Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Date :  20070208

Dossier :  IMM-3900-06

Référence :  2007 CF 133

Ottawa (Ontario), le 8 février 2007

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

Augosto Pedro PRIETO VELASCO

Carla Mercedes GUAZZOTTI DEL RISCO

Giancarlo GUERRA GUAZZOTTI

Mauricio Alberto GUERRA GUAZZOTTI

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Dans ce cas d’espèce, suite aux faits des demandeurs qui ont été acceptés comme crédible par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Commission) sans aucun doute exprimé sur cette crédibilité :

[27]      Pour déterminer si le revendicateur d'asile a rempli son fardeau de preuve, la Commission doit procéder à une véritable analyse de la situation du pays et des raisons particulières pour lesquelles le revendicateur d'asile soutient qu'il "ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection" de son pays de citoyenneté ou de résidence habituelle (alinéas 96a) et b) et sous-alinéa 97(1)b)(i) de la Loi). La Commission doit considérer non seulement la capacité effective de protection de l'État mais également sa volonté d'agir. À cet égard, les lois et les mécanismes auxquels le demandeur peut avoir recours pour obtenir la protection de l'État peuvent constituer des éléments qui reflètent la volonté de l'État. Cependant, ceux-ci ne sont pas en eux-mêmes suffisants pour établir l'existence d'une protection à moins qu'ils ne soient mis en oeuvre dans la pratique : voir Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1081, [2003] 2 C.F. 339 (C.F. 1re inst.); Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 429, [2003] 4 C.F. 771 (C.F. 1re inst.).

 

[...]

 

[31]      Qu'il s'agisse de l'intérêt supérieur de l'État démocratique en cause et de la société civile en général, ou de l'intérêt individuel de la victime ou de l'auteur d'un acte criminel présumé, le versement de quelque forme que soit d'un avantage pécuniaire ou autre à un officier de police ou de justice est contraire à la loi. Bien entendu, la corruption si elle est généralisée peut, à terme, miner la confiance que peuvent avoir les citoyens envers les institutions de l'État, incluant le système judiciaire. Comme l'a déjà souligné la Cour suprême, "la démocratie au vrai sens du terme ne peut exister sans le principe de la primauté du droit" (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, au para. 67). L'application régulière de la loi et l'égalité devant la loi sont la force vitale de toute démocratie et créent chez les citoyens une expectative légitime que l'État prendra les mesures qui s'imposent pour poursuivre les criminels et les traduire en justice, et le cas échéant, pour réprimer la corruption. L'indépendance et de l'impartialité de l'appareil judiciaire et de ses composantes ne sont pas négociables. Ce sont là des valeurs fondamentales de tout État qui se veut être une véritable démocratie. Par conséquent, le degré de tolérance de l'État vis-à-vis la corruption des appareils politique ou judiciaire diminue d'autant son degré de démocratie. Ceci étant dit, je n'ai pas à décider aujourd'hui si la preuve documentaire démontre, comme le soutient avec force le demandeur, un degré de corruption tel, qu'on peut dire qu'il n'était pas déraisonnable en l'espèce pour le demandeur de ne pas s'adresser à la police de son pays avant de solliciter la protection internationale. La Commission, à cause de son expertise particulière et de sa connaissance privilégiée des conditions générales prévalant dans un pays donné, est bien mieux placée que cette Cour pour répondre à une telle question. Néanmoins, encore faut-il que cette Cour soit en mesure de comprendre le raisonnement de la Commission.

 

[...]

 

[36]      ... Je n'ai pas à substituer mon jugement à celui de la Commission et à tirer des conclusions de fait particulières à partir de l'ensemble de la preuve. Il suffit de constater ici que la Commission a tout simplement choisi arbitrairement d'écarter ou de ne pas traiter d'éléments de preuve pertinents qui pourraient soutenir le point de vue du demandeur, ce qui rend sa décision révisable dans les circonstances : voir Tufino v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2005] A.C.F. no 2094, 2005 FC 1690 aux para. 2-3; A.Q. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 677 aux para. 17-18, [2004] A.C.F. no 834 (C.F.) (QL); Castro v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2005 FC 1165 aux para. 30-34, [2005] F.C.J. No. 1923 (C.F.) (QL).

 

(Dans l’arrêt Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, [2006] A.C.F. no 439 (QL), les propos du juge Luc J. Martineau résument bien l’état du droit en ce qui traite la protection de l’État.)

