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Date : 20070214

Dossier : T-768-06

Référence : 2007 CF 169

Toronto (Ontario), le 14 février 2007

EN PRÉSENCE DE  MONSIEUR LE JUGE HUGUES

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC. et PFIZER INC.

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

COBALT PHARMACEUTICAL INC.

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les demanderesses Pfizer Canada Inc. et Pfizer Inc. ont présenté une requête visant à obtenir l’ajout de Pfizer Limited comme partie à l’instance. La défenderesse Cobalt Pharmaceutical Inc. s’est opposée à cette requête et a présenté une requête en radiation de l’instance en ce qui concerne l’un des brevets en question, le brevet 393, au motif que Pfizer Limited n’était pas initialement l’une des demanderesses à la présente instance.  Le ministre de la Santé, défendeur en l’instance, ne prend pas position sur l’une ou l’autre requête.

 

[2]               Dans une autre instance mettant en cause les mêmes demanderesses et dans laquelle le ministre est également défendeur de même que Pharmascience Inc. (dossier T-899-06), une requête semblable a été présentée par les demanderesses en vue d’ajouter Pfizer Limited comme partie à l’instance et une requête semblable a été présentée par Pharmascience en radiation de l’instance à l’encontre du brevet  393.  Encore là, le ministre n’a pas pris position.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’ajoute Pfizer Limited en tant que partie demanderesse dans chaque instance et je rejette les requêtes de Pharmascience Inc. et Cobalt Pharmaceuticals Inc. en rejet des instances visant le brevet 393.

 

[4]               Les instances T-768-06 (Cobalt) et T-899-06 (Pharmascience) ont été introduites sous le régime des dispositions du Règlement sur les médications brevetées (Avis de conformité) DORS-93-133, modifié (le Règlement AC).  Les demanderesses actuellement désignées sont les mêmes, soit  Pfizer Canada Inc. et Pfizer Inc.  Dans les deux instances, les demanderesses ont mis en cause deux brevets canadiens, soit ceux immatriculés 1,321,393 (le brevet 393) et 2,355,493 (le brevet

493).  Il est acquis que le brevet 493 a été délivré et accordé à l’une des demanderesses actuellement désignées, Pfizer Inc., et, comme le démontre le dossier, elle en demeure la titulaire.  Le brevet 493 ne fait pas l’objet des requêtes présentement soumises à la Cour.

 

[5]               Le dossier indique que le brevet 393  a été délivré et accordé à Pfizer Limited (et non à  Pfizer Inc.) le 17 août 1993  Il ressort que Pfizer Limited demeure la titulaire du brevet  (la brevetée).  Pfizer Limited  n’a pas été désignée à titre de partie à l’une ou l’autre des instances de Cobalt ou de Pharmascience.

 

[6]               Le Règlement AC est inhabituel. Son historique et son objet ont récemment été examinés par la Cour suprême dans Apotex Inc. c. AstraZeneca Canada Inc. (2006), 52 C.P.R. (4th) 145, 2006 CSC 49.  Le régime général établi par le Règlement vise à créer un registre des brevets au sein du ministère de la Santé où des sociétés pharmaceutiques innovatrices peuvent inscrire des brevets pour leurs diverses demandes d’approbation réglementaire. Le fabricant de médicaments génériques qui cherche à s’implanter sur le marché avant l’expiration de tels brevets doit contester leur validité et leur applicabilité au moyen d’un avis d’allégation envoyé à la partie qui inscrit les brevets.  Cet avis déclenchera le dépôt d’une demande à la Cour visant à interdire au ministre d’autoriser le génériqueur à mettre en marché le médicament , la question étant de savoir si les allégations du génériqueur sont justifiées.

 

[7]               Suivant le paragraphe 6(1) du Règlement AC, la demande à la Cour doit être présentée par une « première personne » laquelle est définie à l’article 2 de ce Règlement par renvoi au paragraphe 4(1) du même Règlement, comme « [la] personne qui dépose ou a déposé une demande d’avis de conformité ».  Cette personne n’est donc pas nécessairement le breveté. Le « breveté » est défini à l’article 2 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 comme « [le] titulaire ayant pour le moment droit à l'avantage d'un brevet », l’« avantage » étant le monopole défini à l’article 42 de la version de la loi postérieure au 1er octobre 1993 et de la version de 1996, et à l’article 44 de la version antérieure au 1er octobre. En l’espèce, le brevet 393 a été accordé à Pfizer Limited, qui n’est pas actuellement partie à l’instance. Pour autant que nous sachions, Pfizer Limited demeure la concessionnaire du droit, c’est-à-dire la propriétaire de ce brevet.

