 

[8]               À l’audition de l’appel, selon le témoignage d’un des directeurs généraux adjoints, M. Linklater a apporté les boîtes de scrutin dans une autre pièce, hors la présence des candidats et de leurs représentants, et est revenu avec les boîtes ouvertes.

 

[9]               Le défendeur a conclu que M. Linklater avait agi en contravention de l’article 8.01 de la loi qui porte sur le décompte des votes. En conséquence, le défendeur a annulé les élections du 16 octobre 2006. Une nouvelle élection a été déclenchée pour le 26 mars 2007 et de nouveaux responsables des élections ont été nommés.

 

[10]           Un avis d’élection a été publié et envoyé aux électeurs. Le 12 février 2007, les mises en candidature pour les élections du 26 mars 2007 ont eu lieu. À l’exception de Winston Weekusk (père), de Darryle Weekusk et d’Absolom Standingwater, qui n’ont pas posé leur candidature, les autres demandeurs ont présenté leur candidature et ont été désignés candidats. La bande a manifesté son appui aux nouvelles élections en participant au processus de mise en candidature.

 

[11]           Il est bien établi que le critère à appliquer pour décider si une injonction doit être accordée ou non est l’analyse en trois étapes énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt RJR ‑ MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311 : une question sérieuse à juger, un préjudice irréparable et une évaluation de la prépondérance des inconvénients. L’omission de démontrer l’un de ces éléments porte un coup fatal à la présente demande. J’examinerai en premier lieu le préjudicie irréparable, parce qu’il permet, à mon avis, de trancher la présente affaire.

 

Préjudice irréparable

 

[12]           Les demandeurs allèguent qu’ils ont été dûment élus le 16 octobre 2006 et qu’en conséquence de la décision du défendeur qui est contestée, ils perdront leur poste électif et peuvent ne pas l’obtenir à nouveau aux nouvelles élections du 26 mars 2007. Selon eux, si l’injonction n’est pas accordée, ils subiront un préjudice irréparable. Les demandeurs prétendent également que la décision du défendeur ternit leur honneur et leur réputation et mine leur mandat de gouverner la bande.

 

[13]           Les demandeurs s’appuient sur l’arrêt de la Cour dans Gabriel c. Mohawk Council of Kanesatake, [2002] A.C.F. no 635 (QL), 2002 CFPI 483, selon lequel la charge de chef est une charge politique et la perte d’un tel poste ne peut être quantifiée sur le plan financier, en raison de son prestige et du fait que le droit concernant le congédiement injuste ne prévoit pas de recours dans les cas de perte de postes électifs (Gabriel, précité, aux paragraphes 26 et 28 citant Frank v. Bottle et al. (1993), 65 F.T.R. 89).

 

[14]           Les faits en l’espèce sont distincts de ceux de la décision Gabriel, précitée. Dans cette affaire, le chef était déjà en poste depuis six mois dans le cadre d’un mandat de deux ans lorsqu’il a fait l’objet d’une destitution extraordinaire, d’une manière qui a directement porté atteinte à son honneur et à sa réputation. De plus, M. Gabriel avait été grand chef pendant plus de cinq ans et avait été élu à ce poste à trois reprises. Dans la présente affaire, les demandeurs étaient nouvellement élus pour un mandat de quatre ans et ont été essentiellement destitués en raison de l’annulation du processus électoral. Il s’agit d’une distinction essentielle entre les deux affaires.

 

[15]           La décision McIvor c. Canada (Procureur général), [2006] A.C.F. no 1484 (QL), 2006 CF 1187, paragraphe 9, me convainc. Mon collègue le juge Barry Strayer y a statué qu’une procédure annulant une élection en raison d’irrégularités dans le processus électoral est fondée sur la protection de l’intégrité du système électoral et ne porte pas précisément atteinte à la réputation de ceux élus dans le cadre de ce processus. Selon d’autres décisions de la Cour portant sur des circonstances semblables, la perte d’un poste ne constitue pas en soi un préjudice irréparable (voir Weatherill c. Canada (Procureur général) (1998), 143 F.T.R. 302; Cimon c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] A.C.F. no 1736 (QL)).

 

[16]           En l’espèce, la décision contestée visait le processus électoral lui-même et non pas les demandeurs en tant que tels et ne porte pas particulièrement atteinte à leur réputation ni à tout mandat éventuel de gouverner. Je ne suis pas convaincue du préjudice irréparable à cet égard.

 

[17]           Dans la présente affaire, tout comme dans McIvor, il est prévu que les nouvelles élections seront tenues peu après le prononcé de cette ordonnance. De même, comme dans l’affaire McIvor, la preuve a indiqué que dans l’intervalle une réunion de mises en candidature a eu lieu pour les candidats à ces élections et que plusieurs demandeurs ont été ainsi nommés candidats. Il est important de souligner que tous les demandeurs ont eu l’occasion de présenter leur candidature. M. Weekusk et deux autres demandeurs ont choisi de ne pas se porter candidats aux nouvelles élections et ils en subissent donc les conséquences.

 

[18]           Je suis d’avis que compte tenu de la tenue rapprochée des nouvelles élections et de la possibilité pour tous les demandeurs de poser leur candidature aux élections de mars 2007, ils ont tous eu la possibilité d’être élus à nouveau s’ils continuaient d’avoir l’appui des membres de la bande.

 

[19]           Les demandeurs allèguent qu’ils subiront un préjudice irréparable si une injonction n’est pas accordée, puisque certains d’entre eux perdront leur poste d’élu et d’autres le perdront peut-être. Toutefois, je suis d’avis que l’inverse est également vrai. Je suis d’accord avec la conclusion du juge Max Teitelbaum dans la décision Cimon, précitée, au paragraphe 9 : « Dans le cas où la demande de contrôle judiciaire serait rejetée, cette première nation aurait eu à sa tête un chef et une conseillère illégitimes … ».

 

[20]           Compte tenu de toutes les circonstances, je ne suis pas convaincue que les demandeurs subiraient un préjudice irréparable si la présente injonction n’était pas accordée.

 

[21]           De plus, je constate que d’importants préparatifs ont été faits en vue des élections du 26 mars 2007 et la preuve indique que les membres de la bande ont manifesté leur appui à cet égard. Les élections ont été convoquées, le processus électoral est en cours et il implique toute la collectivité. À mon avis, la prépondérance des inconvénients milite en faveur du déroulement des élections en l’espèce.

 

[22]           Pour ces motifs, je rejette la demande de sursis provisoire de la décision du Tribunal d’appel, avec dépens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

         


 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de sursis provisoire de la décision du Tribunal d’appel soit rejetée avec dépens.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L.

 

 

 

 

 

 

 

 

          


 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-209-07

 

INTITULÉ :                                       WINSTON WEEKUSK (père) et al. c. LE TRIBUNAL D’APPEL DE LA PREMIÈRE NATION THUNDERCHILD

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (PAR TÉLÉCONFÉRENCE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 21 FÉVRIER 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LA JUGE TEMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 22 FÉVRIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael L. Colwell

Rangi G. Jeerakathil

 

POUR LES DEMANDEURS

John R. Lojek

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MacPherson Leslie & Tyerman LLP

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LES DEMANDEURS

John R. Lojek

Avocat

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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