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Date : 20070209

Dossier : IMM-867-06

Référence : 2007 CF 157

Ottawa (Ontario), le 9 février 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE de MONTIGNY

 

 

ENTRE :

ESTANISLAU BUIO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’une agente d’immigration rejetant la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de Estanislau Buio. M. Buio a fait valoir que l’agente a enfreint son droit à l’équité et qu’elle a commis une erreur dans l’évaluation de son établissement au Canada. Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que sa demande doit être rejetée.

 

LES FAITS

[2]               M. Buio est né en Angola en 1967. En 1987, il a quitté l’Angola pour étudier en Ukraine pendant dix ans. Il a obtenu une maîtrise en géologie de la Kiev Taras Shevchenko University. Il est marié, a eu un fils et s’est séparé de sa femme en Ukraine.

 

[3]               M. Buio soutient qu’il est retourné en Angola une fois, en 1992, pendant qu’il vivait en Ukraine. Au cours de cette visite, il affirme qu’on a tiré sur lui pendant qu’il se déplaçait dans une voiture ornée d’un drapeau de l’UNITA. L’UNITA est un groupe politique en Angola constitué d’anciennes forces rebelles. En conséquence de cet incident, il affirme devoir prendre des médicaments sur ordonnance pour sa tension artérielle.

 

[4]               En août 1997, M. Buio est de nouveau retourné en Angola en avion, après avoir terminé ses études en Ukraine. Jusqu’en juin 1998, le gouvernement l’envoyait former d’autres géologues. Il affirme qu’entre juin 1998 et novembre 1999 il vivait caché et travaillait dans une église, parce que les forces de sécurité étaient à sa recherche pour obtenir son aide afin de trouver son père et son frère, qui avaient été enlevés par l’UNITA lorsqu’il était enfant.

 

[5]               En janvier 2000, M. Buio est venu au Canada après avoir transité par l’Afrique du Sud, l’Éthiopie et les États-Unis. À son arrivée au Canada, il a demandé le statut de réfugié.

 

[6]               Le 22 juillet 2003, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande de statut de réfugié. La Commission a conclu que M. Buio n’était pas un témoin digne de foi et a souligné les nombreuses incohérences et omissions dans son témoignage.

 

[7]               La Commission a rejeté la prétention de M. Buio selon laquelle il s’est caché du gouvernement à Luanda, en Angola, de juin 1998 à octobre 1999. Elle a fait remarquer que M. Buio avait obtenu sa carte d’identité et un permis de conduire du gouvernement et a fourni son adresse à Luanda. De plus, il s’est rendu à l’aéroport en août 1999 et a rempli un certificat international de vaccination en vue de quitter l’Angola en novembre de cette année-là. Enfin, la Commission a écrit que M. Buio a dit à un agent d’immigration qu’il avait quitté l’Angola avec son propre passeport, sur lequel figurait son nom et sa photographie. Ces faits et ces déclarations ne correspondaient pas avec sa crainte exprimée à l’égard du gouvernement.

 

[8]               En décembre 2005, M. Buio a présenté une demande de résidence permanente, dans laquelle il demandait une dispense des conditions habituelles d’obtention de visa pour des motifs d’ordre humanitaire. Dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il a écrit qu’il prend des médicaments sur une base régulière pour contrôler sa tension artérielle et qu’il ne pourrait pas acheter les médicaments en Angola. Il a également parlé de sa crainte de retourner en Angola en raison du mauvais dossier de ce pays en matière de droits de la personne et parce que tous les membres de sa famille immédiate, sauf sa sœur, y avaient été assassinés.

 

[9]               Enfin, il a expliqué que les problèmes posés par son Formulaire de renseignements personnels (FRP) sont survenus parce qu’il avait été mal représenté par un avocat lorsqu’il est venu au Canada pour la première fois. Il a parlé de son emploi et de son implication au sein de la communauté pour illustrer son établissement au Canada. Il a également inclus des lettres de recommandation de son employeur, de son église et d’organismes communautaires.

