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Date : 20070209

Dossier : IMM‑4176‑06

Référence : 2007 CF 156

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 9 février 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

 

ENTRE :

AMANDEEP KAUR SANDHU

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Amandeep Kaur Sandhu, qui est maintenant âgée de 16 ans et qui est citoyenne de l’Inde, conteste, dans cette demande de contrôle judiciaire, la décision rendue le 5 juin 2006 par Jacqueline Desjardins, du Haut‑Commissariat du Canada à New Delhi (l’agente des visas), qui a statué, en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi), qu’il ne serait pas justifié, pour des motifs d’ordre humanitaire, de lui accorder le statut de résidente permanente ou une dispense de l’application des critères ou de l’obligation de la Loi ou du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement).

 

I.   Les faits

[2]               Le 9 septembre 2003, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs qualifiés. Au moment de sa demande, elle était âgée de 13 ans. Elle est née le 9 janvier 1991, au Punjab.

 

[3]               Dans sa demande de visa, la demanderesse cherchait à obtenir une dispense de l’application des exigences de la Loi et du Règlement sur la base du paragraphe 25(1) de la Loi, quoiqu’elle n’ait pas précisé de quelle disposition ou exigence elle souhaitait obtenir une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[4]               L’agente des visas a présumé que la demanderesse demandait d’être dispensée de l’application des critères de sélection dans la catégorie des travailleurs qualifiés, car elle avait alors treize ans et n’avait pas d’emploi envisagé, ou qu’elle demandait d’être dispensée de l’application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement, qui prévoit qu’aucun ressortissant n’est considéré comme membre de la catégorie du regroupement familial si son répondant, dans sa demande de résidence permanente, ne l’a pas identifiée comme membre de la famille n’accompagnant pas l’intéressé.

 

[5]               Son père a demandé et obtenu le statut de résident permanent au Canada en février 1991 à titre de fils non marié de ses parents à la charge de ceux‑ci; la mère de la demanderesse a été parrainée par le père de la demanderesse à titre de fiancée de celui‑ci, et a obtenu son statut de résidente permanente au Canada en 1996. Elle n’a pas révélé que la demanderesse était son enfant ou qu’elle‑même était mariée, plutôt que fiancée, à M. Sandhu en 1989. La demanderesse n’a donc pas été interrogée lorsque les demandes de résidence permanente au Canada de son père et de sa mère ont été traitées.

 

[6]               En 1998, les parents de la demanderesse ont tenté frauduleusement de parrainer celle‑ci en prétendant qu’elle était leur fille adoptive au lieu de reconnaître qu’elle était leur enfant naturelle.

 

[7]               Il s’agit de la deuxième demande de résidence permanente faite par la demanderesse. Elle avait auparavant présenté une première demande en qualité de membre de la catégorie du regroupement familial, mais l’agente Sarasa Nair, du Haut‑Commissariat de New Delhi, l’a refusée le 23 septembre 2002. L’agente Nair a conclu que la demanderesse était exclue de la catégorie du regroupement familial en vertu de l’alinéa 117(9)d) du Règlement.

 

[8]               Relativement à sa deuxième demande de résidence permanente, la demanderesse a été interviewée le 28 novembre 2005 à New Delhi par l’agente Sarasa Nair, qui a rédigé ses notes d’entrevue exhaustives le jour même et les a inscrites dans le STIDI. Elle a également préparé un sommaire de cas dans le STIDI en date du 28 avril 2006.

 

[9]               L’agente Nair a renvoyé la deuxième demande de résidence permanente de la demanderesse à l’agente des visas afin qu’elle rende une décision.

 

II.   L’affidavit de l’agente des visas

[10]           L’agente des visas a déposé un affidavit, auquel ses notes du STIDI étaient jointes, décrivant les éléments qu’elle a pris en compte pour rendre sa décision. Dans son affidavit, elle affirme en date du 5 juin 2006 qu’elle a procédé à un examen complet de la preuve et à sa propre évaluation indépendante du dossier sur la base de la documentation qui y avait été déposée, de l’information obtenue à l’entrevue et des notes du STIDI.

 

[11]           L’affidavit de l’agente des visas est surtout fondé sur les notes du STIDI qui font partie du dossier. La règle selon laquelle il serait inapproprié pour un agent des visas d’ajouter dans un affidavit les motifs énoncés dans une lettre de refus ou inscrits dans le dossier n’a donc pas été violée (voir Yue c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 717.

