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Date: 20070131

Dossier: T-1683-02

Référence: 2007 CF 104

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2007

En présence de Monsieur le juge Simon Noël 

 

ENTRE :

PATRICK BERNATH

Demandeur

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

Défenderesse

               

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit en l’espèce d’une requête introduite en vertu de la règle 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (Règles) par un ancien militaire des Forces canadiennes, M. Patrick Bernath, qui porte en appel l’ordonnance de la protonotaire Tabib datée du 9 septembre 2005 qui rejette, pour cause d’abus de procédure conformément à la règle 221 des Règles, sa demande de réparation en dommages au montant de 4 510 000.00$ en vertu de l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c.11 (Charte) pour atteinte au droit à la sécurité de sa personne énoncé à l’article 7 de la Charte.  En l’instance, le demandeur se représente par lui-même.

 

 

 

[2]               En bref, après avoir examiné la décision finale du Chef d’état-major de la Défense (CEMD) relativement au grief logé par M. Bernath en vue de la réparation d’une injustice qu’il alléguait avoir subie, la protonotaire a conclu que contrairement aux prétentions de la défenderesse, Sa Majesté la Reine, cette décision ne constituait pas autorité de la chose jugée à l’égard d’une question déjà déterminée.  Toutefois, au paragraphe 70 de l’ordonnance contestée (Bernath c. Sa Majesté la Reine, 2005 CF 1232), la protonotaire concluait à l’échec de l’acte de procédure du demandeur pour le motif suivant : 

[(...)] le Chef d’état[-]major avait la compétence voulue pour entendre et déterminer la réclamation du demandeur telle que formulée dans sa déclaration précisée, que cette réclamation aurait pu et aurait [dû] être soulevée dans le cadre du grief formulé par le demandeur en vertu de la Loi sur la défense nationale, et que l’action du demandeur constitue donc un abus de procédure.

 

[3]               D’une part, M. Bernath demande à cette Cour de revoir l’ordonnance de la protonotaire sur la base des motifs que cette décision comporte plusieurs erreurs de droit ne justifiant pas sa détermination.  D’autre part, la défenderesse soutient que l’ordonnance doit être maintenue en raison d’abus de procédure, mais aussi pour cause d’autorité de la chose jugée.  Alternativement, cette dernière allègue que le recours approprié en l’espèce est une demande de contrôle judiciaire de la décision du CEMD conformément aux articles 2, 17 et 18 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7.  De plus, elle invoque un argument de prescription qui a été rejeté par la protonotaire, mais qui n’est pas contesté dans le cadre du présent appel.

 

 

 

 

[4]               En tenant compte de la jurisprudence applicable à des cas de même espèce, lorsque la décision d’un protonotaire met fin à un acte de procédure selon la règle 221 des Règles, il s’agit là d’une décision définitive aux fins de la procédure et le juge siégeant en appel suivant la règle 51 des Règles doit entendre l’affaire de novo (voir Merck et Co. v. Apotex Inc. (2003), 30 C.P.R. (4th) 40 et Canada v. Aqua-Gem Investments Ltd. [1993] 2 C.F. 425).  Par conséquent, je dois procéder en l’instance à une nouvelle étude de l’ensemble du dossier en examinant attentivement l’ordonnance contestée, les mémoires des faits et du droit soumis par les parties en cause, les documents aux dossiers de chacune d’elles, ainsi que la preuve documentaire et les représentations orales faites devant cette Cour.  Suite aux directives émises aux parties lors du délibéré leur demandant de clarifier certaines questions non résolues, les observations supplémentaires déposées en guise de réponse furent d’une grande utilité au travail d’analyse réalisé.

 

I.  Les faits

 

[5]               En ce qui a trait au récit du présent dossier, je m’en remets entièrement à l’exposé et au sommaire des faits rapportés par la protonotaire dans ses motifs d’ordonnance aux paragraphes 1 à 18 inclusivement :

1      LA PROTONOTAIRE TABIB : En 1985, jouissant d'une excellente santé physique et psychologique, Patrick Bernath se joignait à la réserve des Forces canadiennes. Il deviendra par la suite membre des Forces armées canadiennes et accédera au rang de caporal-chef. Treize ans plus tard, à peine âgé de 30 ans, blessé à l'épaule, souffrant d'un syndrome de stress post-traumatique, se disant déçu et trahi par une administration militaire qui, selon les allégations de la demande, non seulement refusait de reconnaître ou de traiter ses blessures mais dénigrait ses souffrances et l'humiliait, le cpl/c Bernath demandait et obtenait sa libération des Forces armées.

 

2      Le cpl/c (rt) Bernath reçoit une pleine pension d'invalidité pour ses blessures et maladies. Un grief logé à l'égard des circonstances ayant causé et aggravé ses blessures et son syndrome de stress post-traumatique, et qui ont ultimement conduit à sa libération prématurée, s'est soldé par certains remèdes de nature administrative, mais aucune compensation monétaire additionnelle.

 

 

 

3      Selon le cpl/c (rt) Bernath, l'invalidité avec laquelle il doit maintenant vivre et la perte de sa carrière militaire sont le fruit de la violation par Sa Majesté la Reine des droits qui lui sont garantis par la Charte canadienne des droits et des libertés de la personne (la "Charte"). À ce titre, il poursuit donc la Couronne pour obtenir une réparation monétaire en vertu de l'article 24 de la Charte.

 

4      La Couronne, par voie de requête en rejet d'action et en radiation de procédure, lui oppose la décision du Chef d'état[-]major à l'égard du grief déposé, qui a selon elle l'effet de la chose jugée et interdit l'action du demandeur. Subsidiairement, la Couronne plaide la prescription à l'égard de l'ensemble de la cause d'action.

 

LES FAITS:

 

5      Les faits sur lesquels se fonde l'action du demandeur, et que je doi[s] tenir pour avérés pour les fins de cette requête, apparaissent comme suit de la déclaration déposée le 30 octobre 2002, amendée et précisée par la suite.

 

6      Bien qu'en parfaite condition physique et mentale lors de son engagement au sein des Forces armées, le demandeur était déclaré inapte à participer aux missions à l'étranger en août 1996, en raison d'une blessure à l'épaule. Passant outre à cette classification médicale, on déclare tout de même le demandeur apte à participer à titre de photographe à une mission de paix en Haïti en février 1997. On ne lui prodigue aucun entraînement préparatoire. Malgré les soins de physiothérapie que requière sa blessure à l'épaule, ces soins ne sont pas disponibles en Haïti.

 

7      En septembre 1997, le demandeur est affecté à une opération de récupération de cadavres provenant d'un bateau naufragé à Monrouie, Haïti. Comme les Haïtiens refusent pour des motifs religieux de retirer les cadavres de l'eau, le demandeur se voit forcé d'entreprendre physiquement ce travail, ce qui aggravera sa blessure à l'épaule et déclenchera un syndrome de stress post-traumatique ["sspt"].

