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Date : 20070131

Dossier : IMM‑190‑07

Référence : 2007 CF 105

Montréal (Québec), le 31 janvier 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

Iren Tulina‑Litvin,

Ilya PUSHKAROV et

Alex TULIN‑LITVIN

demandeurs

et

 

LE MinistrE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               [10]      [...] Par conséquent, je suis d’avis que dans les affaires où une requête de sursis est présentée à la suite du refus de l’agent chargé du renvoi d’en différer l’exécution, le juge saisi de l’affaire doit aller plus loin que l’application du critère de la « question sérieuse » et examiner de près le fond de la demande sous-jacente.

 

[11]      Dans RJR-MacDonald Inc., précité, la Cour suprême du Canada a décidé que, dans le contexte constitutionnel, les juges des requêtes à qui on demande la délivrance d’une injonction interlocutoire ne doivent pas examiner au fond la demande sous-jacente plus que ce qui est nécessaire pour déterminer s’il y a une question sérieuse à trancher. Elle a toutefois précisé qu’il existait deux situations où la Cour doit procéder à un examen sur le fond, la première étant le cas où le résultat de la demande interlocutoire équivaudrait dans les faits à une décision sur la demande sous-jacente. Dans ce cas, la Cour suprême a affirmé que le juge des requêtes devrait examiner au fond la demande [...] c’est que le volet du critère qui porte sur la question sérieuse se transforme en critère de vraisemblance que la demande sous-jacente soit accueillie, étant donné que l’octroi de la réparation recherchée dans la demande interlocutoire accordera au demandeur la réparation qu’il sollicite dans le cadre du contrôle judiciaire.

 

Le juge Denis Pelletier, dans la décision Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] A.C.F. no 295 (QL), dans une affaire semblable à la présente espèce.

 

[2]               De plus, le juge Pelletier, également dans la décision Wang, précitée, a déclaré qu’une demande en instance fondée sur des motifs d’ordre humanitaire justifie rarement de différer le renvoi :

[45]      En l’instance, la mesure dont on demande de différer l’exécution est une mesure que le ministre a l’obligation d’exécuter selon la loi. La décision de différer l’exécution doit donc comporter une justification pour ne pas se conformer à une obligation positive imposée par la loi. Cette justification doit se trouver dans la loi, ou dans une autre obligation juridique que le ministre doit respecter et qui est suffisamment importante pour l’autoriser à ne pas respecter l’article 48 de la Loi. Vu l’obligation qui est imposée par l’article 48, ainsi que l’obligation de s’y conformer, il y a lieu de faire grand état à l’encontre de l’octroi d’un report de la disponibilité d’une réparation autre, comme le droit de retour, puisqu’on trouve là une façon de protéger le demandeur sans avoir recours au non-respect d’une obligation imposée par la loi. Pour ce motif, je serais plutôt d’avis qu’en l’absence de considérations particulières, une demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire qui n’est pas fondée sur des menaces à la sécurité d’une personne ne peut justifier un report, parce qu’il existe une réparation autre que celle qui consiste à ne pas respecter une obligation imposée par la loi.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

PROCÉDURE JUDICIAIRE

 

[3]               Les demandeurs sont des citoyens d’Israёl. Ils ont présenté une requête pour surseoir à une mesure d’expulsion en instance les visant jusqu’à ce que la Cour rende une décision finale concernant la demande d’autorisation contestant la décision défavorable de l’agente d’exécution de la loi qui a refusé de reporter leur renvoi du Canada.

 

[4]               Le défendeur prétend que le renvoi des demandeurs en Israёl devrait avoir lieu comme prévu le 1er février 2007.

 

CONTEXTE

[5]               L’affidavit de Mme Josée Groulx expose la chronologie détaillée du dossier des demandeurs auquel il est fait référence relativement aux éléments principaux du volet « analyse » de la décision.

 

QueSTION EN LITIGE

[6]               Les demandeurs satisfont-ils au critère en trois volets établi par la Cour pour statuer sur les requêtes de sursis d’exécution de mesures de renvoi?

