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Date : 20070202

Dossier : IMM-1177-06

Référence : 2007 CF 118

Ottawa (Ontario), le 2 février 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER

 

ENTRE :

ATEF BOTROS

MONA KHALIL

demandeurs

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sont des chrétiens coptes d’Alexandrie, en Égypte. Ils demandent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié leur a refusé la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger parce qu’elle a jugé : i) que leur récit était invraisemblable; ii) qu’ils pouvaient demander la protection de l’État et iii) qu’ils avaient une possibilité de refuge intérieur (la PRI) au Caire.

 

[2]               Les demandeurs ont soulevé de nombreuses questions dans leurs observations écrites, contestant toutes les conclusions de la SPR, sans exception.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la Cour est convaincue que la conclusion de la SPR quant à l’existence d’une PRI est valide et ne comporte aucune erreur susceptible de contrôle. Ainsi, comme il a été précisé à l’audience, même si la Cour reconnaît que les conclusions quant à la crédibilité d’Atef Botros et à l’existence de la protection de l’État comportent de nombreuses erreurs, celles-ci ne sont pas suffisantes pour justifier l’annulation de la décision.

 

[4]               Enfin, la Cour conclut qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale lorsque la SPR a décidé d’appliquer les Directives no 7 dans la présente affaire. Une question doit toutefois être certifiée à cet égard.

 

Analyse

[5]               Les parties s’accordent pour dire que la question de l’existence d’une PRI a été soulevée, à juste titre, par la SPR au début de l’audience. Il n’est également pas contesté que la question de savoir s’il existe une PRI viable est essentiellement une question de fait. À ce titre, il est de droit constant que la norme de contrôle applicable à la décision de la SPR est celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[6]               Pour ce qui est de la question de l’équité procédurale, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle. De façon générale, la Cour interviendra s’il y a manquement à l’obligation d’agir équitablement (Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 C.A.F. 49, [2004] 3 R.C.F. 195; Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 C.A.F. 404, [2005] A.C.F. no 2056 (QL)).

 

PRI

[7]               Comme il a déjà été mentionné, il n’est pas allégué que la SPR a appliqué un mauvais critère lors de son analyse relative à la PRI. Les demandeurs plaident plutôt que l’analyse de la SPR des explications d’Atef Botros exposant les raisons pour lesquelles il ne pouvait être en sécurité au Caire était trop succincte et que la SPR a omis de faire référence à certains extraits de la preuve documentaire volumineuse dont elle disposait qui corroboraient le témoignage d’Atef Botros.

 

[8]               Plus particulièrement, les demandeurs ont renvoyé aux trois extraits suivants : i) la page 600 du dossier certifié se rapportant, selon le demandeur, à une personne se trouvant dans une situation similaire (un prêtre de la religion chrétienne copte figurant sur la liste noire du [traduction] « Groupe islamique »); ii) la page 9 d’un exposé sur l'Église copte chrétienne de Rachad Antonios présenté à la SPR le 10 mai 2001 (figurant dans l’annexe au mémoire complémentaire des demandeurs); iii) les pages 440 et suivantes d’un document d’AmnIstie Internationale daté de septembre 1998, intitulé « Égypte : les tueries doivent cesser – un engagement clair des groupes armés est crucial ».

 

[9]               En premier lieu, il convient de souligner qu’aucun de ces extraits n’a été expressément porté à l’attention de la SPR lors de l’audience.

 

[10]           En deuxième lieu, en ce qui concerne le premier document, Atef Botros n’a jamais affirmé qu’il était ou se croyait inscrit sur une liste noire. En fait, lors de la discussion au sujet de la possibilité de refuge intérieur, son avocat a tenu les propos suivants, reproduits à la page 805, aux lignes 24 à 42 :

 

[traduction] […] Cela ne veut pas dire que les gens du Jamaat-e Islami recherchent activement le demandeur. Ce dernier a probablement disparu de leur écran radar. Pendant un certain temps, il fallait battre le fer pendant qu’il était chaud et il y avait des choses qui se passaient, qui venaient de se passer, on le recherchait activement, mais j’ose affirmer que ce n’est pas ce qu’ils font à l’heure actuelle. Cependant, s’il retourne, le ciel l’en préserve, et qu’on le trouve, on se souviendrait certainement de lui. C’est impossible, mais impossible, qu’ils disent tout simplement, et bien, oublions ce qui s’est passé, il y a deux ou trois ans ou plus. Il n’y a absolument aucune raison; il serait ridicule de le prétendre.

 

Si jamais ils apprenaient qu’il est de retour en Égypte, on finirait par le trouver, car même s’il ne vivait ni au Caire, ni à Alexandrie, mais dans une région plus au Nord, tôt ou tard, on finirait par découvrir qui il est, quel est son nom, d’où il vient…

[Non souligné dans l’original.]

 

 

            Dans ce contexte, la SPR n’avait aucune bonne raison de mentionner, de façon expresse, de la personne dont il est question à la page 600, d’autant plus qu’il n’est même pas clair que cet autre incident impliquait la même organisation extrémiste.