 

[12]           Au paragraphe 9 de son affidavit, elle affirme ce qui suit :

[traduction]

« Dans le cadre de l’examen de l’information au dossier et de la demande de Mme Sandhu, j’ai tenu compte des gestes posés par les parents de Mme Sandhu, de la situation de Mme Sandhu, notamment de ses liens avec ses parents, de sa famille élargie en Inde, et de son établissement dans la seule maison qu’elle a connue en Inde et de son inscription ainsi de que son réseau social actuels à l’école. D’après les renseignements mis à ma disposition et compte tenu des intérêts de l’enfant, je n’étais pas convaincue que Mme Sandhu a démontré suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier une dispense de l’application des exigences de la Loi et du Règlement conformément au paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. »

 

 

[13]           Elle a poursuivi son analyse des éléments qu’elle a considérés dans les paragraphes suivants de son affidavit, que je reproduis :

 

[traduction]

La séparation de Mme Sandhu d’avec ses parents s’est produite parce que ses parents ont décidé de la quitter pour immigrer au Canada et qu’ils ont omis de divulguer l’existence de Mme Sandhu, leur fille, aux autorités de l’immigration. Les parents de Mme Sandhu ont fourni des renseignements faux et trompeurs aux autorités canadiennes de l’immigration pour tenter de parrainer Mme Sandhu comme leur fille « adoptive ». La séparation de la famille résulte des gestes posés par la famille elle‑même et de fausses déclarations dans leurs demandes d’immigration.

 

J’ai constaté que le père de Mme Sandhu n’a pas révélé l’existence de celle‑ci aux autorités de l’immigration lorsqu’il a demandé et obtenu sa résidence permanente au Canada en février 1991 à titre de fils « célibataire » à la charge de ses parents. La mère de Mme Sandhu a été parrainée par le père de la demanderesse en sa qualité de fiancée de celui‑ci et a obtenu sa résidence permanente au Canada en 1996. Elle n’a pas révélé que Mme Sandhu était son enfant ou qu’elle était mariée avec M. Sandhu. Mme Sandhu n’a donc pas été interrogée lors du traitement des demandes de résidence permanente au Canada de son père et de sa mère. Elle est par conséquent exclue de la catégorie du regroupement familial en vertu de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

J’ai également pris en considération la situation de Mme Sandhu, qui vit en Inde sans ses parents. Mme Sandhu était âgée de un mois au moment du départ de son père vers le Canada et avait quatre ans quand sa mère a quitté pour le Canada. D’après les renseignements fournis par Mme Sandhu au moment de son entrevue, lorsque sa mère est partie pour le Canada en 1995, elle a mis sa fille dans un pensionnat. Mme Sandhu étudie au pensionnat et habite au foyer scolaire depuis. Mme Sandhu a des grand‑parents, des oncles et des tantes maternels et paternels, ainsi que des cousins et cousines et des amis au Punjab, l’État de l’Inde où elle vit. Le grand‑père paternel de Mme Sandhu, son oncle paternel et sa famille ainsi que certains cousins et cousines vivent à environ quatre heures ou quatre heures et demie de distance du foyer scolaire. Elle passe ses congés scolaires avec ses grand‑parents et ses oncles maternels et avec son grand‑père, ses oncles et ses cousines et cousins paternels.

 

J’ai constaté que Mme Sandhu a vécu en Inde pendant 15 ans sans son père et pendant 11 ans sans sa mère. Mme Sandhu se rappelle d’une seule visite de son père et de son frère et de trois visites de sa mère. Les visites de sa mère s’étalaient sur une période de un mois à un mois et demi. Sa mère s’entretient avec elle par téléphone une ou deux fois par semaine.

 

Dans une lettre datée du 5 juin 2006, j’ai refusé la demande de Mme Sandhu. Dans ma lettre de refus, je l’ai informée que je rejetais la demande parce que j’avais établi qu’il n’y avait pas assez de motifs d’ordre humanitaire pour lui accorder le statut de résidente permanente ou pour la dispenser de l’application des critères ou de l’obligation prévus par la Loi. Les motifs sont énoncés dans mes notes du STIDI datées du 5 juin 2006.