 

analysE

[7]               Pour obtenir un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, les demandeurs doivent prouver qu’ils satisfont aux trois volets du critère triple établi par la Cour d’appel fédérale dans Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), [1988] A.C.F. no 587 (QL). Ils doivent prouver (1) qu’il existe une question sérieuse à trancher, (2) qu’ils subiront un préjudice irréparable si la mesure d’expulsion est exécutée et (3) que la prépondérance des inconvénients les favorise eux plutôt que le ministre. (RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311 (QL).)

 

 

QUESTION SÉRIEUSE

[8]               En réponse aux demandeurs, la norme à laquelle il doit être satisfait est peu exigeante en ce qui a trait à la question sérieuse dans leur dossier. Le juge Pelletier dans la décision Wang, précitée, affirmait :

[10]      [...] Par conséquent, je suis d’avis que dans les affaires où une requête de sursis est présentée à la suite du refus de l’agent chargé du renvoi d’en différer l’exécution, le juge saisi de l’affaire doit aller plus loin que l’application du critère de la « question sérieuse » et examiner de près le fond de la demande sous-jacente.

[11]      Dans RJR-MacDonald Inc., précité, la Cour suprême du Canada a décidé que, dans le contexte constitutionnel, les juges des requêtes à qui on demande la délivrance d’une injonction interlocutoire ne doivent pas examiner au fond la demande sous-jacente plus que ce qui est nécessaire pour déterminer s’il y a une question sérieuse à trancher. Elle a toutefois précisé qu’il existait deux situations où la Cour doit procéder à un examen sur le fond, la première étant le cas où le résultat de la demande interlocutoire équivaudrait dans les faits à une décision sur la demande sous-jacente. Dans ce cas, la Cour suprême a affirmé que le juge des requêtes devrait examiner au fond la demande [...] c’est que le volet du critère qui porte sur la question sérieuse se transforme en critère de vraisemblance que la demande sous-jacente soit accueillie, étant donné que l’octroi de la réparation recherchée dans la demande interlocutoire accordera au demandeur la réparation qu’il sollicite dans le cadre du contrôle judiciaire.

 

 

[9]               Par conséquent, la Cour, saisie de la requête des demandeurs, applique non seulement le critère de la « question sérieuse », mais va plus loin en examinant de près le bien‑fondé de la demande sous‑jacente.

 

[10]           Les demandeurs soutiennent que l’agente d’exécution de la loi a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire parce qu’elle aurait prétendu qu’il n’y aurait pas de report du renvoi des demandeurs du Canada, et ce parce que leurs demandes de résidence permanente au Canada fondées sur des motifs d’ordre humanitaire avaient été acheminées après réception de leurs demandes d’examen des risques avant renvoi (ERAR).

 

[11]           De plus, les demandeurs soutiennent que l’agente d’exécution de la loi a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en raison des politiques et que le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) devait faciliter le traitement, conformément au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), selon les règles de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada.

 

[12]           En ce qui concerne les politiques, le juge David H. Doherty, de la Cour d’appel de l’Ontario, a établi dans Ainsley Financial Corp. c. Ontario Securities Commission, [1994] O.J. No. 2966 (QL), ce qui suit :

[traduction]

[12]      Les instruments non contraignants comme les lignes directrices ne sont pas toujours diffusés dans l’exercice d’un pouvoir accordé par la loi pour ce faire. Ils constituent plutôt un outil administratif permettant à l’organisme de réglementation d’exercer le pouvoir qu’il tient de la loi et de remplir son mandat de manière plus équitable, transparente et efficace. [...]

 

[...]

[14]      [...] Plus important encore pour les fins qui nous occupent, un instrument non législatif ne saurait imposer des exigences dont l’application peut se faire au moyen de sanctions. Plus précisément, il est interdit à l’organisme d’adopter de véritables lois sous la forme de lignes directrices. Le juge l’a dit en ces termes dans l’arrêt Pezim, à la p. 596 :

Cependant, il importe de faire remarquer que la Commission n’a qu’un rôle limité en matière d’établissement de politiques. Je veux dire par là que ses politiques ne peuvent obtenir le statut de lois ni être considérées comme telles en l’absence d’un pouvoir à cet effet prévu dans la loi.