 

8      Bien que diagnostiqué dans les semaines qui ont suivi cet événement, le [sspt] du demandeur n'est pas adéquatement traité à son retour au Canada en octobre 1997: on refuse au demandeur la permission de continuer à être traité par son médecin traitant; les congés de maladie sont refusés ou, s'ils sont accordés, sont ignorés; les recommandations médicales quant au rythme de travail approprié sont contremandées; pis encore, on lui impose du temps supplémentaire, on le traite de "menteur" et de "manipulateur".

 

9      Excédé, considérant qu'il était victime de harcèlement visant à le pousser à quitter les Forces armées et le priver des soins médicaux auxquels il avait droit, le demandeur se résout donc à demander sa libération le 23 janvier 1998, y voyant le seul moyen de pouvoir "se faire soigner comme il faut". Là encore, la voie est parsemée d'embûches: deux médecins certifient qu'il n'est pas apte, pour cause médicale, à être libéré. Le demandeur est néanmoins déclaré apte le surlendemain à demander sa libération, et celle-ci devient effective le 8 avril 1998.

 

10      Un grief, déposé en 1998, et dont il sera traité plus en détails plus loin, ne sera finalement  décidé en dernier palier qu'en 2001, non sans avoir été aussi empreint de controverse, vu le refus du Chef d'état-major de le transmettre au Comité des griefs constitué par amendement législatif entré en vigueur en juin 2000.

 

11      Les circonstances qui, selon la déclaration du demandeur, font en sorte que les faits ci-haut constituent plus qu'une simple négligence mais une violation des droits garantis par l'article 7 de la Charte tiennent au système de dépendance institutionnel mis sur pied par la défenderesse, par lequel elle contrôle tous les aspects de la vie des militaires, y compris l'accès aux soins médicaux fondamentaux, à la culture d'obéissance et de soumission obligatoires, et à l'obligation imposée aux militaires d'obéir à tout ordre légitime, y compris ceux mettant leur vie ou leur santé en péril, sous peine de pénalité pour désobéissance. Ainsi, les gestes de la défenderesse auraient violé, de façon contraire aux principes de justice fondamentaux, le droit du demandeur à la sécurité de sa personne.

 

12      Par ailleurs, les faits ouvrant droit au rejet de l'action en raison de la chose jugée ou de l'abus de procédure sont, selon le dossier de requête de la défenderesse non-contredit par le demandeur, les suivants:

 

13      Le 27 mars 1998, soit avant sa libération, le demandeur déposait une "demande de réparation d'une injustice", en d'autres mots, un grief, en vertu de l'article 29 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, c. N-5. Le grief fait état des faits suivants:

 

-                      Le déploiement à Haïti en dépit de son classement médical.

-                      Sa participation à l'opération de repêchage des cadavres.

-               Le refus de permettre le traitement par le médecin de son choix, le                           refus des congés de maladie recommandés, le dénigrement, le travail supplémentaire à l'encontre des recommandations médicales.

                -               L'obligation de recourir à la libération et l'acceptation de celle-ci à l'encontre des opinions médicales d'inaptitude.

 

14      Comme on peut le voir, mis à part les allégations de délai ou d'irrégularités dans le traitement du grief, ce grief du demandeur résulte et s'appuie sur les mêmes faits que ceux qui donnent lieu à la présente action.

 

15      Par la suite, le demandeur rajoutera au dossier de grief commentaires et expertises médicales contemporaines, y compris des expertises médicales établissant un lien entre l'aggravation de sa blessure à l'épaule et son service à Haïti. Le demandeur modifiera de plus formellement sa demande de grief. Les faits à la base de la demande demeurent les mêmes, même si re-formulés, et le demandeur élabore les prétentions suivantes:

 

1.             Il n'aurait pas du être déployé à Haïti.

2.                   Sa présence à Haïti a aggravé l'état de son épaule.

3.            Sans cette aggravation, il aurait pu guérir et continuer sa carrière dans les Forces  armées.

4.            Il n'a pas été traité convenablement (médicalement et administrativement) à son retour de Haïti vu son sspt.

5.            Le demandeur ne devait pas avoir à supporter seul les conséquences des erreurs déraisonnables des Forces armées. (Les pensions accordées en vertu de la Loi sur les Anciens combattants n'étant pas suffisantes pour compenser ce type d'erreur).

 

16      La demande de réparation est aussi amendée à deux reprises, pour finalement réclamer:

 

                1.             La décoration canadienne.

2.            L'octroi de la même mention élogieuse qui pourrait être octroyée à son régiment pour les services en Haïti; et

3.                   "Une compensation monétaire à être déterminé[e] par un Comité d'arbitrage conformément au Livre VII du Code de procédure civile du Québec." (afin de compenser les dommages causés par la perte de sa carrière au sein des Forces armées).

 

17      Une décision finale est enfin prise au niveau du Chef d'état-major de la Défense, portant les motifs/conclusions suivants:

 

-               "(...) je ne considère pas incorrecte la recommandation de votre médecin de vous permettre d'aller en Haïti et ce, comme photographe."

                -               "(...) je n'ai aucune raison de douter du professionnalisme et du travail des experts médicaux et je considère que ceux-ci ont fait tout ce qu'ils ont pu pour vous prodiguer les soins appropriés à votre santé (...)."

                -               "(...) les procédures administratives de libération ont été effectuées correctement et aucune irrégularité administrative ou médicale n'a pu être identifiée."

                -               "(...) votre commandant avait le pouvoir d'accorder ou refuser ces congés de maladie. Cependant, dans les circonstances, je crois qu'il aurait été logique d'approuver ces congés de maladie supplémentaires recommandés."

 

18      Pour ce qui est des remèdes, le Chef d'état-major accorde:

 

1.             les congé de maladie refusés, repoussant en conséquence la date de libération effective, ainsi que les mesures administratives et financières qui en découlent;

2.                   éligibilité à recevoir la décoration canadienne;

                3.             octroi de la mention élogieuse pour services en Haïti;

 

mais conclut comme suit à l'égard de la demande de compensation monétaire:

 

"Finalement, en ce qui concerne votre dernière demande, c'est-à-dire une compensation monétaire à être déterminée par un Comité d'arbitrage, je ne peux pas vous l'accorder puisque aucune disposition législative ou réglementaire ne m'accorde cette autorité. Vous êtes maintenant prestataire d'une pension pour les problèmes de santé que vous avez subis alors que vous étiez membre des FC. Les prestations que vous touchez représentent une compensation finale à laquelle vous avez droit et tient compte de tous les facteurs pertinents à votre situation au moment de votre libération. En fait, d'après l'article 9 de la Loi sur la Responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif et l'article 111 de la Loi sur les Pensions, il n'est pas possible de toucher à la fois une pension et de poursuivre les FC suite à des blessures.

