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Date : 20070214

Dossier : T-1317-05

Référence :  2007 CF 166

Ottawa (Ontario), le 14 février 2007

En présence de Monsieur le juge Blais

 

ENTRE :

TRANSPORT RONADO INC.

demanderesse

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

NATURE DE L’INSTANCE

[1]               La demanderesse a déposé une action fondée sur l’article 81.2 de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15, en vue de contester une décision ministérielle rendue le 2 mai 2005 et portant le numéro de référence RT 777 363 120 CA.

 

[2]               Suivant cette décision, le ministre du Revenu national (le ministre) a décidé que la détermination 20031204QUE210, datée du 4 décembre 2003, était bien fondée. Cette décision portait essentiellement sur le fait que la demande de remboursement de la taxe d’accise de la demanderesse avait été reçue par le ministre le 11 mars 2003, soit après le délai statutaire prévu à la Loi d’exécution du budget de 2003, L.C., ch. 15, qui fixait la date limite pour déposer une pareille demande au 17 février 2003.

 

FAITS PERTINENTS

[3]               En novembre 2002, dans l’affaire Penner International Inc. c. Sa Majesté la Reine, [2003] C.F. 581, 2002 CAF 453 (Penner), la Cour d’appel fédérale a déterminé que le combustible diesel utilisé par les véhicules dans le transport de marchandise à l’extérieur du pays devait être considéré comme une marchandise exportée au sens de la Loi sur la taxe d’accise, et conséquemment, la taxe d’accise payée à l’achat du combustible diesel était admissible au remboursement de la taxe prévue à l’article 68.1 de cette loi.

 

[4]               À la suite de la décision de la Cour d’appel fédérale, une demande d’autorisation d’en appeler de la décision a été déposée par la défenderesse auprès de la Cour suprême du Canada, laquelle a refusé la demande en date du 15 mai 2003.

 

[5]               Sans attendre la décision finale de la Cour suprême, mais conscient de l’impact fiscal de la décision Penner si cette dernière devait être confirmée par la Cour suprême, le Parlement a décidé de procéder à une modification législative visant à contrer les effets du jugement de la Cour d’appel fédérale.

 

[6]               Cette modification législative a été présentée à l’occasion du budget le 18 février 2003 par l’entremise de la Loi d’exécution du budget de 2003. Cette loi, sanctionnée le 19 juin 2003 avec effet rétroactif, a confirmé de façon expresse l’intention du législateur de faire du 17 février 2003 la date butoir pour permettre à des contribuables de réclamer un remboursement de la taxe d’accise payée sur le carburant diesel.

 

[7]               Au paragraphe 63(2) de cette loi, le Parlement a créé une exclusion au régime de remboursement de la taxe payée sur les marchandises exportées, à l’effet qu’aucun montant n’est à rembourser à une personne au titre de la taxe payée sur le combustible diesel qui est transporté en dehors du Canada dans le réservoir du véhicule qui sert à ce transport.

 

[8]               Au paragraphe suivant de cette loi, soit au paragraphe 63(3), le législateur a prévu une date pour la mise en œuvre de cette exclusion. Cette disposition précise que l’exclusion s’applique à toute demande de remboursement « reçue par le ministre après le 17 février 2003 ».

 

LA PREUVE DE LA DEMANDERESSE

[9]               Au soutien de ses prétentions, la partie demanderesse a fait entendre deux témoins.

 

Témoignage de Monsieur Ronny Nadeau

[10]           Le premier témoin pour la partie demanderesse était Monsieur Ronny Nadeau, président de l’entreprise Transport Ronado Inc., une entreprise de transport qu’il gère depuis 20 ans. M. Nadeau a témoigné essentiellement sur le fait que près de 100% du carburant utilisé par ses camions est acheté au Canada. Il ajoute que les livraisons à destination des États-Unis représentent environ 50% de son chiffre d’affaires.

