Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Date : 20070206

Dossier : T-48-06

Référence : 2007 CF 129

 

Ottawa (Ontario), le 6 février 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

 

ENTRE :

SIERRA FOX INC.

demanderesse

et

 

LE MINISTRE FÉDÉRAL DES TRANSPORTS

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]             La demanderesse Sierra Fox Inc. exploite une école de pilotage à l’aéroport de Muskoka et elle est le propriétaire inscrit d’un Piper PA-28-140 (C-FYTC) (l’aéronef) utilisé pour la formation en vol. Le ministre des Transports (le ministre) est défendeur dans cette procédure de contrôle judiciaire.

 

[2]             La demanderesse conteste la légalité de la décision prise par le ministre en date du 4 juillet 2005 (la décision contestée) après que le Tribunal d’appel des transports du Canada (le Tribunal) lui eût ordonné de reconsidérer sa décision antérieure du 31 octobre 2003 par laquelle il suspendait le certificat de navigabilité de l’aéronef (la décision de suspension). Les deux décisions du ministre ont été prises en vertu de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. 1985, ch. A-2, et ses modifications (la Loi).

 

[3]             Essentiellement, la demanderesse soutient que la décision contestée qui maintenait la décision de suspension devrait être annulée et que l’affaire devrait être renvoyée pour un nouvel examen au motif que le défendeur a manqué à un principe de justice naturelle, à l’équité procédurale et à d’autres procédures imposées par la loi. Le défendeur prétend au contraire que toutes les procédures prévues par la Loi ont été suivies et qu’il n’y a eu aucun manquement quel qu’il soit à un principe de justice naturelle ou à l’équité procédurale.

 

[4]             Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’en suis arrivé à la conclusion qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale de la part du défendeur et que la présente demande devrait être accueillie.

 

I – CADRE LÉGISLATIF

 

[5]             L’existence de l’obligation d’agir équitablement est souple et variable et repose sur les diverses circonstances (Knight c. Indian Head School Division No . 19, [1990] 1 R.C.S. 653). La nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir, la nature du régime législatif, l’importance de la décision pour la personne visée et ses attentes légitimes sont des facteurs pertinents pour déterminer les exigences de l’obligation d’équité procédurale dans des circonstances données (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 21 à 28; Kiss c. Canada (Ministre des Transports), [1999] A.C.F. no 1187, au paragraphe 22; Air Nunavut Ltd c. Canada (Ministre des Transports) (1re inst.), [2001] 1 C.F. 138 au paragraphe 51). Mais cette liste n’est pas exhaustive et d’autres facteurs peuvent se révéler pertinents dans la présente analyse. Comme l’a mentionné la juge L’Heureux Dubé dans Baker, précité, au paragraphe 22, « les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leur points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur ».

 

[6]             Le ministre a la lourde responsabilité envers le public de voir à ce que les opérations liées aux aéronefs et aux transporteurs aériens soient menées en toute sécurité, cela est particulièrement vrai dans le cas des inspecteurs de Transports Canada qui sont en pratique chargés de maintenir la sécurité (Aztec Aviation Consulting Ltd. c. Canada, (1990) 33 F.T.R. 210, au paragraphe  6 (1re inst.); Swanson c. Canada (Ministre des Transports) (C.A.), [1992] 1 C.F. 408, aux pages 414 et 424 à 426 (C.A.F.)). La responsabilité directe du ministre d’assurer la sécurité publique passe notamment par la délivrance d’un certificat de navigabilité de l’aéronef, lequel est assujetti aux spécifications et aux conditions d’exploitation précisées sur celui‑ci, notamment l’exigence générale voulant que le titulaire du document se conforme aux dispositions de la Loi et du Règlement de l’aviation canadien, DORS/96-433 (le RAC).

 

[7]             Sous le régime législatif actuel, la mesure prise par le ministre en la forme d’une suspension et l’imposition d’une amende peut faire suite à une vérification ou une enquête administrative menée par un inspecteur ou un autre agent de Transports Canada. Dans la présente affaire, la décision de suspension a été prise en vertu de l’alinéa 7.1(1)b) de la Loi, qui autorise le ministre à suspendre, annuler ou ne pas renouveler un document d’aviation au motif que :

b) le titulaire ou l’aéronef, l’aéroport ou autre installation ne répond plus aux conditions de délivrance ou de maintien en état de validité du document;

 

[8]             Il n’est pas contesté que le ministre doive toujours agir de bonne foi et qu’il lui incombe de justifier le caractère raisonnable de toute mesure prise à l’égard d’un titulaire de document en vertu de la Loi. À cet égard, le ministre ne peut agir de façon arbitraire et en l’absence de preuve. Toutefois, la Loi n’exige pas expressément que le titulaire du document soit entendu avant que le ministre ne prenne une décision de suspension. Elle exige simplement qu’un avis de la décision prise en conséquence par le ministre soit envoyé à la personne avant que la décision ne prenne effet (voir les paragraphes 6.71(2), 6.9(2), 7(2), 7.1(2), 7.21(2) et 7.7(2) de la Loi). La légalité de la décision du ministre, y compris le caractère suffisant de l’avis, peut à son tour être examinée par la Cour après que le titulaire du document aura épuisé son droit de faire réviser la décision en première instance et en appel par le Tribunal (Aztec Aviation Consulting Ltd., précité, aux paragraphes 17 et 18; Aviation Québec Labrador Ltée c. Canada (Ministre des Transports) (1998), 157 F.T.R. 24, aux paragraphes 11 à 13 (C.F. 1re inst.)).

 

[9]             Établi en vertu de l’article 2 de la Loi sur le Tribunal d’appel des transports du Canada, L.C. 2001, ch. 29 (la Loi sur le TATC), le Tribunal a succédé au Tribunal de l’aviation civile créé en vertu de la partie IV de la Loi et sa compétence s’étend aux requêtes en révision et aux appels dont il est saisi en vertu d’autres lois fédérales intéressant les secteurs maritime et ferroviaire. Le Tribunal est un tribunal quasi judiciaire composé de membres à temps plein et à temps partiel nommés par le gouverneur en conseil qui possèdent collectivement des compétences dans les secteurs des transports multimodes ressortissant à la compétence du gouvernement fédéral (articles 3 et 4 de la Loi sur le TATC). La procédure devant le tribunal est contradictoire. Le ministre et le titulaire du document (ou le propriétaire, l’exploitant ou l’utilisateur visé par la décision) auront la possibilité de présenter des éléments de preuve et des observations concernant la décision, conformément aux principes de l’équité procédurale et de la justice naturelle (paragraphes 6.9(7), 7(6) et 7.1(6) de la Loi).

 

[10]         Dans toute affaire portée devant le Tribunal, la charge de la preuve repose sur la prépondérance des probabilités, mais le Tribunal n’est pas lié par les règles juridiques ou techniques applicables en matière de preuve, sauf qu’il ne peut recevoir ni admettre en preuve quelque élément protégé par le droit de la preuve et rendu, de ce fait, inadmissible en justice devant un tribunal judiciaire (paragraphe 15(1), (2) et (5) de la Loi sur le TATC). Même si elle est informelle, la procédure devant le Tribunal ressemble étroitement à celle suivie dans les tribunaux judiciaires. Les audiences sont normalement publiques et toute partie à une instance devant le Tribunal peut comparaître en personne ou s’y faire représenter par toute personne, y compris un avocat (paragraphes 15(3) et (4) de la Loi sur le TATC). Les témoins prêtent serment et peuvent être contraints de répondre à des questions et de produire des documents. En fait, le Tribunal et chaque conseiller ont les pouvoirs conférés aux commissaires nommés en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. 1985, ch. I-11 (article 16 de la Loi sur le TATC). Un registre des affaires dont le Tribunal est saisi est tenu et les éléments de preuve et les décisions afférents à l’affaire y sont consignés (article 20 de la Loi sur la TATC).

 

[11]         Si le titulaire du document est insatisfait de la décision rendue par le conseiller du Tribunal, il peut exercer un droit d’appel devant une formation d’appel composée de trois conseillers du Tribunal (paragraphe 7.2(1) de la Loi). Le régime législatif actuel accorde également un droit d’appel au ministre dans les cas où le conseiller décide de confirmer la décision du ministre ou d’y substituer sa propre décision (alinéa 7.2 (1) de la Loi sur le TATC qui fait état d’une décision rendue en vertu du paragraphe 6.9(8) ou de l’alinéa 7(7)b) de la Loi). L’appel porte au fond sur le dossier d’instance du conseiller dont la décision est contestée, mais le comité est tenu d’autoriser les observations orales et il peut, s’il l’estime indiqué pour l’appel, prendre en considération tout élément de preuve non disponible lors de l’instance. De plus, le conseiller qui entend la requête en révision et le comité chargé de l’appel sont tenus de fournir les motifs à l’appui de la décision (article 17 de la Loi sur le TATC).