 

En somme, je crois que vous avez été victime d'une certaine injustice et j'approuve un redressement partiel en ce que j'ordonne à ce que les congés de maladie qui vous avaient été refusés vous soient remis, vous permettant ainsi à recevoir la DC pour vos douze années de bons et loyaux services. De plus, je vous accorde la mention élogieuse du CEMD pour votre courage et les mesures que vous avez prises lors de la récupération des victimes lors du naufrage du vaisseau "La Fierté Gonâvienne" en Haïti. Cependant, je ne supporte pas votre demande pour une compensation monétaire."

 

 

 

II.  Les nouveaux documents

 

 

[6]               En l’instance, le demandeur a soumis de nouveaux éléments de preuve documentaire.  Sans explication, il a déposé 17 documents qui ne se trouvaient pas devant la protonotaire au moment où elle a rendu l’ordonnance du 9 septembre 2005.  La défenderesse s’oppose à l’inclusion de cette preuve documentaire au dossier d’appel du demandeur.  Faut-il le préciser, la majorité de ces 17 documents ont originalement été émis par la défenderesse, dont certains appartiennent au domaine public: Le premier examen indépendant par le très honorable Antonio Lamer C.P., C.C., C.D., des dispositions et de l’application du projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, conformément à l’article 96 des Lois du Canada (1998), ch. 35, présenté au ministre de la Défense nationale le 3 septembre 2003 (Rapport Lamer); Examen de la Loi sur la défense nationale – Réponse au Rapport Lamer, Section nationale du droit militaire Association du Barreau canadien, avril 2004; Communiqué de presse, Le ministre de la Défense rend public les résultats de l’examen du projet de loi C-25, 5 novembre 2003; Communiqué de presse, Le MDN donne suite aux recommandations visant à modifier la Loi sur la défense nationale, 27 avril 2006;  Communiqué de presse, Modifications à la Loi sur la défense nationale – Le projet de loi C-25, son examen et le projet de loi C-7, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale, 27 avril 2006; Projet de loi C-7, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale, 27 avril 2006; Remaniement de la surveillance Livre blanc de l’Ombudsman; Évaluation formative du Comité des griefs des Forces canadiennes - Rapport final, 29 avril 2005.    Les autres documents s’intéressent à la personne même du demandeur.  Ils sont de nature privée ou semi-privée : la correspondance en partie expurgée sur la base de certains articles de la Loi sur la vie privée ou encore du privilège avocat-client, la lettre du Ministre de la défense nationale au demandeur datée de mars 2000 et la correspondance du bureau du député C. Bachand au sujet du projet de Loi C-7, juin 2006.

 

[7]               Il est de jurisprudence constante que de la nouvelle preuve ne puisse être admise par la Cour siégeant en appel d’une décision d’un protonotaire.  Subséquemment, pour rendre sa décision, la Cour doit se limiter à la preuve qui était devant ce dernier au moment où il décide de l’affaire (voir Dawe v. Canada (2002) 17 C.C. E.B. (3d), 198, 220 F.T.R. 91 et James River Corp. of Virginia v. Hallmark Cards Inc. [1997] 72 C.P.R. (3d) 157).   Pour cause, les documents privés et semi-privés ne peuvent être pris en considération pour les fins du présent appel et doivent être exclus. 

 

Néanmoins, les documents faisant partie du domaine public peuvent être admis en preuve. Le juge von Fickenstein écrit ce qui suit au paragraphe 10 de la décision Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2003 CF 1229:

Il est établi qu'aucun nouvel élément de preuve ne peut être admis par la Cour qui entend un appel formé à l'égard d'une décision d'un protonotaire (James River Corp. of Virginia c. Hallmark Cards, Inc., [1997] A.C.F. no 152, aux paragraphes 31 et 32). Toutefois, je ne crois pas que cette règle empêche la Cour de tenir compte des documents qui font partie du domaine public. Dans la présente affaire, tant les actes de procédure que les affidavits appartiennent au domaine public. La Cour peut donc les prendre en considération.

 

Toutefois, il est à propos de souligner que ces documents publics soumis par le demandeur ajoutent très peu au débat tenu devant la protonotaire et qu’en l’espèce, ces derniers n’ont pas été déterminants sur l’issue de la question à résoudre. 

 

 

III.  La question préliminaire

 

 

[8]               En vertu du paragraphe 221(2) des Règles, le demandeur allègue que, dans le cadre de la requête en radiation de la défenderesse devant la protonotaire, la défenderesse ne pouvait pas déposer des éléments de preuve additionnels. 

 

[9]               En outre, suivant le libellé du paragraphe 221(2) des Règles, lorsque la requête en radiation est basée sur l’allégation que la procédure ne révèle aucune cause d’action, aucune preuve n’est admissible.

 

[10]           La lecture de la requête en radiation introduite devant la protonotaire ainsi que celle du mémoire d’appel des faits et du droit de la défenderesse permettent de constater que la procédure devant la protonotaire couvrait tout autant les alinéas 221(1)c) et 221(1)f) des Règles à l’effet que tout ou partie d’un acte de procédure est frivole ou vexatoire et qu’il constitue autrement un abus de procédure.

 

[11]           Il ne va pas sans dire que ces motifs ne sont pas énumérés au paragraphe 221(2) des Règles et que somme toute, cette disposition n’énonce qu’un seul motif d’inadmissibilité en preuve.  En conséquence, la défenderesse pouvait déposer des éléments de preuve additionnels pour appuyer ses prétentions, car les Règles ne prévoient aucune restriction à leur égard quant à la preuve admissible servant aux fins de la contestation.

 

IV.  Le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes

 

[12]           Afin de mieux cerner les questions en litige, une bonne compréhension du processus de règlement des griefs des Forces canadiennes s’impose. On retrouve ci-dessous les extraits pertinents au cas en l’espèce du texte de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, c. N-5 (la Loi) et de celui des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, volume 1, chapitre 7 (ORFC), ainsi qu’un exposé sommaire sur le fonctionnement de ce processus.  J’ai reproduit en annexe, pour assurer une meilleure compréhension des présents motifs, le Manuel des griefs et le Manuel du Plaignant et de l’Officier Désigné, deux guides émis par  le Directeur général – Autorité des griefs des Forces canadiennes pour assister les intervenants impliqués dans le processus de règlement des griefs.

 

 

 

(a)   Loi sur la défense nationale

(i)     Le dépôt des griefs

29. (1) Tout officier ou militaire du rang qui s’estime lésé par une décision, un acte ou une omission dans les affaires des Forces canadiennes a le droit de déposer un grief dans le cas où aucun autre recours de réparation ne lui est ouvert sous le régime de la présente loi.