 

[11]           En troisième lieu, bien que l’expression [traduction]  « bien organisé » soit utilisée à la page 9 du deuxième document énuméré ci-dessus, le Jamaat-e Islami n’est pas en mesure d’intervenir partout en Égypte ou de repérer une personne peu importe où elle se trouve au pays. Cet extrait ne se rapporte pas directement à la question soulevée par Atef Botros dans son témoignage.

 

[12]           Le troisième document fait état de nombreux meurtres commis, entre 1992 et 1997, par deux groupes armés particuliers appelés al-Gama’a al-islamiya et al-Jihad de l’arrestation en masse par le gouvernement égyptien de gens soupçonnés d’être membres ou sympathisants de ces groupes et de la torture infligée à des détenus islamistes. On y constate également que ces deux groupes exercent leurs activités principalement dans la Haute-Égypte; il n’est donc pas du tout évident qu’ils sont liés à l’organisation qui recherche Atef Botros et son épouse Mona Khalil.

 

[13]           Il est de droit constant que la SPR est réputée avoir examiné toute la preuve dont elle dispose. Compte tenu de la nature, ainsi que de la pertinence et de la valeur probante relatives des documents auxquels renvoient les demandeurs, la Cour n’est pas disposée à conclure que le fait que la SPR n’a pas mentionnée expressément les trois documents en question signifie qu’elle a effectivement omis de les examiner, voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL).

 

[14]           La SPR disposait d'éléments de preuve qui établissaient que les demandeurs avaient vécu pendant une courte période au Caire à la résidence de l’oncle de Mona Khalil sans éprouver de problème, soit, de la [traduction]  « fin de juin jusqu’au début d’août », et que, depuis leur départ de l’Égypte, le groupe persécuteur ne s’était pas renseigné au sujet de leurs allées et venues auprès de l’oncle en question au Caire. En fait, il semble que même en 2005 on cherchait toujours le demandeur à Alexandrie.

 

[15]           Il a été reconnu que le Caire est une très grande ville qui compte plus de 7 millions d’habitants et qui est située à 200 kilomètres d’Alexandrie. Étant donné ces circonstances et la preuve dont elle disposait, il n’était ni absurde ni illogique de la part de la SPR de conclure que les demandeurs avaient une PRI valable au Caire.

 

[16]           En outre, la Cour est convaincue que la SPR a adéquatement examiné le témoignage d’Atef Botros sur ce point.

 

Équité procédurale

[17]           L’avocat des demandeurs a écrit à la SPR avant l’audience pour obtenir la permission d’interroger son client en premier. La question de l’application des Directives no 7 a été soulevée une fois de plus au début de l’audience. L’avocat des demandeurs a ensuite clairement indiqué que sa demande n’était pas fondée sur des circonstances particulières entourant les demandeurs, mais que c’était plutôt l’application des Directives no 7 en tant que telle qui donnait lieu à un manquement à l’obligation de la SPR d’agir équitablement.

 

[18]           La SPR s’est prononcée en ces termes (dossier certifié, page 696) :

[traduction] […] vous avez indiqué que vous ne vous fondez sur aucune circonstance particulière mais, dans de nombreux cas, j’ai autorisé une inversion des interrogatoires et, de façon générale, la justification tourne autour de questions délicates relatives à la demande proprement dite, comme des questions liées au sexe, à l’état émotionnel du demandeur et, nous ne sommes pas, c’est-à-dire, le tribunal n'est pas lié par les règles de preuve.

 

Ainsi, dans les cas où j’estime que le demandeur serait plus à l’aise si son avocat était le premier à l’interroger, je trancherais donc nettement en ce sens, mais la loi prévoit, prévoit seulement la possibilité de produire des éléments de preuve et d’interroger des témoins et, par conséquent, je suis d’avis qu’il conviendrait, dans la présente affaire, de se conformer à l’ordre des interrogatoires établi par les Directives, puisqu’il ne semble exister aucune circonstance exceptionnelle en ce qui concerne les demandeurs.

 

 

[19]           Compte tenu de ce qui précède, la Cour est convaincue que la SPR savait fort bien que l’application des Directives no 7 n’était pas obligatoire et qu’elle a dûment exercé son pouvoir discrétionnaire vu les faits de l'espèce. Rien ne prouve que les directives en question ont entravé l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la SPR.

 

[20]           De plus, comme dans le jugement Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 C.F. 461, [2006] A.C.F. no 631 (QL), la preuve en l'espèce ne révèle aucune vulnérabilité particulière susceptible de rendre difficile le témoignage d’Atef Botros. Personne n’a soulevé d’allégations de partialité ou d’irrégularités quant à l’interrogatoire.

 

[21]           Ainsi, il ne reste que l’assertion selon laquelle les demandeurs avaient un droit absolu d’amorcer l’audience par un interrogatoire principal.

