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Date : 20070216

Dossier : IMM-1596-06

Référence : 2007 CF 181

Ottawa (Ontario), le 16 février 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

 

 

ENTRE :

TICHAMUKA JEAN MUSIYIWA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’égard de la décision rendue le 1er mars 2006 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a conclu que la demanderesse n’avait ni qualité de réfugiée au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

 

[2]               La demanderesse demande que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

Le contexte

 

[3]               La demanderesse, Tichamuka Jean Musiyiwa, est une citoyenne du Zimbabwe âgée de trente-six ans. Elle affirme craindre d’être persécutée en raison de ses opinions politiques et en tant que demandeure d’asile déboutée. La demanderesse a décrit les circonstances qui ont mené à sa demande d’asile dans l’exposé circonstancié figurant dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP).

 

[4]               La demanderesse est devenue membre du Mouvement pour le changement démocratique (MDC) en janvier 2000, après qu'un ami lui eut fait connaître le parti. Le MDC était le principal parti d’opposition au Zimbabwe. La demanderesse a obtenu une carte de membre du MDC et a assisté à des réunions du parti. Elle a expliqué que des membres du MDC étaient régulièrement arrêtés, battus et torturés par le gouvernement et le parti au pouvoir (le ZANU-PF) en raison de leur participation à l’opposition. La demanderesse a également prétendu que le ZANU-PF cherchait activement les personnes revenues au Zimbabwe après un séjour à l’étranger.

 

[5]               La demanderesse a témoigné qu’elle n’avait pas été harcelée pour sa participation au MDC jusqu’à ce qu’elle soit arrêtée pour avoir pris part à un rassemblement du parti le 17 avril 2004. Environ trente autres femmes s’y trouvaient et elles se sont dispersées lorsque la police est intervenue. La demanderesse et trois autres femmes ont été détenues pendant trois jours et elles ont généralement été ignorées par les personnes qui les avaient capturées. Elles ont ensuite été libérées sans avoir fait l’objet d’accusations. Deux des autres activistes ont été portées disparues après avoir été libérées, et la demanderesse n’a jamais su ce qui leur était arrivé. Leur disparition l’a rendue craintive et l’a incitée à s’enfuir du Zimbabwe. 

 

[6]               Elle a demandé un visa d’un an le 6 mai 2004 en vue d’aller aux États-Unis et a quitté le Zimbabwe le 26 mai 2004. La demanderesse est arrivée aux États-Unis en transitant par l’Allemagne en juillet 2004. Elle a laissé ses deux jeunes enfants au Zimbabwe aux soins de ses parents et de son ex-mari. La demanderesse a expliqué qu’elle souhaitait aider ses enfants à fuir le Zimbabwe à une date ultérieure. La demanderesse a vécu aux États-Unis de juillet 2004 à septembre 2005. Elle a expliqué qu’elle n’a pas fait de demande d’asile pendant qu’elle se trouvait dans ce pays parce qu’elle ne pouvait pas payer les honoraires d’avocat qui lui avaient été proposés. La demanderesse est arrivée au Canada le 28 septembre 2005 et a aussitôt demandé l’asile. L’audience concernant le statut de réfugié s’est tenue le 22 février 2006, et sa demande a été rejetée par la décision qu’a rendue la Commission le 1er mars 2006 . C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

Les motifs de la Commission

 

[7]               La Commission a conclu que la demanderesse n'avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention, parce qu'elle n’avait pas une crainte fondée de persécution pour l'un des motifs prévus dans la Convention. La Commission a également statué que la demanderesse n'avait pas qualité de personne à protéger. La question déterminante en l'espèce est le bien-fondé de la crainte de la demanderesse. La Commission a aussi pris en compte le fait que la demanderesse n’avait pas demandé l'asile aux États-Unis. La demanderesse n’a pas établi selon la prépondérance des probabilités qu'elle serait exposée à une possibilité sérieuse d'être persécutée si elle retournait au Zimbabwe. Elle a témoigné de manière franche et a déclaré qu’elle craignait : (1) la situation instable au Zimbabwe; (2) d’être reconnue comme ancienne détenue; (3) pour sa sécurité après avoir été informée que ses collègues étaient disparues; (4) d’être détenue et interrogée à titre de demandeure d’asile déboutée. 