 

[12]         Dans la présente affaire, le conseiller du Tribunal a confirmé la validité de la décision de suspension prise en vertu de l’article 7.1 de la Loi. L’article 7.2 de la Loi délimite la compétence du comité d’appel du Tribunal en pareil cas. En vertu de l’alinéa 7.2 (3)a) de la Loi, le comité peut rejeter l’appel ou renvoyer l’affaire au ministre pour réexamen. Cela dit, l’article 21 de la Loi sur le TATC prévoit que « [l]a décision rendue en appel par un comité du Tribunal est définitive et lie les parties ». Cette disposition reconnaît juridiquement le caractère impératif d’une décision définitive du Tribunal, sous réserve d’une demande de contrôle judiciaire présentée à la Cour en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et ses modifications. Dans la présente affaire, un comité du Tribunal a infirmé la décision rendue par le conseiller et renvoyé l’affaire au défendeur pour un nouvel examen.

 

[13]         Dans les cas où l’affaire est renvoyée au ministre pour un nouvel examen, la Loi prévoit que la décision du ministre continue d’avoir effet jusqu’au réexamen, à moins que le comité n’en prononce la suspension. La Loi ne prévoit rien d’autre concernant le processus et la manière particulière, pour le ministre, de procéder à un nouvel examen d’une décision. L’avocat du défendeur a soutenu à cet égard que la politique et le processus applicables en cas de réexamen par le ministre sont toujours ceux énoncés dans la Directive de l’Aviation civile no 34 – Réexamen de décisions prises par le Tribunal de l’Aviation civile, qui prévoit en règle générale que [traduction] « le réexamen des mesures de suspension ou d’annulation de documents d’aviation canadiens doit être mené de manière à assurer le respect des principes d’équité et de transparence ».

 

[14]         La décision contestée et la Directive de l’Aviation civile no 34 sur laquelle le défendeur s’appuie dans la présente affaire font état de l’ancien paragraphe 7.1(9) de la Loi. Cette disposition énonçait que « [e]n cas de renvoi du dossier au ministre, la mesure cesse d’avoir effet, sauf décision contraire du ministre, après réexamen ». Toutefois, cette disposition a été abrogée par l’article 37 de la Loi sur le TATC. Quoi qu’il en soit, dans Aztec Aviation Consulting Ltd, précité, la Cour a indiqué que « dans le cas où il ne serait pas d’accord avec cette décision [celle du Tribunal de l’aviation civile], le ministre doit réexaminer le dossier et statuer à nouveau sur la question. Pour ce faire, la loi l’oblige évidemment à tenir compte de l’ensemble de la preuve, ainsi que des observations et conclusions de l’instance en révision au cours de laquelle la demanderesse aura eu toute possibilité de se faire entendre et de présenter des éléments de preuve » [non souligné dans l’original].

[15]         Cela dit, la Directive no 34 prévoit que l’« autorité responsable », en l’occurrence la personne désignée par le ministre, doit nommer une « équipe » d’au moins trois personnes ayant l’expertise appropriée pour examiner le dossier. Il ne ressort pas clairement à la lecture de la directive no 34 que l’« équipe » ou l’« autorité responsable » peut examiner une preuve documentaire qui n’a pas été soumise au Tribunal ou recevoir des déclarations non solennelles de personnes qui n’ont pas témoigné devant le Tribunal. Interrogé à l’audience sur cette question, l’avocat du défendeur a répondu par l’affirmative. Ainsi, la présentation d’une preuve qui n’a pas déjà été soumise par le demandeur, qui pourrait également demander d’être entendu en personne, serait permise. La présentation d’une nouvelle preuve par ouï‑dire que l’« équipe » ou l’« autorité responsable » a obtenue de personnes n’ayant pas témoigné devant le Tribunal ou qui provient de documents réunis après la décision définitive du Tribunal de renvoyer le dossier au ministre serait également permise. Cette question intéresse l’équité procédurale. La demanderesse soutient à cet égard que le défendeur ne peut accepter une preuve par ouï‑dire non corroborée. La Directive no 34 prévoit de plus que l’équipe doit rédiger un rapport énonçant les facteurs pris en considération, les conclusions tirées et la recommandation présentée à l’autorité responsable. L'autorité responsable doit examiner le rapport de l’équipe et peut accepter ou rejeter la recommandation de l’équipe. La Directive no 34 prescrit que l’autorité responsable doit rédiger une lettre énonçant la décision du ministre et expliquant les raisons et les facteurs qui ont motivé cette décision. En cas de rejet de la recommandation, l’autorité responsable doit le justifier.

 

II- ANALYSE CONTEXTUELLE

 

[16]         Il n’est pas possible de trancher les questions complexes de justice naturelle et d’équité procédurale soulevées dans la présente affaire sans d’abord examiner en détail le processus qui a mené à la décision de suspension, les décisions de révision et les décisions définitives du Tribunal, ainsi que la décision contestée faisant suite au réexamen du dossier par le ministre.

 

A)    Décision de suspension et imposition des amendes

[17]         Dans la présente affaire, au cours d’une vérification de maintenance périodique de la demanderesse, M. Ross Jackson, inspecteur à Transports Canada, a remarqué que l’aéronef semblait avoir peu d’heures de vol pour un aéronef d’école de pilotage. Lui et l’un de ses collègues, M. Mark Dixon, aussi inspecteur, ont comparé les vols inscrits dans le carnet de route de l’aéronef aux données consignées dans les relevés quotidiens de circulation aérienne (RQCA) de l'aéroport de Muskoka.

 

[18]         Le carnet de route de l’aéronef est un document dont la Loi exige la tenue et où y est inscrit notamment le temps dans les airs effectif. En particulier, l’article 605.94 du RAC prescrit que le temps dans les airs (TAT) doit être inscrit pour chaque vol dans le carnet de route selon les détails donnés aux colonnes I, II et III de l’article correspondant à l’annexe I. À vrai dire, une personne qui omet délibérément d’inscrire un vol dans le carnet de route est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par mise en accusation ou par procédure sommaire devant une cour compétente en matière criminelle (alinéa 7.3(1)c) et paragraphe 7.3(2) de la Loi). Cela dit, l’article 28 de la Loi prévoit de plus que, dans toute action ou procédure engagée en vertu de la Loi, les inscriptions portées aux registres dont celle‑ci exige la tenue « font foi, sauf preuve contraire, de leur contenu contre l’auteur des inscriptions ou le responsable de la tenue des registres […] ».

 

[19]         Les RQCA sont des inscriptions qui décrivent les déplacements aériens à un aéroport donné et sont utilisés par NAV CANADA et Statistique Canada. Dans la présente affaire, les RQCA comportaient des inscriptions relatives à l’aéronef qui n’apparaissaient pas dans le carnet de route de celui‑ci, ce qui a donné lieu à une autre enquête. Les deux inspecteurs ont ensuite comparé les entrées du carnet de route à celles des RQCA de l’aéroport de Muskoka pour la période allant du 1er août au 30 septembre 2003. Ils ont relevé un certain nombre d’écarts entre les deux documents, ce qui les a amenés à conclure que l’aéronef avait volé à de nombreuses occasions mais que les heures de vol n’avaient pas été inscrites dans le carnet de route. Par conséquent, le certificat de navigabilité (le document) de l’aéronef a été suspendu le 31 octobre 2003.

 

[20]         L’avis de suspension signé au nom du ministre par M. Jackson déclarait notamment ce qui suit :

[traduction]

En vertu de l’alinéa 7.1(1)b) de la Loi sur l’aéronautique, le ministre des Transports a décidé de suspendre le certificat de navigabilité, le certificat spécial de navigabilité ou le permis de vol de l’aéronef susmentionné parce que l'aéronef ne remplit plus les conditions en vertu desquelles les documents ont été délivrés pour les raisons suivantes :

 

La maintenance de l’aéronef n’avait pas été effectuée conformément au calendrier de maintenance approuvé prescrit par le RAC 605.86(1)b). On a signalé que les vols avaient été effectués et non inscrits dans le carnet de route d’aéronef. Ces écarts ont entraîné des résultats de temps dans les airs inexacts.

 

[21]         En résumé, l'alinéa 605.86 (1)b) du RAC, dont il est expressément fait mention dans l’avis daté du 31 octobre 2003, prévoit que la personne qui a la garde et la responsabilité légales d’un aéronef ne peut en permettre le décollage si la maintenance n’a pas été effectuée conformément au plan de maintenance particulier détaillé dans le Manuel de contrôle de la maintenance des petits exploitants (le manuel). Le plan de maintenance approuvé par le ministre est obligatoire et les seuls écarts permis sont ceux expressément autorisés par le ministre.

 

[22]         Du point de vue du titulaire du document, du propriétaire ou de l’exploitant de l’aéronef, la décision du ministre de suspendre, d’annuler ou de refuser de renouveler un certificat de navigabilité a beaucoup d’importance et est susceptible d’entraîner de graves difficultés financières. En l’espèce, la capacité de la demanderesse à faire des affaires a été gravement entravée. Le 3 novembre 2003, ou vers cette date, la demanderesse a demandé que le défendeur rétablisse le document et elle a allégué qu’elle n’était pas au courant qu’elle avait oublié d’inscrire des vols dans le carnet de route. Par conséquent, la demanderesse a demandé au ministre de fournir les détails de ces vols afin que son représentant puisse faire les corrections requises dans le carnet de route immédiatement. De plus, la demanderesse a fait signifier et déposer auprès du Tribunal une demande de révision de la décision de suspension (dossier no O‑2988‑10 du TATC). Depuis la délivrance de l’avis de suspension le 31 octobre 2003, la suspension est demeurée en vigueur et le ministre a refusé de rétablir le document.