 

LA DÉCISION ATTAQUÉE

[10]           L’agente d’immigration a rejeté la demande de M. Buio fondée sur des motifs d’ordre humanitaire le 3 février 2006. Ce faisant, l’agente a mis l’accent sur les notions d’établissement et de risque/de préjudice personnalisé.

 

[11]           En ce qui concerne l’établissement, l’agente a fait observer que M. Buio travaillait depuis 2000 et était impliqué au sein de sa communauté par l’intermédiaire de la communauté angolaise de l’Ontario, de la Mission Scott et de la paroisse St. Helen’s. Bien que M. Buio ait écrit quelque chose au sujet de la possibilité de suivre des cours d’ALS pour améliorer son anglais, l’agente a fait remarquer que M. Buio n’avait pas fourni la preuve des cours suivis. Il n’a pas non plus fourni la preuve de sa prétendue séparation avec sa femme en Ukraine. M. Buio a également écrit que son fils de 13 ans et son ex-femme vivent en Ukraine. L’agente a noté que M. Buio n’a ni économies ni famille au Canada, et une sœur en Angola. L’agente a donc établi que les liens actuels (qui sont surtout des liens professionnels) que M. Buio serait amené à rompre avec le Canada ne lui imposeraient pas de difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives.

 

[12]           L’agente a tiré la conclusion suivante à la page 5 du dossier du tribunal :

[traduction]

Il n’a pas de famille et ne bénéficie d’aucun mécanisme de soutien au Canada. Il vivait et étudiait en Ukraine. Son enfant et son épouse résident en Ukraine, et il a de la famille dans sa patrie. Avant de venir au Canada, il travaillait en Angola, et les preuves qui m’ont été soumises, selon lesquelles il ne serait pas en mesure de trouver du travail ou de reprendre une vie normale à son retour en Angola, sont insuffisantes.

 

 

[13]           En ce qui concerne le risque et les difficultés personnalisés, l’agente a émis certaines réserves sur le fait que M. Buio a été ou demeure ciblé par le gouvernement angolais de quelque manière que ce soit. Elle a indiqué qu’il n’y avait pas de preuves pour établir qu’on avait fait feu sur lui volontairement. L’agente a également remis en question le lien entre la blessure par balle de M. Buio et sa tension artérielle élevée, ainsi que la prétention de M. Buio selon laquelle il ne pourra pas se procurer ses médicaments en Angola.

 

[14]           L’agente a accordé peu de valeur probante à une lettre rédigée par « Tininha » en Angola, parce qu’elle était intrinsèquement contradictoire et que son auteur n’était pas identifié. De plus, comme l’a écrit l’agente, M. Buio n’avait pas expliqué comment les documents de Human Rights Watch s’appliquaient de façon pertinente à sa demande. Enfin, l’agente a accordé peu de valeur probante à la prétention de M. Buio selon laquelle il n’était pas bien représenté à son audience devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Non seulement était-il assisté d’un avocat, mais il parlait anglais et avait bénéficié des services d’un interprète russe. L’agente a fait observer que la Commission avait jugé le témoignage de M. Buio incohérent et non crédible pendant son audience.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[15]           Pour l’essentiel, trois questions en litige doivent être tranchées dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire :

a)                   Quelle est la norme d’examen appropriée?

b)                  A-t-on commis une erreur en écartant certaines des observations de M. Buio parce qu’elles n’étaient pas étayées par des preuves?

c)                   L’agente a-t-elle commis une erreur dans son évaluation du degré d’établissement de M. Buio?

 

 

ANALYSE

            a)         La norme d’examen

[16]           Le nœud du premier argument de M. Buio est que l’agente a commis une erreur en concluant que les prétentions de M. Buio n’étaient pas étayées par suffisamment de preuves. M. Buio prétend que l’agente aurait dû lui fournir l’occasion de la détromper à cet égard et aurait dû demander d’autres renseignements ou une corroboration. Ainsi, il s’agit d’une question d’équité procédurale, et elle ne devrait pas faire l’objet d’une analyse en fonction de la norme d’examen. Aucune retenue judiciaire n’est requise lorsque l’équité procédurale est en jeu (Canada (Procureur général) cSketchley, 2005 C.A.F. 404, au paragraphe 53; S.C.F.P. cOntario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, aux paragraphes 100 ff).