 

[8]               La Commission n’était pas convaincue que la demanderesse avait démontré qu'elle serait exposée à une possibilité sérieuse d'être persécutée si elle retournait au Zimbabwe. Sa crainte subjective n’avait pas de fondement objectif. Ses explications n’ont pas persuadé la Commission qu’il existait une possibilité sérieuse que sa présence soit portée à l’attention des autorités si elle retournait au Zimbabwe. La police ignorait son nom et, en l’absence de preuve concernant la disparition de ses collègues, rien ne laissait croire que les autorités étaient à l’origine de leur disparition. Même s’il existait une telle preuve, la police ne possédait pas le nom de la demanderesse et il était invraisemblable que celle-ci attire l’attention des autorités advenant son retour. 

 

[9]               La Commission a estimé que la prétention de la demanderesse selon laquelle elle serait, en tant que demandeure d'asile déboutée au Canada, exposée à une possibilité sérieuse d'attirer l'attention des autorités tenait de la conjecture. Il existait une preuve documentaire au sujet des mauvais traitements des expulsés du Royaume-Uni qui indiquait que le président Mugabe n’aimait pas la Grande-Bretagne. En raison de son contexte factuel particulier, la Commission n’a pas conclu que l’article en question étayait la crainte de la demanderesse d’être persécutée à titre de demandeure d’asile déboutée revenant du Canada. Le critère énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, (1993) 103 D.L.R. (4th) 1, exigeait que la crainte subjective d’un demandeur d’asile ait un fondement objectif. 

 

[10]           La Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la crainte de la demanderesse reposait sur l’instabilité des conditions socioéconomiques au Zimbabwe. D’autres personnes éprouvaient cette même crainte au Zimbabwe, laquelle était décrite dans la preuve documentaire. Toutefois, il n’y avait pas de possibilité sérieuse que la demanderesse attire l’attention des autorités, et sa crainte d’être persécutée ne reposait donc pas sur un fondement objectif. La Commission a fait observer que la possession d’une carte du MDC ne justifiait pas en soi une crainte fondée de persécution. De plus, de nombreux partisans du MDC vivent toujours au Zimbabwe. La Commission a tenu compte du fait que la demanderesse a tardé à présenter une demande d’asile et elle a conclu que son manque d’efforts pour trouver une manière de demander l’asile aux États-Unis était incompatible avec sa crainte subjective.

 

La question en litige

 

[11]           La demanderesse a présenté la question suivante pour examen :

            La Commission s’est-elle basée sur des principes inappropriés et a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées tirées de manière abusive ou arbitraire, sans tenir compte de la preuve qui lui a été soumise, et/ou l’évaluation par le tribunal de l’intégralité de la preuve est-elle manifestement déraisonnable et donc susceptible de révision?

 

[12]           Je reformulerais la question en litige de la façon suivante :

            La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas de crainte fondée de persécution?

 

Les prétentions de la demanderesse

 

[13]           La demanderesse fait valoir que dans les cas où la Commission fonde sa décision sur des conclusions de fait non étayées par la preuve, tire des conclusions qui sont déraisonnables, cite incorrectement les faits ou fait abstraction d’éléments de preuve pertinents, sa décision devrait être annulée. La demanderesse soutient que la Commission s’est livrée à une appréciation abusive de la preuve et que sa décision reposait sur des hypothèses et des conclusions non justifiées. La demanderesse prétend que la Commission a mal interprété les faits et ne lui a pas accordé une audience équitable. Elle soutient en outre que la Commission a commis des erreurs de droit dans l’évaluation de sa demande.

 

[14]           La Commission a insisté sur la question de savoir si la demanderesse attirerait l’attention des autorités. La demanderesse fait valoir que la Commission n’a pas compris que, même si elle n’attirait pas l’attention des autorités, elle serait persécutée par d’autres groupes comme les anciens combattants, la milice des jeunes ou les membres de ZANU-PF. La preuve documentaire démontrait que ces groupes persécutaient les membres de l’opposition comme la demanderesse. Celle-ci fait valoir que la Commission a commis une erreur en concluant qu’elle n’était pas un membre actif du MDC. Il était clair qu’elle avait participé à des réunions et qu’elle n’était pas un membre inactif qui pourrait passer inaperçue auprès des agents de persécution. La Commission a, pour attaquer le fondement de sa crainte, invoqué le fait qu’il y avait des partisans du MDC au Zimbabwe. La demanderesse fait valoir que ce facteur n’était pas pertinent et qu’il n’existait pas de preuve que les membres du MDC n’étaient pas exposés à la persécution. La demanderesse avance que certains membres du MDC ont peut-être le courage de demeurer au Zimbabwe et de s’exposer à la persécution plus longtemps que des personnes moins audacieuses. Elle soutient qu’il y avait des preuves que tous les membres du MDC couraient un danger.