 

[11]           Il a mentionné également que les quantités de carburant utilisé dans chaque état américain et dans chaque province canadienne sont comptabilisées par chacun des chauffeurs et sont également archivées par une entreprise "compac" qui comptabilise toutes ces données. M. Nadeau a précisé que son épouse, Mme Madonne Caron, est comptable pour son entreprise et qu’elle est également responsable des réclamations pour fins fiscales.

 

[12]           M. Nadeau a aussi témoigné que lors d’un dîner au restaurant l’"Estaminet", au centre-ville de Rivière-du-Loup, il a surpris une conversation à une table voisine où des personnes discutaient de la possibilité de réclamer un remboursement de la taxe d’accise payée pour le combustible utilisé aux États-Unis. Selon son souvenir, cette conversation interceptée au restaurant se serait tenue le 7 ou 8 février 2003, soit environ une semaine avant que son épouse expédie la demande de réclamation. M. Nadeau affirme également qu’il n’était pas au courant, avant ce moment, de la possibilité de réclamer les montants payés à titre de taxe d’accise sur le carburant consommé à l’extérieur du pays, et qu’il n’a pas conversé avec les gens en question à la table voisine, puisqu’il ne les connaissait pas.

 

Témoignage de Madame Madonne Caron

[13]           Par la suite, Madame Madonne Caron a été entendue comme témoin pour la partie demanderesse et elle a confirmé qu’elle s’occupe de la comptabilité, de l’administration en général et de la gestion des différents documents pour et au nom de l’entreprise demanderesse, propriété de son mari, et ce depuis environ 20 ans. Elle a confirmé la conversation entendue dans le restaurant le ou vers le 7 ou 8 février 2003 et a mentionné qu’à la première occasion, elle a procédé à une recherche sur internet et trouvé un formulaire sur le site de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’Agence)lui permettant de réclamer la taxe d’accise perçue sur le carburant consommé à l’extérieur du Canada.

 

[14]           Afin de procéder à la demande, elle a demandé à sa secrétaire d’aller chercher les documents entreposés dans une autre pièce, particulièrement les rapports « compac », lesquels contenaient des informations quant au carburant utilisé par les différents camions et ce, pour la période devant faire l’objet de la réclamation. Ayant en sa possession les rapports mensuels pour le combustible consommé, elle a pu rassembler les données nécessaires rapidement et en l’espace d’environ une demi-heure, elle a été en mesure de remplir le formulaire dont l’original D-1 a été déposé au dossier de la Cour.

 

[15]           Mme Caron a affirmé avoir rempli le formulaire d’abord au brouillon, pour ensuite le transcrire sur une autre photocopie vierge du formulaire fourni par l’Agence des douanes et du revenu du Canada qu’elle a signé en date du 13 février 2003. Ce même jour, aux environs de 11h00 le matin, elle aurait remis le formulaire à la postière faisant la navette entre le bureau de poste et leur entreprise, soit Mme Malenfant, qui aurait pris l’enveloppe pour la transmettre à l’adresse mentionnée sur le formulaire, soit le Centre fiscal de Summerside, 275, chemin Pope, suite 101, à Summerside, à l’Île-du-Prince-Édouard.

 

[16]           Elle a aussi confirmé avoir déposé une demande de remboursement qui couvre deux périodes consécutives, soit du 1er janvier au 31 décembre 2001, et du 1er janvier au 31 décembre 2002, tel qu’il apparaît sur le formulaire. Toujours selon son témoignage, après avoir admis qu’elle savait qu’elle pouvait réclamer pour une période antérieure de deux ans, elle ne sait pas pourquoi elle n’avait pas réclamé pour la période la plus récente soit du 1er janvier au 13 février 2003.

 

[17]           Mme Caron n’a offert aucune réponse quant à savoir pourquoi elle n’a pas jugé bon d’utiliser un courrier plus sécuritaire comme le courrier recommandé, ou encore une autre forme d’envoi qui aurait pu lui permettre de prouver la date précise où le document a été expédié et d’obtenir la confirmation que le document avait bien été reçu au Centre fiscal de Summerside.