 

 

[13]           Dans l’arrêt Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, [2004] A.C.F. no 174 (QL), le juge J. Edgar Sexton, de la Cour d’appel fédérale, a circonscrit le rôle des politiques :

[78]      Comme je l’ai déjà mentionné, il est important de noter que les décideurs peuvent adopter des lignes directrices qui leur sont utiles dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, en autant que ces lignes directrices ne sont pas obligatoires et que les agents des visas tiennent compte des faits particuliers de chaque cas en déterminant le contenu de l’obligation d’équité. On trouve un exemple d’une ligne directrice correctement rédigée dans Yhap c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 1 C.F. 722:

Il importe [. . .] que les agents comprennent bien que les présentes lignes directrices ne sont pas des règles strictes. Elles n’envisagent pas toutes les possibilités, tel n’est pas leur objet d’ailleurs. Les agents doivent étudier avec soin les cas sous tous leurs aspects, faire preuve de discernement et présenter la recommandation qui convient.

 

 

[14]           Le défendeur a précisé que, lorsqu’il a appris que les demandeurs avaient soumis une deuxième demande parrainée de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, le premier réflexe de l’agente d’exécution de la loi a été de vérifier si le renvoi pouvait être reporté, pour des raisons d’intérêt public, en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, afin de faciliter le traitement selon les règles de la catégorie des époux ou conjoints de fait, conformément au Règlement.

 

[15]           Ayant reconnu que les demandeurs ne pouvaient tirer profit d’un report de leur renvoi sur la base de l’intérêt public, l’agente d’exécution de la loi a expliqué la situation à cet égard aux demandeurs.

 

[16]           De plus, aucune décision finale sur le renvoi n’a été prise à ce stade. L’agente d’exécution de la loi a continué à étudier le document préparé par l’avocat des demandeurs, dans lequel il était demandé de reporter leur renvoi du Canada.

 

[17]           Si la question de l’intérêt public avait entravé le pouvoir discrétionnaire de l’agente d’exécution de la loi, comme le prétendent les demandeurs, cette dernière n’aurait pas continué à examiner la demande de report de leur renvoi présentée par leur avocat.

 

[18]           Le défendeur a précisé que l’agente d’exécution de la loi a dûment exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle est retournée à son bureau pour se pencher sur la demande de report du renvoi des demandeurs du Canada présentée par l’avocat des demandeurs (paragraphe 14, dernière flèche de l’affidavit de Josée Groulx).

 

[19]           La conclusion négative tirée par l’agente d’exécution de la loi au sujet du report ne signifie pas que les politiques ont constitué une entrave à son pouvoir discrétionnaire. Les termes qu’elle a utilisés lorsqu’elle a rendu sa décision indiquent plutôt clairement qu’elle a examiné la demande de report. Elle dit : [traduction] « Après avoir examiné les faits et les allégations inclus dans votre demande, je confirme que le report du renvoi est refusé. » (Pièce « E » de l’affidavit de Josée Groulx.)

 

[20]           Les demandeurs font valoir que l’agente chargée du renvoi n’a pas fourni suffisamment de motifs justifiant sa décision de ne pas reporter leur renvoi.

 

[21]           L’obligation des agents chargés du renvoi a été exposée dans la décision Boniowski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1161, [2004] A.C.F. no 1397 (QL), aux paragraphes 11 et 12, (1re inst.). La Cour a statué qu’il n’était pas nécessaire de fournir des motifs formels ou écrits à l’appui de ce type de décision administrative.

 

[22]           Dans la décision Hailu c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 229, [2005] A.C.F. no 268, le juge Conrad von Finkenstein confirme catégoriquement que les décisions rendues par les agents chargés du renvoi n’ont pas à prendre la forme d’une décision formelle accompagnée de motifs. Il n’y avait ni motifs ni notes dans cette affaire, exception faite d’un affidavit de l’agent qui avait été déposé en réponse au contrôle judiciaire. Le juge von Finkenstein a indiqué que la prise de notes est « une pratique utile qui doit être encouragée, mais elle n’est cependant pas obligatoire ».