 

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission rendue le 20 juin 2006, concluant que les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugié au sens de la Convention (article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27) (Loi) ou de personnes à protéger (article 97 de la Loi).

 

FAITS

Aucune question a été soulevée concernant la crédibilité des revendicateurs et les faits suivants découlent donc de ce cas d’espèce :

 

[3]               Monsieur Augusto Pedro Prieto Velasco, son épouse Mme Carla Mercedes Guazzotti Del Risco (demanderesse principale) et leurs deux enfants, Giancarlo and Mauricio Alberto Guerra Guazzotti sont citoyens du Pérou.

 

[4]               Monsieur Velasco et les enfants appuient leur demande sur celle de la demanderesse principale qui allègue les faits suivants:

 

[5]               Madame Del Risco est mobilisatrice scolaire au Pérou et sa clientèle consiste principalement d’enfants provenant de milieu aisé.

 

[6]               Le 20 juillet 2005, Mme Del Risco reçoit un appel du groupe Sendero Luminoso (SL), une organisation terroriste renommée au Pérou, lui demandant de fournir de l’information sur les parents d’un enfant qu’elle transporte qui, semble-t-il, est recherché par l’organisation. Madame Del Risco refuse de coopérer avec le groupe SL.

 

[7]               Le 21 juillet 2005, Mme Del Risco reçoit des menaces par téléphone, lui demandant de fournir de l’information sur les enfants de la famille Tarfur, le père étant un important directeur d’un journal à Lima qui dénonce les activités du groupe SL.

 

[8]               Le même jour, des voleurs fouillent la maison des demandeurs et s’accaparent d’une liste contenant les adresses des clients de Mme Del Risco. À la suite de cet événement, M. Velasco dénonce cet incident à la police qui exige, en retour, un pot-de-vin pour entreprendre une enquête dans ce dossier. En plus, la police a fait comprendre à la famille qu’elle pourrait, elle-même, être sous enquête pour ne pas avoir rempli l’exigence de la police telle que spécifiée.

 

[9]               Le 9 août 2005, le véhicule de Mme Del Risco est intercepté par deux motards et la demanderesse principale subie des attaques physiques et des menaces de mort.

 

[10]           Le 15 août 2005, les demandeurs quittent le Pérou et séjournent pendant neuf jours chez Vive la Casa, un organisme qui aide les réfugiés aux États-Unis. Le 24 août 2005, les demandeurs entrent au Canada et réclament le statut de réfugié à la frontière.

 

DÉCISION CONTESTÉE

[11]           Le 20 juin 2006, la Commission rejette la demande de statut de réfugié des demandeurs. La Commission décide que les demandeurs n’ont ni la qualité de « réfugié au sens de la Convention » en vertu de l’article 96 de la Loi, ni celle de « personne à protéger » aux termes du paragraphe 97(1) de la Loi.

 

[12]           La Commission n’est pas convaincue que les demandeurs ont épuisé tous les recours à leurs dispositions afin d’obtenir la protection de l’État péruvien.

 

 

QUESTION EN LITIGE

[13]           La Commission a-t-elle erré en déterminant que les demandeurs ne se sont pas déchargés de la preuve de démontrer que l’État péruvien n’a pu les protéger adéquatement ?

 

CADRE LÉGISLATIF

[14]           Les articles 96 et 97 de la Loi se lisent comme suit :

 

96.      A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

96.      A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[15]           La norme de contrôle judiciaire en ce qui concerne la détermination de la capacité de l’État à assurer la protection d’un demandeur fut analysée à plusieurs reprises par cette Cour. Selon un courant de pensée, cette question est une question de faits qui doit être évaluée selon la norme manifestement déraisonnable. (Nawaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1255, [2003] A.C.F. no 1584 (QL), au paragraphe 19; Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1449, [2004] A.C.F. no 1755 (QL), au paragraphe 9)

 

[16]           Selon un autre courant de pensée, cette question relève de la norme de la décision raisonnable  simpliciter. (Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, [2005] A.C.F. no 232 (QL), au paragraphe 11; Danquah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 832, [2003] A.C.F. no 1063 (QL), au paragraphe 11; Machedon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1104, [2004] A.C.F. no 1331 (QL), au paragraphe 70)

 

[17]           Dans la décision Chaves, ci-haut, la juge Danièle Tremblay-Lamer, suite à une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable, a conclu que cette question est une question mixte de faits et de droit, à laquelle s’applique la norme de la décision raisonnable simpliciter. La Cour, dans cette instance, adopte cette analyse et la norme appliquée pour les fins de l’examen de la question en litige. Une décision sera donc jugée déraisonnable dans la mesure où elle n’est étayée par aucun motif de droit ou de fait capable de résister à un examen assez poussé. (Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence c. Southam Inc.), [1997] 1 R.C.S. 748, [1996] A.C.S. no 116 (QL), au paragraphe 56)

 

ANALYSE

[18]           Les demandeurs prétendent essentiellement que la Commission a erré sur un point en estimant que (1) les demandeurs ne se sont pas déchargés de la preuve de démontrer que l’État péruvien n’a pu les protéger adéquatement.