 

[23]         Avant que le Tribunal n’ait eu l’occasion d’examiner la légalité de la décision de suspension, le 22 mars 2004, ou vers cette date, en vertu de l’article 7.7 de la Loi, le ministre a décidé d’imposer des amendes totalisant 1 750 $ à la demanderesse (la décision imposant l’amende). Premièrement, le ministre a allégué que la demanderesse avait contrevenu au paragraphe 605.86(1) du RAC, parce que, entre le 1er août et le 30 septembre 2003 (la période en question), elle avait permis des décollages alors que la maintenance de l’aéronef n’avait pas été effectuée conformément au calendrier approuvé; les vols non inscrits ont faussé le calcul du temps dans les airs cumulatif et du TAT. L’amende a été établie à 1 250 $ (la première infraction). Deuxièmement, le ministre a allégué que, durant la période en question, la demanderesse avait effectué plusieurs vols à l’aéroport de Muskoka, ou à proximité de celui‑ci, et avait omis d’inscrire le TAT dans le carnet de route conformément aux détails exposés dans le règlement, contrevenant ainsi au paragraphe 605.94(1) du RAC. L’amende a été établie à 500 $ (la deuxième infraction). La demanderesse a contesté la légalité de la décision imposant l’amende et présenté une demande d’examen auprès du Tribunal (dossier no O-2997-41 du TATC).

 

[24]         Avant que l’affaire ne soit entendue par le Tribunal, la demanderesse a proposé que l’aéronef soit soumis à une inspection de 1 000 heures, afin de dissiper, le cas échéant, les doutes concernant la sécurité, mais le défendeur a refusé.

 

   B) Décisions de révision du Tribunal

[25]          Les demandes de révision présentées par la demanderesse (dossiers nos O-2988-10 et O‑2997‑41 du TATC) ont été entendues par un conseiller siégeant seul, M. James E. Lockyer, le 16 juin et le 14 juillet 2004. Les deux dossiers ont été traités sur preuve commune et observations présentées de vive voix par les parties.

 

[26]         Au début de l’audience, le conseiller s’est dit d’avis que le ministre devait prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse avait agi contrairement à la Loi et au RAC. Il a ajouté que la demanderesse avait le droit de présenter de la preuve, de contre‑interroger les témoins du défendeur et de soumettre des observations à la fin de la procédure. Le conseiller a également décrit les accusations en question, qui font état de contraventions aux articles 605.86 et 605.94 du RAC, comme étant des [traduction] « infractions de responsabilité stricte ». Le conseiller a déclaré que la demanderesse avait parfaitement le droit de ne pas présenter de preuve. En fait, aucune conclusion défavorable ne serait tirée si le défendeur n’arrivait pas à prouver les faits sur lesquels se fondait chacune des allégations ou violations. (Le paragraphe 7.7(1) de la Loi prescrit expressément que le ministre a « des motifs raisonnables de croire qu’une personne a contrevenu à un texte désigné », tandis que les paragraphes 7.91(4) et (5) de la Loi prévoient de plus qu’il incombe au ministre d’établir que l’intéressé a contrevenu au texte désigné et que l’intéressé n’est pas tenu de témoigner à l’audience.)

 

[27]         Toutefois, le conseiller a expliqué que [traduction] « une fois que le ministre aura établi les éléments de chacune des infractions, il reviendra au titulaire du document de démontrer qu’il a agi avec diligence raisonnable et d’expliquer pourquoi l’activité, si la preuve en est faite, ne devrait pas constituer une infraction » (transcription de l’audience, 16 juin 2004, dossier de la demanderesse aux pages 28 et 29). Lorsque l’avocat de la demanderesse lui a demandé de clarifier ce que cela voulait réellement dire relativement à la décision de suspension (qui, tel qu’il a déjà été mentionné, a été prise en vertu de l’alinéa 7.1(1)b) de la Loi), le conseiller a répondu que [traduction] « si, en fait, l’infraction n’est pas prouvée, la suspension sera alors effectivement annulée (ibid. à la page 29). La question de savoir si le conseiller avait raison ou tort en interprétant le droit de cette manière n’est pas en cause dans la présente instance, mais il y avait certainement lieu de s’attendre à ce que la validité de la suspension dépende d’une conclusion voulant que la demanderesse ait réellement commis les infractions en question. C’est sur cette prémisse fondamentale que l’audience a été conduite et que les parties ont présenté leur preuve et leurs observations au Tribunal.

 

[28]         L’agent chargé de présenter le dossier pour le défendeur a fait comparaître M. Jackson, l’agent d’enquête qui avait envoyé l’avis de suspension, et M. Dixon, l’autre inspecteur de Transports Canada qui avait examiné les RQCA de l’aéroport de Muskoka des mois d'août et de septembre 2003. Comme je l’ai déjà mentionné, ils ont conclu que l’aéronef avait fait plus d’heures de vol que ce qui était inscrit dans le carnet de route. Après en être arrivé à cette conclusion, M. Dixon a envoyé le dossier à M. David Bland, gestionnaire régional par intérim, Application des règlements de l’aéronautique pour la région de l’Ontario, à Transports Canada. Le défendeur a également fait comparaître Mme Tracy Kirkhus, responsable de NAV CANADA pour la station d’information de vol (FSS) de Toronto installée à l'aérogare de Buttonville située à Markham, en Ontario. L’installation de NAV CANADA à Buttonville utilise le service consultatif télécommandé d’aérodrome (RAAS) pour surveiller tous les mouvements des aéronefs à l’aéroport de Muskoka et pour consigner ces mouvements dans les RQCA. Mme Kirkhus a expliqué que l’aéroport de Muskoka n’avait pas de tour de contrôle avec un spécialiste de l’information de vol de NAV CANADA sur place, mais que les services consultatifs de météorologie et de circulation aérienne étaient dispensés par la FSS de Toronto, à Buttonville, au moyen du RAAS. Le spécialiste de l’information de vol de NAV CANADA, à Buttonville, surveille l’écran radar de l’aéroport de Muskoka et répond à tous les appels des aéronefs qui s’approchent pour atterrir et à tous les appels des aéronefs qui sont sur le point d’entrer dans l’aire de manœuvre (voies de circulation, pistes, etc.) de l’aéroport avant leur départ. Le spécialiste de l’information de vol enregistre dans le RQCA de l’aéroport de Muskoka tous les mouvements d’aéronefs qui résultent d’un appel radio. Mme Kirkhus a affirmé que certains écarts occasionnels dans les RQCA étaient imputables à la charge de travail ou à d’autres considérations opérationnelles. Elle a expliqué que NAV CANADA fait parvenir la première feuille du RQCA à Transports Canada. Trente jours plus tard, la première feuille est détruite. La deuxième feuille est envoyée au directeur de l’aéroport et la troisième, à Statistique Canada. Elle a dit que les feuilles des RQCA produites en l’espèce par le défendeur (pièces M-1 et M-2) ne semblaient pas avoir été altérées d’une quelconque façon. Le défendeur a également fait comparaître M. Steve Faulkner, directeur de l’aéroport de Muskoka. Il a témoigné qu’il recevait quotidiennement les télécopies des RQCA de NAV CANADA. Il a conservé les copies originales et les a apportées à l’audience. Il a comparé les originaux aux photocopies des RQCA admises en preuve comme pièces M-1 et M-2 et a constaté que les données ne présentaient aucune différence. M. Randy Miller, inspecteur de l’aviation civile de Transports Canada et technicien d’entretien d’aéronef agréé (TEA) a témoigné pour le défendeur. Il a déclaré avoir trouvé 34 inscriptions pour l’aéronef dans les RQCA de l’aéroport de Muskoka d’août et de septembre 2003, pour lesquelles il n’y a aucune inscription correspondante dans le carnet de route de l’aéronef. Il a témoigné qu’il n’était pas possible d’avoir un compte exact des temps de vol ou du temps dans les airs à partir des RQCA, mais il a laissé entendre que le temps dans les airs cumulatif non inscrit dans le carnet de route pouvait s’élever dans ce cas à 20 heures ou plus. Il a correspondu avec le représentant de la demanderesse, M. Sandro Ferrari, et l’a rencontré par la suite. Il a témoigné que M. Ferrari lui avait dit que le carnet de route était exact et que les RQCA contenaient des imprécisions et n’étaient donc pas fiables. À vrai dire, l’avocat de la demanderesse, au contre‑interrogatoire de M. Miller, a approfondi la prémisse voulant que des écarts importants soient contenus dans les RQCA. Il a donné cinq exemples pour justifier la prémisse voulant que les RQCA ne soient pas fiables et ne puissent être utilisés pour prouver les allégations du défendeur.