 

[23]           Les demandeurs ont demandé à ce que l’on sursoie à leur renvoi le 9 janvier 2007 pendant l’entrevue avec l’agente d’exécution de la loi.

 

[24]           L’agente d’exécution de la loi a pris des notes pendant son entrevue. Ses notes expliquent brièvement ce qui s’est passé pendant l’entrevue, comme l’indique la pièce « A » de l’affidavit de Huguette Godin.

 

[25]           L’agente d’exécution de la loi a mentionné dans son affidavit qu’elle a tenu compte des éléments suivants avant de rendre sa décision :

Ø      Tous les faits au dossier des demandeurs. En outre j’ai tenu compte du fait que la demanderesse était mariée à un citoyen canadien et que sa première demande de parrainage avait été refusée parce que l’agent d’immigration n’avait pas cru à la bonne foi de son mariage, mais qu’elle estimait avoir été mal représentée par ses conseillers de l’époque. J’ai pris en considération le fait que le demandeur Alex Tulin‑Litvin était fiancé à une Canadienne et que l’autre demandeur, Ilya Pushkarov, était étudiant au secondaire. À l’égard du demandeur Ilya, je me suis enquise du niveau auquel il était rendu et voyant qu’il n’était pas prêt de recevoir un diplôme, j’ai jugé qu’un report du renvoi pour cette raison n’était pas justifié. J’ai également tenu compte du fait que les demandeurs n’ont soulevé aucune raison médicale les empêchant de voyager et du fait qu’ils n’ont jamais allégué quelque danger que ce soit advenant un retour en Israël;

 

Ø      La politique d’intérêt public établie en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR pour faciliter le traitement selon les règles de la catégorie des époux ou conjoints de faits au Canada;

Ø      La demande de report du renvoi qui m’a été remise par le procureur des demandeurs le 9 janvier 2007.

 

(Affidavit de Josée Groulx, paragraphe 15.)

 

[26]           Le 9 janvier 2007, l’agente d’exécution de la loi a rendu sa décision de refuser le report du renvoi :

[traduction]

Par la présente, il est accusé réception de votre demande de report à des fins administratives du renvoi de la famille susmentionnée.

 

Après avoir examiné les faits et les allégations inclus dans votre demande, je confirme que le report du renvoi est refusé.

Le processus de renvoi se poursuivra, et seul un sursis à la mesure de renvoi prononcé par la Cour fédérale peut mettre fin au renvoi.

(Pièce « E » de l’affidavit de Josée Groulx)

 

[27]           Compte tenu de ce qui précède, il est clair que les motifs fournis par l’agente chargée du renvoi en l’espèce suffisent.

 

PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

[28]           La deuxième condition du critère en trois volets autorisant l’octroi d’un sursis de renvoi exige que soit établi le préjudice irréparable que les demandeurs subiraient s’ils étaient renvoyés du Canada. (Toth, précité, RJR-MacDonald, précité.) Les demandeurs n’ont pas prouvé qu’il a été satisfait à ce volet du critère.

 

[29]           Les demandeurs doivent prouver que le renvoi entraînerait une probabilité raisonnable de préjudice. (Soriano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n414 (C.F.P.I.) (QL).)

 

[30]           La notion de préjudice irréparable a été définie par la Cour de la façon suivante :

[22]      Dans l’affaire Kerrutt c. MEI (1992), 53 F.T.R. 93 (C.F. 1re inst.), le juge MacKay avait conclu que, dans le cadre d’une demande de sursis à exécution, la notion de préjudice irréparable sous-entend un risque grave de quelque chose qui met en cause la vie ou la sécurité d’un requérant. Le critère est très exigeant et j’admets son principe de base selon lequel on entend par préjudice irréparable quelque chose de très grave, c’est-à-dire quelque chose de plus grave que les regrettables difficultés auxquelles vont donner lieu une séparation familiale ou un départ.

 

(Calderon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 393 (QL).)

 

[31]           Le préjudice irréparable est plus substantiel et plus grave que le simple inconvénient. Il suppose la probabilité sérieuse de mise en danger de la vie, de la liberté ou de la sécurité du demandeur, ou la menace évidente de mauvais traitement dans le pays où le renvoi sera effectué. (Mikhailov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 642 (C.F.P.I.) (QL); Frankowski c. Canada ((Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 935 (C.F.P.I.); Louis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1101 (C.F.P.I.).)