 

(2) Ne peuvent toutefois faire l’objet d’un grief :

a) les décisions d’une cour martiale ou de la Cour d’appel de la cour martiale;

b) les décisions d’un tribunal, office ou organisme créé en vertu d’une autre loi;

c) les questions ou les cas exclus par règlement du gouverneur en conseil.

 

(3) Les griefs sont déposés selon les modalités et conditions fixées par règlement du gouverneur en conseil.

 

(4) Le dépôt d’un grief ne doit entraîner aucune sanction contre le plaignant.

 

(5) Par dérogation au paragraphe (4), toute erreur qui est découverte à la suite d’une enquête sur un grief peut être corrigée, même si la mesure corrective peut avoir un effet défavorable sur le plaignant.

29. (1) An officer or non-commissioned member who has been aggrieved by any decision, act or omission in the administration of the affairs of the Canadian Forces for which no other process for redress is provided under this Act is entitled to submit a grievance.

 

(2) There is no right to grieve in respect of

(a) a decision of a court martial or the Court Martial Appeal Court;

(b) a decision of a board, commission, court or tribunal established other than under this Act; or

(c) a matter or case prescribed by the Governor in Council in regulations.

 

(3) A grievance must be submitted in the manner and in accordance with the conditions prescribed in regulations made by the Governor in Council.

 

(4) An officer or non-commissioned member may not be penalized for exercising the right to submit a grievance.

 

(5) Notwithstanding subsection (4), any error discovered as a result of an investigation of a grievance may be corrected, even if correction of the error would have an adverse effect on the officer or non-commissioned member.

 

29.11 Le chef d’état-major de la défense est l’autorité de dernière instance en matière de griefs.

29.11 The Chief of the Defence Staff is the final authority in the grievance process.

 

 

29.12 (1) Avant d’étudier un grief d’une catégorie prévue par règlement du gouverneur en conseil, le chef d’état-major de la défense le soumet au Comité des griefs pour que celui-ci lui formule ses conclusions et recommandations. Il peut également renvoyer tout autre grief devant le Comité.

 

 

 

 

 

 

 

(2) Le cas échéant, il lui transmet copie :

a) des argumentations écrites présentées par l’officier ou le militaire du rang à chacune des autorités ayant eu à connaître du grief;

b) des décisions rendues par chacune d’entre elles;

c) des renseignements pertinents placés sous la responsabilité des Forces canadiennes.

 

 

 

29.12 (1) The Chief of the Defence Staff shall refer every grievance that is of a type prescribed in regulations made by the Governor in Council to the Grievance Board for its findings and recommendations before the Chief of the Defence Staff considers and determines the grievance. The Chief of the Defence Staff may refer any other grievance to the Grievance Board.

 

 

 

 

 

(2) When referring a grievance to the Grievance Board, the Chief of the Defence Staff shall provide the Grievance Board with a copy of

(a) the written submissions made to each authority in the grievance process by the officer or non-commissioned member presenting the grievance;

(b) the decision made by each authority in respect of the grievance; and

(c) any other information under the control of the Canadian Forces that is relevant to the grievance.

 

29.13 (1) Le chef d’état-major de la défense n’est pas lié par les conclusions et recommandations du Comité des griefs.

 

(2) S’il choisit de s’en écarter, il doit toutefois motiver son choix dans sa décision.

29.13 (1) The Chief of the Defence Staff is not bound by any finding or recommendation of the Grievance Board.

 

(2) If the Chief of the Defence Staff does not act on a finding or recommendation of the Grievance Board, the Chief of the Defence Staff shall include the reasons for not having done so in the decision respecting the disposition of the grievance.

 

29.14 Le chef d’état-major de la défense peut déléguer à tout officier le pouvoir de décision définitive que lui confère l’article 29.11, sauf pour les griefs qui doivent être soumis au Comité des griefs; il ne peut toutefois déléguer le pouvoir de délégation que lui confère le présent article.

29.14 The Chief of the Defence Staff may delegate to any officer any of the Chief of the Defence Staff’s powers, duties or functions as final authority in the grievance process, except

(a) the duty to act as final authority in respect of a grievance that must be referred to the Grievance Board; and

(b) the power to delegate under this section.

 

 

 

(ii)   Décision finale

29.15 Les décisions du chef d’état-major de la défense ou de son délégataire sont définitives et exécutoires et, sous réserve du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales, ne sont pas susceptibles d’appel ou de révision en justice.

29.15 A decision of a final authority in the grievance process is final and binding and, except for judicial review under the Federal Courts Act, is not subject to appeal or to review by any court.

 

(iii) Le Comité des griefs

29.16 (1) Est constitué le Comité des griefs des Forces canadiennes, composé d’un président, d’au moins deux vice-présidents et des autres membres nécessaires à l’exercice de ses fonctions, tous nommés par le gouverneur en conseil.

29.16 (1) There is established a board, called the Canadian Forces Grievance Board, consisting of a Chairperson, at least two Vice-Chairpersons and any other members appointed by the Governor in Council that are required to allow it to perform its functions.

 

 

29.2 (1) Le Comité des griefs examine les griefs dont il est saisi et transmet, par écrit, ses conclusions et recommandations au chef d’état-major de la défense et au plaignant.

 

(2) Dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, il agit avec célérité et sans formalisme.

29.2 (1) The Grievance Board shall review every grievance referred to it by the Chief of the Defence Staff and provide its findings and recommendations in writing to the Chief of the Defence Staff and the officer or non-commissioned member who submitted the grievance.

 

(2) The Grievance Board shall deal with all matters before it as informally and expeditiously as the circumstances and the considerations of fairness permit.

 

29.21 Le Comité des griefs dispose, relativement à la question dont il est saisi, des pouvoirs suivants :

 

a) assigner des témoins, les contraindre à témoigner sous serment, oralement ou par écrit, et à produire les documents et pièces sous leur responsabilité et qu’il estime nécessaires à une enquête et étude complètes;

b) faire prêter serment;

c) recevoir et accepter les éléments de preuve et renseignements qu’il estime indiqués, qu’ils soient ou non recevables devant un tribunal.

 

29.21 The Grievance Board has, in relation to the review of a grievance referred to it, the power

 

(a) to summon and enforce the attendance of witnesses and compel them to give oral or written evidence on oath and to produce any documents and things under their control that it considers necessary to the full investigation and consideration of matters before it;

(b) to administer oaths; and

(c) to receive and accept any evidence and information that it sees fit, whether admissible in a court of law or not.

 

29.23 (1) Tout témoin est tenu de répondre aux questions sur le grief lorsque le Comité des griefs l’exige et ne peut se soustraire à cette obligation au motif que sa réponse peut l’incriminer ou l’exposer à des poursuites ou à une peine.

(2) Les déclarations ainsi faites en réponse aux questions ne peuvent être utilisées ni ne sont recevables contre le témoin devant une juridiction disciplinaire, criminelle, administrative ou civile, sauf si la poursuite ou la procédure porte sur le fait qu’il les savait fausses.