 

[17]           La question de l’établissement fait généralement l’objet de la norme de la décision raisonnable au stade du contrôle judiciaire (voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 aux paragraphes 57 à 62 [Baker]; Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1381, au paragraphe 21). M. Buio a accusé l’agente d’avoir commis une « erreur de droit » dans son évaluation de l’établissement. Je crois cependant que la Cour doit apprécier le pouvoir discrétionnaire de l’agente en matière d’évaluation des faits.

 

b)         L’absence de preuve

[18]           M. Buio accepte qu’il lui incombait de présenter l’information qu’il voulait voir prise en compte dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, mais il prétend qu’il était suffisant de le faire dans le cadre de ses observations écrites. De fait, il fait soutient que rien dans le processus de demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’exige que les demandeurs fournissent des « preuves ». Le gouvernement a plutôt élaboré un processus administratif basé sur des observations écrites. Par conséquent, bien que l’agente eût pu demander davantage d’information ou une corroboration, c’était une erreur d’écarter des éléments des observations de M. Buio qui n’étaient pas contredits par d’autres éléments de preuve. M. Buio prétend qu’il n’a donc pas eu droit à une audition impartiale, parce que l’agente n’a pas demandé d’autres vérifications et affirme que la décision devrait être annulée pour ce motif.

 

[19]           Après avoir dûment examiné cet argument, je ne suis pas persuadé que la Cour doit procéder à une analyse complète de cette question, parce que cela n’a pas joué un rôle important dans la décision finale de l’agente de rejeter la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de M. Buio.

 

[20]           Il importe de se souvenir des faits que l’agente aurait écarté par manque de preuve : que M. Buio s’est séparé de sa femme en Ukraine, et qu’il était inscrit à des cours d’ALS. À la lecture des motifs de l’agente, je ne crois pas que ni l’un ni l’autre de ces faits n’ont eu d’influence significative sur la décision. L’agente s’est bien davantage concentrée sur le degré d’établissement de M. Buio au Canada et sur l’existence ou non d’un risque de préjudice personnalisé pour M. Buio s’il retournait en Angola. Qu’il ait été séparé ou non ou qu’il ait été inscrit ou non à des cours d’ALS, ce sont là, au mieux, des questions sans grand intérêt.

 

[21]           Je n’accepte donc pas l’argument de M. Buio selon lequel la décision de l’agente s’appuyait d’une certaine manière sur l’absence de preuves à l’appui de ces faits. Je crois que l’agente décrivait tout simplement le contenu de la demande de M. Buio. À mon avis, il existe une distinction entre mentionner que des éléments de la demande de M. Buio n’étaient pas étayés par des preuves et utiliser ce fait contre lui de façon importante. Je ne suis pas convaincu que l’agente d’immigration se soit servie de ce fait ainsi. Par conséquent, je ne crois pas que l’agente a enfreint des principes de justice naturelle.

 

[22]           Quoi qu’il en soit, j’estime également que l’argument de M. Buio ne tient pas la route. C’est une règle de droit bien connue qu’il incombe au demandeur qui invoque des raisons d’ordre humanitaire de s’acquitter du fardeau de la preuve. Il lui appartient donc de produire la preuve des prétentions sur lesquelles sa demande repose. Après avoir tenu compte de tous les facteurs qui s’appliquent de manière pertinente à l’établissement du contenu de l’obligation d’équité, la Cour suprême du Canada a statué, dans l’arrêt Baker, précité, qu’une audience n’est pas toujours nécessaire pour veiller à ce qu’un demandeur ait une occasion significative de présenter les divers genres de preuves pertinentes à son dossier et pour qu’elles soient examinées de manière complète et équitable. D’après Madame la juge Claire L’Heureux‑Dubé : « La possibilité qui a été offerte à l’appelante et à ses enfants de produire une documentation écrite complète relativement à tous les aspects de sa demande remplit les exigences en matière de droits de participation que commandait l’obligation d'équité en l’espèce. » (Baker, précité, au paragraphe 34).