 

[32]           Une conclusion selon laquelle le demandeur subira un préjudice irréparable s’il est renvoyé ne peut reposer sur des conjectures ou sur une simple possibilité. La preuve qui appuie une telle conclusion doit être claire et non spéculative. (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 464, [2004] A.C.F. no 567 (C.F.) (QL); Atakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 68 F.T.R. 122 (C.F. 1re inst.), [1993] A.C.F. no 826 (QL); John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 915 (C.F. 1re inst.) (QL).)

 

[33]           Ni des conditions désagréables dans le pays où doit être renvoyé le demandeur, ni le fait qu’il serait préférable de vivre au Canada, ne constituent un préjudice irréparable. (Abazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.), [2000] A.C.F. no 429 (C.F. 1re inst.) (QL).)

 

[34]           Les demandeurs font valoir aux paragraphes 66 à 88 plusieurs facteurs qui, à leur avis, constituent un préjudice irréparable.

 

[35]           La plupart de ces facteurs sont liés à la séparation d’avec des membres de leur famille. Seraient séparés la demanderesse Iren et son mari Valery Mirinichov, le demandeur Alex et sa fiancée Maria Potashova, les demandeurs et la mère d’Iren, Tatiana Lebedev-Litvin, les demandeurs Alex et Ilya et leur beau-père Valery Mirinichov et leur grand-mère Tatiana Lebedev-Litvin.

 

[36]           Le juge John M. Evans de la Cour d’appel fédérale a affirmé dans l’arrêt Selliah c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 1200 (QL) ce qui suit :

[13]      Le renvoi de personnes qui sont demeurées au Canada sans statut bouleversera toujours le mode de vie qu’elles se sont donné ici. Ce sera le cas en particulier de jeunes enfants qui n’ont aucun souvenir du pays qu’ils ont quitté. Néanmoins, les difficultés qu’entraîne généralement un renvoi ne peuvent à mon avis constituer un préjudice irréparable au regard du critère exposé dans l’arrêt Toth, car autrement il faudrait accorder un sursis d’exécution dans la plupart des cas dès lors qu’il y aura une question sérieuse à trancher : Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 188 F.T.R. 39.

[37]           Dans une décision rendue récemment dans Perry c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 378, [2006] A.C.F. no 473, il a été réitéré ce qui suit :

[31]      La Cour a jugé que la rupture ou le déménagement de la famille d’un demandeur ne permet pas de conclure que le demandeur subira un préjudice irréparable en cas de renvoi (Mallia c. Canada (M.C.I), [2000] A.C.F. n369 (C.F. 1re inst.); Mikhailov c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 642 (C.F. 1re inst.); Aquila c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 36 (C.F. 1re inst.)).

[32]      Dans l’arrêt Tesoro, la Cour d’appel fédérale examinait récemment d’une manière assez détaillée la question du préjudice irréparable. Elle a jugé que la dispersion familiale ne permet pas nécessairement de conclure à un préjudice irréparable. Au contraire, la dispersion familiale n’est que l’une des conséquences de l’expulsion (Tesoro c. Canada (M.C.I), 2005 CAF 148, aux paragraphes 34 à 42).

 

 

[38]           De plus, les demandeurs font valoir que, s’ils sont contraints à quitter le Canada (paragraphes 84 à 86 de leurs observations écrites) :

·        Valery Mironichev, le mari canadien d’Iren, sera séparé de sa femme et des enfants de sa conjointe;

·        Maria Potashova, de santé fragile, la fiancée canadienne du demandeur Alex, sera séparée de lui;

·        Tatiana Lebedev-Litvin, la mère de la demanderesse Iren et la grand-mère des demandeurs Alex et Ilya, sera séparée d’eux.

