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Date: 20070213

Dossier: IMM-3863-06

Référence: 2007 CF 160

Ottawa (Ontario), le 13 février  2007

En présence de Monsieur le juge Simon Noël 

 

ENTRE :

MARGARETH VAVAL

MELISSA PIERRE

Demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) à l’encontre d’une décision rendue le 29 mai 2006 par la section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) selon laquelle Margareth Vaval (demanderesse principale) et sa fille Melissa Pierre, toutes deux citoyennes d’Haïti, n’étaient pas des « réfugiées » au sens de l’article 96 de la LIPR, ni des « personnes à protéger » en vertu de l’article 97 de la LIPR.  

 

I.  Faits

 

[2]               La demanderesse principale, une enseignante, a mis sur pied un commerce de denrées alimentaires.  En tant que propriétaire du commerce, elle dit avoir fait la connaissance d’opposants au régime gouvernemental en place. 

 

[3]               Le 7 juillet 2005, elle aurait été victime d’une tentative d’enlèvement.  Elle a porté plainte à la police après la tentative, mais ceci a été en vain.  De plus, un policier lui a conseillé de cesser ses contacts avec les opposants. 

 

[4]               Le 9 juillet 2005, la demanderesse principale a reçu un appel anonyme la menaçant de nouveau.  À cette même date, elle a appris que des hommes armés étaient rentrés dans son commerce, l’avaient saccagé et avaient assassiné sa sœur, et ce, alors que le poste de police se situe à quelques lieux du commerce.

 

[5]                Le 15 juillet 2005, le mari de la demanderesse a disparu. 

 

[6]               Le 18 juillet 2005, en se rendant à son commerce, la demanderesse principale aurait été menacée par un individu.  La demanderesse principale a donc décidé de quitter temporairement Haïti laissant à ses proches le soin de retrouver son mari.

 

 

II.  Questions en litige

(1)   Est-ce que la SPR a erré en déterminant que les demanderesses ne sont ni des refugiées au sens de la Convention, ni des personnes à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR?

(2)   Est-ce que la SPR a erré en ne considérant ni la question de la protection de l’État, ni les problèmes auxquels font face les femmes en Haïti?  

 

III.  Analyse

(1)   Est-ce que la SPR a erré en déterminant que les demanderesses ne sont ni des refugiées au sens de la Convention, ni des personnes à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR?

 

[7]               L’article 96 de la LIPR est claire.  Afin d’être considéré un réfugié au sens de la Convention, un demandeur d’asile doit craindre «…avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques… ».   L’existence d’un lien entre la persécution alléguée et l’un des cinq motifs énumérés dans la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l’article 96 de la LIPR est principalement une question mixte de fait et de droit.  Le juge Blanchard dans la décision La Hoz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 762, suite à une analyse pragmatique et fonctionnelle, a déterminé que la norme de contrôle applicable à une telle question est celle de la décision raisonnable simpliciter. Au paragraphe 44 de la décision La Hoz, précitée, le juge Blanchard dit ce qui suit :

 

 

 

Ayant passé en revue les critères de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, je conclus en l'espèce, que, sur la question de savoir s'il existe un lien entre une demande d'asile et les motifs de persécution établis à l'article 96 de la LIPR, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter. C'est d'ailleurs la conclusion tirée par le juge Gibson dans l'affaire Jayesekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1014.

 

[8]               La demanderesse principale argumente que les actes qu’elle a subi en Haïti et ses craintes si elle devait retourner en Haïti sont d’ordre politique car, dans le cadre de son commerce, elle faisait affaire avec des individus qui s’opposaient au régime gouvernemental en place.  La SPR n’était pas d’accord et a conclu plutôt que les actes subis par la demanderesse principale et ses craintes si elle devait retourner en Haïti ne sont pas reliés à ses opinions politiques, mais bien au fait qu’elle a de l’argent ou que l’on croit qu’elle en a.   En autres mots, la SPR a conclu qu’il n’y avait pas de lien entre les craintes alléguées par la demanderesse principale et les cinq motifs énumérés de la Convention.  En outre, la SPR a déterminé que la demanderesse principale n’était pas une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR. 

 

[9]               La décision de la SPR a été émise oralement.  Les décisions orales ne sont pas problématiques en soi.  Ceci dit, l’équité procédurale oblige un décideur de donner des motifs suffisants pour justifier leur décision.  Dans la décision VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports et al., [2001] 2 C.F. 25 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a qualifié l’obligation de donner des motifs suffisants comme suit au paragraphe 22 :

 

 

 

 

 

[22] On ne s'acquitte pas de l'obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion [...] Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions [...] Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur [...] et l'examen des facteurs pertinents [...]

 

Cette cause a été citée avec approbation par le juge Pinard dans la cause Zarghami c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2006 CF 151, pour expliquer l’obligation de la CISR de donner des motifs suffisants.  Compte tenu des causes Via Rail Canada Inc., précitée, et Zarghami, précitée, la SPR en l’espèce avait l’obligation d’exposer leurs conclusions de faits et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposaient leurs conclusions.    

 

[10]           En ce qui concerne l’analyse concernant l’article 96 de la LIPR, la décision de la SPR me semble rencontrer l’obligation d’équité procédurale de donner des motifs suffisants.  Toutefois, l’analyse à l’appui de l’article 97 de la LIPR laisse à désirer.  Je m’explique.

