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Date : 20070202

Dossier : T-1075-06

Référence : 2007 CF 119

Ottawa (Ontario), le 2 février 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

 

ENTRE :

 

LA CONSTABLE SHARON THOMPSON

demanderesse

et

 

LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, à l'encontre d'une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), datée du 4 mai 2006, par laquelle la Commission a refusé de statuer sur la plainte que la demanderesse a logée contre la défenderesse, la Gendarmerie royale du Canada (la GRC), en vertu de l’alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la Loi).

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis convaincu que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

 

L’HISTORIQUE

[3]               La constable Sharon Thompson (la demanderesse) est membre de la GRC depuis 1986. Entre décembre 1997 et juin 2002, la demanderesse était affectée au Groupe de la répression du crime organisé de l’Europe de l’Est qui a été fusionné avec l’Unité mixte d’enquête sur le crime organisé. Le surintendant principal Benedetto Soave était l'officier responsable des deux unités pendant les périodes pertinentes.

 

[4]               Le 1er octobre 2004, la demanderesse a déposé une plainte officielle de harcèlement à l'encontre du surintendant principal Soave, et ce, en vertu de l'article 40 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R‑10. Dans sa plainte, la demanderesse alléguait qu'elle était victime de harcèlement dans son milieu de travail en raison des gestes posés par le surintendant principal Soave alors qu'elle était sous ses ordres. Celui-ci l'a touchée à de nombreuses reprises, sans son consentement, et ce, malgré qu’elle lui eût demandé de mettre fin à ce comportement.

 

[5]               Une enquête a été entreprise en octobre 2004. Un rapport provisoire a été rédigé et communiqué à la demanderesse le 13 décembre 2004. La demanderesse déclare qu' on lui a dit à ce moment-là que sa plainte était fondée et que des procédures à l'encontre du surintendant principal Soave seraient instituées par la voie de mesures disciplinaires graves. Dès le lendemain, soit le 14 décembre 2004, le surintendant principal Soave annonçait son intention de prendre sa retraite à compter du 27 avril 2005.

 

[6]               L'enquête sur la plainte de la demanderesse s'est poursuivie et un rapport final a été remis au commissaire adjoint Séguin le 1er avril 2005. Le rapport concluait que toutes les allégations étaient fondées et que des mesures disciplinaires graves devraient être prises contre le surintendant principal Soave.

 

[7]               Le 27 avril 2005, le surintendant principal Soave a pris sa retraite de la GRC sans qu'aucune mesure disciplinaire n'ait été prise contre lui. Au cours du printemps et de l'été de 2005, l'avocate de la demanderesse a écrit à la GRC pour se renseigner sur les mesures qui étaient prises en réponse aux allégations fondées de harcèlement. Le 4 août 2005, la demanderesse a reçu une lettre du commissaire adjoint Séguin l'informant que la GRC n'avait pas l'intention de prendre d'autres mesures dans cette affaire.

 

[8]               Le 9 septembre 2005, la demanderesse a déposé une plainte auprès de la Commission, contre à la fois la GRC et M. Benedetto Soave, alléguant qu'elle avait fait l'objet de harcèlement et de discrimination dans son milieu de travail en raison de son sexe. En ce qui a trait à la GRC plus précisément, elle a allégué que son omission de prendre des mesures correctives après avoir conclu que sa plainte était fondée, constituait en soi une violation de la Loi.

 

LA Décision faisant l'objet du PRÉSENT contrôle

[9]               Dans sa décision datée du 24 mai 2006, la Commission a refusé de statuer sur la plainte déposée par la demanderesse contre la GRC (dossier de la Commission n° 20052548) et contre M. Benedetto Soave (dossier de la Commission n° 20060002), au motif que la plainte était fondée sur des omissions ou des actes dont le dernier s'était produit plus d'un an avant le dépôt de la plainte. Aucune autre explication n'a été fournie. Puisque la plainte a été rejetée en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi à la suite d'une recommandation du directeur des services préalables au dépôt des plaintes, aucune enquête n'a été entreprise sur le bien-fondé de la plainte.

 

[10]           Dans la présente demande, la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission de refuser de statuer sur sa plainte contre la GRC.

 

LA QUESTION à examiner

[11]           La seule question à examiner en l'espèce est celle de savoir si la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant la plainte de la demanderesse contre la GRC pour le motif prévu à l'alinéa 41(1)e) de la Loi?

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

 

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

 

14. (1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

14. (1) It is a discriminatory practice,

a) lors de la fourniture de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public;

(a) in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public,

b) lors de la fourniture de locaux commerciaux ou de logements;

(b) in the provision of commercial premises or residential accommodation, or

c) en matière d’emploi.

(c) in matters related to employment,

to harass an individual on a prohibited ground of discrimination.