 

[15]           La demanderesse prétend que la conclusion de la Commission selon laquelle elle n’a pas cherché de moyens efficaces pour demander l’asile aux États-Unis est manifestement déraisonnable. La demanderesse soutient que cette conclusion repose sur une hypothèse non fondée selon laquelle elle était au courant de la disponibilité de ces renseignements sur Internet. Elle allègue que la Commission a rejeté abusivement son explication valide des raisons pour lesquelles elle n’a pas demandé l’asile plus tôt.   

 

Les prétentions du défendeur

 

[16]           Le défendeur fait valoir que la décision de la Commission selon laquelle la crainte de persécution d’un demandeur d’asile n’est pas fondée est une question de fait susceptible de révision suivant la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7). Il soutient que la demanderesse n’a pas prouvé que la conclusion tirée par la Commission à cet égard était manifestement déraisonnable. 

 

[17]           Le défendeur prétend que le terme « autorités » qu’a employé la Commission englobait tous les agents de persécution. Il soutient que cette conclusion peut être tirée du fait que l’exposé circonstancié du FRP de la demanderesse et les arguments de l’avocat faisaient allusion à ces agents de persécution, tout comme la preuve documentaire. Compte tenu du fait que la Commission est présumée avoir pris en considération toute la preuve qui lui a été soumise, le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable de présumer que le terme « autorités » visait tous les agents de persécution au Zimbabwe (voir Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (QL) (C.A.F.)). Il soutient que cette interprétation est appuyée par les motifs de la Commission, qui établissent une distinction entre le terme « police », interprété de façon restrictive, et le terme « autorités », interprété de façon libérale.

 

[18]           Le défendeur prétend que, du propre aveu de la demanderesse, ses activités auprès du MDC n’étaient « pas majeures ». Il soutient que la demanderesse répond au profil d’un membre régulier du MDC, qui n’était pas exposé à un risque sérieux de persécution. Le défendeur allègue qu’il incombait à la demanderesse, et non à la Commission, de démontrer une crainte fondée de persécution (voir Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1183). Il fait valoir que la preuve documentaire ne donnait pas à entendre que tous les membres du MDC étaient exposés à une crainte fondée de persécution, indépendamment de leur profil. La demanderesse n’a jamais connu de problèmes causés par son adhésion au MDC jusqu’à sa détention, au cours de laquelle personne ne lui a porté attention et son nom n’a pas été consigné. Il n’y avait pas de preuve qu’elle était recherchée au Zimbabwe. Son expérience ne démontrait donc pas que tous les membres du MDC étaient exposés à une crainte fondée de persécution. De plus, la demanderesse n’a pas déclaré qu’elle serait active politiquement advenant son retour au Zimbabwe.

 

[19]           Le défendeur fait valoir qu’il était loisible à la Commission d’apprécier la preuve et de conclure que la demanderesse n’avait pas de crainte fondée de persécution en raison de ses opinions politiques. Il soutient que des désaccords ayant trait à l’appréciation de la preuve ne constituent pas un fondement juridique permettant à la Cour d’intervenir (voir Brar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1986] A.C.F. no 346 (QL) (C.A.F.)).

 

[20]           Selon le défendeur, c’est le manque d’initiative de la demanderesse, qui ne s’est pas renseignée sur le processus de demande d’asile aux États-Unis, qui a porté préjudice à sa crainte subjective. Le défendeur soutient que la demanderesse a tenté d’inverser le fardeau de la preuve en alléguant qu’il incombait à la Commission de prouver qu’elle connaissait la disponibilité de ces renseignements. Le défendeur affirme qu’il incombait à la demanderesse d’établir qu’elle ne le savait pas, ce qu’elle n’a pas fait. Alors que l’affidavit de la demanderesse indiquait qu’elle ignorait que ces renseignements étaient disponibles, elle n’a pas témoigné à cet effet. Le défendeur fait valoir que la Cour devrait être hésitante à se pencher sur de nouveaux éléments de preuve, car la présente demande de contrôle judiciaire ne constitue pas un appel de novo (voir Lubega c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2006), 147 A.C.W.S. (3d) 292, 2006 CF 303).