 

[29]         M. Ferrari n’a pas témoigné à l’audience. Cela dit, la demanderesse a fait comparaître un seul témoin, M. Claude Radley. Dans son témoignage, il a sérieusement mis en doute la fiabilité des RQCA. M. Radley était spécialiste de l’information de vol depuis 1970 et il travaillait à la FSS de Muskoka depuis 18 ans. Il a rempli des milliers de RQCA; ils constituaient toujours un élément non prioritaire. Il a expliqué que l’information initiale reçue du pilote était inscrite sur des « bandes » de contrôle de la circulation aérienne (ATC) et par la suite transférée sur le RQCA quand le temps le permettait. Il a affirmé dans son témoignage que l’exactitude des RQCA était « pour le moins douteuse ». Il a ajouté qu’ils étaient souvent « gonflés ». Il a expliqué que les spécialistes de l’information de vol effectuaient des inscriptions fausses ou erronées dans les RQCA pour « gonfler » la charge de travail. Ils justifient ainsi leur poste afin de maintenir les niveaux de dotation et de conserver leur emploi. Il a donné l’exemple de l’aéroport St. Catherines où cette pratique a eu lieu. Il a aussi dit qu’on gonflait les chiffres à la FSS de l’aéroport de Muskoka où il a travaillé jusqu’en 1996, soit jusqu'à la fermeture du service qui a été transféré à Buttonville. Il a fait remarquer que le RQCA de l’aéroport de Muskoka en date du 6 septembre 2003 signalait 56 mouvements d’aéronefs avec le commentaire [traduction] « s’ils ont effectivement eu lieu, c’est incroyable ». Il a émis l’hypothèse que c’était une preuve que les chiffres étaient gonflés. Par ailleurs, en contre‑interrogatoire, M. Radley a affirmé qu’il n’avait jamais gonflé les RQCA en 34 années de service. Il a dit qu’il ne travaillait pas à Buttonville pendant la période d’août à septembre 2003. Il a de plus dit qu’il n’était pas au courant que les inscriptions aux pièces M-1 et M-2 aient été gonflées.

[30]         Les deux décisions de révision et les motifs communs correspondant ont été prononcés par le Tribunal le 27 août 2004 (les décisions de révision). Premièrement, le Tribunal a conclu que la demanderesse avait contrevenu aux paragraphes 605.86(1) et 605.94(1) du RAC et il a maintenu les amendes imposées par le ministre (dossier no O-2997-41 du TATC). Deuxièmement, par suite de cette décision, le Tribunal a confirmé la suspension du document (dossier no O‑2988-10 du TATC).

 

[31]         Dans sa décision, le conseiller a adopté une démarche plutôt simple pour définir la seule question à trancher dans ce dossier comme étant celle de savoir « si l’aéronef C-FYTC a effectué des vols entre le 1er août 2003 et le 30 septembre 2003 qui n’ont pas été consignés dans le carnet de route de l’aéronef ». À vrai dire, il a noté que la preuve principale concernant l’allégation en question était « documentaire et contradictoire ». Par conséquent, il fallait décider lequel des deux documents était crédible : les RQCA de l’aéroport de Muskoka qui indiquent que l’aéronef a effectué de nombreux vols en août et septembre 2003, lesquels ne sont pas consignés dans le carnet de route, ou le carnet de route de l’aéronef, qui n’indique pas les présumés vols effectués. À cet égard, le conseiller était manifestement conscient du fait que, en l’espèce, il n’y avait « ni témoin oculaire des vols, ni preuve corroborante pour appuyer l’un ou l’autre ».

 

[32]         Dans sa décision, le conseiller a souligné que la cause de la demanderesse reposait sur la prémisse que les RQCA sur lesquels le ministre s’appuie pour la période en question n’étaient pas « exact[s], faible[s] ou crédible[s] ». Par conséquent, la demanderesse était d’avis que les RQCA ne devaient pas être admis en preuve parce que cette preuve par ouï‑dire porterait atteinte à l’équité procédurale et à la justice naturelle. Je tiens cependant à mentionner que tous les témoins ont reconnu que les RQCA ne peuvent servir à déterminer le temps dans les airs et, par conséquent, le conseiller a convenu, « pour les circonstances de cette affaire, que le temps dans les airs et le TAT ne peuvent être déterminés avec exactitude à partir de l’analyse des RQCA ». À cet égard, le conseiller a reconnu que le carnet de route est le seul dossier qui permet de comptabiliser le temps passé dans les airs par l’aéronef et d’indiquer à quel moment la maintenance prévue au manuel doit être effectuée par le titulaire de document.

 

[33]         Cependant, le conseiller a décidé que les RQCA (copies certifiées des originaux) pouvaient être admis en preuve et utilisés pour l’application de la loi sans corroboration. À vrai dire, il a convenu que les RQCA étaient admissibles en dépit des préoccupations du titulaire du document concernant le ouï‑dire : « En raison du fait que le titulaire d’un document a eu toutes les possibilités d’aborder la question des pièces et de se prononcer sur la preuve présentée dans cette cause de vive voix, je suis convaincu que l’admissibilité des RQCA ne porte pas atteinte à l’équité procédurale ni à la justice naturelle. » Il a également noté que le témoignage de M. Radley soulevait la question de savoir si certaines des inscriptions aux RQCA d'août et de septembre 2003 avaient été falsifiées. Toutefois, il a ajouté qu’il n’avait obtenu aucune preuve, de M. Radley ou de quiconque, que les inscriptions aux pièces M‑1 et M‑2 avaient été gonflées ou falsifiées. En conséquence, il a considéré qu’elles n’avaient été ni gonflées ni falsifiées.

 

[34]         L’essentiel des décisions de révision du conseiller à l’égard des deux décisions ministérielles à l’étude est énoncé dans les conclusions principales suivantes :

 

Pour les raisons indiquées, j’ai admis les RQCA en preuve. Le procureur du titulaire d’un document n’a pas contesté ni contre‑interrogé un témoin en rapport avec les 34 inscriptions aux onglets des pièces M‑1 et M‑2, lesquels sont des vols de l’aéronef C‑FYTC, selon les prétentions du ministre. La valeur des 34 inscriptions aux onglets n’a pas été contestée. Le titulaire d’un document n’a présenté aucune autre preuve corroborante que le carnet de route pour montrer que ces vols n’ont pas été effectués ou pour contester ces renseignements. Le titulaire d’un document n’a fourni aucune preuve de diligence raisonnable, d’applicabilité d’une exception ou d’une défense prévue à l’article 8.5 de la Loi sur l’aéronautique.

 

Je conclus selon la preuve qui est devant moi que les vols indiqués dans les RQCA, et effectués par l’aéronef C-FYTC, ont effectivement eu lieu. Je conclus de plus qu’il n’y avait pas d’inscriptions correspondantes consignées dans le carnet de route pour les 34 vols aux onglets des pièces M‑1 et M -2. Je considère donc que Sierra Fox Inc. a enfreint le paragraphe 605.94(1) du RAC à 34 reprises. Je considère de plus que Sierra Fox Inc. a enfreint l’alinéa 605.86(1)b) du RAC parce qu’elle a permis que l’aéronef C‑FYTC soit piloté alors que celui‑ci n’avait pas subi de maintenance conformément à son calendrier de maintenance approuvé.

 

Je considère donc que l’Avis de suspension du certificat de navigabilité de l’aéronef C-FYTC et l’Avis d’amende pour contravention en vertu du paragraphe 7.1(1)b) et de l’article 7.7 de la Loi sur l’aéronautique, respectivement, étaient des mesures appropriées dans les circonstances. [Non souligné dans l’original.]

 

[35]         La demanderesse a interjeté appel des deux décisions de révision.

 

   C) Décisions définitives du Tribunal

[36]         Les deux appels interjetés par la demanderesse ont été entendus le 21 janvier 2005 par un comité de trois membres composé du vice‑président, M. Allister Ogilvie, ainsi que des conseillers William H. Fellows et Frank Morgan, (le comité d’appel). Le comité d’appel n’a pas entendu de témoins ni accepté de nouvelles preuves. Toutefois, les deux parties ont fourni de longs arguments sur les questions de droit et d’équité procédurale soulevées dans l’instance. Les appels s’articulaient autour des questions d’admissibilité et de fiabilité de la preuve par ouï‑dire du défendeur. Le Tribunal a fait droit aux appels dans les deux dossiers le 31 mars 2005.

 

[37]         Le comité d’appel a convenu que les RQCA pouvaient être admis en preuve et utilisés pour l’application de la loi, mais il a maintenu que le fait d’accepter une preuve par ouï‑dire non corroborée comme unique source de preuve pour appuyer une allégation d’infraction constituait une erreur de droit. Je tiens à mentionner ici que l’allégation principale de l’avis de suspension énonce que « [l]a maintenance de l’aéronef n’avait pas été effectuée conformément au calendrier de maintenance approuvé prescrit par le RAC 605.86(1)b) ». Cette allégation repose sur l’hypothèse formulée par les inspecteurs, compte tenu des RQCA, selon laquelle, durant la période en question des « vols avaient été effectués et non inscrits dans le carnet de route d’aéronef ».