(2) Pour l’application du paragraphe (1) et sans qu’en soit limitée la portée générale, le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite.

 

(2) Without limiting the generality of subsection (1), sexual harassment shall, for the purposes of that subsection, be deemed to be harassment on a prohibited ground of discrimination.

 

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

[...]

 

[...]

 

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[12]           Dans la décision Price c. Concord Transportation Inc., [2003] A.C.F. no 1201, 2003 CF 946 aux paragraphes 37 à 42, la juge Elizabeth Heneghan a utilisé la méthode pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable à une décision rendue par la Commission en vertu de l'alinéa 41(1)e) de la Loi. Elle a écrit ce qui suit :

[37] En l'espèce, l'objet du régime législatif instauré par la Loi est d'empêcher la discrimination et de prévoir des recours en cas de discrimination. La Loi apporte toutefois certaines réserves à ce principe par le jeu de diverses dispositions qui comportent des mécanismes d'examen préalable destinés à assujettir l'admissibilité des plaintes à certaines conditions. Ainsi, l'alinéa 41(1)e), qui nous intéresse particulièrement en l'espèce, précise que la plainte doit être formulée dans le délai prescrit.

[38] La raison d'être des délais de prescription prévus dans tout texte législatif est de permettre de recueillir des éléments de preuve crédibles, de garantir une certaine certitude au défendeur et une célérité raisonnable de la part du demandeur. Le législateur fédéral a reconnu qu'il importait de fixer des délais de prescription pour accélérer le traitement des plaintes et pour assurer l'équité pour la personne appelée à répondre à des accusations de discrimination. Qui plus est, à l'alinéa 41(1)e), le législateur a reconnu qu'il n'y avait pas lieu de fixer un délai absolu. La compétence spécialisée qu'exerce la Commission en tant qu'arbitre des faits est mise à contribution de manière juste et appropriée par le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré et qui lui permet d'accorder le délai supérieur qu'elle « estime indiqué dans les circonstances ».

[39] La Loi ne comporte pas de clause privative. Il faut tenir compte du rôle que joue la décision prise en vertu du paragraphe 41(1) dans l'économie de la Loi, c'est-à-dire servir de mécanisme d'examen préalable visant à déclarer irrecevables les plaintes dont l'examen ne devrait pas être poursuivi, pour les diverses raisons énumérées dans la Loi. En raison de la nature de la décision à l'examen, il y a lieu d'appliquer une norme de contrôle faisant appel à un plus grand degré de retenue.

 

 

[40] Voici par ailleurs les propos qu'a tenus la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Bell Canada, [[1998] F.C.J. No. 1609] précité, au paragraphe 38, au sujet de la latitude accordée à la Commission à l'article 41 ainsi que dans d'autres dispositions de la Loi, pour lui permettre de procéder à un examen préalable des plaintes dont elle est saisie :

 

 

 

La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l'exécution de sa fonction d'examen préalable au moment de la réception d'un rapport d'enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 41 et 44 regorgent d'expressions comme « à son avis », « devrait », « normalement ouverts », « pourrait avantageusement être instruite », « des circonstances », « estime indiqué dans les circonstances », qui ne laissent aucun doute quant à l'intention du législateur. Les motifs de renvoi à une autre autorité [...] [paragraphe 44(2), alinéa 44(3)a) ou alinéa 44(3)b)] comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d'opinion [...] mais on peut dire sans risque de se tromper qu'en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.

La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l'exécution de sa fonction d'examen préalable au moment de la réception d'un rapport d'enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 41 et 44 regorgent d'expressions comme « à son avis », « devrait », « normalement ouverts », « pourrait avantageusement être instruite », « des circonstances », « estime indiqué dans les circonstances », qui ne laissent aucun doute quant à l'intention du législateur. Les motifs de renvoi à une autre autorité [...] [paragraphe 44(2), alinéa 44(3)a) ou alinéa 44(3)b)] comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d'opinion [...] mais on peut dire sans risque de se tromper qu'en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.

 

 

 

[41] Finalement, il est de jurisprudence constante que la Commission exerce une compétence spécialisée en tant qu'arbitre des faits (voir l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, 1993 CanLII 164 (C.S.C.), [1993] 1 R.C.S. 554). Or, les décisions visées à l'alinéa 41(1)e) relèvent parfaitement de cette compétence. Voilà une autre raison de faire preuve de retenue envers la décision de la Commission.

