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Date : 20070207

Dossier : IMM-1062-06

Référence : 2007 CF 142

Ottawa (Ontario), le 7 février 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

FRANCISCO JAVIER RAMOS-FRANCES

 

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Monsieur Francisco Javier Ramos-Frances, un citoyen de l’Espagne, a présenté une demande pour obtenir le statut de résident permanent au Canada en tant que travailleur qualifié à titre de « membre d'équipage de conduite des aéronefs », selon la description 2271 de la Classification nationale des professions (CNP). Au moment de sa demande, M. Ramos‑Frances travaillait au Canada en vertu d’un permis de travail. Par conséquent, sa demande de résidence permanente a été déposée au Consulat du Canada à Buffalo, New York.

 

[2]        Le paragraphe 75(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), prévoit que :

75.(2) A foreign national is a skilled worker if

(a) within the 10 years preceding the date of their application for a permanent resident visa, they have at least one year of continuous full-time employment experience, as described in subsection 80(7), or the equivalent in continuous part-time employment in one or more occupations, other than a restricted occupation, that are listed in Skill Type 0 Management Occupations or Skill Level A or B of the National Occupational Classification matrix;

(b) during that period of employment they performed the actions described in the lead statement for the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification; and

(c) during that period of employment they performed a substantial number of the main duties of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, including all of the essential duties.   [underlining added]

75.(2) Est un travailleur qualifié l’étranger qui satisfait aux exigences suivantes :

a) il a accumulé au moins une année continue d’expérience de travail à temps plein au sens du paragraphe 80(7), ou l’équivalent s’il travaille à temps partiel de façon continue, au cours des dix années qui ont précédé la date de présentation de la demande de visa de résident permanent, dans au moins une des professions appartenant aux genre de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions — exception faite des professions d’accès limité;

b) pendant cette période d’emploi, il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans les descriptions des professions de cette classification;

c) pendant cette période d’emploi, il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession figurant dans les descriptions des professions de cette classification, notamment toutes les fonctions essentielles.   [Le souligné est de moi.]

 

[3]        L’agente qui a examiné la demande de M. Ramos-Frances avait des doutes quant à son expérience de travail. Plus précisément, le salaire de M. Ramos-Frances ne semblait pas correspondre à celui de la profession déclarée de membre d'équipage de conduite des aéronefs. La lettre envoyée par l’employeur du demandeur afin de vérifier l’expérience de travail de ce dernier, n’appuyait pas la demande en question, car elle ne précisait pas si M. Ramos-Frances avait accompli les tâches et les fonctions figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession correspondant à la CNP 2271 ou énumérées dans la description des fonctions principales de la profession. Par conséquent, M. Ramos-Frances a été contraint de se présenter à une entrevue au Consultat du Canada à Détroit, au Michigan.

 

[4]        M. Ramos-Frances a répondu à la lettre dans laquelle on le convoquait à une entrevue à Détroit en indiquant qu’il ne pourrait s’y conformer, car il ne détenait plus de statut juridique aux États-Unis. Il a souligné qu’il vivait maintenant au Chili et a demandé que son dossier soit transféré à l'ambassade du Canada à Santiago, au Chili, pour qu’il puisse se présenter à une entrevue. Cette demande lui a été refusée. Étant donné que M. Ramos-Frances ne s’est pas présenté à l’entrevue à Détroit, sa demande a été évaluée d’après les renseignements au dossier et puis rejetée, car l’agente a estimé que M. Ramos-Frances n’avait pas rempli les exigences prévues aux alinéas a), b) et c) du paragraphe 75(2) du Règlement.

 

[5]        Dans sa demande de contrôle judiciaire de cette décision, M. Ramos-Frances prétend qu’il n’a pas eu droit à l’équité procédurale du fait que la demande de transfert de son dossier lui a été injustement et déraisonnablement refusée. De plus, M. Ramos-Frances soutient que lorsqu’elle a appris qu’il ne pourrait pas se présenter à une entrevue aux États-Unis, l’agente a continué sans égard à l’équité injustement à insister pour qu’il se présente à l’entrevue.

 

[6]        Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’agente a satisfait aux exigences de l'équité procédurale.

 

[7]        Avant d’aborder la question de fond soulevée par M. Ramos-Frances, il est nécessaire de déterminer la norme de contrôle applicable aux erreurs invoquées. Il est bien établi, selon moi, qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue à l’égard des tribunaux sur des questions d’équité procédurale. Il revient à la cour chargée du contrôle judiciaire de décider de la nature de l'obligation d'équité procédurale.