 

[38]         Revenons maintenant à la décision définitive du Tribunal. Le comité d’appel a reconnu que le Tribunal est exempté des règles techniques et juridiques de preuve par l’article 15 de la Loi sur le TATC. Cependant, il a ajouté : « Être exempté des règles techniques et juridiques de preuve ne signifie pas qu’aucune règle ne s’applique. » Dans la présente affaire, le comité d’appel a conclu que les pièces M-1 et M-2, les RQCA, constituaient du « ouï‑dire » étant donné que ce sont des déclarations écrites faites par des personnes, autrement que dans un témoignage pendant l’instance où elles sont présentées en preuve et font foi de leur contenu : John Sopinka, Sidney N. Lederman et Alan W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (Toronto: Butterworths, 1992), à la page 156. Cela dit, le comité d’appel a également conclu que cette preuve par ouï‑dire était pertinente parce que, si elle est vraie, elle servira à établir la base factuelle d’où peut découler l’infraction : « Par ailleurs, la valeur probante des divers éléments de preuve n’est pas toujours égale. »

 

[39]         Je note que les inspecteurs de Transports Canada n’avaient aucune preuve réelle ou directe que la maintenance de l’aéronef n’avait pas été effectuée conformément au plan de maintenance particulier. En l’espèce, les inspecteurs se sont servis des RQCA pour justifier la légalité des décisions de suspension et d’imposition des amendes prises par le ministre. Rien dans la preuve au dossier n’indique que M. Jackson et M. Dixon, les deux inspecteurs qui ont témoigné en révision devant M. Lockyer, ont procédé à une inspection matérielle de l’aéronef sur place. Après avoir examiné la jurisprudence applicable, le comité d’appel a noté que seule l’affaire Pizzardi (Ministre des Transports c. Richard Pizzardi et Donald Doyle, [1996] Dossier no O‑0494‑37 (TAC) « a accepté uniquement le ouï‑dire comme preuve suffisante d’une présumée contravention mais aucun motif d’une telle acceptation n’a été fourni ». En fait, selon le comité d’appel, « [d]ans la plupart des jurisprudences, on a considéré que le ouï‑dire en soi n’était pas une preuve suffisante d’une présumée infraction et un certain raisonnement était présenté ». Dans son analyse de la jurisprudence, l’appel citait un certain nombre de décisions rendues après l'affaire Pizzardi qui appuyaient sa conclusion : Ministre des Transports c. James Jeffrey Rowan, [1997] Dossier no A‑1500-33 (TAC); Ministre des Transports c. 641296 Ontario (North East Air Services), [1997] Dossier no O‑1342‑37; Ministre des Transports c. Paul George Daoust, [1999] Dossier no C‑1697‑33; Ministre des Transports c. Centre École de Parachutisme Para-Nord Inc., [2001] Dossier no Q‑2150-37; William R. Long c. Ministre des Transports, [2004] Dossier no O-2824-02 (TAC – appel).

 

[40]         Le comité d’appel a également conclu que l’acceptation de la preuve par ouï‑dire comme unique source de preuve pour appuyer une présumée contravention serait contraire aux principes d’équité et de justice naturelle que le Tribunal était tenu de respecter. Le comité d’appel a souligné que l’article 15 de la Loi sur le TATC prévoit expressément que les affaires dont le Tribunal traite doivent l’être rapidement et sans formalisme dans la mesure où les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent, tandis que l’article 16 de la Loi sur le TATC prescrit que le Tribunal a les pouvoirs conférés aux commissaires en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes, ce qui fait en sorte que les conseillers se voient à leur tour investis des pouvoirs d’assigner les témoins et d’exiger d’eux qu’ils témoignent sous serment ou affirmation solennelle : « Étant donné que les pièces des RQCA sont du ouï‑dire par nature, aucun témoin sous serment ou sous affirmation solennelle ne peut attester de la véracité de leur contenu. Le titulaire du document est privé de son droit, en vertu de la justice naturelle, de contre‑interroger quiconque sur la véracité de leur contenu. » Par conséquent, le comité d’appel a considéré que, lorsque la preuve est documentaire et contradictoire, une preuve corroborante est nécessaire. Il a en outre fait remarquer que, même si le ministre n’a pas présenté de preuve corroborante, cela ne signifiait pas que pareille preuve n’existait pas. Le comité d’appel a souligné le fait que, au cours de la vérification effectuée à l’école de pilotage de la demanderesse, les inspecteurs auraient eu accès à plusieurs dossiers tenus par l’école. Les éleves‑pilotes auraient pu être des « témoins oculaires » et « [m]ême les élèves‑pilotes sont requis, en vertu des règlements, de tenir des carnets de route, ce qui constitue sans doute une autre source de preuve corroborante ». Le comité d’appel a également dit que la jurisprudence révélait d’autres sources possibles de preuve corroborante, telles que les reçus de carburant pour prouver que l’aéronef avait véritablement volé aux dates précisées sur les RQCA.

 

[41]         Par conséquent, il s’est avéré en l’espèce que le ministre avait simplement omis de démontrer à la satisfaction du Tribunal que la demanderesse avait contrevenu aux paragraphes 605.86(1) et 605.94(1) du RAC durant la période en question. Par conséquent, les contraventions aux paragraphes 605.86(1) et 605.94(1) du RAC ont été rejetées (dossier du TATC no O‑2997‑41). De plus, la suspension du document d’aviation n’était pas une mesure appropriée et, par conséquent, le dossier a été renvoyé au ministre pour réexamen (dossier du TATC no O‑2988‑10). Tel qu’il a déjà été mentionné, les décisions d’appel et les motifs communs correspondant ont été prononcés le 31 mars  2005.

 

   D) Réexamen de la décision de suspension

[42]         En juin 2005, la demanderesse a reçu une lettre datée du 1er juin 2005 de Transports Canada, signée par M. Marquis Monfette, chef intérimaire, Opérations, Maintenance et Fabrication des aéronefs (l’avis de réexamen). M. Monfette n’a pas souscrit d’affidavit dans la présente instance. Dans son affidavit, Mme Beverlie Caminsky affirme que M. Monfette et deux autres personnes compétentes de Transports Canada ont été désignés pour examiner les circonstances ayant donné lieu à la suspension du document et pour faire des recommandations à l’« autorité responsable », en l’occurrence la personne désignée par le ministre. La Directive no 34 définit l’« autorité responsable » comme étant « une personne autorisée à exercer le pouvoir de réexamen du Ministre aux termes des paragraphes 7(9) ou 7.1(9) de la Loi sur l’aéronautique » (voir les paragraphes 10 à 16 de l’affidavit de Mme Beverlie Caminsky et la définition énoncée à la Directive no 34).

 

[43]         L’avis de réexamen informe la demanderesse de ce qui suit :

[traduction]

Un comité a été réuni à la direction générale de Transports Canada, en vertu de l’article 7.9 de la Loi sur l’aéronautique, pour réexaminer la décision d’appel du Tribunal d’appel des transports du Canada (TATC) dans le dossier Sierra Fox Inc. et du Ministre des Transports, dossier du TATC no O-2988-10.

 

Dans le cadre du processus de réexamen, vous êtes autorisé à présenter des observations pour communiquer des renseignements pertinents autres que ceux qui ont déjà été dévoilés au cours des audiences de révision et d’appel. Ces renseignements peuvent être présentés au comité en personne, par téléconférence fixée au préalable ou par écrit, au plus tard, dans tous les cas, le 17 juin 2005.

 

[44]         Au dire du représentant de la demanderesse, M. Ferrari, la lettre du 1er juin 2005 faisait suite à un appel téléphonique de M. Monfette qui avait eu lieu le jour précédent et qu’il a résumé comme suit au contre‑interrogatoire :

[traduction]

Premièrement, l’appel téléphonique m’a surpris, parce qu’il a dit qu’on lui avait demandé de réunir une équipe pour enquêter sur l’avis de suspension. Il a ajouté que trois membres avaient été désignés, que seuls deux d’entre eux étaient présents et qu’ils avaient alors commencé l’enquête sans le troisième membre. Il m’a demandé si j’avais de nouveaux éléments de preuve à soumettre et je lui ai répondu que « non » et que la seule preuve avait été présentée en révision. J’ai ajouté que, compte tenu de cette preuve, la suspension n’était pas valide.

 

Il m’a alors informé qu’ils n’étaient tenu de se plier à aucune décision d'un tribunal, qu’ils n’étaient pas obligés d’accepter un témoignage comme étant véridique et qu’ils n’étaient pas obligés d’accepter une preuve comme étant factuelle. C’est à peu près tout (dossier du défendeur à la page 58).

 

[45]         Le 15 juin 2005, ou vers cette date, par l’intermédiaire de son avocat, la demanderesse a répondu comme suit à l'avis de réexamen :

[traduction]

La présente fait suite à votre lettre du 1er juin 2005. Ma cliente a l’intention d’actionner Transports Canada pour les dommages qu’elle a subis à la suite de la poursuite malveillante de votre ministère, laquelle a en fin de compte été rejetée, à l'avantage de ma cliente. Au cours de cette instance criminelle, ma cliente a perdu la vente de son entreprise, l’aéronef (C-FYTC) dont le certificat de navigabilité a été suspendu s’est détérioré et ma cliente a perdu des revenus parce qu’elle n’était pas en mesure d’exploiter son entreprise de location et d’école de formation au sol. Elle n’a aucun intérêt à fournir d’autres renseignements. Le ministère a eu la possibilité d’inspecter et d’examiner les documents suivants :

 

1              les dossiers des élèves;

 

2              les feuilles de vols;

 

3              le carnet de route de l’aéronef C-FYTC.

 

 

[46]         Le 18 juin 2005 ou vers cette date, le comité de réexamen a présenté au délégué du ministre un rapport dans lequel il recommandait notamment que la suspension du certificat de navigabilité soit maintenue. Le comité de réexamen en était apparemment arrivé à cette décision en [traduction] « soupesant l’importance du carnet de route et celle des RQCA » et il a conclu que [traduction] « suivant la prépondérance des probabilités, il y avait plus de chances que, dans l’ensemble, les RQCA soient plus exacts que le carnet de route de l’aéronef ».