[Non souligné dans l’original]


III.   L’affidavit de la demanderesse

 

[14]           La demanderesse a déposé un affidavit à l’appui de sa demande dans laquelle elle déclare qu’elle est âgée de quinze ans. Elle déclare en outre ce qui suit : [traduction] « La présence de mes parents me manque énormément et, comme mes parents ont quitté l’Inde depuis que je suis toute jeune, je chéris le temps qu’ils ont pu me consacrer lorsqu’ils sont venus me rendre visite en Inde. »

 

[15]           La demanderesse témoigne : [traduction] « Après chaque voyage, une fois qu’ils sont retournés au Canada, je me suis sentie extrêmement seule. Je suis triste d’être éloignée de mes parents, cette tristesse ronge mon cœur et il m’arrive souvent de ne pas pouvoir me concentrer sur mes études. » Elle continue en indiquant qu’elle ne peut pas se précipiter vers ses parents pour obtenir leur réconfort. Elle ajoute : [traduction] « J’ai vécu des périodes très difficiles; lorsque ma solitude et l’éloignement de mes parents me frappent de plein fouet, je peux passer des heures et des heures à pleurer. » Elle ajoute que l’éloignement de ses parents a affecté sa santé physique et psychologique , affirmant que [traduction] « comme tout autre enfant, j’ai très envie d’être avec mes parents ». Elle mentionne : [traduction] « J’ai parfois des tendances suicidaires parce que je me sens désespérément seule. »

 

[16]           Elle fait valoir qu’elle a besoin d’être avec ses parents sans délai parce que, dit‑elle, [traduction] « j’en suis maintenant à un âge où je me développe physiquement et je désire être proche de ma mère pour pouvoir discuter avec elle de questions liées à mon développement ».

 

IV.   L’affidavit de son père

[17]           Son père a également déposé un affidavit à l’appui de la demande de sa fille. Il mentionne que sa venue à lui au Canada a été parrainée en qualité d’enfant à charge en 1989. Il ajoute : [traduction] « Suivant les ordres de mes parents, je me suis également marié en 1989. Je n’ai eu le choix ni de me marier ni de présenter une demande de résidence permanente au Canada parce que, dans notre culture, l’enfant est contraint d’obéir à ses parents sans poser de questions. »

 

[18]           Il confirme que la demanderesse, sa fille, est née le 9 janvier 1991, et que sa femme a fait l’objet d’un parrainage en août de la même année. Il témoigne : [traduction] « À la demande de mes parents, je n’ai pas inclus ma fille dans la demande de parrainage de mon épouse, et mon épouse, également sur l’ordre de mes parents, n’a pas inclus ma fille mentionnée ci‑dessus dans sa demande de résidence permanente. » Il ajoute ce qui suit aux paragraphes 6 et 7 :

[traduction]

Je crois qu’il faut dire la vérité et, chaque fois que la vérité n’a pas été dite, j’ai été blessé sur le plan émotif. Toutefois, dans notre culture, la notion de l’obéissance aux ordres donnés par les parents est très forte, et j’ai dû tout simplement me conformer aux ordres. J’ai été très blessé, mais je crois que je n’avais pas d’autres choix.

 

Même si j’ai présenté différentes demandes fallacieuses sur les ordres de mes parents, les demandes basées sur de faux renseignements n’ont pas été accueillies.

 

 

IV.   Analyse

A.   Le témoignage de la demanderesse

[19]           Je ne suis aucunement remué par le témoignage du père de la demanderesse. Il n’affiche aucun remord pour ses nombreuses tentatives réussies, et parfois moins réussies, de tromper les fonctionnaires de l’immigration, et pour avoir causé un gaspillage superflu de deniers publics en forçant le gouvernement canadien à mener des enquêtes pour découvrir ses stratagèmes.

 

[20]           Je ne doute aucunement de la sincérité de la demanderesse lorsqu’elle affirme qu’elle veut être réunie à sa mère. Toutefois, j’ai des réserves quant aux conséquences qu’elle dit subir en raison de l’éloignement de ses parents.

 

[21]           Pendant l’entrevue de la demanderesse, menée en punjabi alors qu’elle était accompagnée de son cousin, elle a simplement affirmé que sa mère lui manquait et n’a pas donné de détails sur les effets mentionnés dans son affidavit. Elle a également indiqué qu’elle aimait rester au foyer scolaire parce qu’elle y avait des amis.