29.23 (1) No witness shall be excused from answering any question relating to a grievance before the Grievance Board when required to do so by the Grievance Board on the ground that the answer to the question may tend to criminate the witness or subject the witness to any proceeding or penalty.

(2) No answer given or statement made by a witness in response to a question described in subsection (1) may be used or receivable against the witness in any disciplinary, criminal, administrative or civil proceeding, other than a hearing or proceeding in respect of an allegation that the witness gave the answer or made the statement knowing it to be false.

 

29.24 Lorsque le Comité des griefs siège, au Canada, ailleurs qu’au lieu de leur résidence habituelle, le plaignant et l’officier qui l’assiste ou son avocat, selon le cas, sont indemnisés, selon l’appréciation du Comité et en conformité avec les normes établies par le Conseil du Trésor, des frais de déplacement et de séjour exposés pour leur comparution devant le Comité.

29.24 Travel and living expenses incurred in appearing before the Grievance Board shall, in the discretion of the Grievance Board, be paid, in accordance with applicable Treasury Board directives, to the officer or non-commissioned member whose grievance is being heard, and to that person’s assisting officer or counsel, if the Grievance Board holds a hearing at a place in Canada that is not their ordinary place of residence.

 

 

 

 

29.26 (1) Le président peut établir des règles pour régir :

a) la procédure d’examen des griefs par le Comité des griefs, notamment quant à la tenue d’enquêtes et d’audiences;

b) la répartition des affaires et du travail entre les membres du Comité;

c) la conduite des travaux du Comité et de son administration.

(2) Sauf instruction contraire du président, eu égard à l’intérêt des personnes prenant part à l’audience et à celui du public, les audiences du Comité se tiennent, en tout ou en partie, à huis clos.

29.26 (1) The Chairperson may make rules respecting

(a) the manner of dealing with grievances referred to the Grievance Board, including the conduct of investigations and hearings by the Grievance Board;

(b) the apportionment of the work of the Grievance Board among its members and the assignment of members to review grievances; and

(c) the performance of the duties and functions of the Grievance Board.

(2) A hearing of the Grievance Board is to be held in private, unless the Chairperson, having regard to the interests of the persons participating in the hearing and the interest of the public, directs that the hearing or any part of it be held in public.

 

29.28 (1) Le président du Comité des griefs présente au ministre, au plus tard le 31 mars de chaque année, le rapport d’activité du Comité pour l’année civile précédente, assorti éventuellement de ses recommandations.

(2) Le ministre le fait déposer devant chaque chambre du Parlement dans les quinze premiers jours de séance de celle-ci suivant sa réception.

29.28 (1) The Chairperson shall, within three months after the end of each year, submit to the Minister a report of the activities of the Grievance Board during that year and its recommendations, if any.

(2) The Minister shall have a copy of the report laid before each House of Parliament on any of the first fifteen days on which that House is sitting after the Minister receives it.

 

(b)   Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (volume I –Administration, chapitre 7)

(i)     Délai

7.02 – DÉLAI

(1) Tour grief doit être déposé dans les six mois qui suivent la date à laquelle le militaire a pris ou devrait avoir raisonnablement pris connaissance de la décision, de l’acte ou de l’omission qui fait l’objet du grief.

(2) Le militaire qui dépose son grief après l’expiration de ce délai doit soumettre par écrit les raisons du retard.

(3) L’autorité initiale peur connaître du grief déposé en retard si elle estime qu’il est dans l’intérêt de la justice de le faire. Elle doit toutefois motiver par écrit son refus au militaire.

 

7.02 – TIME LIMIT

(1) A grievance must be submitted within six months after the day that the member knew or ought reasonably to have known of the decision, act or omission in respect of which the grievance is submitted.

(2) A member who submits a grievance after the expiration of the period referred to in paragraph (1) must submit reasons for the delay.

(3) An initial authority may consider a grievance that is submitted after the expiration of the period if the initial authority is satisfied that to do so would be in the interests of justice. An initial authority who is not satisfied shall provide reasons in writing to the member.

 

(ii)   Dépôt d’un grief au commandant (autorité initiale)

7.04 – DÉPÔT D’UN GRIEF AU COMMANDANT

(1) Le grief est fait par écrit et signé par le plaignant, puis déposé devant le commandant de celui-ci.

(2) Le grief renferme les éléments suivants :

a) une description sommaire de la décision, de l’acte ou de l’omission qui fait l’objet du grief, y compris tous les faits qui sont connus du plaignant;

b) une demande en vue d’obtenir une décision et le redressement désiré;

c) si une personne peut établir le bien-fondé du grief, une déclaration écrite de celle-ci;

d) une copie de tout document pertinent qui est en la possession du plaignant.

 

7.04 – SUBMISSION TO COMMANDING OFFICER

(1) A grievance must be in writing, signed by the grievor and submitted to the grievor’s commanding officer.

(2) A grievance must include:

(a) a brief description of the decision, act or omission that is the subject of the grievance, including any facts known to the grievor;

(b) a request for determination and the redress sought;

(c) if a person can substantiate the grievance, a statement in writing from that person; and

(d) a copy of any relevant document in the possession of the grievor.

 

7.05 – OBLIGATIONS DU COMMANDANT

(1) Le commandant qui est saisi d’un grief l’examine et décide s’il peut, à l’égard de celui-ci, agir à titre d’autorité initiale.

(2) S’il ne peut agir à titre d’autorité initiale, le commandant doit :

a) transmettre le grief à l’autorité initiale dans les 10 jours suivant la réception de celui-ci;

b) transmettre à l’autorité initiale tout renseignement supplémentaire que le commandant estime pertinent au grief;

c) aviser le plaignant des mesures prises et, le cas échéant, lui fournir une copie de tout renseignement supplémentaire transmis à l’autorité initiale.

7.05 – DUTIES OF COMMANDING OFFICER

(1) A commanding officer to whom a grievance is submitted shall examine the grievance and determine whether the commanding officer is able to act as the initial authority in respect of the grievance.

(2) If the commanding officer is not able to act as the initial authority, the commanding officer shall:

(a) forward the grievance within 10 days of receipt to the initial authority;

(b) forward any additional information to the initial authority that the commanding officer considers relevant to the grievance; and

(c) inform the grievor of the action taken and, where applicable, provide the grievor with a copy of any additional information forwarded to the initial authority.

 

7.06 – QUI PEUT AGIR À TITRE D’AUTORITÉ INITIALE EN MATIÈRE DE GRIEFS

(1) Sous réserve de l’alinéa (2), à titre d’autorité initiale peut examiner et décider du bien-fondé d’un grief :

a) le commandant du plaignant, s’il peut accorder le redressement demandé;

b) le commandant ou l’officier titulaire d’un poste de directeur général ou d’un poste supérieur à celui-ci au quartier général de la Défense nationale qui est chargé de décider des questions faisant l’objet du grief.