 

[47]         Le comité de réexamen a reconnu dans son rapport qu’il n’existait aucune preuve corroborante à l’égard des inscriptions faites dans les RQCA, lesquelles constituent du ouï‑dire par nature. Par ailleurs, même si les RQCA qui sont utilisés pour la facturation et d'autres besoins par NAV CANADA et Statistique Canada comportent des erreurs ou des omissions, [traduction] « il semblerait que le personnel de NAV CANADA n’a pas réellement de raisons de faire des fausses inscriptions aux RQCA, contrairement à l’exploitant d’un aéronef qui peut avoir des motifs d’omettre des inscriptions dans le carnet de route de l’aéronef en raison du coût de la maintenance liée aux heures de vol (entretien du moteur, entretien des cellules, remplacement et révision des pièces, etc.) ».

 

[48]         Le comité de réexamen a également conclu que [traduction] « [p]endant la période de deux mois en question, il pouvait être confirmé que l’aéronef avait volé sans exagération 3,5 fois plus d’heures que les heures de vol consignées ».

 

[49]         Dans son rapport, le comité de réexamen a également parlé d’une offre qui aurait été faite par le représentant de la demanderesse, M. Ferrari, le 31 mai 2005, suivant laquelle [traduction] « il était disposé à soumettre l’aéronef à l’inspection du plus haut niveau (1 000 heures) ». Les auteurs du rapport ont noté à cet égard que [traduction] « [n]ous n’en avons pas discuté puisque nous ne sommes pas le décideur et nous n’avons pas discuté de la révision des pièces ».

 

[50]         La question de l’inspection de 1000 heures a été soulevée au cours de la discussion que M. Monfette a eu avec M. Ferrari le 31 mai 2005, le jour avant l’envoi de l’avis de réexamen à la demanderesse. Dans son contre‑interrogatoire sur affidavit, M. Ferrari a mentionné ce qui suit à cet égard :

[traduction]

L’idée de l’inspection de 1000 heures est survenue et, en fait, cette idée est survenue avant la première révision, à l’occasion d’une conférence où j’ai proposé de faire une inspection de 1000 heures. Ils doutaient de la sécurité de l’aéronef pour voler et j’ai dit qu’une inspection de 1000 heures suffirait amplement à dissiper leurs doutes concernant la sécurité de l’aéronef. À ce moment‑là, c’était une occasion de régler la question; Transports Canada a rejeté l’offre et c’est de cette façon que l’inspection de 1000 heures a été évoquée. L’offre n’a jamais été refaite par la suite. C'est donc de cette façon que l'inspection de 1000 heures a été évoquée (dossier du défendeur, aux pages 58 et 59).

 

[51]         Cela dit, le comité de réexamen a noté dans la section des recommandations de son rapport que [traduction] « [l]e document de suspension n’énonce pas les conditions auxquelles il doit être satisfait pour la remise en vigueur ». Par conséquent, le comité de réexamen a recommandé au ministre que les [traduction] « conditions de remise en vigueur […] soient transmises par écrit au propriétaire » et que « [c]es conditions devraient présumer que l’aéronef a été utilisé pendant une période de temps importante sans que la maintenance requise n’ait été effectuée, c’est‑à‑dire que son historique de maintenance est incomplet en raison de ce qui équivaut à des écarts inconnus dans l’utilisation ». Le comité de réexamen a ensuite parlé du calendrier de maintenance approuvé. À cet égard, [traduction] « [l]e propriétaire de l’aéronef devrait être tenu de démontrer que l’aéronef est redevenu à jour dans son calendrier de maintenance avec une inspection au plus haut niveau spécifié dans le calendrier de maintenance approuvé ». Toutefois, le comité de réexamen a ajouté que [traduction] « [l]e calendrier de maintenance approuvé offre une certaine latitude pour des modifications avant que les mesures de maintenance requises ne soient entreprises ».

 

[52]         Le rapport préparé par le comité de réexamen n’a pas été transmis à la demanderesse pour qu’elle formule des observations avant que la décision contestée ne soit prise.

 

[53]         Le comité de réexamen a fait connaître sa décision environ 13 semaines après que le Tribunal eut rendu sa décision définitive dans le dossier. La décision contestée a pris la forme d'une lettre datée du 4 juillet 2005, signée par la déléguée du ministre, Mme Jacqueline Booth‑Bourdeau. Il semble y avoir une certaine confusion concernant la question ayant réellement fait l’objet du réexamen par le ministre. D’abord, la demanderesse a été avisée par écrit par la déléguée du ministre que [traduction] « la décision du ministre de suspendre le certificat d’organisme d’entretien agréé est maintenue » (pièce 1 au contre‑interrogatoire de Beverlie Caminsky).

 

[54]         Par ailleurs, dans la version corrigée transmise par télécopieur à la demanderesse le 4 juillet 2005 (pièce 3 au contre‑interrogatoire de Beverlie Caminsky), la lettre de la déléguée du ministre a été modifiée comme suit :

[traduction]

À la conclusion de l’instance devant le TATC, les membres du Tribunal ont renvoyé le dossier au ministre pour réexamen.

 

Comme l’exige la Directive de l’Aviation civile no 34, tous les dossiers renvoyés au ministre, en vertu du paragraphe 7.1(9) de la Loi sur l’aéronautique, doivent être réexaminés par un comité d’experts. Une équipe d’inspecteurs compétents en la matière a réexaminé votre dossier. Le procès‑verbal des délibérations du comité de réexamen est joint à l’annexe A.

 

Après avoir examiné les décisions de révision et d’appel du TATC, ainsi que la décision et la recommandation du comité de réexamen, j’ai décidé que la décision du ministre de suspendre le certificat de navigabilité de l’aéronef C-FYTC inscrit au Canada est maintenue. [Non souligné dans l’original.]

 

[55]         Une copie du soi‑disant [traduction] « procès‑verbal des délibérations du comité de réexamen » (rapport du comité de réexamen) a été jointe à la décision contestée.

 

III- MANQUEMENT À L’ÉQUITÉ PROCÉDURALE

 

[56]         La présente demande de contrôle judiciaire fait suite au refus du ministre d’annuler la décision de suspension après réexamen du dossier. La demanderesse a soulevé de nombreuses questions intéressant l’équité procédurale en l’espèce. Celles-ci couvrent trois aspects :

1)      la signification et le contenu de l’avis initial de suspension;

2)      la transparence et l’équité du processus de réexamen;

3)      l’utilisation de la preuve par ouï‑dire non corroborée.

 

[57]         Je vais examiner chacun de ces trois aspects l’un après l’autre.

 

   A) Signification et contenu de l’avis initial de suspension

[58]         La demanderesse allègue que, depuis le tout début, la procédure énoncée dans la Loi n’a pas été respectée par le défendeur. Premièrement, l’avis de suspension était plutôt incomplet car il [traduction] « ne précisait pas, n’exposait pas ou n’énumérait pas la ou les conditions pour lesquelles l’avis était délivré »,  contrairement au sous‑alinéa 7.1 (2)a)(ii) de la Loi. Deuxièmement, la signification de l’avis n’était pas conforme aux dispositions de la Loi puisque le défendeur [traduction] « prétendait suspendre le certificat de navigabilité de l’aéronef en transmettant l’avis par télécopieur à la demanderesse et en laissant un message dans la boîte vocale [du représentant de la demanderesse] l’informant que le certificat de navigabilité avait été suspendu ».

 

[59]         Je vais commencer par la question de la signification en faisant remarquer que le paragraphe 7.1(1) de la Loi exige que l’avis soit envoyé au titulaire du document ou au propriétaire, à l’exploitant ou à l’utilisateur de l’aéronef par « signification à personne ou par courrier recommandé ou certifié ». Par conséquent, le ministre ne se conforme pas aux exigences imposées par le paragraphe 7.1(1) s’il ne fait qu’envoyer une copie de l’avis par télécopieur et laisser un message dans une boîte vocale. Cela dit, la demanderesse a accusé réception de la décision de suspension par courrier recommandé daté du 3 novembre 2003. Qui plus est, le paragraphe 7.1(2.1) de la Loi prévoit que la décision du ministre de suspendre ou d’annuler un document d’aviation canadien prend effet dès réception par l’intéressé de l’avis ou à la date ultérieure précisée dans celui‑ci. Par conséquent, la décision de suspension ne pouvait pas juridiquement prendre effet le 31 octobre 2003, comme le précisait l’avis. Par contre, étant donné que les vices de procédure notés précédemment ne sont pas fatals – puisqu’il semble que le titulaire du document ait reçu l’avis de suspension par d’autres moyens – et que la demanderesse n’a subi aucun préjudice, je considère que la décision de suspension a réellement pris effet le 3 novembre 2003, soit la date à laquelle la demanderesse a accusé réception de l’avis de suspension.

