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Date : 20070205

Dossier : T-371-05

Référence : 2007 CF 121

Ottawa (Ontario), le 5 février 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

DANIEL BEDADA

demandeur

et

 

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               À l’exception des immigrants visés par une mesure de renvoi, presque toutes les autres personnes détenues sont admissibles à la semi-liberté ou à l’absence temporaire sans escorte avant d’être admissibles à la liberté conditionnelle totale. De façon générale, le délinquant est admissible à la liberté conditionnelle totale après avoir purgé un tiers (⅓) de sa peine, mais peut être admissible à la semi-liberté avant l’expiration de cette période. Une récente modification apportées aux dispositions législatives pertinentes a eu pour effet d’empêcher à un immigrant détenu de présenter une demande de semi-liberté pouvant être examinée sans audience ou selon toute autre modalité applicable aux détenus qui se trouvent dans des circonstances semblables.

 

[2]               Dans le présent contrôle judiciaire, la question en litige est de savoir si les dispositions actuelles qui empêchent les personnes visées par une mesure de renvoi (expulsion) de demander la semi-liberté vont à l’encontre des articles 7, 9 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

 

[3]               Actuellement, le paragraphe 128(4) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la LSCMLC) interdit à un immigrant détenu de demander la semi-liberté avant d’être admissible à la libération conditionnelle totale. Dès que le détenu devient admissible à la libération conditionnelle totale, la mesure de renvoi devient généralement exécutoire et il est expulsé. Le paragraphe 128(4) est ainsi rédigé :

128 (4) Malgré la présente loi ou la Loi sur les prisons et les maisons de correction, l’admissibilité à la libération conditionnelle totale de quiconque est visé par une mesure de renvoi au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est préalable à l’admissibilité à la semi-liberté ou à l’absence temporaire sans escorte.

128. (4) Despite this Act or the Prisons and Reformatories Act, an offender against whom a removal order has been made under the Immigration and Refugee Protection Act is ineligible for day parole or an unescorted temporary absence until the offender is eligible for full parole.

 

II.         CONTEXTE

[4]               Le demandeur est un citoyen de l’Éthiopie qui a obtenu le statut de résident permanent le 1er janvier 2001. Il a plaidé coupable à un chef d’accusation d’entrave à la justice et reçu une peine de 24 mois d’emprisonnement. Il a également été déclaré coupable de plusieurs infractions moins graves, notamment de fraude et de fabrication de preuve. Il a été condamné à purger au total une peine d’emprisonnement de quatre ans et quatre mois.

 

[5]               On lui avait dit initialement qu’il serait admissible à la semi-liberté le 27 février 2005 et à la liberté conditionnelle totale le 17 novembre 2005.

 

[6]               Le 14 décembre 2004, la Section de l’immigration a ordonné l’expulsion du demandeur sur le fondement de sa condamnation en vertu d’un loi fédérale à une peine d’emprisonnement de plus de six (6) mois.

 

[7]               Le 6 janvier 2005, un agent de libération conditionnelle a informé le demandeur que, compte tenu de la mesure d’expulsion pesant contre lui, sa date d’admissibilité à la semi-liberté avait été remplacée par celle de son admissibilité à la liberté conditionnelle totale prévue pour le 17 novembre 2005 en application du paragraphe 128(4) de la LSCMLC.

 

[8]               Le ministre a lancé un mandat d’arrestation au titre du paragraphe 55(1) de la  Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) qu’il a justifié par l’existence de motifs raisonnables de croire que le demandeur était interdit de territoire et qu’il constitue un danger pour la sécurité publique ou se soustrairait vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi.

 

[9]               En vertu de l’article 59 de la LIPR, lorsqu’un mandat est délivré, le responsable de l’établissement où la personne est détenue est tenu de la remettre à l’agent à l’expiration de la période de détention. Ainsi, la personne peut faire l’objet d’un renvoi dès qu’elle obtient une libération conditionnelle totale.

 

[10]           C’est ce qui semble s’être produit en l’espèce. Le demandeur n’a pas obtenu la semi-liberté; il a été mis en liberté conditionnelle totale et expulsé. Il se trouve actuellement à l’extérieur du pays et les décisions rendues dans la présente affaire ne le toucheront pas.

 

[11]           Il importe de souligner que la semi-liberté et l’absence temporaire sans escorte peuvent être demandées par certains délinquants immigrants qui ont obtenu de la Cour ou de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi dont ils font l’objet.