 

 

[42] Par conséquent, suivant l'analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle qui s'applique dans le cas d'une décision prise par la Commission en vertu de l'alinéa 41(1)e) de refuser de statuer sur une plainte remontant à plus d'un an est une norme qui commande la retenue de la Cour, en l'occurrence la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

 

[13]           Le raisonnement de la juge Heneghan dans la décision Price a été appliqué dans des décisions ultérieures de la Cour (voir à titre d'exemple Dupéré c. Canada (Chambre des communes), [2006] A.C.F. no 1262, 2006 CF 997 au paragraphe 52). La demanderesse soutient qu'il existe une distinction entre la jurisprudence existante et les faits de l’espèce. Dans la décision Price par exemple, il s’agissait de savoir si la Commission avait erré en n'exerçant pas son pouvoir discrétionnaire de statuer sur la plainte, même si elle avait été déposée hors délai. Dans la décision Dupéré, la décision de la Commission a été déclarée manifestement déraisonnable parce qu’elle était fondée sur le rapport d'un enquêteur regorgeant d'erreurs factuelles. En l'espèce, il s'agit de savoir si la Commission a évalué de manière appropriée les éléments de preuves factuelles dont elle était saisie avant de rendre sa décision. Comme il s'agit essentiellement d'une question de fait, je conclus que le raisonnement suivi dans la décision Price est tout à fait pertinent et je ne vois aucunement le besoin de faire une distinction avec les faits de l'espèce.

 

[14]           Par conséquent, je ne vois aucun motif d'effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle indépendante. Je choisis plutôt d'adopter la conclusion de la juge Heneghan dans la décision Price selon laquelle la norme de contrôle pertinente est la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

LA Requête préliminaire

[15]           La demanderesse a déposé tardivement une requête en radiation de documents inclus dans le cahier des lois et règlements de la défenderesse et des paragraphes 18 et 20 de l'exposé des faits et du droit de la défenderesse.

 

[16]           Ni le dossier de requête de la demanderesse ni celui de la défenderesse ne respectaient l'alinéa 364(2)e) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-1-6.

 

[17]           Toutefois, j'ai examiné les documents déposés et, à mon avis, la requête doit être rejetée. Les documents que la demanderesse veut faire radier sont les « Consignes du commissaire sur les conflits interpersonnels et harcèlement en milieu de travail » de la GRC et les « Enquêtes liées au Code de déontologie », également de la GRC. Ces deux documents étaient en vigueur au moment où la Commission a rendu sa décision.

 

[18]           De plus, ces documents n'ont qu’une incidence accessoire sur la question particulière dont la Cour est saisie. Ainsi, aucune partie ne subit de préjudice suite à la conservation de ces documents au dossier.

 

[19]           En conséquence, la requête de la demanderesse est rejetée, sans dépens.

 

L’ANALYSE

[20]           Tel que mentionné ci-dessus, la seule question à examiner en l'espèce est celle de savoir si la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant la plainte de la demanderesse contre la GRC en application de l'alinéa 41(1)e) de la Loi.

 

[21]           Le libellé du paragraphe 41(1) de la Loi n'est aucunement ambigu. Il prévoit que la Commission « statue sur toute plainte », à moins que l'une des conditions figurant aux alinéas a) à e) ne soit remplie. Comme le juge Andrew W. Mackay l'a mentionné au paragraphe 16 de la décision qu’il a rendue dans Société de développement du Cap-Breton c. Hynes, [1999] A.C.F. n340, (1999) 164 F.T.R. 32 :

Il faut souligner également que la décision en cause est de nature préliminaire. La Commission doit accepter de statuer sur toute plainte présentée, en vertu de l'article 41, sauf dans les circonstances exceptionnelles énoncées aux alinéas a) à e) dudit article. Lorsqu'une plainte est déposée plus d'un an après les faits qui lui donnent naissance, la Commission est tenue, en vertu du paragraphe e), de décider si elle y donnera suite ou non. Même si elle décide de donner suite, il s'agit d'une décision préliminaire à la nomination d'un enquêteur chargé d'examiner la plainte. Il ne s'agit pas ici d'une décision sur le bien-fondé de la plainte.

 

[22]           Tandis que le paragraphe 41(1) de la Loi ne garantit aucun résultat en particulier, il énonce clairement que la Commission est légalement tenue de faire enquête, à moins que la plainte ne soit visée par un des motifs énumérés aux alinéas a) à e). En l'espèce, en décidant de ne pas entreprendre d'enquête, la Commission s'est fondée sur l'alinéa 41(1)e), lequel énonce ce qui suit :

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 

[23]           De plus, la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Société canadienne des postes c. Canada (Commission des droits de la personne), [1997] A.C.F. no 578, 130 F.T.R. 241, a statué au paragraphe 3 que comme la décision rendue en vertu de l’article 41 « de déclarer la plainte irrecevable clôt le dossier sommairement avant que la plainte ne fasse l'objet d'une enquête, la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable à cette étape que dans les cas les plus évidents. »

 

[24]           Il semble à la Cour que décider si une plainte a été déposée hors délai est un exercice relativement aisé. Il est nécessaire d'identifier les actes ou les omissions sur lesquels repose la plainte et la date à laquelle ils ont prétendument eu lieu, puis de déterminer s'ils se sont produits dans l'année précédant le dépôt de la plainte auprès de la Commission. Comme l'a indiqué la demanderesse, la détermination de la date où les actes discriminatoires allégués dans le processus d’examen préliminaire ont été commis est faite en fonction des renseignements figurant dans la plainte écrite et dans les prétentions écrites des parties. Il n'y a donc aucun témoignage à entendre et la Commission n'a pas à apprécier la crédibilité des témoins. La défenderesse reconnaît ce qui précède et déclare dans son exposé qu'une décision rendue en vertu de l'alinéa 41(1)e) de la Loi est un exercice purement factuel.