 

[60]         La seconde préoccupation est liée au contenu de l’avis lui‑même; des éléments essentiels seraient manquants. L’objet général de l’avis est énoncé au sous‑alinéa 7.1(2)a)(ii) de la Loi, qui exige que le ministre précise « les conditions […] de maintien en état de validité — auxquelles, selon [lui], le titulaire ou l’aéronef, l’aéroport ou autre installation ne répond plus ». Dans la présente affaire, l’avis de suspension énonce clairement le motif pour lequel la décision de suspension a été prise en premier lieu, à savoir que, selon le ministre, « [l]a maintenance de l’aéronef n’avait pas été effectuée conformément au calendrier de maintenance approuvé prescrit par le RAC 605.86(1)b) ». Cela dit, une lecture plus attentive des détails contenus dans l’avis permet de confirmer que la décision de suspension a été effectivement prise parce que des « vols avaient été effectués et non inscrits dans le carnet de route d’aéronef ». Par conséquent, étant donné que la demanderesse avait prétendument contrevenu à l’article 605.86 du RAC, l’aéronef ne répondait plus « aux conditions […] de maintien en état de validité ». Il importe de souligner en l’espèce que la décision de suspension n’a pas été prise par le défendeur au motif qu’il existait « un danger immédiat ou probable pour la sécurité ou la sûreté aérienne » (ce qui est le cas lorsqu’une décision de suspension est prise en vertu de l’article 7 de la Loi), mais bien parce que la contravention alléguée et le défaut d’inscrire certains vols dans le carnet de route ont donné lieu à des [traduction] « écarts [qui] ont entraîné des résultats de temps dans les airs inexacts », comme l’avis de suspension l’explique. Même si l’avis de suspension n’indiquait pas expressément quels étaient ces « écarts », il est devenu apparent pour la demanderesse au cours de la procédure devant le Tribunal que le défendeur s’appuyait en fait sur environ 34 inscriptions contenues dans les RQCA de l’aéroport de Muskoka pour les mois d’août et de septembre 2003, pour lesquelles il n’y avait aucune entrée correspondante au carnet de route de l’aéronef. Toutefois, l’utilisation de cette preuve par ouï‑dire non corroborée a été juridiquement mise en doute et la demanderesse soulève maintenant cette question comme motif particulier pour faire annuler la décision contestée qui, encore une fois, repose sur cette même preuve par ouï‑dire que le comité d’appel du Tribunal n’a pas cru fiable, tel qu’il a été expliqué précédemment.

 

[61]         À l’audience devant de la Cour, l’avocat du défendeur a soumis que la légalité de la décision de suspension ne dépendait pas du fait que l’avis de suspension aurait dû énoncer les conditions particulières auxquelles il devait être satisfait pour que le ministre lève la suspension. Il n’est pas nécessaire de trancher cette question. Je ferai remarquer seulement que, le 3 novembre 2005, le défendeur a envoyé à la demanderesse une copie de l’avis original de suspension délivré le 31 octobre 2003, ainsi qu’une « annexe » qui était censée clarifier les conditions requises pour rétablir le certificat de navigabilité de l’aéronef. Cette lettre a été rédigée exactement deux ans après la décision de suspension eut pris effet (la demanderesse aurait maintenant le droit, en vertu du paragraphe 8.3(1) de la Loi de demander au ministre que la mention de suspension soit rayée du dossier et cette demande devra être acceptée à moins que le ministre n’estime que « ce serait contraire aux intérêts de la sécurité ou de la sûreté aérienne ».)

 

   B) Transparence et équité du processus de réexamen

[62]         L’avis de réexamen ne fait pas mention de la Directive de l’Aviation civile no 34. L’avocat du défendeur a reconnu à l’audience de la présente demande que le fait d’avoir invoqué l’article 7.9 de la Loi dans l’avis de réexamen était une erreur et peut‑être même trompeur. En fait, l’article 7.9 de la Loi prévoit que, lorsque le destinataire de l’avis établissant le montant de l’amende en vertu du paragraphe 7.7(1) paie le montant précisé, le ministre accepte ce paiement en règlement de l’amende imposée à l’égard de la contravention alléguée dans l’avis et « aucune poursuite ne peut être intentée par la suite au titre de la présente partie contre l’intéressé pour la même contravention ». Mais, en l’espèce, les amendes imposées par le ministre avaient déjà été annulées par le Tribunal le 31 mars 2005. À la suite d’une demande présentée par l’avocat du défendeur vers la fin du contre‑interrogatoire sur affidavit de M. Ferrari, le 6 avril 2006, l’avocat de la demanderesse a déclaré que, lorsqu’il a lu la lettre du 1er juin 2005, il [traduction] « ne comprenait pas en quoi [l’article] 7.9 [de la Loi] avait quelque chose à voir avec la question en litige », mais qu’il n’avait pas cherché à en savoir davantage [traduction] « parce que [M. Ferrari] a dit au membre du comité qui a appelé qu’il n’y avait pas d’autres éléments de preuve que ceux au dossier » (dossier du défendeur, aux pages 60 et 61).

 

[63]         De plus, les raisons justifiant le maintien de [traduction] « la décision du ministre de suspendre le certificat de navigabilité de l’aéronef C-FYTC enregistré au Canada » qui étaient mentionnées dans la lettre modifiée du 4 juillet 2005, ne comportent pas de détails quant à la preuve et aux facteurs pris en compte par le décideur, en l’occurrence la personne déléguée par le ministre, Mme Booth‑Bourdeau. Toutefois, je suis disposé à accepter l’argument du défendeur suivant lequel, conformément à la Directive no 34, les motifs justifiant le maintien de la suspension se trouvent dans le rapport du comité de réexamen puisque la déléguée a apparemment décidé d'accepter la recommandation suivant laquelle la [traduction] « suspension devrait rester en vigueur ». Par ailleurs, je note que la décision de la déléguée du ministre ne cerne pas ce qui semble être un autre aspect important du rapport du comité de réexamen, à savoir quel serait le degré de maintenance requis auquel la demanderesse devrait se conformer dans le cadre du « calendrier de maintenance approuvé ». Il ne ressort pas clairement que la déléguée du ministre était en accord ou en désaccord avec les recommandations particulières faites par le comité de réexamen à cet égard. Le défaut d’aborder cette question dans la décision contestée a certainement des répercussions sur la transparence du processus.

 

[64]         Je fais remarquer à cette étape‑ci que les motifs du comité de réexamen justifiant l’acceptation des RQCA sont semblables ou identiques à ceux qui avaient été exposés antérieurement par le conseiller du Tribunal qui avait siégé seul. Par ailleurs, en ce qui a trait à la conclusion particulière selon laquelle l’aéronef avait volé 3,5 fois plus d’heures que les heures de vol consignées durant la période en question, il ne ressort pas clairement à la lecture du rapport rédigé par le comité de réexamen sur quelle preuve documentaire ou testimoniale cette hypothèse factuelle très importante se fondait. Cela dit, cette conclusion semble s’écarter nettement de la conclusion tirée antérieurement par le conseiller siégeant seul selon laquelle « [t]ous les témoins ont convenu que, pour diverses raisons, les RQCA ne peuvent servir à déterminer le temps dans les airs ». Le rapport mentionne également les noms de Mike Bird, Mel Bushby, Denis Paré, en plus de celui de Mark Dixon qui a témoigné antérieurement, ce qui soulève des doutes sérieux sur l’apport exact de ces personnes au processus de prise de décision. Nous ne savons également pas ce que ces personnes ont dit aux membres du comité de réexamen.

 

[65]         Il n’y a aucun élément de preuve au dossier qui démontre que la demanderesse était au courant de la politique énoncée à la Directive no 34 relativement aux demandes de réexamen. Puisque le représentant de la demanderesse, M. Ferrari, n’avait pas témoigné devant le Tribunal, le défendeur avait l’obligation de lui donner la possibilité de soumettre des renseignements pertinents sur les inscriptions faites par la demanderesse dans le carnet de route. L’équité procédurale exigeait également que la demanderesse ait également la possibilité de réagir à toute preuve additionnelle sur laquelle le défendeur entendait s’appuyer. L’avis qui lui a été envoyé était incomplet et trompeur. Il semble que, durant le processus de réexamen, des personnes qui n’avaient pas été des témoins aient été jointes et interrogées en l’absence de la demanderesse. Qui plus est, la demanderesse ne s’est pas vu offrir la possibilité de faire des observations sur le rapport et les recommandations faites par le comité de réexamen avant que la déléguée du ministre ne prenne la décision définitive. Par conséquent, je considère que le processus suivi par le défendeur pour prendre la décision contestée était loin d’être juste et transparent. Cette conclusion suffirait, à mon avis, à faire annuler la décision contestée et renvoyer le dossier au ministre, mais je vais néanmoins examiner la question de l’utilisation de la preuve par ouï‑dire non corroborée par le ministre dans les circonstances de l’espèce.

 

   C) Utilisation de la preuve par ouï‑dire non corroborée

 

[66]         Dans la présente affaire, il n’est pas contesté que le ministre avait l’obligation d’examiner toute la preuve pertinente, ce qui incluait certainement tous les éléments de preuve admissibles présentés antérieurement au Tribunal. Le droit du ministre de fonder la décision contestée uniquement sur la preuve par ouï‑dire que le Tribunal n’a pas cru fiable en l'absence d’une preuve corroborante est l’une question en litige de la présente affaire. Il n’est pas nécessaire de déterminer, en l’absence d’une décision du Tribunal, si le ministre peut, de façon générale, prendre une décision en se fondant sur de la preuve par ouï‑dire. En l’espèce, la question du ouï‑dire doit être examinée strictement du point de vue des attentes légitimes lorsqu’une décision du Tribunal a été rendue à l’égard des questions de preuve et d’équité procédurale.