 

[22]           Dans des affaires où elle a déjà examiné la question, la Cour fédérale a toujours statué que le fait pour un demandeur de pouvoir bénéficier d’une audience en présence de son avocat et du droit de formuler oralement des observations satisfait pleinement à l’exigence relative au droit de participation requis par l'obligation d’agir équitablement, et que les Directives no 7 ne constituent pas, à elles seules, un manquement à cette obligation (voir notamment le jugement Benitez, précité, aux paragraphes 2 à 84, 128, 237, et le jugement Cortez Silva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 C.F. 738, [2005] A.C.F. no 920 (QL), aux paragraphes 13 à 27).

 

[23]           Dans le cas qui nous occupe, la Cour est convaincue que les demandeurs ont eu la possibilité de faire valoir pleinement tous les faits à l’appui de leurs demandes. Il n'y a pas eu manquement à l'équité procédurale.

 

Crédibilité et protection de l’État

[24]           Bien que la présente demande soit rejetée, il importe de souligner une fois de plus, étant donné que cela pourrait avoir une incidence sur l’examen d’autres demandes (comme l’ERAR) qui pourraient être présentées dans l’avenir par les demandeurs, que les conclusions de la SPR au sujet de la crédibilité des demandeurs et de l’existence d’une protection de l’État sont erronées et qu’on ne devrait pas se fonder sur elles.

 

[25]           Entre autres choses, la SPR s’est complètement trompée dans son interprétation du certificat médical fourni par le demandeur, ainsi que du témoignage de celui-ci au sujet des événements auxquels le certificat en question se rapportait. Elle a aussi omis d’examiner le témoignage de la belle-mère d’Atef Botros présenté pour corroborer une partie du récit qui avait été jugée invraisemblable. La conclusion d’invraisemblance était elle-même fondée sur des inférences douteuses, notamment, la prémisse selon laquelle il n’était pas vraisemblable que la famille chrétienne copte de l’une des jeunes femmes enlevées n’ait pas porté plainte à la police avant de se rendre à son église pour demander de l’aide. Pourtant, la preuve documentaire indiquait que des familles se trouvant dans une situation semblable avaient fait l’objet de harcèlement de la part du gouvernement et de la police, ce qui n’a pas été pris en compte.

 

[26]           En ce qui concerne la protection de l’État, l’analyse effectuée n’est pas suffisamment détaillée et ne se rapporte pas à la situation personnelle des demandeurs. Par exemple, la SPR a tenu compte dans son analyse du fait que le demandeur avait omis d’informer la police de l’enlèvement. Cet enlèvement n’avait absolument rien à voir avec le propre besoin de protection du demandeur.  La question de savoir si la police était en mesure de protéger la jeune femme victime d’enlèvement à qui Atef Botros a apporté son aide n’est pas pertinente lorsqu’il s’agit de juger de la capacité de l’État d’assurer la protection du demandeur.

 

[27]           Dans leur mémoire, les demandeurs ont demandé à la Cour de certifier toutes les questions qui ont été certifiées dans le jugement Benitez, précité. À l’audience, ils ont convenu que seulement les deux premières questions pouvaient être pertinentes en l’espèce, lesquelles sont les suivantes :

1)      Les Directives no 7, prises en vertu du pouvoir du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, contreviennent-elles aux principes de justice fondamentale consacrés par l’article 7 de la Charte des droits et libertés en limitant indûment le droit d’un demandeur d’asile d’être entendu et son droit à un procureur?

 

2)      L’application des paragraphes 19 et 23 des Directives no 7 prises par le président contrevient-elle aux principes de justice naturelle?

                               

 

[28]           La Cour prend acte du fait que le défendeur a dit qu’à son avis le droit est clair sur ce point, mais qu’il a reconnu que la Cour d’appel fédérale n’a pas encore eu l’occasion de se pencher sur ces questions.

 

[29]           Tout comme le juge Richard Mosley, la Cour conclut que ces questions ont une portée générale et qu’elles pourraient être déterminantes. Il convient également d’employer des termes uniformes dans la formulation des questions certifiées.

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

1.      La demande soit rejetée.

2.      Les questions suivantes soient certifiées :

 

a)      Les Directives no 7, prises en vertu du pouvoir du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, contreviennent-elles aux principes de justice fondamentale consacrés par l’article 7 de la Charte des droits et libertés en limitant indûment le droit d’un demandeur d’asile d’être entendu et son droit à un procureur?

 

b)      L’application des paragraphes 19 et 23 des Directives no 7 prises par le président contrevient-elle aux principes de justice naturelle?

 

 

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-1177-06

 

INTITULÉ :                                                                ATEF BOTROS

MONA KHALIL

                                                                                    c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 23 JANVIER 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                          LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                                               LE 2 FÉVRIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jack C. Martin

 

      POUR LES DEMANDEURS

Judy Michaely

 

                 POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRTIS AU DOSSIER :

 

Jack C. Martin

Avocat

Toronto (Ontario)

 

   POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.                                FOR APPLICANT

Sous-procureur général du Canada                                                              

 

                 POUR LE DÉFENDEUR

 

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