 

[18]           Mme Caron soutient finalement qu’à cette date, elle n’avait aucune raison de penser que quelques jours plus tard le législateur imposerait une limite de temps pour le dépôt d’une pareille réclamation.

 

LA PREUVE DE LA DÉFENDERESSE

[19]           De son côté, la partie défenderesse a aussi présenté deux témoins.

 

Témoignage de Monsieur Gilles Séguin

[20]           Le premier témoin, Monsieur Gilles Séguin, est un employé senior à la Société canadienne des postes (Postes Canada) à Ottawa, responsable de la qualité des services à Postes Canada. Ce dernier a témoigné en détail sur la gestion du trafic du courrier à Postes Canada en général, et en particulier pour les envois en partance de Rivière-du-Loup à destination de Summerside, à l’Île-du-Prince-Édouard.

 

[21]           M. Séguin a témoigné à l’effet que le délai de livraison pour une lettre ordinaire, par exemple de la ville de Québec à la ville de Québec, soit la même ville, est de deux jours ouvrables. D’un endroit à un autre dans la province de Québec, le délai est de trois jours ouvrables, alors que d’un endroit dans la province de Québec à n’importe quel autre endroit à l’intérieur du pays, mais hors du Québec, le délai est de quatre jours ouvrables. Si la fin de semaine se trouve incluse dans le décompte, il faut ajouter deux autres journées. M. Séguin a référé à la pièce 8 du dossier de la défenderesse, un document portant sur les normes de services de Postes Canada qui confirme les données de trafic exposées dans son témoignage verbal.

 

[22]           Par ailleurs, M. Séguin a également confirmé que Postes Canada confie à une compagnie indépendante le soin de mesurer la qualité du service, particulièrement la fiabilité du service quant au délai de livraison. Cette compagnie indépendante, qui effectue 100,000 envois postaux un peu partout à travers le Canada pour tester la fiabilité du système, a conclu que pour un envoi d’une province à l’autre, le délai de quatre jours ouvrables est respecté dans 96% des cas. Si l’on ajoute un jour de retard, le taux de fiabilité monte à 99%, et si l’on ajoute deux jours de retard, le taux de fiabilité s’établit à 99,7%.

 

[23]           Comme les prétentions de la demanderesse sont à l’effet que la lettre aurait été mise à la poste un jeudi, nous devons ajouter au délai habituel de quatre jours, deux autres journées couvrant la fin de semaine, pour obtenir un délai de six jours. M. Séguin considère que la lettre, si elle avait été postée le 13 février 2003, aurait donc due être livrée au plus tard le 19 février 2003. Si l’on ajoute deux jours de retard pour atteindre un pourcentage de fiabilité plus élevé, il y a 99,7% des chances que la lettre ait été livrée huit jours plus tard, soit vendredi le 21 février 2003.

 

[24]           De façon encore plus précise, M. Séguin a expliqué le cheminement d’une lettre en partance de Rivière-du-Loup. Si la lettre a été déposée entre les mains de la postière aux alentours de 11h00, le 13 février 2003, celle-ci aurait dû rapporter la lettre au bureau de poste central de Rivière-du-Loup, où le courrier en partance est traité entre 18h00 et 20h00. En fin de journée, soit vers 20h00, cette enveloppe aurait été mise dans le sac à destination du bureau central de Québec sur la rue St-Paul qui était opérationnel à l’époque, et traitée au cours de la nuit du 13 au 14 février 2003. Cette enveloppe aurait alors été remise dans un sac au début de la journée du 14 février 2003 au bureau de Québec, où un camion en partance de Montréal effectuait un arrêt aux environs de 15h00 pour prendre les sacs en direction d’Halifax, acheminant à la fois le courrier en direction de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard. Il s’agit de la route L.-112.