7.06 – WHO MAY ACT AS INITIAL GRIEVANCE AUTHORITY

(1) Subject to paragraph (2), the initial authority who may consider and determine a grievance is:

(a) the commanding officer of the grievor if the commanding officer can grant the redress sought; or

(b) the commander, or officer holding the appointment of Director General or above at National Defence Headquarters, who is responsible to deal with the matter that is the subject of the grievance.

 

7.07 – OBLIGATIONS DE L’AUTORITÉ INITIALE EN MATIÈRE DE GRIEFS

(1) Dans les 60 jours suivant la réception d’un grief, l’autorité initiale doit :

a) étudier et décider du bien-fondé du grief;

b) informer le plaignant par écrit, par l’intermédiaire de son commandant dans le cas où ce dernier n’est pas l’autorité initiale :

(i) de la décision et des motifs à l’appui;

(ii) le cas échéant, du droit du plaignant de déposer son grief devant le chef d’état-major de la défense;

c) renvoyer tout document ou pièce déposé par le plaignant, si une demande est faite à cet égard;

d) conserver le dossier du grief, notamment la décision et les mesures prises.

(2) Si une autorité initiale – autre que le chef d’état-major de la défense – ne prend pas de décision à l’égard du grief dans le délai prévu à l’alinéa (1), le plaignant peut demander à l’autorité initiale de renvoyer le grief devant le chef d’état-major de la défense pour qu’il l’étudie et en décide.

(3) Le délai prévu à l’alinéa (1) ne s’applique pas dans le cas où le chef d’état-major de la défense est l’autorité initiale.

7.07 – DUTIES OF INITIAL GRIEVANCE AUTHORITY

(1) Upon receipt of a grievance the initial authority shall, within 60 days:

(a) consider and determine the grievance;

(b) advise the grievor in writing, through the commanding officer if the initial authority is not the commanding officer, of:

(i) the determination and the reasons for it; and

(ii) where applicable, the grievor’s entitlement to submit the grievance to the Chief of the Defence Staff;

(c) return any documents or things submitted by the grievor if requested to do so; and

(d) maintain a record of the grievance, including the determination made and any action taken.

(2) Where an initial authority other than the Chief of the Defence Staff does not determine a grievance within the period required under paragraph (1), the grievor may request that the initial authority submit the grievance to the Chief of the Defence Staff for consideration and determination.

(3) Where the Chief of the Defence Staff is the initial authority, the time limit under paragraph (1) does not apply.

 

 

 

 

 

 

(iii) Dépôt d’un grief devant le CEMD (autorité finale)

7.10 – DÉPÔT DU GRIEF DEVANT LE CHEF D’ÉTAT-MAJOR DE LA DÉFENSE

(1) Si un militaire qui a déposé un grief aux termes de l’article 7.01 (Droit de déposer des griefs) est d’avis que la décision de l’autorité initiale ne lui accorde pas le redressement qui semble justifié, il peut porter son grief devant le chef d’état-major de la défense pour qu’il l’étudie et en décide.

(2) Le grief est fait par écrit et signé par le plaignant, puis déposé devant le chef d’état-major de la défense dans les 90 jours qui suivent la réception de la décision de l’autorité initiale.

(3) Le militaire qui dépose son grief après l’expiration de ce délai doit soumettre par écrit les raisons du retard.

(4) Le chef d’état-major de la défense ou l’officier ayant le pouvoir de décision définitive peut connaître d’un grief déposé en retard s’il estime qu’il est dans l’intérêt de la justice de le faire. Il doit toutefois motiver par écrit son refus au militaire.

 

7.10 – SUBMISSION TO CHIEF OF THE DEFENCE STAFF

(1) Where a member has submitted a grievance under article 7.01 (Right to Grieve) and the decision of the initial authority does not afford the redress that, in the opinion of the member, is warranted, the member may submit the grievance to the Chief of the Defence Staff for consideration and determination.

(2) The grievance must be in writing, signed by the grievor and submitted to the Chief of the Defence Staff within 90 days of receipt by the grievor of the determination of the initial authority.

(3) A member who submits a grievance after the expiration of the period referred to in paragraph (2) must submit reasons for the delay.

(4) The Chief of the Defence Staff or an officer to whom final authority has been delegated may consider a grievance that is submitted after the expiration of the period referred to in paragraph (2) if satisfied that it would be in the interests of justice to do so. If not satisfied, the Chief of the Defence Staff, or the officer to whom final authority has been delegated, shall provide reasons in writing to the grievor.

 

7.11 – OBLIGATIONS – GRIEF NON RENVOYÉ DEVANT LE COMITÉ DES GRIEFS

Si le grief n’appartient pas à une catégorie qui exige, en application de l’article 7.12 (Renvoi devant le Comité des griefs), un renvoi devant le Comité des griefs, le chef d’état-major de la défense ou l’officier ayant le pouvoir de décision définitive doit :

a) étudier et décider du bien-fondé du grief;

b) informer le plaignant par écrit, par l’intermédiaire de son commandant, de la décision et des motifs à l’appui;

c) renvoyer tout document ou pièce déposé par le plaignant, si une demande est faite à cet égard;

d) conserver le dossier du grief, notamment la décision et les mesures prises.

 

7.11 – DUTIES WHERE GRIEVANCE NOT REFERRED TO GRIEVANCE BOARD

Where the grievance is not of a type that must be referred to the Grievance Board pursuant to article 7.12 (Referral to Grievance Board), the Chief of the Defence Staff or the officer to whom final authority has been delegated shall:

(a) consider and determine the grievance;

(b) advise the grievor in writing through the commanding officer of the determination and the reasons for it;

(c) return any documents or things submitted by the grievor if requested to do so; and

(d) maintain a record of the grievance, including the determination made and any action taken.

 

(iv) Renvoi devant le Comité des griefs

7.12 – RENVOI DEVANT LE COMITÉ DES GRIEFS

(1) Le chef d’état-major de la défense renvoie au Comité des griefs tout grief qui a trait aux questions suivantes :

a) les mesures administratives qui émanent de la suppression ou des déductions de solde et d’indemnités, du retour à un grade inférieur ou de la libération des Forces canadiennes;

b) l’application et l’interprétation des politiques des Forces canadiennes qui concernent l’expression d’opinions personnelles, les activités politiques et la candidature à des fonctions publiques, l’emploi civil, les conflits d’intérêts et les mesures régissant l’après-mandat, le harcèlement ou la conduite raciste;

c) la solde, les indemnités et autres prestations financières;

d) le droit aux soins médicaux et dentaires.