 

[25]           La plainte de la demanderesse comprenait une allégation de harcèlement sexuel de la part du surintendant principal Soave, et cette allégation était fondée sur une série d'événements qui ont eu lieu entre 1997 et 2002. Comme la plainte a été déposée en septembre 2005, la Commission pouvait à bon droit refuser d'enquêter sur les allégations formulées contre M. Soave, au motif que les actes allégués s'étaient produits plus d'un an avant le dépôt de la plainte.

 

[26]           Toutefois, le deuxième volet de la plainte déposée par la demanderesse concernait l'omission de la GRC de prendre les mesures correctives appropriées, après avoir fait enquête sur les allégations de harcèlement sexuel et en avoir déterminé le bien-fondé. Plus particulièrement, la GRC a permis au surintendant principal Soave de prendre sa retraite de la GRC sans subir aucune mesure disciplinaire et lui a permis de continuer à la représenter après sa retraite. Ainsi, la demanderesse allègue que la GRC a manqué à ses obligations à titre d’employeur en vertu de l’article 7 de la Loi. Cette omission d’agir s’est manifestée par l’absence de prise de mesures disciplinaires contre le surintendant principal Soave à la suite de la publication du rapport d’avril 2005 et de la lettre du commissaire adjoint Séguin du 4 août 2005, informant la demanderesse que la GRC n’avait pas l’intention de prendre d’autres mesures dans cette affaire. Ces allégations contre la GRC étaient clairement formulées aux paragraphes 21 et 22 du formulaire de plainte de la demanderesse et étaient répétées plus en détail dans les lettres datées du 23 février 2006 et du 27 avril 2006 envoyées à la Commission par l’avocat de la demanderesse. Comme les actes et les omissions allégués ont eu lieu au printemps et à l’été de 2005, ils se situent clairement dans la période d’un an précédant le dépôt de la plainte en septembre 2005.

 

[27]           Dans une lettre adressée à la Commission et datée du 10 avril 2006, Tabatha Tranquilla, conseillère en matière de droits de la personne auprès de la GRC, déclarait que le rapport final présenté au commissaire adjoint Séguin concluait que toutes les allégations étaient fondées et que des mesures disciplinaires graves devraient être prises contre le surintendant principal Soave. La lettre confirmait également la date du début de l’enquête, de même que celle de la publication du rapport final. Toutefois, Mme Tranquilla soulignait que puisque le surintendant principal Soave avait démissionné avant qu’aucune mesure disciplinaire ne soit prise contre lui, la GRC n’avait plus compétence pour prendre des mesures disciplinaires et ne pouvait donc plus prendre aucune mesure contre lui.

 

[28]           Qu’une enquête de la Commission sur la présente plainte aurait très bien pu révéler que la GRC était en fait impuissante à agir en temps opportun n’est pas pertinent en l’espèce. En effet,aucune enquête sur le bien-fondé de la plainte n'a jamais été entreprise par la Commission, laquelle a rejeté la plainte pour le seul motif technique que les allégations formulées contre la GRC étaient hors délai, puisqu'elles étaient fondées sur des actes ou des omissions dont le dernier s'était produit plus d'un an avant la réception de la plainte.

 

[29]           La demanderesse soutient, et je suis du même avis, que compte tenu des renseignements dont disposait la Commission, il n'y avait aucun fondement rationnel en vertu duquel elle pouvait décider que la plainte déposée contre la GRC était hors délai, puisque les actes et les omissions allégués se sont clairement produits moins d'une année avant le dépôt de la plainte. À ce titre, je conclus que la décision de la Commission était manifestement déraisonnable et qu’elle doit être annulée.

 

 

JUGEMENT

 

1.                  La demande est accueillie.

2.                  La question est renvoyée à la Commission qui est tenue de statuer sur la plainte à la lumière des présents motifs.

3.                  Les dépens sont adjugés en faveur de la demanderesse.

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1075-06

 

INTITULÉ :                                       LA CONSTABLE SHARON THOMPSON

                                                            c.

                                                            LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 30 JANVIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 2 FÉVRIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Caroline V. Jones

 

POUR LA DEMANDERESSE

Gillian Patterson

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Palliare Roland

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

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