 

[21]           Le défendeur prétend que la Commission peut se montrer incrédule face à la crédibilité de la demande de la demanderesse, s’il y a eu un retard dans la présentation de la demande d’asile (voir Heer c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] A.C.F. no 330 (QL) (C.A.F.)). Il fait valoir que la Commission avait le droit de rejeter l’explication du retard fournie par la demanderesse, compte tenu de sa situation personnelle. Le défendeur allègue que l’absence de preuve concernant l’élément subjectif de sa demande suffisait pour justifier le rejet de la demande. Il fait valoir qu’une nouvelle audience ne permettrait pas d’obtenir un résultat différent et que la demande devrait donc être rejetée.

 

Analyse et décision

 

La norme de contrôle

 

[22]           La norme de contrôle applicable à la décision de la Commission selon laquelle la crainte de persécution de la demanderesse ne présentait pas de fondement objectif est celle de la décision manifestement déraisonnable (voir Hasan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 134 A.C.W.S. (3d) 1063, 2004 CF 1537).

 

[23]           La question en litige

            La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas de crainte fondée de persécution?

            La Commission a décidé, selon la prépondérance des probabilités, que la crainte de persécution de la demanderesse était fondée sur la détérioration des conditions socioéconomiques au Zimbabwe. La Commission a également conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existait pas de fondement objectif de la crainte de persécution de la demanderesse advenant son retour au Zimbabwe. Dans l’arrêt Ward, précité, la Cour suprême du Canada a statué que pour prouver une crainte de persécution, les demandeurs d’asile doivent établir que celle-ci est subjective et qu’elle repose sur un fondement objectif.

 

[24]           La Commission a conclu que la demanderesse a témoigné de façon franche. Il semble qu’elle était membre du MDC et qu’elle a été détenue après un rassemblement tenu en avril 2004. La demanderesse était devenue membre du MDC en 2000 et n’avait pas eu de problèmes avant sa détention en avril 2004. Même si elle possédait une carte de membre, a assisté à des réunions et a pris part à un rassemblement, elle a affirmé que sa participation au sein du parti n’était « pas majeure ». La Commission a relevé qu’il n’y avait pas de preuve démontrant que ses collègues étaient disparues à la suite de mesures prises par les autorités. De plus, la police n’a pas consigné le nom de la demanderesse lorsqu’elle a été libérée.

 

[25]           La demanderesse a allégué que la Commission a commis une erreur en omettant de tenir compte de sa crainte des autres agents de persécution, notamment les anciens combattants, la milice des jeunes et les membres du ZANU-PF. Je souscris à la thèse du défendeur selon laquelle la Commission, comme elle le démontre dans ses motifs, entendait englober les agents de persécution autres que la police dans son emploi du terme « autorités ». 

 

[26]           Le raisonnement de la Commission concernant le fondement objectif de la demande de la demanderesse était en partie énoncé de la façon suivante :

[. . .] Bien qu'il soit possible qu'elle ait une crainte subjective, elle n'a pas démontré que sa crainte a un fondement objectif. Aucune de ses explications ne me convainc qu'il existe une possibilité sérieuse qu'elle attire l'attention des autorités qu'elle soutient craindre advenant son retour au Zimbabwe. Du propre aveu de la demandeure d'asile, la police ne connaît même pas son nom à la suite de cet incident isolé, survenu en avril 2004. Pour ce qui est des deux femmes dont elle a entendu dire qu'elles avaient disparu, sans d'autres éléments de preuve concrets que ceux qu'elle a pu présenter, selon la prépondérance des probabilités, il n'y a rien qui laisse entendre que leur disparition est attribuable à quelque agissement des autorités. […] De plus, compte tenu du propre témoignage de la demandeure d'asile, cette dernière n'était pas un membre actif du MDC, hormis le fait d'avoir assisté à certaines réunions; de plus, avant avril 2004, elle n'a pas eu de démêlés avec la police ni avec les autorités.