 

[67]         Le défendeur évoque comme argument principal en l’espèce que la décision contestée était discrétionnaire et qu’elle pouvait être fondée sur une preuve par ouï‑dire non corroborée, malgré le fait que le Tribunal ait considéré que cette preuve n’était pas fiable. À mon avis, cet argument résulte d’une mauvaise interprétation de la Loi sur l’aéronautique qui doit être lue en corrélation avec la Loi sur le TATC et ne saurait résister à une analyse de celles‑ci.

 

[68]         La Cour a déclaré dans l’affaire Kiss, précitée, au paragraphe 31, que « le régime législatif accorde au ministre un grand pouvoir discrétionnaire pour protéger l’intérêt public ». En pratique, ce pouvoir discrétionnaire ministériel se manifeste lui‑même dans le pouvoir discrétionnaire ressortissant aux inspecteurs de Transports Canada pour déterminer les mesures particulières, les amendes ou les autres moyens d’application de la loi ou de poursuite qui seront pris au nom du ministre à l’endroit d’un titulaire de document, d’un propriétaire, d’un exploitation ou d’un utilisateur d’aéronef qui ne se répond pas aux exigences de la Loi ou du RAC (Swanson, précité, à la page 414 et aux pages 424 à 426 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Woods (2003), 223 F.T.R. 298, aux paragraphes 13 à 15, 26 et 29 (C.F.)). Je souligne que l’obligation de consigner les données d’un vol dans le carnet de route est une question très sérieuse. Tout manquement à l’obligation d'inscrire dans le carnet de route chacun des vols et le temps dans les airs correspondant peut désorganiser le calendrier de maintenance et le rendre impossible à suivre. Dans la présente affaire, aucune accusation criminelle n’a été déposée contre la demanderesse en vertu de l’article 7.3 de la Loi pour le défaut allégué d’inscrire durant la période en question certains vols dans le carnet de route. En outre, un comité d’appel du Tribunal, dans une décision définitive, a rejeté les allégations du ministre suivant lesquelles la demanderesse a contrevenu aux paragraphes 605.86(1) et 605.94(1) du RAC durant la période en question.

 

[69]         Le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre ou à son délégué de suspendre ou d’annuler un document d’aviation n’est pas absolu et ne peut être exercé que pour un motif mentionné dans la disposition applicable de la Loi. En l’espèce, tel qu’il a été précisé dans l’avis de suspension, le certificat de navigabilité de l’aéronef a été suspendu en premier lieu parce que le ministre avait prétendument des éléments de preuve ou des motifs lui permettant de croire que « [l]a maintenance de l’aéronef n’avait pas été effectuée conformément au calendrier de maintenance approuvé prescrit par le RAC 605.85(1)b) ». Même si le pouvoir de révoquer ou de maintenir la suspension du document appartient exclusivement au ministre, l’article 21 de la Loi sur le TATC prévoit expressément que « [l]a décision rendue en appel par un comité du Tribunal est définitive et lie les parties ». Il s’est avéré que la preuve à partir de laquelle la décision de suspension aurait été prise sous l’autorité de l’alinéa 7(1)b) de la Loi était du ouï‑dire par nature. Le comité d’appel du Tribunal a conclu à cet égard que, si la preuve est documentaire et contradictoire, comme en l’espèce lorsque le carnet de route est comparé aux RQCA, une preuve corroborative est requise. Par conséquent, la demanderesse était en droit de s’attendre à ce que, à la suite de la décision du comité d’appel de renvoyer le dossier de la suspension pour réexamen, le ministre aurait à établir une preuve corroborative pour compléter les RQCA s’il désirait maintenir sa première conclusion suivant laquelle la maintenance de l’aéronef n’avait pas été effectuée conformément au calendrier de maintenance approuvé tel que prescrit par l’alinéa  605.85(1)b) du RAC.

 

[70]         Je conclus que le titulaire du document se trouverait dans une situation inacceptable s’il était loisible au ministre de reconsidérer une décision de suspension prise antérieurement sans tenir compte de la décision définitive du Tribunal ou du principe en question, en l’occurrence l’acceptation de la preuve par ouï‑dire non corroborée à l’appui d’une allégation de contravention au RAC (que le ministre a invoqué comme motif pour suspendre le certificat de navigabilité de l’aéronef et pour imposer les amendes à la demanderesse). Il doit exister des motifs argumentatifs très convaincants pour ne pas suivre une décision définitive ayant force exécutoire. Le défendeur n’a pas allégué que le Tribunal n’a pas tenu compte d’une disposition législative ou d’une décision qui aurait dû être suivie quant à l’utilisation et aux conditions d’utilisation de la preuve par ouï‑dire. Les observations laconiques contenues au rapport du comité de réexamen concernant l’incidence de la décision du comité d’appel et les motifs insuffisants de la décision contestée prise par la déléguée du ministre sont loin de constituer une justification. Si j’acceptais l’argument du défendeur en l’espèce, une décision du Tribunal n’aurait aucune finalité d’un point de vue juridique, ce qui serait contraire à l’intention du Parlement qui est clairement exprimée dans la Loi sur le TATC. Il en résulterait également un sentiment d’injustice pour les parties qui s’attendent à ce qu’une décision rendue par un comité d’appel du Tribunal sur un point de droit, y compris une question de justice naturelle, soit contraignante et définitive. En fait, en l’espèce, l’erreur de droit et la violation d’un principe de justice naturelle dont il est question dans la décision du comité d’appel du Tribunal constituaient les raisons mêmes expliquant pourquoi ce dernier a rejeté les allégations de contravention et retourné le dossier de la suspension au ministre pour réexamen.

 

 

IV- CONCLUSION

 

[71]         En résumé, j’ai conclu que le ministre joue un rôle important dans le secteur de l’aéronautique et qu’il doit s’assurer de la sécurité des aéronefs et du transport aérien. La décision de suspension revêt une importance capitale pour la demanderesse, ses propriétaires et ses employés et elle a entravé sa capacité à faire des affaires. Après un examen approfondi du dossier par un tribunal quasi judiciaire, le ministre s’est vu ordonner de réexaminer la décision de suspension. La décision prise par le comité d’appel du Tribunal était une décision définitive et elle n’a pas été annulée par la Cour.

 

[72]         J'ai également conclu que le processus de réexamen doit être juste et transparent. Les décisions prises par le ministre sont de nature factuelle et doivent être fondée sur la preuve. Dans la présente affaire, le comité de réexamen n’était pas habilité à prendre une décision définitive, mais seulement à faire une recommandation à la déléguée du ministre. La demanderesse avait le droit de présenter de la preuve et des observations sur toute nouvelle preuve prise en compte par le ministre. Le comité de réexamen en l’espèce a communiqué avec des personnes qui n’ont jamais témoigné devant le Tribunal et il n’y a aucun moyen d’établir ce que ces personnes ont réellement dit au comité de réexamen. En outre, la demanderesse ne s’est pas vu accorder la possibilité de formuler des observations sur le rapport et les recommandations du comité de réexamen avant que la déléguée du ministre ne prenne la décision finale.

 

[73]         J’ai également conclu que le carnet de route fait preuve de son contenu, en l’absence d’une preuve contraire. En l’espèce, la déléguée du ministre a décidé de maintenir la suspension en se fondant sur la preuve contenue au rapport suivant laquelle [traduction] « [p]endant la période de deux mois en question, il pouvait être confirmé que l’aéronef avait volé sans exagération 3,5 fois plus d’heures que les heures de vol consignées ». Cette conclusion s’appuie sur la même preuve par ouï‑dire que le comité d’appel du Tribunal n’a pas cru fiable. La demanderesse était en droit de s’attendre à ce que le ministre n’accepte pas de preuve par ouï‑dire non corroborée durant le processus de réexamen. La décision définitive rendue par le Tribunal à cet égard n’a pas été annulée par la Cour et elle doit être maintenue.

 

[74]         Par conséquent, j’ai conclu que le défendeur a manqué au principe de justice naturelle ou d’équité procédurale. La décision contestée devrait être annulée et le dossier devrait être renvoyé pour réexamen par un autre comité de réexamen et un autre délégué du ministre. Compte tenu du résultat de la présente procédure, la demanderesse a droit à ses dépens contre le défendeur.

 


 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                    La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens contre le défendeur.

 

2.                    La décision du 4 juillet 2005, prise au nom du ministre, qui maintenait la décision initiale du ministre de suspendre le certificat de navigabilité de l’aéronef est annulée et le dossier est renvoyé pour réexamen à un autre comité de réexamen et un autre délégué du ministre.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-48-06

 

INTITULÉ :                                                   SIERRA FOX INC.

                                                                        c.

            LE MINISTRE FÉDÉRAL DES          TRANSPORTS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 12 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 6 FÉVRIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

William J. Leslie                                                        POUR LA DEMANDERESSE

 

Shelley C. Quinn                                                       POUR LE DÉFENDEUR

                                                                               

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :              

 

Stewart, Esten                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)                                    

 

John H. Sims, c.r.                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada                  

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.