 

[25]           Cette enveloppe transportée par camion serait arrivée à Halifax dans la nuit du 15 février 2003, soit le samedi. En raison du congé de fin de semaine, le courrier aurait été sorti du camion et traité à partir du dimanche 16 février 2003 à 16h00, heure à laquelle les employés de Postes Canada au bureau de poste central d’Halifax reprennent le travail après la fin de semaine. Le tri pour le courrier à destination de l’Île-du-Prince-Édouard contenu dans les sacs transportés à Halifax aurait été effectué lundi le 17 février 2003 et l’enveloppe serait repartie par camion en fin de journée, pour arriver à Moncton au Nouveau-Brunswick dans la soirée du lundi 17 février 2003. Le camion serait reparti en direction de l’Île-du-Prince-Édouard le même soir, pour arriver au bureau de poste de Summerside aux environs de 2h00 le matin du 18 février 2003. Une fois arrivé à Summerside, le courrier aurait alors été trié jusqu’aux environs de 7h00 le 18 février 2003. Plus tard la même journée, le courrier aurait été acheminé par camion à l’Agence des douanes et du revenu du Canada au 275 chemin Pope.

 

[26]           Suivant cette analyse et la procédure habituelle de Postes Canada, M. Séguin a donc conclu que, selon les statistiques établies par la compagnie indépendante surveillant la fiabilité du système de Postes Canada, les chances qu’une lettre expédiée le 13 février 2003 à partir de Rivière-du-Loup se soit rendue à Summerside au plus tard le 18 février 2003 sont de 96% et si on ajoute deux jours de grâce, les chances que la lettre expédiée le 13 février 2003 soit arrivée au plus tard le 21 février 2003 sont de 99,7%.

 

[27]           Reprenant les mêmes paramètres, M. Séguin a aussi conclu que la lettre qui a été estampillée à l’Agence des douanes et du revenu du Canada en date du 11 mars 2003, soit la pièce originale D-1 qui est la demande de remboursement expédiée par Mme Caron, aurait vraisemblablement été mise à la poste le 3 mars 2003, et non le 13 février 2003.

 

[28]           Par ailleurs, M. Séguin ajoute que certaines circonstances peuvent retarder la livraison du courrier, notamment des tempêtes de neige, bris de camion, fermeture du pont menant à l’Île-du-Prince-Édouard, ou un conflit de travail. Il ajoute cependant qu’il n’y avait eu aucun conflit de travail au cours de la période visée et qu’il n’y avait eu que deux interruptions de la circulation sur le pont de la Confédération entre le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard, soit le 27 février 2003 et le 3 mars 2003. Par ailleurs, entre le 12 février 2003 et le 20 mars 2003, il y a eu 52 accidents sur les routes empruntées par Postes Canada, mais seules les deux interruptions sur le pont de la Confédération, pour une durée d’une journée chacune, auraient pu avoir une incidence ou un impact réel sur la livraison du courrier.

 

[29]           M. Séguin a aussi mentionné que si l’envoi est endommagé à l’occasion du transport, il est apporté à un endroit spécifique dans l’un ou l’autre des bureaux situés sur le parcours du courrier, que la réparation de l’enveloppe est effectuée et que l’enveloppe est mise dans un sac de plastique et réacheminée avec une lettre d’explication, ce qui peut ajouter un délai de un à deux jours.

 

[30]           M. Séguin a également ajouté que lorsqu’un envoi est fait, soit par courrier express ou encore par courrier enregistré, un code à barres est appliqué sur l’enveloppe et il est plus facile de retracer la date d’expédition de l’envoi.

 

[31]           M. Séguin a finalement noté qu’un sceau de Postes Canada est apposé à Rivière-du-Loup au moment de la réception de la lettre au bureau de poste, le jour de l’envoi, et il peut arriver qu’une autre inscription qui contienne le code postal, la date et l’heure, soit apposée sur l’enveloppe lors de son passage au centre de tri de Québec.

 

 

Témoignage de Monsieur David Kelly

[32]           Le deuxième témoin pour la partie défenderesse, Monsieur David Kelly, est un employé de l’Agence des douanes et du revenu du Canada à Summerside à l’Île-du-Prince-Édouard, qui agit comme chef d’équipe pour la gestion du courrier depuis 2005. Il n’occupait donc pas cette fonction au moment où la lettre en question a été expédiée entre Rivière-du-Loup et Summerside, soit en février ou mars 2003.