 

[23]           C’est exactement ce qu’a prévu Citoyenneté et Immigration Canada. Par exemple, les demandeurs qui invoquent des raisons d’ordre humanitaire sont informés en termes non équivoques qu’ils doivent divulguer toute l’information pertinente et la preuve justificative. Dans le guide d’instruction intitulé Demande de résidence permanente présentée au Canada – Considérations d’ordre humanitaire (IMM 5291 F), il est mentionné à la page 4 :

Il est possible qu’il ne vous soit pas demandé de renseignements supplémentaires que vous désirez considérés. Il est de votre responsabilité que tous les facteurs que vous désirez considérés soient identifiés et inclus dans votre demande. Vous devez également joindre tous les documents que vous jugez pertinents pour l’étude de votre dossier. Il est de votre responsabilité de fournir des preuves à l’appui de toute déclaration faite dans votre demande.

[Mis en évidence dans l’original]

 

 

[24]           De même, la Liste de contrôle des documents (IMM 5280) donne instruction aux demandeurs de cocher les cases pertinentes avant d’envoyer leurs demandes :

Tout document appuyant les raisons d’ordre humanitaire dont vous croyez devoir tenir compte pour que votre demande soit traitée au Canada.

 

 

[25]           Enfin, une lettre type a été envoyée à M. Buio peu avant le prononcé de la décision par l’agente. Les paragraphes pertinents de cette lettre se lisent comme suit :

[traduction]

Il se peut qu’une entrevue ne soit pas nécessaire dans votre cas. Avant que l’on puisse décider de vous dispenser de l’application des exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, d’autres informations sont nécessaires.

 

Le droit canadien de l’immigration exige que les demandeurs d’une résidence permanente obtiennent un visa de résident permanent dans un bureau à l’étranger avant de venir au Canada. Expliquez pourquoi des raisons particulières pourraient justifier de vous dispenser de l’application de cette exigence et vous permettre de présenter votre demande de résidence permanente au Canada. Quelles difficultés excessives subirez-vous si vous devez présenter votre demande dans un bureau des visas situé à l’extérieur du Canada, comme la loi l’exige? Veillez à présenter des preuves ou des documents pour étayer vos déclarations.

 

[…]

 

Veuillez faire parvenir l’information/les documents demandés à ce bureau dans les trente (30) jours suivant la date de la présente lettre. Si vous ne le faites pas, la décision concernant la dispense sera prise sur la foi de l’information qui se trouve dans votre dossier. [Mis en évidence dans l’original]

 

 

[26]           Le processus de demande de Citoyenneté et Immigration Canada établit donc clairement, à plus d’une reprise, qu’un demandeur qui invoque des raisons d’ordre humanitaire doit fournir des preuves pour étayer ses prétentions. En fait, M. Buio a produit certaines preuves : un avis de cotisation de l’Agence des douanes et du revenu du Canada, des lettres de son médecin et de son employeur, des lettres de divers organismes communautaires et religieux, une lettre d’Aide juridique Ontario, une lettre du Service de l’éducation comparée de l’Université de Toronto, une lettre de « Tininha », des relevés bancaires, une copie de son bail, des relevés des gains, et un formulaire d’évaluation de rendement au travail. Il ne peut maintenant prétendre qu’il n’était pas tout à fait au courant du fardeau qui lui incombait d’étayer sa demande.

 

[27]           C’est précisément la conclusion à laquelle en est venue la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 C.A.F. 38. Dans cette affaire, il s’agissait d’établir si le juge des requêtes avait commis une erreur en rejetant la demande de contrôle judiciaire. Monsieur le juge John Evans, rendant jugement au nom de la Cour d’appel fédérale, a écrit au paragraphe 8 :

Le demandeur qui invoque des raisons d’ordre humanitaire n’a pas un droit d’être interviewé ni même une attente légitime à cet égard. Et, puisque le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c’est à ses risques et périls qu’il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites. Selon nous, dans sa demande pour des raisons humanitaires, M. Owusu n’a pas suffisamment insisté sur les répercussions de son expulsion potentielle sur l’intérêt supérieur de ses enfants de manière à ce que l’agente n’ait d’autre choix que d’en tenir compte.