La Commission a erré en déterminant que les demandeurs ne se sont pas déchargés de la preuve de démontrer que l’État péruvien n’a pu les protéger adéquatement

 

[19]           Les demandeurs prétendent que la Commission a mal analysé la question de la protection de l’État, en ce sens que ces derniers ont effectivement demandé la protection de l’État péruvien sans succès. De plus, les demandeurs estiment que la Commission n’a pas tenu compte de la preuve documentaire qui démontre clairement que l’État péruvien ne peut protéger adéquatement certains de ses citoyens. Finalement, ils soutiennent qu’ils se sont déchargés de leur fardeau de présenter une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État à les protéger dans leurs circonstances particulières.

 

[20]           La Cour Suprême du Canada, sous la plume du juge Gérard Vincent La Forest, a décidé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux paragraphes 49, 50 et 52, qu’il y avait lieu de présumer que l’État est capable de protéger ses citoyens en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique. Le danger que cette présomption ait une application trop générale est atténué par l’exigence d’une preuve claire et convaincante de l’incapacité d’un État d’assurer la protection. Pour repousser la présomption de la capacité d’un État de protéger ses ressortissants, un demandeur peut présenter à la Commission le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne. Il peut également se fonder sur la preuve documentaire au dossier. Il peut aussi faire état de sa propre expérience.

 

[21]           Dans l’arrêt Avila, ci-dessus, les propos du juge Luc J. Martineau résument bien l’état du droit en ce qui traite la protection de l’État :

[27]      Pour déterminer si le revendicateur d'asile a rempli son fardeau de preuve, la Commission doit procéder à une véritable analyse de la situation du pays et des raisons particulières pour lesquelles le revendicateur d'asile soutient qu'il "ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection" de son pays de citoyenneté ou de résidence habituelle (alinéas 96a) et b) et sous-alinéa 97(1)b)(i) de la Loi). La Commission doit considérer non seulement la capacité effective de protection de l'État mais également sa volonté d'agir. À cet égard, les lois et les mécanismes auxquels le demandeur peut avoir recours pour obtenir la protection de l'État peuvent constituer des éléments qui reflètent la volonté de l'État. Cependant, ceux-ci ne sont pas en eux-mêmes suffisants pour établir l'existence d'une protection à moins qu'ils ne soient mis en oeuvre dans la pratique : voir Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1081, [2003] 2 C.F. 339 (C.F. 1re inst.); Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 429, [2003] 4 C.F. 771 (C.F. 1re inst.).

 

[28]      Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation (Villafranca, précité, au para. 7). N'empêche que même si la protection de l'État n'a pas à être parfaite, il doit tout de même exister une certaine protection dont le seuil minimal n'a pas à être établi par la Cour. La Commission peut en l'espèce déterminer que la protection fournie par l'État est adéquate en se référant aux normes définies dans les instruments internationaux et à ce que les citoyens d'un pays démocratique peuvent légitimement s'attendre dans des cas semblables. À mon avis, c'est une question de fait qui ne peut être répondue dans l'absolu. Chaque cas en est un d'espèce. Par exemple, dans le cas du Mexique, il faut regarder la protection qui existe non seulement au niveau fédéral mais aussi au niveau des états. Avant d'aborder la question de la protection, il faut bien entendu que la Commission saisisse bien la nature de la crainte de persécution ou du risque allégué par le demandeur. Lorsque, comme dans le cas présent, le demandeur craint la persécution d'une personne qui n'est pas un agent de l'État, la Commission doit notamment examiner la motivation de l'agent persécuteur et sa capacité à poursuivre le demandeur localement ou dans l'ensemble du pays, ce qui pose, le cas échéant, la question de l'existence d'un refuge interne et de sa raisonnabilité (du moins dans le cadre de l'analyse conduite sous l'article 96 de la Loi).

