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Date : 20070129

Dossier : IMM-1685-06

Référence : 2007 CF 98

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

REINALDO TRUJILLO SARRIA

demandeur

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        M. Sarria a présenté une demande de protection en vertu de l’article 112 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).  Il a allégué qu’il courrait un risque en Colombie en raison de ses activités étudiantes exercées en 1971. En rejetant sa demande, une agente chargée de l’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) a conclu que le demandeur ne serait pas personnellement exposé à un risque en Colombie et qu’il n'avait pas réussi à réfuter la présomption relative à la protection de l'État.

 

[2]        M. Sarria sollicite le contrôle judiciaire d’une décision relative à l’ERAR et soutient que, comme la décision était fondée sur des conclusions défavorables quant à sa crédibilité, il aurait dû obtenir le droit à une audience. Il prétend qu’il y a eu manquement à l'équité procédurale.

 

[3]        J’arrive à la conclusion qu’une audience n’était pas requise étant donné que la crédibilité n’était pas en cause. Les conclusions de l’agente d’ERAR étaient raisonnables et ne doivent pas être modifiées.

 

Faits

[4]        M. Sarria est un citoyen de la Colombie âgé de 53 ans. Son épouse, ses deux filles et son petit-fils sont des citoyens canadiens.  M. Sarria vit au Canada depuis 1974, année à laquelle il est arrivée au pays avec ses parents.  Il est devenu résident permanent en 1985. Il a travaillé comme opérateur de presse dans une imprimerie et comme disc-jockey à temps partiel.  Il a des antécédents d'abus d'alcool ou d'autres drogues.

 

[5]        Il a été déclaré coupable de conduite avec facultés affaiblies en 1986, 1990 et 1993.  Il a aussi été déclaré coupable de possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic en 1989 et encore en 2004. Il a été condamné à des peines d’emprisonnement de deux ans et demi et de 35 mois respectivement pour les infractions liées à la drogue. Sa dernière condamnation a donné lieu à une ordonnance d’expulsion.

 

[6]        M. Sarria a fait une demande d'ERAR et a soutenu qu’il serait exposé au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé en Colombie. Dans ce pays, il a participé à des marches et des protestations à l’époque où il était étudiant.  Ces activités ont entraîné sa détention pendant laquelle il a été agressé sexuellement et physiquement par des membres du corps de police de Cali. Après sa libération, sa famille a quitté la Colombie pour le Canada.

 

[7]        M. Sarria a allégué que cette détention est à l’origine de la dépression dont il souffre depuis des années. La consommation d’alcool et de drogues lui a permis de s’autotraiter et d’effacer ses souvenirs de torture.  Il a soutenu que les forces de sécurité qui l’ont mis en détention il y a 35 ans sont toujours au pouvoir aujourd’hui.  Par conséquent, il craint d’être soumis aux mêmes actes de torture s’il est renvoyé en Colombie. De plus, il a affirmé que « personne est en sécurité en Colombie » en raison de la violence excessive causée par la lutte entre les groupes révolutionnaires et les forces gouvernementales.  Il a aussi allégué que son retour en Colombie aggraverait sa dépression et le pousserait à mettre fin à ses jours.

 

[8]        Compte tenu que M. Sarria a reçu des peines de plus de deux ans, il est devenu interdit de territoire en vertu du paragraphe 112(3) de la LIPR. L’agente d’ERAR a donc évalué le risque conformément à l’article 97 exclusivement (risque de torture, de menace à sa vie ou de risque de traitements ou peines cruels et inusités).

 

Décision

[9]        L’agente d’ERAR a examiné la documentation fournie à l’appui de la demande et conclu que la preuve était insuffisante pour établir que M. Sarria, après 31 ans d’absence en Colombie, serait personnellement exposé à un risque. Plus précisément, l’agente a dit ceci :

[traduction] Aucun de ces documents ne se rapporte au demandeur de façon précise, et aucune explication n’a été fournie quant à la manière dont ces renseignements prouvent qu’il serait personnellement exposé à un risque. Je conclus que les renseignements font référence à la situation générale en Colombie à laquelle tous les citoyens de ce pays sont confrontés et qu’ils ne sont pas la preuve que le demandeur, compte tenu de sa situation personnelle, s’exposerait à un risque plus grand que tout autre citoyen de la Colombie.