 

[8]               Le paragraphe 6(4) du Règlement AC prévoit que lorsque la « première personne » n’est pas le « propriétaire de chaque brevet » visé par l’instance, le propriétaire doit être constitué partie.

 

[9]               Dans les deux instances en l’espèce, la propriétaire du brevet 393, Pfizer Limited, n’est pas une partie nommément désignée à l’avis d’allégation. Elle demande maintenant de le devenir. Pfizer Limited a omis de se porter demanderesse en l’espèce pour les motifs allégués au paragraphe 15 de l’affidavit de Mme Nicola daté du 21 juin 2006. Il s’agit d’un oubli et d’une inadvertance.  Madame Nicola déclare sous serment, à titre de l’un des avocats représentant les demanderesses, qu’il avait toujours été convenu que Pfizer Limited soit demanderesse en l’instance.  Il semble que peu de temps après la découverte de l’erreur, les avocats de Pharmascience et de Cobalt ont été contactés dans le but d’obtenir leur consentement à l’ajout de Pfizer Limited à titre de partie demanderesse.  Ils ont refusé. Il ressort du témoignage de Mme Nicola qu’une erreur semblable s’était produite dans d’autres instances relativement au même brevet mais à l’encontre de génériqueurs différents. Il semble que d’autres génériqueurs aient donné leur consentement à l’ajout de Pfizer Canada en tant que partie demanderesse.  En l’espèce, cette considération est dépourvue de pertinence puisque l’affaire est contestée.

 

[10]           Les dispositions du paragraphe 6(4) du Règlement AC ressemblent à celles du paragraphe 55(3) de la  Loi sur les brevets, version postérieure au 1er octobre 1996, paragraphe 55(2) des versions postérieure au 1er octobre 1993 et antérieure au 1er octobre 1989, à savoir que le breveté doit être constitué partie à toute instance en contrefaçon d’un brevet. Les poursuites en contrefaçon peuvent être présentées par le breveté et également par « toute personne se réclamant [du breveté] »  tel que le prévoit le pararaphe 55(1). Dans toutes les versions de la Loi sur les brevets, la jurisprudence établit que le titulaire d’une licence exclusive et non exclusive est assimilé à une « personne se réclamant [du breveté] » et peut intenter un recours en dommages-intérêts (Armstrong Cork Canada Ltd. c. Domco Industries Ltd., [1982] R.C.S. 907, aux pages 917 à 920).  L’action en contrefaçon dans laquelle le breveté n’a pas au départ été désigné à titre de partie n’est pas nulle et le breveté peut être ajouté plus tard  (American Cyanamid Company c. Novopharm Ltd., [1972] C.F. 739, aux pages 761 et 769 (CAF)).

 

[11]           Les instances sous le régime du Règlement AC sont différentes à plusieurs égards. Elles sont introduites par une « première personne » qui n’est pas nécessairement le breveté. La « première personne » est celle qui  recherche ou qui a obtenu un avis de conformité du ministre.  Le paragraphe 6(1) du Règlement AC prévoit que l’instance est introduite par la première personne, aucune autre personne ne se voyant octroyer de qualité  à cet égard.  Le paragraphe 6(1) établit que le recours a pour objet de «  demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l'expiration du brevet visé par l'allégation ».  Conséquemment, le ministre est le défendeur approprié à la demande. Aucune disposition du Règlement AC ne prévoit expressément l’ajout du génériqueur, désigné comme « seconde personne », au titre de défendeur.  Cependant, l’alinéa 303(1)a) des Règles des Cours fédérales exige que toute personne « directement touchée » par l’ordonnance recherchée soit un défendeur désigné, de sorte que le génériqueur devrait manifestement être désigné à titre de défendeur.

 

[12]           Le paragraphe 6(4) du Règlement AC établit que le breveté « est une partie à la demande ».  L’alinéa 303(1)b) des Règles énonce que « toute autre personne qui doit être désignée à titre de partie aux termes de la loi fédérale ou de ses textes d’application qui prévoient ou autorisent la présentation de la demande » doit être désignée à titre de défendeur.  Il existe une différence entre une loi et un règlement. En l’espèce toutefois le Règlement est clair et il n’y a rien dans l’alinéa 303(1)b) des Règles qui interdise à une partie dont la présence est exigée par le Règlement d’être une partie à l’action.

 

[13]           En l’espèce, les fabricants de produits génériques Pharmascience et Cobalt allèguent que suivant le Règlement AC, le breveté aurait dû être désigné à titre de partie dans l’avis de demande, dès le début ou, à tout le moins, ajouté à l’intérieur du délai de 45 jours prévu au paragraphe 6(1) du Règlement pour le dépôt d’une demande. Ils soutiennent que le Règlement est d’application stricte et que son non-respect emporte nullité de la demande, le breveté et les autres personnes s’en réclamant devant alors se prévaloir de leur recours dans le cadre d’une action en contrefaçon.