 

[…]

 

Compte tenu de l'analyse susmentionnée, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que la crainte de la demandeure d'asile est fondée sur l'instabilité de la société ainsi que sur la détérioration des conditions sociales et économiques, qui inspirent une crainte à celle-ci, advenant son retour au Zimbabwe. Cette inquiétude est judicieusement décrite dans la preuve documentaire, dans des articles comme le récent rapport d'Amnistie internationale sur le Zimbabwe. Toutefois, je détermine, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'y a pas de possibilité sérieuse que la demandeure d'asile attire l'attention des autorités, et je conclus par conséquent qu'il n'y a aucun fondement objectif aux craintes de cette dernière, quant à la possibilité d'être persécutée si elle retournait au Zimbabwe.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

 

[27]           La Commission semble avoir pris en compte le fondement objectif de la demande de la demanderesse en adoptant le point de vue qu’il était improbable qu’elle attire l’attention des autorités en raison de sa détention. J’estime que la Commission a commis une erreur en examinant le fondement objectif de la demande dans ce contexte restreint. La demanderesse a également déclaré qu’elle craignait d’être persécutée pour d’autres motifs. Les notes prises par les responsables de l’immigration révélaient que la demanderesse craignait d’être persécutée pour les raisons suivantes :

[traduction]

 

C.        Que craignez-vous advenant votre retour dans votre pays?

 

J’ai peur des membres du parti au pouvoir (le ZANU-PF). Je crains d’être emprisonnée et persécutée. On m’a arrêtée parce que je participais à une réunion qu’ils jugeaient illégale (réunion du Mouvement pour le changement démocratique). Ils nous ont détenues pendant trois jours. Certaines personnes sont disparues et n’ont jamais été revues. Après cet incident, j’ai prévu de quitter le pays.

 

D.        Qui craignez-vous advenant votre retour dans votre pays?

 

La police et la milice des jeunes (ZANU-PF).

 

(Dossier du tribunal, à la page 81)

 

[28]           La preuve documentaire comprend les déclarations suivantes au sujet du Zimbabwe aux pages 117 et 118 du dossier du tribunal :

[traduction]

 

D’après les experts, les auteurs de la torture comptent notamment les agents du parti politique Zimbabwe African National Union-Patriotic Front (ZANU-PF) de Mugabe, des agents de la police, des agents de la Central Intelligence Organization et, récemment, des membres de la milice des jeunes pro-Mugabe, qui semblent avoir été initiés aux méthodes de torture.

 

[. . .]

 

La torture est monnaie courante depuis 1999 et a été utilisée principalement à l’encontre des membres et des membres soupçonnés du MDC, le principal parti politique qui s’oppose à la présidence de Mugabe. Des travailleurs agricoles commerciaux, des journalistes et d’autres personnes en ont également été victimes. De fait, la torture s’inscrit maintenant dans un cycle ininterrompu, dont se sert le régime pour contrôler les populations et supprimer l’opposition à Mugabe et à la démocratisation.

 

[. . .]

 

Les cas de viol qui, au dire de Reeler, ne pourraient être qualifiés autrement que de « viols politiques » sont courants. Les victimes sont généralement des femmes qui sont membres du MDC, qui sont mariées à des membres du MDC, ou qui sont soupçonnées de l’être. Les agresseurs leur disent que c’est la raison pour laquelle elles sont violées. L’importance de ce phénomène est difficile à documenter, toutefois, parce que les victimes de viol dénoncent rarement les agressions.

 

 

[29]           La demanderesse était membre du MDC, et la Commission n’a pas abordé la question du fondement objectif de sa demande en qualité de membre du MDC. Comme le révèle la preuve documentaire, les membres du MDC étaient persécutés. La Commission aurait dû prendre en considération le fondement objectif de la demande de la demanderesse, basé sur le fait qu’elle était membre du MDC. Je suis d’avis que la Commission a commis une erreur manifestement déraisonnable.

 

[30]           Par conséquent, j’estime que la Commission a commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que la demande de la demanderesse ne s’appuyait pas sur un fondement objectif.

 

[31]           Je n’ai pas à traiter des autres arguments soulevés dans la plaidoirie.

 

[32]           La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

[33]           Aucune des parties n’a souhaité soumettre à mon examen une question grave de portée générale aux fins de certification.

 


 

JUGEMENT

 

[34]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil

 

 

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Les dispositions législatives pertinentes sont les suivantes :

 

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

 

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1596-06

 

INTITULÉ :                                       TICHAMUKA JEAN MUSIYIWA

 

                                                            - et -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 FÉVRIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 16 FÉVRIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kingsley I. Jesuorobo

 

POUR LA DEMANDERESSE

Amina Riaz

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kingsley I. Jesuorobo

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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