 

[29]      Ainsi, lorsque l'État n'est pas l'agent persécuteur, et même lorsque celui-ci est un État démocratique, la preuve peut néanmoins démontrer, de façon claire et convaincante, que ce dernier n'a pas la capacité ou n'a vraiment pas la volonté de protéger ses ressortissants dans certains types de situation : voir Annan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1995] 3 C.F. 25 (C.F. 1re inst.); Cuffy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1316 (C.F. 1re inst.) (QL); Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1438 (C.F. 1re inst.) (QL); M.D.H.D. v. Canada (Minister of Citizenthip and Immigration), [1999] F.C.J. No. 446 (C.F. 1re inst.) (QL). Faudrait-il le rappeler, la plupart des États seraient prêts à tenter d'assurer la protection, alors qu'une évaluation objective pourra établir qu'ils ne peuvent pas le faire efficacement en pratique. En outre, le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d'un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l'encontre de l'objet de la protection internationale (Ward, précité, au para. 48).

 

[30]      D'autre part, l'arrêt Kadenko, précité, est à l'effet qu'on ne peut conclure automatiquement qu'un État est incapable de protéger un de ses ressortissants lorsque ce dernier a demandé la protection de la police, alors que certains policiers ont refusé d'intervenir pour l'aider. Dès qu'il est tenu pour acquis qu'un État (en l'espèce, il s'agissait d'Israël) possède des institutions judiciaires et politiques capables de protéger ses citoyens, le refus de certains policiers d'intervenir ne saurait en lui-même rendre l'État incapable de le faire. C'est dans cette optique que la Cour d'appel fédérale mentionne en obiter que le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au "degré de démocratie" de l'État du ressortissant. Le degré de démocratie n'est pas nécessairement le même d'un pays à l'autre. Par conséquent, la Commission commet une erreur de droit si elle adopte une approche "systémique" à l'égard de la protection offerte aux ressortissants d'un pays donné. C'est ce qui risque de se produire lorsque les motifs de rejet fournis par la Commission sont trop généraux et peuvent tout aussi bien s'appliquer à un autre pays ou à un autre revendicateur (Renteria et al. v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2006] A.C.F. no 284, 2006 FC 160).

 

[31]      Qu'il s'agisse de l'intérêt supérieur de l'État démocratique en cause et de la société civile en général, ou de l'intérêt individuel de la victime ou de l'auteur d'un acte criminel présumé, le versement de quelque forme que soit d'un avantage pécuniaire ou autre à un officier de police ou de justice est contraire à la loi. Bien entendu, la corruption si elle est généralisée peut, à terme, miner la confiance que peuvent avoir les citoyens envers les institutions de l'État, incluant le système judiciaire. Comme l'a déjà souligné la Cour suprême, "la démocratie au vrai sens du terme ne peut exister sans le principe de la primauté du droit" (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, au para. 67). L'application régulière de la loi et l'égalité devant la loi sont la force vitale de toute démocratie et créent chez les citoyens une expectative légitime que l'État prendra les mesures qui s'imposent pour poursuivre les criminels et les traduire en justice, et le cas échéant, pour réprimer la corruption. L'indépendance et de l'impartialité de l'appareil judiciaire et de ses composantes ne sont pas négociables. Ce sont là des valeurs fondamentales de tout État qui se veut être une véritable démocratie. Par conséquent, le degré de tolérance de l'État vis-à-vis la corruption des appareils politique ou judiciaire diminue d'autant son degré de démocratie. Ceci étant dit, je n'ai pas à décider aujourd'hui si la preuve documentaire démontre, comme le soutient avec force le demandeur, un degré de corruption tel, qu'on peut dire qu'il n'était pas déraisonnable en l'espèce pour le demandeur de ne pas s'adresser à la police de son pays avant de solliciter la protection internationale. La Commission, à cause de son expertise particulière et de sa connaissance privilégiée des conditions générales prévalant dans un pays donné, est bien mieux placée que cette Cour pour répondre à une telle question. Néanmoins, encore faut-il que cette Cour soit en mesure de comprendre le raisonnement de la Commission.