 

[14]           Je ne vois pas la question de la même façon que les fabricants génériques  Pharmascience et Cobalt.  Les dispositions du paragraphe 6(1) sont impératives : la « première personne » doit déposer une demande dirigée contre le ministre dans les 45 jours suivant la réception d’un avis d’allégation. Cette disposition est obligatoire.  Une fois la demande déposée, son déroulement est régi, sur le plan procédural, par les Règles des Cours fédérales à moins d’un conflit entre ces Règles et le Règlement AC,  auquel cas ce dernier l’emporte. Le paragraphe 6(4) du Règlement AC exige que le breveté soit « une partie à la demande ».  Si la seule possibilité d’y arriver était le dépôt de la demande, alors le paragraphe 6(1) aurait prévu que le breveté soit désigné à ce moment. La disposition distincte du paragraphe 6(4) indique qu’il est obligatoire que le breveté soit désigné à titre de partie. Le délai n’est pas celui énoncé au paragraphe 6(1) mais doit être régi par les règles de pratique et de procédure de la Cour. En l’espèce, l’article 303 exige la jonction de certaines parties et les articles 103 et 104 prévoient que la jonction erronée ou le défaut de jonction d’une partie n’invalide pas la demande et que la Cour pourra assortir l’ordonnance qu’elle rend à cet égard de directives appropriées.

 

[15]           Il n’est pas fatal à une demande que le titulaire d’un brevet qui n’est pas la « première personne » n’était pas partie à l’instance initiale pourvu qu’il soit constitué comme partie au moment  ultérieur approprié. Le but de joindre le titulaire est clair : il doit être présent devant la Cour lorsque ses brevets sont en cause.  Si le titulaire ne se joint pas à l’action à titre de demandeur, il peut s’y joindre à titre de défendeur.

 

[16]           Les défenderesses Cobalt et Pharmascience, fabricantes de médicaments génériques, déclarent qu’elle subiront un préjudice suite à l’ajout de la brevetée car, à leur avis, les instances sont nulles et doivent être radiées. Une fois radiées, compte tenu du délai prévu au Règlement AC, ces instances ne peuvent être présentées à nouveau. Cet argument présuppose que les instances sont nulles alors qu’elles ne le sont pas. La brevetée peut se joindre à titre de partie après le début des instances.

 

[17]           Je conclus donc que dans chacune des instances T-768-06 et T-899-06  Pfizer Limited doit être constituée partie demanderesse et que l’intitulé soit modifié en conséquence. Pfizer Canada sera représentée par les mêmes procureurs que les présentes demanderesses. Elle ne sera pas autorisée à produire des éléments de preuve ou à procéder à des contre-interrogatoires en son propre nom sauf les éléments de preuve déjà produits ou à produire et les contre-interrogatoires déjà menés ou à mener par les demanderesses. Elle ne sera pas autorisée à présenter des arguments distincts de ceux des présentes demanderesses.  Puisque l’erreur provient d’un oubli ou d’une inadvertance de la part des procureurs des demanderesses, j’accorde les dépens à la défenderesse Cobalt.  Le ministre n’était pas représenté et n’a pas droit aux dépens.


ORDONNANCE

 

POUR  LES MOTIFS EXPOSÉS :

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  Pfizer Limited est jointe à l’action à titre de demanderesse pour chacune des instances  T-768-06 et T-899-06.  Elle sera représentée par les mêmes procureurs que les autres demanderesses, ne pourra produire d’autres éléments de preuve, ne procèdera à aucun contre-interrogatoire et ne présentera aucun argument distinct de ceux des autres demanderesses.

 

2.                  L’intitulé de chaque instance est modifié en conséquence;

 

3.                  La défenderesse Cobalt a droit aux dépens;

 

4.                  La requête de Cobalt en vue de faire rejeter la demande à l’égard du brevet canadien 1,321,393 est rejetée sans frais.

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Dany Brouillette, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-768-06

 

INTITULÉ :                                       Pfizer Canada Inc. et al. c.

                                                            Cobalt Pharmaceuticals et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 février 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Hugues

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 14 février 2007

 

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John B. Laskin

Jennifer Conroy

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

Heather Watts

POUR LA DÉFENDERESSE,

COBALT

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

TORYS, LLP

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

DEET WILLIAMS WALL, LLP

POUR LA DÉFENDERESSE,

COBALT

 

 

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