 

[33]           Il a mentionné cependant avoir eu de nombreuses conversations avec les employés qui étaient au travail à cette époque et a fait référence à plusieurs reprises lors de son témoignage aux informations reçues de la part de ces employés. D’après son témoignage, le traitement du courrier n’a pas subi de changements significatifs depuis 2003.

 

[34]           Essentiellement, M. Kelly a expliqué comment le courrier est géré à partir du moment où il est reçu à Summerside : par exemple, il mentionne que le ou les camions qui livrent le courrier arrivent aux environs de 4h00 du matin dans la section ‘expédition et réception’ de l’immeuble. Deux employés de l’Agence des douanes et du revenu du Canada s’occupent alors de recevoir le courrier et de transporter les sacs du camion jusqu’à l’intérieur de l’immeuble de l’Agence. Les employés de l’Agence vont immédiatement signer les récépissés pour les lettres envoyées par courrier express qui doivent avoir une preuve de livraison.

 

[35]           Les autres employés arrivent entre 5h00 et 5h30 le matin et vont systématiquement ouvrir toutes les enveloppes expédiées au Centre fiscal de Summerside. Ils doivent procéder à un premier tri qui se termine aux environs de 7h00. Les employés procèdent au décompte de chacune des pièces de courrier reçu et à l’ouverture de chacune des enveloppes. Un certain nombre d’enveloppes, soient celles contenant les déclarations T-1 et T-2, seront conservées avec la déclaration pour fins de preuve quant à la date exacte de réception pour fins fiscales et de pénalités éventuelles. Quant au courrier reçu en rapport avec la taxe d’accise, les enveloppes sont détruites après ouverture.

 

[36]           M. Kelly a expliqué que le tri est facilité en partie par le fait que, selon leurs destinataires, les enveloppes porteront des codes postaux différents. Par exemple, les enveloppes qui sont en rapport avec des déclarations de TPS vont avoir un code postal différent de celles qui sont en rapport avec une déclaration d’impôt ou encore une demande de remboursement de taxe d’accise. Ces dernières portent le code postal C1N 6E7. M. Kelly a aussi précisé que toutes les lettres reçues s’appliquant à la TPS et à la taxe d’accise sont étampées avec leur date d’entrée dès le matin de leur arrivée. Aux environs de 7h00, tout le courrier est envoyé dans les différents départements pour qu’on procède à leur analyse.

 

[37]           Finalement, en réponse à des questions écrites déposées par la partie demanderesse, la partie défenderesse a déposé également des réponses écrites, lesquelles ont été exhibées au témoin qui a pu procéder à une certaine analyse des dites informations. Notamment, le jour où la lettre expédiée par Mme Caron a été reçue, soit le 11 mars 2003, 32,006 pièces de courrier ont été reçues à Summerside. De ce nombre, 314 étaient dirigées vers le département de la taxe d’accise.

 

[38]           Les parties ont déposé plusieurs documents au soutien de leurs prétentions, et, après l’audition des quatre témoins, ont déclaré leur preuve close.

 

QUESTION EN LITIGE

[39]           La question à trancher est la suivante : La demande de remboursement N-15 postée par la demanderesse a-t-elle été reçue par le ministre du Revenu national au sens du paragraphe 63(2) de la Loi d’exécution du budget de 2003, avant ou après le 17 février 2003?

 

ANALYSE

[40]           Tel que précisé par la partie défenderesse, il n’y a aucun doute dans mon esprit que la demande de remboursement N-15 postée par la demanderesse a été physiquement reçue par le Centre fiscal de Summerside à l’Île-du-Prince-Édouard le 11 mars 2003.

 

[41]           La partie défenderesse soumet que peu importe à quelle date la demande de remboursement a été mise à la poste, la date déterminante est celle à laquelle l’enveloppe a été reçue par l’Agence des douanes et du revenu du Canada à Summerside, puisque le libellé de la Loi d’exécution du budget de 2003 est à l’effet que pour être recevable, la demande de remboursement doit être « reçue par le ministre du Revenu national avant le 17 février 2003 ».