 

[11]           En l’espèce, la SPR en se limitant à exposer le droit, soulève une question d’équité procédurale.  Aucune référence factuelle n’est utilisée pour comprendre le cheminement juridique suivi.  Dans la décision  Anthonimethu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 FC 141, le juge de Montigny dit aux paragraphes 51 et 52 :

51     La demanderesse prétend également que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en n'évaluant pas sa demande au regard de l'article 97 de la LIPR, en ce que la SPR a tenu pour acquis que la demanderesse ne pouvait établir le risque d'être soumise à une menace à sa vie ou à des peines ou traitements cruels ou inusités ou à la torture si elle n'établissait pas qu'elle craignait avec raison d'être persécutée. La Cour a dit, à plusieurs reprises, que l'analyse en vertu de l'article 97 était différente de l'analyse en vertu de l'article 96 et que des demandes fondées sur ces deux dispositions devaient faire l'objet d'une analyse distincte. La Cour a dit, dans l'affaire Bouaouni, précitée, au paragraphe 41 :

 

[...] Il s'ensuit qu'une conclusion défavorable en matière de crédibilité, quoique pouvant être déterminante quant à une revendication du statut de réfugié en vertu de l'article 96 de la Loi, ne le sera pas nécessairement quant à une revendication en vertu du paragraphe 97(1). Les éléments requis pour établir le bien-fondé d'une revendication aux termes de l'article 97 diffèrent de ceux requis en regard de l'article 96, la crainte fondée de persécution pour un motif visé à la Convention devant être démontrée dans ce dernier cas. Bien que le fondement probatoire puisse être le même pour les deux revendications, il est essentiel que chacune d'elles soit considérée distincte [...]

 

52     La Section de la protection des réfugiés peut être dispensée d'effectuer une analyse distincte en vertu de l'article 97 uniquement s'il n'y a absolument aucune preuve susceptible d'établir que la personne a besoin d'être protégée : Soleimanian, 2004 CF 1660, au paragraphe 22.

 [Je souligne]

 

 

 

[12]           Je suis tout à fait d’accord avec les conclusions du juge de Montigny.  En l’espèce, la SPR avait une obligation de motiver leur conclusion que la demanderesse principale n’était pas une « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR pour ne pas enfreindre les principes d’équité procédurale.  Ceci n’a pas été fait, la décision de la SPR ne démontre aucunement le cheminement juridique suivi pour arriver à la conclusion que la demanderesse n’était pas une  « personne à protéger » en vertu de l’article 97 de la LIPR.  Le fait que la décision en l’espèce est une décision orale, reprise par écrit, ne justifie pas l’absence de raisonnement juridique ou le manquement d’une analyse appliquant la preuve et les faits aux dispositions législatives pertinentes.  Il me semble que la SPR a prise pour acquis que l’analyse sous l’article 96 de la LIPR s’appliquait automatiquement à celle de l’article 97.  Il s’agit de questions distinctes de droit qui nécessitent un traitement différent.  Ça n’a pas été fait pour les fins de l’analyse de l’article 97 de la LIPR.  

 

 

[13]           La norme de révision applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404).  Comme l’obligation d’équité procédurale de donner des motifs suffisants a été violée en l’espèce, j’annule en partie la décision de la SPR et je renvoie le dossier pour une nouvelle audition concernant l’applicabilité de l’article 97 de la LIPR, à savoir si les demanderesses sont des « personnes à protéger ».  Il n’est donc pas nécessaire d’aborder la deuxième question en litige. 

 

V.  Conclusion

 

[14]           Compte tenu des motifs qui précèdent, la Cour interviendra en l’espèce.  Donc, la demande de contrôle judiciaire est accordée en partie.

 

[15]           Les parties ont été invitées à soumettre une question pour fins de certification mais aucune n’a été soumise. 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE QUE :

 

-         La demande de contrôle judiciaire est accordée en partie et le dossier doit être retourné devant un autre membre de la SPR pour traiter de la question de droit découlant de l’applicabilité de l’article 97 de la LIPR.

-         Aucune question n’est certifiée.

 

« Simon Noël »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3863-06

 

INTITULÉ :                                       Margareth Vaval et al. v. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTREAL

 

DATE DE L’AUDIENCE :               6 FÉVRIER 2007

 

MOTIFS  DU JUGEMENT:            LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 13 février 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

ÉVELINE FISET

 

POUR LE(S) DEMANDEUR(ERESSE)(S)

SUZON LÉTOURNEAU

 

POUR LE(S) DÉFENDEUR(ERESSE)(S)

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ÉVELINE FISET

477, ST-FRANÇOIS-XAVIER

BUREAU 308

MONTRÉAL, QUÉBEC H2Y 2T2

514-904-0048

514-904-0281 (FAX)

POUR LE(S) DEMANDEUR(ERESSE)(S)

SUZON LÉTOURNEAU

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

BUREAU RÉGIONAL DU QUÉBEC

COMPLEXE GUY-FAVREAU

200, BOUL. RENÉ-LÉVESQUE OUEST

TOUR EST, 5E ÉTAGE

MONTRÉAL, QUÉBEC

514-283-6379

514-496-7876 (FAX)

POUR LE(S) DÉFENDEUR(ERESSE)(S)

 

 

 

 

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