 

 

[28]           M. Buio a souligné à juste titre que la cour, dans l’arrêt Owusu, précité, traitait d’une question différente de celle qui était soulevée dans cette demande. Comme il l’explique, M. Owusu avait omis de l’information de ses observations écrites, ce qui a donné lieu à l’analyse de la cour qui précède. Dans le cas qui nous occupe, à l’opposé, M. Buio n’a pas omis d’information de ses observations écrites. L’agente a plutôt fait observer que M. Buio n’avait pas étayé certaines parties de ses observations écrites au moyen de preuves documentaires (c’est-à-dire sa séparation et son inscription aux cours d’ALS).

 

[29]           L’avocat de M. Buio a tenté activement d’amener la Cour à conclure de l’extrait qui précède d’Owusu, précité, que la présentation d’« information pertinente » dans des observations écrites est la seule exigence à laquelle doit satisfaire un demandeur pour établir les faits sous-jacents d’une demande. Toutefois, je crois que cette interprétation isolerait les motifs de l’arrêt Owusu de leur contexte et limiterait indûment les principes sur lesquels s’appuyait la décision rendue.

 

[30]           En traitant de l’obligation d’un agent d’immigration d’être « réceptif, attentif et sensible » aux meilleurs intérêts des enfants, le juge John Maxwell Evans a souligné que cette obligation prend naissance seulement si le demandeur lui-même invoque ce facteur. Il a ensuite ajouté, au paragraphe 5 de l’arrêt Owusu, précité :

De surcroît, le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires. Par voie de conséquence, si un demandeur ne soumet aucune preuve à l’appui de son allégation, l’agent est en droit de conclure qu’elle n’est pas fondée.

 

 

[31]           Appliquant ce principe aux faits de l’affaire, le juge Evans a écrit, au paragraphe 9 :

La moitié de phrase de la page quatre de la lettre de sept pages citée plus haut (au paragraphe [6]) qui dit uniquement que M. Owusu ne serait pas en mesure de faire vivre sa famille s’il était expulsé est trop indirecte, succincte et obscure pour imposer une obligation positive à l’agente de s’enquérir davantage sur l’intérêt supérieur des enfants. La lettre ne mentionnait pas que M. Owusu faisait vivre ses enfants avec l’argent qu’il gagnait au Canada et que ces enfants dépendaient financièrement de lui et seraient privés de cet appui s’il était expulsé. De plus, l’agente n’a été saisie d’aucune preuve de l’un ou l’autre de ces faits.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[32]           Je crois que ces citations établissent clairement qu’il incombe au demandeur de s’acquitter du fardeau de produire, à l’intention d’un agent, l’information qui s’applique de manière pertinente à sa demande, et la preuve qui étaye cette information. Les observations écrites seules ne peuvent être suffisantes pour qu’une demande soit accueillie. Autrement dit, un agent a le droit de ne pas croire le récit d’un demandeur s’il n’est pas appuyé par des preuves tangibles.

 

c)         Établissement

[33]           Bien que j’aie de l’empathie pour M. Buio, je ne suis pas convaincu par son interprétation du terme « établissement ». Il a souligné qu’il a été loin de l’Angola pendant vingt ans. Toutefois, la notion d’« établissement » est conçue pour évaluer les liens d’un demandeur avec le Canada, et non l’absence de liens avec sa patrie. Je suis conscient du temps passé par M. Buio à l’extérieur de l’Angola, mais il n’a pas vécu la majeure partie de cette période au Canada. Il a quitté l’Angola en 1987, mais est arrivé au Canada seulement en 2000.