 

[42]           La partie demanderesse, pour sa part, soutient que la date de mise à la poste est déterminante puisque, selon l’alinéa 2(2)(c) de la Loi sur la Société canadiennes des postes, L.R.C. 1985, ch. C-10, le destinataire est censé avoir reçu livraison d’un envoi transmis par courrier à la remise de l’envoi, notamment entre ses mains ou entre celles d’un mandataire. La partie demanderesse continue l’analyse en spécifiant que l’article 23 de la Loi sur la Société canadienne des postes prévoit que la Société est mandataire de sa Majesté du Chef du Canada.

 

[43]           De son côté, la partie défenderesse soutient que les prétentions de la partie demanderesse sont erronées puisque les dispositions de la Loi sur la Société canadienne des postes relativement à la réception de documents au nom de Sa Majesté du Chef du Canada, ne sont pas applicables en l’espèce. La défenderesse soutient que, pour que cette présomption puisse opérer à l’avantage de la demanderesse dans cette affaire, il faudrait que Postes Canada puisse être qualifié de personne apparemment autorisée par le ministre à recevoir livraison des envois à son attention. Or, selon la partie défenderesse, le rôle de Postes Canada se limite à la transmission et à la distribution d’envois à leurs destinataires suivant le paragraphe 5(1) de sa loi constitutive.

 

[44]           Il est à noter que pour l’envoi de certains documents à l’attention du ministre, notamment des déclarations de revenu au 30 avril de chaque année, le moment de la mise à la poste est déterminant. Par exemple, l’article 102 de la Loi d’exécution du budget de 2003 prévoit qu’une déclaration « est réputée produite le jour où elle a été postée ».

 

[45]           Je suis d’accord avec la position avancée par la partie défenderesse, puisqu’à mon avis, Postes Canada ne peut être considéré comme mandataire du ministre du Revenu national que lorsque ce dernier en fait la mention expresse dans la Loi ou les règlements en vigueur, comme c’est le cas pour la mise à la poste des déclarations de revenu au mois d’avril de chaque année. Bien que le législateur n’ait pas péché par excès de clarté dans ses dispositions quant au rôle de mandataire exercé par Postes Canada à l’occasion, il ne m’apparaît pas raisonnable de tirer une conclusion générale à l’effet que Postes Canada soit, à tout moment, le mandataire du ministre du Revenu national. Il ne serait effectivement pas raisonnable de conclure que, à chaque fois qu’un document est expédié à l’un ou l’autre des bureaux du ministre à travers le Canada, la date de mise à la poste a un effet déterminant. Je ne peux être d’accord avec cette interprétation et je conclus plutôt que, lorsque Sa Majesté la Reine souhaite que Postes Canada agisse comme mandataire de l’un ou l’autre de ses ministres, ou encore de l’une ou l’autre de ses agences, elle le prévoie expressément dans la Loi ou les règlements.

 

[46]           D’ailleurs, le Tribunal canadien du commerce extérieur s’est aussi prononcé sur la question dans la décision Holste Transport Limited c. Ministre du Revenu national, AP-2004-001, pour finalement conclure au paragraphe 33 que l’expression  « reçue par le Ministre » « est sans équivoque et signifie la date effectivement reçue par le ministre ou son agent (soit l’ARC), et non pas la date à laquelle la demande a été postée ».

 

[47]           De toute façon, je ne suis pas convaincu que cette conclusion soit déterminante dans le cas présent pour des raisons que j’expliquerai un peu plus loin dans mon jugement.

 

[48]           La partie demanderesse avance, par ailleurs, qu’elle disposait de droits acquis au moment de la mise à la poste de sa demande de remboursement le 13 février 2003.