 

[39]           Dans la décision Perry, précitée, il est indiqué que le préjudice irréparable est évalué du point de vue du demandeur et non du point de vue des membres de la famille qui demeurent au Canada :

[30]      Même quand la séparation entraînée par le renvoi risque de causer à la cellule familiale de considérables difficultés économiques ou psychologiques, le critère demeure la question de savoir si le demandeur lui-même subira un préjudice irréparable (Mariona c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 1521 (1re inst.); Carter c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. no 1011 (1re inst.); Balvinder c. Canada (M.C.I.), décision non publiée, 15 décembre 2005, IMM‑7360‑05).

 

 

[40]           Compte tenu de ce qui précède, les demandeurs n’ont pas établi que la séparation d’avec leur famille constitue un préjudice irréparable.

 

[41]           De plus, le juge Pelletier, également dans la décision Wang, précitée, a déclaré qu’une demande en instance fondée sur des motifs d’ordre humanitaire justifie rarement de différer le renvoi :

[45]      En l’instance, la mesure dont on demande de différer l’exécution est une mesure que le ministre a l’obligation d’exécuter selon la Loi. La décision de différer l’exécution doit donc comporter une justification pour ne pas se conformer à une obligation positive imposée par la Loi. Cette justification doit se trouver dans la Loi, ou dans une autre obligation juridique que le ministre doit respecter et qui est suffisamment importante pour l’autoriser à ne pas respecter l’article 48 de la Loi. Vu l’obligation qui est imposée par l’article 48, ainsi que l’obligation de s’y conformer, il y a lieu de faire grand état à l’encontre de l’octroi d’un report de la disponibilité d’une réparation autre, comme le droit de retour, puisqu’on trouve là une façon de protéger le demandeur sans avoir recours au non-respect d’une obligation imposée par la Loi. Pour ce motif, je serais plutôt d’avis qu’en l’absence de considérations particulières, une demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire qui n’est pas fondée sur des menaces à la sécurité d’une personne ne peut justifier un report, parce qu’il existe une réparation autre que celle qui consiste à ne pas respecter une obligation imposée par la Loi.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[42]           En l’espèce, les demandes de résidence permanente en instance des demandeurs qui reposent sur des motifs d’ordre humanitaire n’invoquent pas de risque lié à leur sécurité personnelle. (Dossier des demandeurs, pages 47 à 49.)

 

[43]           De plus, les demandeurs n’ont pas demandé à la Cour d’autorisation à l’encontre de la décision relative à l’ERAR qui leur est défavorable.

 

[44]           La Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État en Israёl (pièce « A » de l’affidavit de Josée Groulx) et que, même s’ils ont présenté une demande d’autorisation à cette Cour à l’encontre de la décision défavorable de la SPR, celle-ci a été rejetée le 9 octobre 2003.

 

[45]           Les demandeurs font également valoir au paragraphe 75 de leurs observations écrites qu’ils feront l’objet de discrimination s’ils sont renvoyés.

 

[46]           Toutefois, cette allégation n’est pas appuyée par un affidavit et ne peut être prise en compte par la Cour. (Kukan c. Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration), [1974] 1 C.F. 12, [1974] A.C.F. no 20 (QL).)

 

[47]           Néanmoins, dans une affaire similaire, Abramov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1579 (QL), dans laquelle la demanderesse alléguait que son enfant mineure et elle subiraient de la discrimination s’ils devaient retourner en Israёl, le juge Evans a conclu que la discrimination qui ne constituait pas une menace pour la vie ne représentait pas un préjudice irréparable :

[13]      En premier lieu, le harcèlement et la discrimination dont la principale demanderesse se dit victime en Israël ne sont pas une menace pour la vie ni ne représentent l’une des formes les plus flagrantes de privation de liberté. Quand bien même elle serait exposée aux mêmes difficultés à son retour en Israël en attendant l’issue du recours en contrôle judiciaire, je ne pense pas qu’elle en subirait un préjudice irréparable.

 

 

[48]           Dans une autre tentative en vue d’établir un préjudice irréparable, les demandeurs ont souligné que le demandeur Alex Tulin-Litvin sera emprisonné s’il est renvoyé en Israёl parce qu’il a refusé de servir dans l’armée israélienne.