 

[12]           Le demandeur prétend que le paragraphe 128(4) de la LSCMLC porte atteinte aux articles 9 ou 7 et à l’article 15 de la Charte et qu’il n’est pas justifié au regard de l’article premier. Il a de vive voix modifié la demande par laquelle il cherche à faire déclarer inopérants les paragraphes 128(4) à 128(7) de la LSCMLC et demande à la Cour de considérer comme faisant implicitement partie du paragraphe 59 de la LIPR le texte en italiques suivant :

Lorsqu’un mandat d’arrestation d’un résident permanent ou d’un étranger détenu, au titre d’une autre loi, est délivré au titre de la présente loi,

 

a)   les motifs justifiant la détention font l’objet du contrôle visé à l’article 57 dans les meilleurs délais après l’obtention d’une semi-liberté ou d’une absence temporaire sans escorte et, par la suite, tous les six mois jusqu’à l’expiration de la peine,

 

b)   le responsable de l’établissement où est détenue la personne visée par le mandat est tenu de la remettre à l’agent à l’expiration de la période de détention.

 

III.       ANALYSE

[13]           Compte tenu du fait que le défendeur n’a pas présenté de requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire pour des motifs de caractère théorique, la Cour a soulevé la question auprès des avocats. Les parties étaient prêtes à débattre le bien-fondé de la demande et souhaitaient obtenir de la Cour une décision sur la contestation fondée sur la Charte, mais cette dernière n’est pas disposée à se prononcer sur la question pour les motifs suivants.

 

[14]           Dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, la Cour suprême a précisé davantage la doctrine du caractère théorique qui relève du principe général en vertu duquel un tribunal peut refuser de trancher une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite. Lorsqu’une question relative au caractère théorique est soulevée, la Cour doit se demander : (1) si le différend qui opposait les parties a disparu; et (2) le cas échéant, si la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire?

 

[15]           En exerçant son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’appel (le même principe s’applique dans le cas d’un contrôle judiciaire), la Cour doit examiner la raison d’être de la doctrine du caractère théorique :

1)         De façon générale, l’existence d’un litige actuel donne l’assurance que l’affaire sera pleinement débattue. Dans les présentes circonstances, il n’est pas contesté que M. Matas a plaidé l’affaire d’une manière exhaustive et comme s’il existait un litige actuel mettant en cause son client. Le seul élément qui aurait pu être abordé mais qui ne l’a pas été avait trait aux intérêts des intervenants éventuels étant donné que les questions étaient susceptibles d’avoir une incidence sur diverses catégories d’immigrants.

2)         Il convient de consacrer les ressources judiciaires aux litiges urgents. En l’espèce, les ressources ont été dépensées et la Cour était en mesure de rendre jugement.

3)         La Cour doit être consciente de sa fonction véritable étant donné que le fait de prononcer un jugement en l’absence d’un litige peut empiéter sur la fonction législative. Ce raisonnement est particulièrement pertinent. Le demandeur veut que la Cour considère certains mots comme faisant implicitement partie de l’article 59 de la LIPR certains mots de  manière à supprimer le vice constitutionnel dont est entaché le libellé actuel.

 

[16]           Dans l’arrêt Phillips c. Nouvelle‑Écosse (Commission d'enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97, la Cour suprême a développé le raisonnement adopté dans l’arrêt Borowski. Elle a conclu, aux paragraphes 5 et 9 à 12, qu’il convient de ne pas se prononcer sur des points de droit lorsqu'il n'est pas nécessaire de le faire pour régler le pourvoi. Cela est particulièrement vrai quand il s'agit de questions constitutionnelles, surtout si le fondement de la procédure qui a été engagée a cessé d'exister.

 

[17]           Dans le cas qui nous occupe, le fondement même de la demande du demandeur, à savoir le droit de demander la semi-liberté, s’est éteint lorsqu’il a été expulsé du Canada.

 

[18]           Il ne s’agit pas d’une question qui ne peut être soumise à la Cour que dans des circonstances hypothétiques, du fait que l’urgence de la situation dans laquelle elle se présente rend impossible l’obtention d’un jugement en temps opportun.

 

[19]           Particulièrement dans les litiges relatifs à une incarcération, la Cour peut inscrire une affaire au rôle pour audition dans un bref délai. Les questions sont claires, les principes invoqués sont assez bien énoncés. Cela ne veut pas dire que, dans des circonstances de ce genre, leur application est facile, mais que la Cour peut statuer sur l’affaire de façon raisonnablement expéditive.

 

[20]           Je suis donc d’avis qu’il convient de ne pas trancher les questions touchant la Charte et d’écarter ainsi la possibilité d’ajouter du texte à un article de loi, sauf dans les situations où les parties en subissent un effet concret.

 

[21]           Pour ces motifs, la Cour décide d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas se prononcer sur la question qui lui a été soumise. Comme le défendeur n’a pas soulevé l’argument du caractère théorique, il n’a pas droit à ses dépens.

 

[22]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE QUE la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée sans dépens en raison de son caractère théorique.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            T-371-05

 

INTITULÉ :                                                                           DANIEL BEDADA

                                                                                                c.

                                                                                                LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 22 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                  Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 5 février 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

 

                    POUR LE DEMANDEUR

Scott D. Farlinger

 

                  POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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