[…]

 

Je constate que la preuve documentaire dont je dispose indique que la condition en Colombie est instable et que le conflit entre le gouvernement et les paramilitaires persiste. Cependant, je conclus que le demandeur n’a pas fourni suffisamment d'éléments de preuve objectifs pour établir qu’il serait personnellement exposé à un risque en Colombie. Le demandeur ne vit plus en Colombie depuis plus de 31 ans et n’a pas fourni suffisamment d'éléments de preuve tendant à montrer qu’il est une personne d’intérêt pour les forces de sécurité ou les différents groupes paramilitaires.

 

 

 

[10]      De surcroît, après avoir examiné la situation du pays, exposée dans la preuve documentaire, l’agente d’ERAR a jugé que M. Sarria n'avait pas réussi à réfuter la présomption relative à la protection de l'État.

 

Question

 

[11]      La question est de savoir s’il y a eu manquement à l'équité procédurale du fait qu’on est refusé à M. Sarria le droit à une audience.

 

Norme de contrôle

[12]      La norme de contrôle ne s’applique pas à un manquement à l’équité procédurale. Selon les circonstances de la présente affaire, si M. Sarria a raison, la décision sera annulée. Sinon, la décision de l’agente d’ERAR devrait être révisée en fonction de la norme de la décision raisonnable.

                       

Analyse

[13]      M. Sarria soutient que l’agente d’ERAR ne l’a pas jugé crédible et qu’on aurait donc dû convoquer une audience. Il prétend que la conclusion défavorable quant la crédibilité, sans être explicite, est implicite dans les motifs de l’agente. Son argument comporte deux volets.

 

[14]      En premier lieu, il affirme que l’agente a écarté la preuve contenue dans le rapport psychologique, laquelle était essentielle à l’appui de sa demande de protection.  Si elle avait accepté le rapport psychologique, l’agente aurait été justifiée d’accueillir sa demande. 

 

[15]      M. Sarria renvoie au commentaire de l’agente d’ERAR selon lequel le Dr Pilowsky n’avait pas eu [traduction] « personnellement connaissance de situations que le demandeur pouvait avoir vécues pendant qu’il vivait en Colombie il y a de cela plus de 30 ans ».  Il soutient que ce commentaire montre que l’agente n’a pas cru la chronologie des événement relative à ses expériences antérieures en Colombie. 

 

[16]      En deuxième lieu, il se plaint que l’agente d’ERAR a refusé de croire que des membres de sa famille avaient été assassinés. De plus, il dit que son avocat a expressément mentionné l’obligation de tenir une audience dans les observations figurant dans la demande d’ERAR.  Si l’audience avait eu lieu, il aurait pu répondre aux préoccupations de l’agente.

 

[17]      L’article 113 de la LIPR prévoit qu’une audience peut être tenue compte tenu des facteurs réglementaires. Ces facteurs sont énumérés à l’article 167 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) et sont cumulatifs. Le premier facteur se rapporte à l’existence d’éléments de preuve qui soulèvent une question sérieuse au sujet de la crédibilité du demandeur.  Si aucune question de crédibilité n’est soulevée, l’examen s’arrête là.

 

[18]      En toute déférence, la crédibilité n’est pas visée dans cette affaire. Après examen de la décision de l’agente d’ERAR, il ne fait aucun doute que celle-ci a accepté le récit de M. Sarria de ce qui s’est passé en Colombie il y a de cela environ 30 ans.  Elle n’a pas mis en doute l’allégation de mauvais traitements du demandeur. Elle a conclu que M. Sarria n’avait pas réussi à établir qu’il serait personnellement exposé à risque en Colombie, puisque rien ne prouvait qu’après 30 ans le gouvernement s’intéresserait à lui.