 

[49]           Comme l’indiquait la décision négative relative à l’ERAR qui n’a pas été contestée, la loi israélienne imposant le service militaire est une loi ordinaire d’application générale, et les conséquences subies par des objecteurs de conscience n’équivalent pas à de la persécution. (Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 C.F. 540, [1993] A.C.F. no 584 (QL).)

 

[50]           Compte tenu du fait que le demandeur, Alex Tulin‑Litvin, a enfreint sciemment une loi d’application générale, le défendeur a indiqué qu’il craint une poursuite plutôt que la persécution et qu’il ne s’agit pas d’un préjudice irréparable.

 

[51]           Finalement, en ce qui concerne l’allégation selon laquelle les demandeurs craignent de retourner en Israёl en raison de la situation dans le pays en cause, les demandeurs n’ont pas demandé d’autorisation à l’encontre de la décision négative relative à l’ERAR rendue très récemment, soit le 5 décembre 2006. Dans cette décision, l’agent d’ERAR a examiné la situation des demandeurs et a conclu que :

Après avoir pris en considération les dossiers d’immigration des demandeurs dans leur entier, l’ensemble de leurs représentations ainsi que la documentation publique pertinente, je conclu [sic] que les demandeurs Iren Tulina-Litvin, Alex Tulin-Litvin et Ilya Pushkarov ne sont pas des personnes à protéger tel que précisé aux articles 96 et 97 de la LIPR, car n’ayant pas démontré de risque personnel de persécution et que le cas échéant, pourraient se prévaloir de la protection de l’état [sic].

(Dossier des demandeurs, page 29.)

[52]           De plus, la demanderesse Iren Tulina‑Litvin ne dit pas dans son affidavit de quelle façon elle courrait un risque si elle devait être renvoyée en Israёl. Elle fait référence, au paragraphe 17 de son affidavit, à un avis du ministère des Affaires étrangères à l’intention des voyageurs pour Israёl et les régions environnantes. (Dossier des demandeurs, page 8.)

 

[53]           Ce document, aux pages 446 à 453 du dossier des demandeurs, ne conseille pas aux voyageurs de quitter Israёl. Il s’agit plutôt d’un avis aux voyageurs qui porte expressément sur la Cisjordanie et la Bande de Gaza et qui indique en outre qu’il convient de faire preuve de prudence dans l’ensemble du pays.

 

[54]           Ce document est antérieur à la décision d’ERAR qui concluait que les demandeurs ne courraient pas de risque personnel s’ils devaient retourner en Israёl.

 

PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS

[55]           En vertu de l’article 48 de la LIPR, le défendeur est tenu d’exécuter une mesure de renvoi « dès que les circonstances le permettent » :

48.      (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

48.      (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit quitter immédiatement le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

[56]           C’est un principe élémentaire de droit qu’on doit prendre en considération l’intérêt public dans le cadre de l’examen de ce dernier critère.

 

[57]           Pour prouver que la prépondérance des inconvénients penche en faveur des demandeurs, ces derniers auraient dû établir qu’en vertu de l’intérêt public il serait préférable de ne pas les renvoyer comme prévu. (RJR-MacDonald, précité; Blum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] 90 F.T.R. 54, [1994] A.C.F. no 1990 (QL).)

 

[58]           Comme le mentionnait le juge John Sopinka dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 135 N.R. 161 (CSC) (quoique cette affaire portait sur un dossier d’extradition) : « [...] Le principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les non‑citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer au pays ou d’y demeurer. »

 

[59]           Les demandeurs n’ont pas prouvé que la prépondérance des inconvénients penche en leur faveur.

 

CONCLUSION

[60]           Pour les motifs énoncés précédemment, la demande des demandeurs en vue d’obtenir un sursis de renvoi est rejetée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la requête des demandeurs en vue d’obtenir une ordonnance de sursis de renvoi soit rejetée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                   IMM‑190‑07

 

INTITULÉ :                                                  IREN TULINA‑LITVIN, ILYA PUSHKAROV ET ALEX TULIN‑LITVIN

                                                                       c.

                                                                       LE MinistRe DE LA SÉCURITÉ publiQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          LE 29 JANVIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                 LE 31 JANVIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Shams

 

POUR LES DEMANDEURS

Zoé Richard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Saint-Pierre Grenier

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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