 

B.   La norme d’examen

[22]           La norme d’examen de la décision d’un agent des visas relativement à une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est la norme de la décision raisonnable (voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817), ce qui signifie qu’« [e]st déraisonnable la décision qui [...] n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. [...] [L]a cour [...] doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion ».

 

C.   Certains principes

[23]           Je retiens de la jurisprudence dans l’arrêt Baker, précité, et de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, les principes suivants tirés des motifs de la majorité formulés par le juge Décary :

[...] [2]            Premièrement, les arrêts Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, et Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2002), 212 D.L.R. (4th) 139 (C.A.F.) (demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejetée le 21 novembre 2002, CSC 29221), étayent la proposition selon laquelle l’intérêt supérieur de l’enfant constitue un facteur important auquel on doit accorder un poids considérable. L’arrêt Legault établit de plus que l’intérêt supérieur de l’enfant ne revêt pas un caractère déterminant quant à la question du renvoi que doit trancher le ministre. En conséquence, dans la mesure où ils peuvent donner l’impression que le facteur de l’« intérêt supérieur de l’enfant » devrait bénéficier d’une certaine priorité ou prépondérance, les termes « considération primordiale » contenus à l’article 3(1) de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (voir le par. 33 des motifs de mon collègue) devraient être interprétés avec circonspection. (Je suppose, uniquement aux fins de la présente discussion, que le renvoi d’un parent est assimilable à une « décision[...] qui concerne[...] les enfants » au sens de l’article 3.1 de la Convention, laquelle, comme l’a souligné mon collègue, a été ratifiée par le Canada mais n’a pas été adoptée dans le droit interne.)

 

[3]        Deuxièmement, je suis d’accord avec l’avocat du ministre qu’insister en droit qu’une agente d’immigration indique expressément qu’elle a tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant avant de se pencher sur le degré de difficultés auquel l’enfant serait exposé revient à privilégier la forme au détriment du fond.

 

[4]        On détermine l’« intérêt supérieur de l’enfant » en considérant le bénéfice que retirerait l’enfant si son parent n’était pas renvoyé du Canada ainsi que les difficultés que vivrait l’enfant, soit advenant le renvoi de l’un de ses parents du Canada, soit advenant qu’elle quitte le Canada volontairement si elle souhaite accompagner son parent à l’étranger. Ces bénéfices et difficultés constituent les deux côtés d’une même médaille, celle‑ci étant l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[5]        L’agente n’examine pas l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’abstrait. Elle peut être réputée savoir que la vie au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités et que, règle générale, un enfant qui vit au Canada avec son parent se trouve dans une meilleure position qu’un enfant vivant au Canada sans son parent. À mon sens, l’examen de l’agente repose sur la prémisse – qu’elle n’a pas à exposer dans ses motifs – qu’elle constatera en bout de ligne, en l’absence de circonstances exceptionnelles, que le facteur de « l’intérêt supérieur de l’enfant » penchera en faveur du non‑renvoi du parent. Outre cette prémisse que je qualifierais d’implicite, il faut se rappeler que l’agente est saisie d’un dossier particulier dans lequel un parent, un enfant ou les deux, comme en l’occurrence, allèguent des raisons précises quant à savoir pourquoi le non‑renvoi du parent est dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Il va de soi que l’agente doit examiner attentivement ces raisons précises.

 

[6]        Il est quelque peu superficiel de simplement exiger de l’agente qu’elle décide si l’intérêt supérieur de l’enfant milite en faveur du non‑renvoi – c’est un fait qu’on arrivera à une telle conclusion, sauf dans de rares cas inhabituels. En pratique, l’agente est chargée de décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d’un parent exposera l’enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d’intérêt public, qui militent en faveur ou à l’encontre du renvoi du parent.

 

[7]        Le fardeau administratif qui incombe aux agents chargés d’examiner les demandes de considérations humanitaires – comme l’illustre l’article 8.5 du chapitre IP 5 du Guide de l’immigration, reproduit au par. 30 des motifs de mon collègue – est déjà assez lourd sans qu’on y ajoute celui, purement de style, de décrire et d’analyser les faits et facteurs en des termes ou suivant une approche choisie à l’avance. Lorsque notre Cour a statué dans l’arrêt Legault, au paragraphe 12, que l’intérêt supérieur de l’enfant devait être « bien identifié et défini », elle ne tentait pas d’imposer une formule magique à laquelle devaient recourir les agents d’immigration dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire.