 

[8]        La Cour fédérale a établi une jurisprudence abondante sur ce que l’obligation d’équité procédurale exige des agents lorsqu’ils évaluent des demandes de résidence permanente. Une bonne partie de la jurisprudence traite des situations dans lesquelles un agent est tenu d’informer le demandeur des questions qui le préoccupent quant à la demande de manière à ce que le demandeur ait l’occasion de répondre aux questions de l’agent. En règle générale, selon la jurisprudence, lorsque les questions de l’agent découlent directement des exigences de la loi ou de son règlement d’application, l’agent n’est pas tenu d’offrir une occasion au demandeur de répondre à ces questions. Voir, par exemple, Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283 et la jurisprudence qui y est examinée. Le juge Rothstein, alors juge de la présente Cour, a ainsi décrit la situation dans la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1239, au paragraphe 4 :

4.    Un agent des visas peut pousser ses investigations plus loin s'il le juge nécessaire. Il est évident qu'il ne peut délibérément ignorer des facteurs dans l'instruction d'une demande, et il doit l'instruire de bonne foi. Cependant, il ne lui incombe nullement de pousser ses investigations plus loin si la demande est ambiguë. C'est au demandeur qu'il incombe de déposer une demande claire avec à l'appui les pièces qu'il juge indiquées. Cette charge de la preuve ne se transfère pas à l'agent des visas, et le demandeur n'a aucun droit à l'entrevue pour cause de demande ambiguë ou d'insuffisance des pièces à l'appui.

 

[9]        Compte tenu de cette observation, je vais maintenant me pencher sur le prétendu manquement à l’équité de l’agente du fait qu’elle a refusé la demande de M. Ramos-Frances visant à faire transférer son dossier à l’ambassade du Canada au Chili. Les notes au Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration contiennent l’inscription suivante pour la demande de transfert du dossier :

[traduction] Le demandeur écrit qu’il est maintenant au Chili. Aucune raison fournie. Aucune preuve pour démontrer qu’il y est entré légalement. Demande le transfert du dossier. J’ai examiné le dossier et je ne crois pas que le transfert soit justifié. JOC l’avisera que la demande est rejetée.

 

[10]      L’agente avait un doute quant au statut juridique de M. Ramos-Frances au Chili.

M. Ramos-Frances soutient que l’obligation d’équité exigeait qu’on lui offre une occasion de répondre aux préoccupations de l’agente pour qu’il soit informé de la preuve qu’il aurait à réfuter.

 

[11]      Conformément au paragraphe 5.19 du chaptre 1 du Guide de traitement des demandes à l'étranger, les agents procèdent de la façon suivante :

Les bureaux des visas ne sont pas tenus de transférer une demande de résidence permanente ou temporaire au Canada, à la demande du demandeur ou de son représentant désigné.

 

Les bureaux des visas doivent transférer les dossiers uniquement si ce transfert améliore l’intégrité du programme. Inversement, ils doivent refuser de transférer les dossier si un tel transfert réduit l’intégrité du programme. Les agents devraient envisager de consulter les bureaux des visas vers lesquels ils songent à transférer un dossier, et demander leur assistance pour finaliser le dossier avant d’effectuer un transfert.

 

[...]

 

Pour ce qui est de l’intégrité des programmes, les agents doivent aussi tenir compte du fait que le R11 a pour objet de garantir que, dans la mesure du possible, les demandes de visa sont examinées par les bureaux qui ont les connaissances et les compétences locales nécessaires pour effectuer un examen judicieux du cas.

 

[12]      Le paragraphe 11(1) du Règlement, mentionné dans le Guide, prévoit que :

11.(1) An application for a permanent resident visa — other than an application for a permanent resident visa made under Part 8 — must be made to the immigration office that serves

(a) the country where the applicant is residing, if the applicant has been lawfully admitted to that country for a period of at least one year; or

(b) the applicant's country of nationality or, if the applicant is stateless, their country of habitual residence other than a country in which they are residing without having been lawfully admitted.

 

11.(1) L’étranger fait sa demande de visa de résident permanent — autre que celle faite au titre de la partie 8 — au bureau d’immigration qui dessert :

a) soit le pays dans lequel il réside, s’il y a été légalement admis pour une période d’au moins un an;

b) soit le pays dont il a la nationalité ou, s’il est apatride, le pays dans lequel il a sa résidence habituelle — autre que celui où il n’a pas été légalement admis.