 

[49]           Elle prétend qu’avant le dépôt du projet de loi en date du 18 février 2003, il n’y avait aucune contrainte de délai quant au dépôt de sa demande de remboursement. Elle suggère que l’existence de ses droits acquis ressort de l’article 43 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, qui établit que l’abrogation d’une mesure législative, en tout ou en partie, n’a pas pour conséquence de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractives, ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé. Elle soutient donc que les droits acquis aux remboursements sont cristallisés dès le moment où une demande de remboursement est mise à la poste. La demanderesse soutient donc que la modification subséquente à la Loi sur la taxe d’accise ne serait d’aucun effet quant à l’existence de ses droits acquis à un remboursement qui ont été cristallisés par un simple dépôt de sa demande de remboursement.

 

[50]           Bien qu’il puisse paraître arbitraire que le législateur, de temps à autre, puisse mettre en place une loi qui vient restreindre des droits qui, jusque là, existaient en faveur d’un contribuable, le droit inaliénable du législateur de prendre des mesures législatives pour modifier certains avantages dont bénéficient les contribuables a été reconnu de tout temps par nos tribunaux. La jurisprudence a même établi de façon très claire que la présomption de non-rétroactivité d’une loi pouvait être écartée lorsque le législateur le mentionne clairement. La règle générale à cet effet a été élaborée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national), [1977] 1 R.C.S. 271, au paragraphe 11 :

Premièrement la rétroactivité. Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la Loi ne le décrète expressément ou n’exige implicitement une telle interprétation. Une disposition modificatrice peut prévoir qu’elle est censée être entrée en vigueur à une date antérieure à son adoption, ou qu’elle porte uniquement sur les transactions conclues avant son adoption. Dans ces deux cas, elle a un effet rétroactif.

 

 

[51]           D’ailleurs, dans l’affaire Transport Gilles Perrault Inc. c. Ministre du Revenu national, AP-2004-051, le Tribunal canadien du commerce extérieur a disposé de l’argument de la demanderesse dans une décision rendue sur une question similaire pour les motifs suivants, élaborés au paragraphe 18 :

La Loi d’exécution du budget de 2003, entrée en vigueur le 19 juin 2003, a expressément modifié l’article 68.1 de la Loi et explicitement énoncé que la modification s’appliquait « [...] à toute demande de paiement, prévue à l’article 68.1 de la même loi, reçue par le ministre du Revenu national après le 17 février 2003 » [soulignement ajouté]. La loi n’est pas ambiguë. L’intention du législateur était que la loi ait un effet rétroactif à la date de l’annonce du budget et modifie les attentes (ou les droits) visant l’obtention d’un remboursement si la demande était reçue par le ministre après le 17 février 2003. Le Tribunal fait remarquer que l’application avec effet rétroactif à la date de leur annonce n’est pas inhabituelle dans le cas des lois fiscales.

 

 

[52]           Je tiens maintenant à revenir brièvement sur les prétentions factuelles de la partie demanderesse à l’effet que la demande de remboursement ait été mise à la poste le 13 février 2003, soit antérieurement à la date butoir du 17 février 2003, et que les délais qui ont amené le ministre à recevoir physiquement ledit document le 11 mars 2003, ne sont pas imputables à la partie demanderesse, mais plutôt aux délais dans la livraison postale et le traitement de la demande par le Centre fiscal de Summerside.

 

[53]           Je dois reconnaître que les témoins présentés par la partie demanderesse, soit M. Nadeau et Mme Caron, ne m’ont pas convaincu que la demande de remboursement a bel et bien été déposée entre les mains d’un agent de la Société des postes le matin du 13 février 2003. Les deux témoignages à l’effet que l’information sur le remboursement de la taxe d’accise aurait été obtenue par l’entremise d’une conversation interceptée dans un restaurant de Rivière-du-Loup, une semaine avant le 13 février 2003, ce qui aurait amené Mme Caron à consulter l’internet pour trouver un formulaire de réclamation et le déposer ensuite dans le courrier ordinaire le matin du 13 février 2003, ne sont pas convaincants.