(2) Le chef d’état-major de la défense renvoie au Comité des griefs pour que celui-ci formule ses conclusions et ses recommandations tout grief qui a trait à une de ses décisions ou un de ses actes à l’égard de tel officier ou militaire du rang.

 

NOTES

(A) Le chef d’état-major de la défense peut, à sa discrétion, aux termes du paragraphe 29.12(1) de la Loi sur la défense nationale, renvoyer au Comité des griefs un grief autre que celui d’une catégorie prescrite à l’article 7.12. Nul ne peut exiger le renvoi d’un tel grief au Comité des griefs. Les facteurs qui sont évalués par le chef d’état-major de la défense pour déterminer s’il devrait ou non exercer son pouvoir discrétionnaire de renvoyer tout autre grief au Comité des griefs comprennent l’avantage de faire examiner le grief par une autorité extérieure et de compter sur la capacité du Comité des griefs d’enquêter et de formuler des conclusions de façon indépendante.

(B) Le paragraphe 29.12(2) de la Loi sur la défense nationale prévoit que lorsqu’un grief est renvoyé au Comité des griefs, celui-ci doit recevoir copie :

(i) des argumentations écrites présentées par l’officier ou le militaire du rang à chacune des autorités ayant eu à connaître du grief;

(ii) des décisions rendues par chacune d’entre elles;

(iii) des renseignements pertinents placés sous la responsabilité des Forces canadiennes.

7.12 – REFERRAL TO GRIEVANCE BOARD

(1) The Chief of the Defence Staff shall refer to the Grievance Board any grievance relating to the following matters:

(a) administrative action resulting in the forfeiture of, or deductions from, pay and allowances, reversion to a lower rank or release from the Canadian Forces;

(b) the application or interpretation of Canadian Forces policies relating to expression of personal opinions, political activities and candidature for office, civil employment, conflict of interest and post-employment compliance measures, harassment or racist conduct;

(c) pay, allowances and other financial benefits; and

(d) the entitlement to medical care or dental treatment.

(2) The Chief of the Defence Staff shall refer every grievance concerning a decision or an act of the Chief of the Defence Staff in respect of a particular officer or non-commissioned member to the Grievance Board for its findings and recommendations.

 

NOTES

(A) Pursuant to subsection 29.12(1) of the National Defence Act, the Chief of the Defence Staff may refer a grievance other than one prescribed in article 7.12 to the Grievance Board. The Chief of the Defence Staff’s decision under subsection 29.12(1) is a discretionary one. There is no right to have a grievance that is not of a type prescribed by article 7.12 referred to the Grievance Board. The factors assessed by the Chief of the Defence Staff in determining whether or not to exercise the discretion to refer any other grievance to the Grievance Board would include the benefit to be obtained from having the grievance reviewed externally and the capacity of the Grievance Board to investigate independently and make findings.

(B) Subsection 29.12(2) of the National Defence Act provides that, where a grievance is referred to the Grievance Board, the Board shall be provided with a copy of:

(i) the written submissions made to each authority in the grievance process by the officer or non-commissioned member presenting the grievance;

(ii) the decision made by each authority in respect of the grievance; and

(iii) any other information under the control of the Canadian Forces that is relevant to the grievance.

7.14 – MESURES À PRENDRE APRÈS L’EXAMEN DU COMITÉ DES GRIEFS

(1) Après avoir reçu les conclusions et les recommandations du Comité des griefs, le chef d’état-major de la défense doit :

a) étudier et décider du bien-fondé du grief;

b) informer par écrit le plaignant, par l’intermédiaire de son commandant, et le Comité des griefs de la décision et des motifs à l’appui;

c) renvoyer tout document ou pièce déposé par le plaignant, si une demande est faite à cet égard;

d) conserver le dossier du grief, notamment la décision et les mesures prises.

(2) L’article 29.13 de la Loi sur la défense nationale prescrit :

«29.13(1) Le chef d’état-major de la défense n’est pas lié par les conclusions et recommandations du Comité des griefs.

(2) S’il choisit de s’en écarter, il doit toutefois motiver son choix dans sa décision.»

7.14 – ACTION AFTER GRIEVANCE BOARD REVIEW

(1) After receiving the findings and recommendations of the Grievance Board, the Chief of the Defence Staff shall:

(a) consider and determine the grievance;

(b) advise in writing the grievor, through the commanding officer, and the Grievance Board of the determination and the reasons for it;

(c) return any documents or things submitted by the grievor if requested to do so; and

(d) maintain a record of the grievance, including the determination made and any action taken.

(2) Section 29.13 of the National Defence Act provides:

"29.13 (1) The Chief of the Defence Staff is not bound by any finding or recommendation of the Grievance Board.

(2) If the Chief of the Defence Staff does not act on a finding or recommendation of the Grievance Board, the Chief of the Defence Staff shall include the reasons for not having done so in the decision respecting the disposition of the grievance."

(v)   Suspension de grief

7.16 – SUSPENSION DE GRIEF

(1) Une autorité initiale ou de dernière instance saisie du grief d’un militaire est tenue de suspendre toute mesure prise à l’égard du grief si ce dernier prend un recours, présente une réclamation ou une plainte en vertu d’une loi fédérale, autre que la Loi sur la défense nationale, relativement à la question qui a donné naissance au grief.

(2) L’autorité initiale ou de dernière instance doit reprendre l’examen du grief s’il y a eu désistement ou abandon de l’autre recours, réclamation ou plainte avant qu’une décision au fond ne soit prise et que l’autorité en ait été avisée.

7.16 – SUSPENSION OF GRIEVANCE

(1) An initial or final authority in receipt of a grievance submitted by a member shall suspend any action in respect of the grievance if the grievor initiates an action, claim or complaint under an Act of Parliament, other than the National Defence Act, in respect of the matter giving rise to the grievance.

(2) The initial or final authority shall resume consideration of the grievance if the other action, claim or complaint has been discontinued or abandoned prior to a decision on the merits and the authority has received notice to this effect.

 

 

[13]           Le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes est de mettre à la disposition des officiers et des militaires de rang une instance décisionnelle leur permettant d’obtenir réparation lorsqu’ils se sentent lésés par une décision, un acte ou une omission de la part de leur employeur.  Le grief doit être individuel et non collectif.  Il s’agit d’un processus unique aux Forces canadiennes allant de paire avec la notion de chaîne de commandement.