 

 

[13]      La demande de M. Ramos-Frances n’a pas été présentée en vertu de la partie 8 du Règlement, par conséquent les exigences de l’article 11 du Règlement s’appliquent à sa demande. Le Chili n’est pas le pays de nationalité de M. Ramos-Frances, et ce dernier n’a fourni aucun renseignement dans sa demande de transfert de dossier quant à sa durée de séjour au Chili ou à son statut juridique dans ce pays.

 

[14]      À mon avis, les préoccupations de l’agente étaient pertinentes, légitimes et découlaient directement du paragraphe 11(1) du Règlement. Compte tenu qu’il n’existe pas de droit absolu à une entrevue et que le fardeau de preuve repose sur le demandeur de résidence permanente de s’assurer que son dossier est complet, je conclus que l’agente n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale, ni en omettant de faire connaître au demandeur ses questions aux termes du paragraphe 11(1) du Règlement, ni en refusant de transférer le dossier.

 

[15]      En ce qui a trait à l’insistance continue de l’agente pour que M. Ramos-Frances se présente à l’entrevue, ce dernier allègue que, comme elle savait qu’il ne pouvait se rendre à l’entrevue, l’obligation d’équité exigeait que l’agente trouve une autre façon d’obtenir les réponses à ses questions. Il a fait valoir qu’elle aurait pu téléphoner à son ancien employeur canadien. À mon avis, l’obligation d’équité n’exigeait pas que l’agente procède à des demandes de renseignements. Je fais mien les propos de mon collègue le juge Hugessen dans la décision Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1166, aux paragraphes 2 et 3, où il a écrit :

2.    En premier lieu, il est allégué que l'agent des visas a eu tort de n'attribuer au demandeur aucun point pour l'expérience dans sa profession envisagée au Canada. La raison pour laquelle l'agent des visas a décidé de cette façon était qu'il jugeait nullement digne de foi le seul élément de preuve que le demandeur avait produit pour étayer son affirmation selon laquelle il avait de l'expérience dans la profession envisagée, à savoir une lettre non datée provenant du soi‑disant ancien employeur du demandeur au Pakistan. Cette lettre ne portait pas une en-tête imprimée, et selon le propre témoignage du demandeur, il l'avait reçue seulement quelques jours avant son entrevue avec l'agent des visas plutôt que, comme on pourrait s'y attendre normalement, de la recevoir lorsqu'il avait quitté le présumé emploi. L'agent des visas, comme je l'ai dit, n'a accordé aucune crédibilité à cette lettre.

 

3.    L'avocat soutient que l'agent des visas était tenu de se renseigner davantage, et qu'il aurait dû décrocher le téléphone et appeler le signataire de cette lettre, dont le nom a été tapé en bas, au numéro de téléphone qui figurait en haut de la lettre. Cela , selon l'avocat, fait partie de l'obligation d'équité. Je ne suis pas d'accord. L'agent des visas n'est nullement tenu de mener cette sorte d'enquête. L'évaluation de la crédibilité de tous les éléments de preuve qui sont présentés au juge des faits, que ces éléments de preuve soient testimoniaux ou documentaires, relève entièrement de l'appréciation de ce dernier, et il n'incombe nullement au juge des faits d'aller plus loin pour mener ses propres enquêtes. En fait, souvent, il y a violation de l'obligation d'équité lorsque le juge des faits se charge de mener ces enquêtes. C'est la seule partie dont il est allégué qu'elle est erronée dans l'appréciation par l'agent des visas du facteur expérience. Et, comme je le dis, je n'y trouve aucune erreur.                        

                                                            [Non souligné dans l’original]

 

[16]      Dans la mesure où le demandeur fait valoir que l’agente aurait pu demander des renseignements supplémentaires par écrit, tels qu’un talon de chèque de paye, une copie de son permis de travail ou une lettre additionnelle de son employeur, je ne suis pas persuadée que l’obligation d’équité procédurale exigeait que l’agente avise M. Ramos-Frances des lacunes que comportaient ses documents écrits, pour qu’il puisse effectivement étayer sa demande.

 

[17]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les avocats n'ont présenté aucune question aux fins de certification et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE QUE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B, trad.

 

 

 

 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            IMM-1062-06

 

INTITULÉ :                                                                           FRANCISCO JAVIER RAMOS‑FRANCES, DEMANDEUR

 

                                                                                                c.

 

                                                                                    LE MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, DÉFENDEUR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 16 JANVIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                  LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 7 FÉVRIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Chantal Desloges                                                                      POUR LE DEMANDEUR

 

David Cranton                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Chantal Desloges                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Green and Spiegel

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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