 

[54]           Ces témoignages représentent un contraste marquant avec le témoignage très précis et convaincant de M. Séguin quant au transport dudit courrier. Bien que je puisse admettre qu’il ne s’agisse pas d’une science exacte, que les délais de livraison ne sont pas garantis, et que quelques jours de retard pourraient être imputés à Postes Canada malgré la description très précise du cheminement habituel d’une lettre en partance de Rivière-du-Loup à destination de Summerside, dans le cas présent, il existe un écart de plus de deux semaines, même en accordant plusieurs jours de délai à Postes Canada. De plus, il faut reconnaître que les représentants de la partie demanderesse ont été bien mal avisés de ne pas prendre des dispositions particulières pour s’assurer d’avoir une preuve physique du dépôt d’un document aussi important que la réclamation d’une somme de $123,000 envoyée par une simple mise à la poste.

 

[55]           D’autre part, le témoignage extrêmement précis de M. Kelly, employé du Centre fiscal de Summerside, a été lui aussi très convaincant, et je n’ai aucune difficulté à prendre pour acquis que toutes les enveloppes reçues par la poste au Centre fiscal sont ouvertes le matin même et comptabilisées. Je n’ai donc aucun doute que la lettre en question, qui porte l’estampille du 11 mars 2003, a bien été reçue le 11 mars 2003 au Centre fiscal de Summerside.

 

[56]           Il apparaît plutôt surprenant qu’une entreprise dans le secteur des transports, pour qui cette taxe d’accise représente une somme considérable, ait pu ignorer la possibilité de réclamer un remboursement, et que ce soit le hasard d’une conversation interceptée dans un restaurant qui ait permis de soumettre une réclamation dans les derniers jours précédant la date ultime.

 

[57]           Selon la balance des probabilités, je suis convaincu qu’il n’est pas possible que la demande de remboursement expédiée par Mme Caron ait pu physiquement être déposée à la poste avant le 17 février 2003; cette demande a probablement été déposée dans les jours qui ont suivi l’énoncé budgétaire déposé le 18 février 2003.

 

[58]           Cette conclusion de fait, par elle-même, rend irrecevable toute demande de remboursement et est suffisante pour justifier l’échec de la présente demande.

 

[59]           Nul doute que la réclamation de la partie demanderesse peut apparaître sympathique au plan de l’équité, mais l’État a un pouvoir inaliénable de légiférer, de temps à autre, pour modifier les droits des contribuables, et les contribuables qui ont ou croient avoir un droit légitime ont également la responsabilité de faire connaître leurs intentions le plus rapidement possible.

 

[60]           Finalement, le Tribunal canadien du commerce extérieur a déjà été saisi, à quelques reprises, de réclamations qui ont une certaine similitude avec le présent dossier et les a rejetées, pour des motifs dont j’ai discutés précédemment. Bien que la Cour fédérale ne soit pas liée par les décisions du Tribunal canadien du commerce extérieur, il est bien évident que la Cour a néanmoins le devoir de les examiner et de prendre en considération la rigueur avec laquelle la situation particulière entourant les modifications législatives incluses à la Loi d’exécution du budget de 2003 ont été analysées par le Tribunal. Dans la situation présente, je ne vois pas de motifs pouvant justifier de mettre de côté les conclusions adoptées par le Tribunal canadien du commerce extérieur.

 

[61]           Je suis d’avis que la détermination 20031204QUE210, datée du 4 décembre 2003, à l’effet que la demande de remboursement de la demanderesse avait été reçue par le ministre le 11 mars 2003, soit après le délai statutaire prévu à la Loi d’exécution du budget de 2003 qui fixait la date limite pour déposer une pareille demande au 17 février 2003, était bien fondée.

 

[62]           En conséquence, l’appel de la demanderesse doit être rejeté.

 


JUGEMENT

 

  1. La Cour rejette l’appel de la demanderesse;
  2. Le tout avec dépens.

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1317-05

 

INTITULÉ :                                       TRANSPORT RONADO INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               8 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :                   LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      14 février 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Virginie Massé

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Jean-Robert Noiseux

Me Pierre-Paul Trottier

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cain, Lamarre, Casgrain, Wells

Québec (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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