 

[32]      […] En effet, le principal vice de la décision sous étude résulte du manque total d'analyse de la situation personnelle du demandeur. Il ne suffit pas non plus que la Commission fasse état, dans sa décision, du fait qu'elle a considéré toute la preuve documentaire. Un simple renvoi dans la décision au Cartable national de documentation sur le Mexique, lequel comprend un nombre impressionnant de documents, n'est pas suffisant dans les circonstances. Or, les conclusions hâtives de la Commission et les nombreuses omissions au niveau de la preuve rendent sa décision déraisonnable dans les circonstances. De plus, à cause du caractère laconique des motifs de rejet que l'on retrouve dans la décision, ceux-ci ne peuvent résister à un examen assez poussé. Par exemple, bien que la Commission ait conclu que l'article 96 de la Loi ne s'appliquait pas en l'espèce, il n'est pas clair à la lecture de ses motifs que celle-ci a véritablement analysé le risque personnel auquel ferait face le demandeur advenant son renvoi au Mexique en fonction de chacun des critères particuliers et du fardeau de preuve qui s'appliquent en vertu de l'article 97 de la Loi : voir Li, précité; Kandiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 181, [2005] A.C.F. no 275 (C.F.) (QL).

 

[33]      Aux fins de l'évaluation de la situation personnelle du demandeur, vu que sa crédibilité n'est pas remise en question dans la décision sous étude, il faut donc donner foi aux faits particuliers qui ont précipité son départ du Mexique (Maldonado c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302 au para. 5 (C.A.F.)). Partant, la Commission ne pouvait affirmer gratuitement que si le demandeur n'avait pas eu de succès auprès de la police, il aurait pu faire appel à la CNDH et la CEDH, deux organismes s'occupant des droits de la personne. En effet, ces organisations n'ont pas pour mandat de protéger les victimes d'actes criminels, ce qui est plutôt le rôle de la police : voir Balogh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 809 au para. 44, [2002] A.C.F. no 1080 (C.F. 1re inst.) (QL); N.K. c. Canada (Solliciteur général) (1995), 107 F.T.R. 25 aux para. 44-45 (C.F. 1re inst.).

[...]

[35]      Le rôle de la Commission était de faire des constats de fait et d'en parvenir à une conclusion raisonnable qui s'appuie sur la preuve, même contradictoire. En l'espèce, il est manifeste que la Commission ne tient aucunement compte d'éléments de preuve pertinents. La Commission ne peut ignorer ou écarter, sans fournir des motifs raisonnables, le contenu d'un document traitant explicitement de la protection de l'État dans une région donnée (Renteria et al., précité). Par exemple, le document Mexique : protection offerte par l'État (Décembre 2003 -- Mars 2005), précité, qui a pourtant été produit à l'audition, n'est pas mentionné dans la décision. Or, ce dernier document qui émane de la Direction des recherches de la Commission, présente une vision globale et assez nuancée des mécanismes de protection disponibles au Mexique et de leur efficacité relative. Pris isolément certains passages de ce document semblent démontrer qu'il existe une certaine volonté du gouvernement actuel d'améliorer la situation, tandis que d'autres passages suggèrent que les mesures de protection sont inefficaces, du moins dans certains cas. Il en est de même d'une foule d'autres documents pertinents faisant partie du Cartable national de documentation sur le Mexique qui n'ont pas été considérés par la Commission. Il est clair que la Commission s'est livrée ici à une analyse superficielle sinon hautement sélective de la preuve documentaire.

[36]      Je n'ai pas à décider aujourd'hui si le Mexique est capable ou non de protéger ses ressortissants. Je n'ai pas à substituer mon jugement à celui de la Commission et à tirer des conclusions de fait particulières à partir de l'ensemble de la preuve. Il suffit de constater ici que la Commission a tout simplement choisi arbitrairement d'écarter ou de ne pas traiter d'éléments de preuve pertinents qui pourraient soutenir le point de vue du demandeur, ce qui rend sa décision révisable dans les circonstances : voir Tufino v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2005] A.C.F. no 2094, 2005 FC 1690 aux para. 2-3; A.Q. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 677 aux para. 17-18, [2004] A.C.F. no 834 (C.F.) (QL); Castro v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2005 FC 1165 aux para. 30-34, [2005] F.C.J. No. 1923 (C.F.) (QL). [La Cour souligne.]

 

 

[22]           En l’espèce, la Commission a omis de présenter, dans ses motifs, une analyse de la preuve documentaire qui lui a été fournie. Or, tel qu’il appert de cette preuve, le groupe SL est une organisation terroriste et présente toujours une menace meurtrière au Pérou :

The terrorist group Shining Path continued to kill civilians as well as military and police officials. There were 60 reported terrorist incidents during the year, the most serious of which occurred in Junin, Huanuco, San Martin, and Ayacucho. During the year members of Shining Path killed 17 policemen, 5 civilians, and 1 judge. For example in July, members of Shining Path killed four civilians, one policeman, and one judge in two separate incidents in Satipo Province and Tocache Province.