 

[34]           Je ne tente pas de présenter cet élément comme un facteur négatif. Cependant, je ne suis pas convaincu par le fait que M. Buio mise grandement sur le temps qui s’est écoulé depuis qu’il a quitté l’Angola. La méthode avec laquelle l’agente a évalué les facteurs liant M. Buio au Canada est plus pertinente. Ces facteurs sont énumérés dans la section 11.2 du Guide de l’immigration portant sur les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[35]           Je ne peux affirmer que l’agente a évalué ces facteurs de façon déraisonnable, quoiqu’un autre agent aurait peut-être tiré une conclusion différente. Comme l’a mentionné l’agente, M. Buio n’a ni famille ni éléments d’actif importants au Canada. Bien qu’il ait vécu au Canada pendant environ six ans, le temps qu’il y a passé n’était pas imputable à une « incapacité prolongée à quitter ». Plus exactement, sa demande d’asile a été rejetée en juillet 2003, après quoi M. Buio est demeuré au Canada sans statut, en sachant qu’il pouvait être expulsé une fois ses recours juridiques épuisés.

 

[36]           Globalement, il importe de se souvenir que l’évaluation de l’établissement a pour objet de déterminer si le demandeur est établi à un degré tel que le renvoi constituerait un préjudice hors de proportion. La Cour a répété à maintes reprises que le préjudice qui déclencherait l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire favorable quant à une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire devrait être autre que celui qui est inhérent lorsqu’une personne se fait demander de quitter après avoir été au Canada pendant une certaine période (voir Irimie cCanada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1906 (C.F. 1re inst.) (QL), aux paragraphes 12 et 17 [Irimie]; Mayburov cCanada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 953 (C.F. 1re inst.) (QL); Lee cCanada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 7, au paragraphe 14).

 

[37]           Enfin, il convient de mentionner que l’établissement ne constitue pas un facteur déterminant dans une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Il s’agit d’un facteur parmi de nombreux autres à prendre en compte. Comme l’a écrit Monsieur le juge Denis Pelletier dans l’arrêt Irimie, précité, au paragraphe 20 :

Il serait possible de considérer que ces lignes directrices limitent le pouvoir discrétionnaire que possède le décideur au sujet des circonstances dans lesquelles l’établissement peut être considéré comme un facteur aux fins de la décision relative aux raisons d’ordre humanitaire. En l’absence d’un élément autre que les lignes directrices elles-mêmes, je ne puis être d’accord avec les demandeurs lorsqu’ils disent que l’agente qui a examiné la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire était tenue d’accorder une certaine importance au degré d’établissement au Canada. Il s’agit d’un facteur dont il faut tenir compte, mais ce n’est pas et cela ne peut pas être le facteur déterminant qui l’emporte sur tous les autres. Le degré d’attachement se rapporte à la question de savoir si la difficulté découlant du fait qu’une personne doit quitter le Canada est inhabituelle ou excessive. Il n’a pas pour effet de régler ces questions.

 

 

[38]           Pour tous les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter cette demande de contrôle judiciaire. À l’audience, l’avocat de M. Buio a demandé la possibilité de présenter des observations en ce qui concerne la certification, une fois que j’aurai tiré ma conclusion. J’ai accepté cette demande et j’accorde donc à l’avocat de M. Buio dix jours à compter de la date des présents motifs pour déposer des observations à cet égard. L’avocat du défendeur aura ensuite dix jours pour répondre. Je signerai alors mon jugement, après avoir décidé si des questions doivent être certifiées.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que cette demande de contrôle judiciaire soit rejetée. À l’audience, l’avocat de M. Buio a demandé la possibilité de présenter des observations en ce qui concerne la certification, une fois que j’aurai tiré ma conclusion. J’ai accepté cette demande et j’accorde donc à l’avocat de M. Buio dix jours à compter de la date des présents motifs pour déposer des observations à cet égard. L’avocat du défendeur aura ensuite dix jours pour répondre. Je signerai alors mon jugement, après avoir décidé si des questions doivent être certifiées.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                 IMM-867-06

 

INTITULÉ :                                                ESTANISLAU BUIO

                                                                     c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                        LE 10 JANVIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                     LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                              LE 9 FÉVRIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Angela Marinos

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman

Avocat et procureur

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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