 

[19]      En ce qui a trait au rapport psychologique, le commentaire de l’agente d’ERAR doit être interprété dans son contexte.  L’agente n’a pas mis en doute la crédibilité de M. Sarria, implicitement ou autrement.  Elle n’a fait que reconnaître que le diagnostic du Dr Pilowsky reposait, en partie, sur ce que M. Sarria lui avait raconté.  En outre, l’agente a reconnu que M. Sarria pouvait présenter des symptômes d'anxiété et de dépression clinique. L’agente a accordé peu de poids au rapport psychologique étant donné qu’il n’abordait pas, ni ne visait à aborder, la question déterminante de l’existence d’un risque personnalisé en Colombie.  En d'autres termes, le rapport ne traitait pas de l’aspect objectif du risque. Il contenait le récit de M. Sarria et exposait ses problèmes psychologiques. Il était donc peu utile à l’agente aux fins de l’examen de cette question.

 

[20]      En ce qui concerne les meurtres des membres de sa famille, M. Sarria n’a fourni aucun renseignement au sujet de sa relation avec les personnes assassinées autre que celui d’avoir mentionné leur nom sur la liste des membres de sa famille. Plus important encore, il n’a présenté aucun élément de preuve indiquant la façon dont ces meurtres étaient liés au risque auquel il s’exposerait. En somme, il n’a pas réussi à prouver l’existence d’un lien entre les meurtres de ces personnes et sa situation personnelle.  L’évaluation du risque est de nature prospective. L’article 97 de la LIPR exige que le demandeur soit personnellement exposé à un risque.  La preuve du meurtre d’un membre de la famille n’établit pas, à elle seule, que M. Sarria serait exposé à un risque.

           

[21]      De plus, l’agente d’ERAR a examiné à fond la preuve documentaire avant d’arriver à la conclusion que M. Sarria n'avait pas réussi à réfuter la présomption relative à la protection de l'État.  Sauf en ce qui concerne les membres de sa famille victimes d’assassinat, M. Sarria n’a produit aucun élément de preuve à cet égard.  L’agente d’ERAR a constaté que les rapports sur les homicides révélaient que des enquêtes avaient été entreprises dans tous les cas sauf un, lequel avait été transmis aux fins d’examen ultérieur.

 

[22]      Quant à l’allégation selon laquelle l’avocat du demandeur a fait mention de l’obligation de tenir une audience, bien qu’il s’agisse d’une affirmation techniquement correcte, celle-ci comporte un caractère restreint.  L’avocat de M. Sarria a commenté [traduction] « qu’une date d’audience devrait être fixée si vous estimez que la crédibilité est en cause dans la présente affaire ».  Son commentaire ne constituait pas une demande d’audience, mais plus important encore, la crédibilité n’était pas touchée.

 

[23]      En résumé, l’agente d’ERAR n’est arrivée à aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité.  L’agente a plutôt supposé que le récit de M. Sarria de ce qui s’est passé il y a 30 ans était exact. Elle a rejeté la demande pour cause d'insuffisance de preuve de l’existence d’un risque personnalisé et au motif que le demandeur n'avait pas réfuté la présomption de la protection de l'État. Bien que la ligne de démarcation entre la crédibilité et l’insuffisance de preuve soit difficile à établir dans certains cas, cette affaire n’en fait pas partie.

 

[24]      On ne peut relever aucun défaut dans la conclusion de l’agente d’ERAR selon le dossier.  La présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.  Les avocats n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            IMM-1685-06

 

INTITULÉ :                                                                           REINALDO TRUJILLO SARRIA 

                                                                                                c.

                                                                                                LE MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 25 JANVIER 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                           LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 29 JANVIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul McLennan

 

  POUR LE DEMANDEUR

Linda H-C. Chen

 

                               POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Paul McLennan

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

                               POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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