 

 

The Shining Path committed kidnappings. In November a group of heavily armed Shining Path members kidnapped 10 employees of a foreign development contractor in Huanuco Department. The abductors later released the employees but threatened to kill them if they returned to the area.

 

(le rapport du Département d’État des États-Unis publié en mars 2006, Dossier du demandeur, à la page 28)

 

[23]           De plus, selon le rapport du Département d'État des États-Unis publié en mars 2006, le Pérou est un pays corrompu :

Experts noted that the PNP (Peruvian National Police) was undermanned, had problems with professionalism, was often ineffective against common criminal activity, and unable at times to meet its mandated responsibilities, such as witness protection. Corruption and impunity were problems.

 

 

Witness protection remained a significant weakness of the justice system.

 

 

Corruption remained a major problem, which the government took steps to address.

 

 

Despite these advances, the pace of anticorruption prosecutions remained a concern.

 

(Dossier du demandeur, aux pages 29, 30, 32 et 33)

 

 

[24]           En outre, il est de jurisprudence constante que l’État péruvien n’a pas les ressources pour protéger certains de ses citoyens contre des menaces ou attaques du groupe SL :

 

[…] Le rapport du Département d'État des États-Unis pour l'année 2000 mentionnait que même si on voit des progrès, le Sentier lumineux présente [TRADUCTION] "toujours une menace meurtrière". Un article écrit au sujet du Sentier lumineux en 2000 mentionnait que :

 

[TRADUCTION]Même si la force militaire et la capacité organisationnelle du Sentier lumineux ont été grandement minées dans les dernières années, il représente toujours une force visible capable d'entreprendre avec succès des attaques terroristes à l'encontre d'infrastructures tant publiques que privées et d'assassiner des policiers et des civils. Il est peu probable que le gouvernement péruvien réussira à éliminer complètement le groupe dans un avenir rapproché. Il en est ainsi en grande partie parce que les conditions sociales et économiques qui ont été à l'origine de la révolution -- y compris la pauvreté répandue, le chômage, et le désespoir dans les régions rurales et urbaines -- ne se sont guère améliorées depuis la formation du groupe dans les années 1960.

 

(Ortiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 690, [2004] A.C.F. no 863 (QL), au paragraphe 11; Pillhuaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 748, [2006] A.C.F. no 944 (QL), aux paragraphes 34-36)

 

[25]           Finalement, en déterminant qu’il existe une protection adéquate au Pérou, et que les demandeurs auraient dû porter plainte suite aux incidents, et en imposant à ceux-ci d’épuiser tous les recours qu’ils pouvaient obtenir dans leurs pays, la Commission a rendu une décision déraisonnable, en ce sens qu’elle a omis de tenir compte du fait que la situation des demandeurs s’est aggravée la fois où ils ont porté plainte à la police. Cette conclusion va d’ailleurs à l’encontre du principe établi par cette Cour dans Shimokawa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 445, [2006] A.C.F. no 555 (QL), au paragraphe 21, selon laquelle « [...] le demandeur d'asile n'est pas tenu de faire preuve de courage ou de témérité pour demander la protection de l'État. Il lui incombe seulement de tenter d'obtenir la protection de l'État si celle-ci est considérée comme étant raisonnablement assurée. Si le demandeur d'asile prouve de façon claire et convaincante qu'il serait inutile d'entrer en contact avec les autorités ou que cela empirerait la situation, il n'est pas tenu de prendre d'autres mesures ». (Voir aussi : Ward, ci-dessus, au paragraphe 28). Cette erreur justifie donc l’intervention de la Cour dans la mesure où cette détermination a été incapable de résister à un examen poussé.

 

CONCLUSION

[26]           Pour ces motifs, il y a lieu d’accueillir la demande de contrôle judiciaire et de renvoyer le dossier pour audience devant un panel autrement constitué.

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et l’affaire soit retournée pour redétermination par un panel autrement constitué.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3900-06

 

INTITULÉ :                                       AUGUSTO PEDRO PRIETO VELASCO

CARLA MERCEDES GUAZZOTTI DEL RISCO

GIANCARLO GUERRA GUAZZOTTI

                                                            MAURICIO ALBERTO GUERRA GUAZZOTTI

c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 1 février 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 8 février 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Peter Shams

 

POUR LES DEMANDERESSES

Me Patricia Nobl

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SAIN-PIERRE, GRENIER, S.E.N.C.

 

POUR LES DEMANDERESSES

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-Procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.