 

[8]        Troisièmement, je rejette l’argument avancé par l’intervenante, la Canadian Foundation for Children, Youth and the Law, que même si l’agente a procédé à une pondération raisonnable des divers facteurs, la cour de révision doit aller plus loin et déterminer si le préjudice causé à l’intérêt de l’enfant est disproportionné au bienfait que retire le public de la décision. Imposer cette obligation additionnelle équivaudrait à réintroduire de façon détournée le principe confirmé dans l’arrêt Legault que l’intérêt supérieur de l’enfant constitue un facteur important, mais non déterminant.

 

[9]        Quatrièmement, le terme « difficultés » n’est pas un terme technique. Conformément à l’article 6.1 du chapitre IP 5 du Guide de l’immigration (reproduit au par. 30 des motifs de mon collègue), les définitions administratives de « difficultés inhabituelles et injustifiées » et de « difficultés excessives » dans le Guide « ne constituent pas des règles strictes » et ont plutôt « pour but d’aider à exercer le pouvoir discrétionnaire ». Il va de soi, par exemple, que le concept de « difficultés injustifiées » n’est pas approprié lorsqu’il s’agit d’évaluer les difficultés auxquelles s’exposent les enfants innocents. Les enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés.

 

[10]      Cela dit, je suis d’accord avec mon collègue pour dire que, compte tenu des faits de l’espèce, l’agente ne s’est pas montrée « récepti[ve], attenti[ve] et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant, tout particulièrement lorsqu’elle a écarté sans autre formalité les craintes exprimées par l’enfant et pratiquement fait abstraction des conséquences financières du renvoi de la mère sur l’enfant. Le juge Pelletier a à juste titre renvoyé l’affaire au ministre pour réexamen.

 

 

V.   Conclusion

 

[24]           L’avocat de la demanderesse a essentiellement et surtout fait valoir que, dans les faits, l’agente des visas a omis de prendre en compte les meilleurs intérêts de la demanderesse, comme l’exigeait l’article 25 de la Loi, parce qu’elle a accordé une valeur probante excessive et prépondérante aux gestes trompeurs de ses parents dans une mesure telle que sa décision était de nature punitive.

 

[25]           Il a fait valoir, à titre subsidiaire, que la demanderesse a demandé les motifs de la décision, qu’elle dit n’avoir pas reçus. Cet argument est dénué de fondement, car la demande d’autorisation de la demanderesse et le contrôle judiciaire indiquent que les motifs du décideur avaient été reçus. Ce sont les motifs exprimés dans les notes du STIDI.

 

[26]           Je ne peux accepter l’argument de l’avocat de la demanderesse sur le point principal, car l’accepter équivaudrait à dire qu’il serait dans le meilleur intérêt de la demanderesse d’être avec ses parents.

 

[27]           Comme il est énoncé dans l’arrêt Hawthorne, précité (qui différait de l’espèce parce qu’il s’agissait de séparer un parent d’avec son enfant, qui avait le droit de demeurer sur place, en renvoyant le parent), l’intérêt supérieur de l’enfant constitue un facteur important et devrait se voir accorder une valeur probante substantielle dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, mais il ne revêt pas un caractère déterminant. L’intérêt supérieur de l’enfant doit être soupesé au même titre que d’autres critères, dont des critères d’intérêt public. Je m’empresse d’ajouter que c’est exactement ce que dit l’article 25 de la Loi : « [...] s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger – compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché – ou l’intérêt public le justifient. » [Non souligné dans l’original.]

 

[28]           L’agente des visas a procédé à la pondération des critères, y compris les gestes de ses parents qui ont porté atteinte à l’intégrité du système d’immigration du Canada et la situation personnelle de la demanderesse. Je ne peux conclure que la pondération était déraisonnable. Telle est la conclusion tirée par le juge Strayer dans des circonstances similaires dans l’arrêt Yue, précité.

 

[29]           Je conclus en affirmant que la séparation de la demanderesse d’avec ses parents est leur choix, et que ce n’était pas une nécessité.

 


 

JUGEMENT

 

            La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                   IMM‑4176‑06

 

INTITULÉ :                                                  AMANDEEP KAUR SANDHU

                                                                       c.

                                                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            VANCOUVER (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          LE 7 FÉVRIER 2007

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                         LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                                 LE 9 FÉVRIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mir Huculak

 

POUR LA DEMANDERESSE

Helen Park

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mir Huculak

Avocat

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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