 

[14]           En principe, le processus est un système à deux paliers : 1) le niveau initial, l’examen par le commandant et 2) le niveau final, l’examen par le CEMD.  De surcroît, le CEMD peut, à sa discrétion, référer l’examen d’un cas au Comité des griefs s’il y a « [(...)] un avantage de faire examiner le grief par une autorité extérieure et de compter sur la capacité du Comité des griefs d’enquêter et de formuler des conclusions de façon indépendante » (Note (A) à l’article 7.12 des ORFC).  Toutefois, le pouvoir discrétionnaire du CEMD est sans objet lorsqu’il s’agit de traiter des questions énumérées à l’article 7.12 des ORFC :

(a)        les mesures administratives qui émanent de la suppression ou des déductions de solde et d’indemnités, du retour à un grade inférieur ou de la libération des Forces canadiennes;

(b)        l’application et l’interprétation des politiques des Forces canadiennes qui concernent l’expression d’opinions personnelles, les activités politiques et la candidature à des fonctions publiques, l’emploi civil, les conflits d’intérêts et les mesures régissant l’après-mandat, le harcèlement ou la conduite raciste;

(c)        la solde, les indemnités et autres prestations financières;

(d)        le droit aux soins médicaux et dentaires.  

Les griefs mettant en cause ces questions doivent obligatoirement faire l’objet d’un examen par le Comité des griefs.  Contrairement au commandant et au CEMD, le Comité des griefs a un pouvoir d’enquête, d’audience, soit d’entendre et de contraindre les témoins, et de faire des déterminations appropriées sous forme de recommandations au CEMD.  Ce dernier constitue l’autorité finale et n’est pas lié par les recommandations qui émanent du Comité des griefs.  Par contre, le CEMD, lorsqu’il choisit de ne pas suivre les recommandations du Comité des griefs, doit motiver sa décision (voir l’article 29.13 de la Loi sur la défense nationale).

 

[15]           Il est important de noter qu’aux niveaux initial et final, le dossier est traité par écrit.  Aucune disposition dans la Loi ou les ORFC ne prévoit la tenue d’une audience, la comparution de témoins ou la contraignabilité de ceux-ci.  Il s’agit, pour ainsi dire, de règles de procédure internes, essentiellement bureaucratiques.  Si le titulaire d’un grief considère que l’autorité initiale n’a pas répondu à sa demande dans les soixante (60) jours suivant son dépôt, celui-ci peut alors demander que son grief soit renvoyé au niveau final devant le CEMD.  Je note que le CEMD a un pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 29.14 de la Loi sur la défense nationale, et de ce fait, il peut déléguer son autorité de dernière instance, à l’exception des griefs soulevant des questions devant obligatoirement faire l’objet d’un examen par le Comité des griefs.   Le Manuel du Plaignant et de l’Officier Désigné (Manuel du Plaignant), un guide émis par le Directeur général – Autorité des griefs des Forces canadiennes pour les intervenants impliqués dans le processus de règlement des griefs, au paragraphe 3.8, indique que:  «[(...)] le CEMD a délégué ses pouvoirs de décision pour toutes les questions (autres que celles justiciables du Comité des griefs des Forces canadiennes) adressées au directeur général du bureau des griefs des FC ».   En l’instance, la décision fut prise uniquement par le CEMD. 

 

[16]           Le processus de règlement des griefs n’est pas exclusif.  Le paragraphe 29(2) de la Loi sur la défense nationale précise que les décisions d’une Cour martiale, de la Cour d’appel de la Cour martiale, d’un tribunal, office ou organisme créé en vertu d’une loi autre que la Loi sur la défense nationale ou encore, un sujet exclu par réglementation (la version anglaise disant : « (a) a decision of a court martial or the Court Martial Appeal Court; (b) a decision of a board, commission, court or tribunal established other than under this Act; or (c) a matter or case prescribed by the Governor in Council in regulations. »), ne peuvent pas faire l’objet de la procédure des griefs prévu à l’article 29 de la Loi.  Il est prévu à l’article 7.16 des ORFC, que lorsqu’un grief au niveau initial ou final est à l’étude, celui-ci doit être suspendu si le militaire prend un recours, présente une réclamation ou une plainte sur la base d’une question soulevée par le grief, en vertu d’une loi fédérale autre que la Loi sur la défense nationale.  Subséquemment, si une décision sur le fond est rendue par l’instance décisionnelle, l’examen du grief est par le fait même clos.  Par contre, s’il y a désistement, abandon de la demande ou de la réclamation, la suspension du grief prend fin et son examen reprend là où il était au moment de sa suspension.

 

V.  L’application du processus de règlement des griefs et les faits du présent dossier

 

[17]           Le 27 mars 1998, le demandeur déposait son grief.  Par la suite, il fut amendé à trois reprises : le 20 mai 1998, le 24 février 2000 et le 18 octobre 2000.  Le 6 février 1999, M. Bernath demandait que son grief soit renvoyé devant le CEMD, conformément à l’article 7.07(2) des ORFC, considérant qu’aucune décision n’avait été prise par l’instance initiale et que plus de soixante (60) jours s’étaient écoulés depuis le dépôt initial de sa demande.  Le dossier révèle que le CEMD a envisagé à un moment de référer le grief du demandeur au Comité des griefs, mais que cela ne s’est pas produit pour des raisons qui sont sans objet en l’espèce (voir dossier de réponse de la défenderesse, lettre du 8 mai 2000, page 167).  Enfin, le 12 janvier 2001, le CEMD rendait sa décision et la communiquait au demandeur.   

 

[18]           Les premières réclamations visées par les demandes de grief de M. Bernath en vue de la réparation de l’injustice alléguée étaient :

-                     le droit à une pension médicale et la demande d’octroi de la décoration canadienne (C.D.) (voir dossier de réponse de la défenderesse, lettre du 27 mars 1998, page 9);

 

[19]           Par la suite, celles-ci furent amendées pour y inclure ce qui suit (voir dossier de réponse de la défenderesse, lettre du 20 mai 1998, page 15; lettre du 24 février 2000, page 154; lettre du 18 octobre 2000, page 169) :

 

-                     une enquête loyale et approfondie;

-                     des explications;

-                     des excuses et réprimandes dirigées contre les autorités;

-                     la pension médicale par l’octroi de reconnaissance de temps;

-                     l’octroi de la C.D. pour douze (12) ans de loyaux services;

-                     la pension des Forces canadiennes en lui octroyant la reconnaissance de onze (11) ans de service étant donné qu’il ne pouvait plus se trouver de travail convenable et pour compenser ses souffrances psychologiques et physiques;

-                     des excuses écrites du CEMD et de certains officiers;

 

 

-                     une copie de la mention élogieuse accordée par le CEMD au 3 R 22-R.;

-                     une compensation monétaire à être déterminée par un Comité d’arbitrage conformément au livre VII du Code de procédure civile du Québec (voir dossier de réponse de la défenderesse, lettre en date du 24 février 2000, rédigée avec l’aide d’un officier, page 154 à la page 159);

-                     un retrait des demandes d’excuses écrites provenant du CEMD et de certains officiers (voir dossier de réponse de la défenderesse, lettre du 18 octobre 2000, page 169);

 

[20]           Voici ce que M. Bernath écrit au sujet de la demande de compensation monétaire dont fait foi la lettre en date du 7 novembre 2000 (dossier de réponse de la défenderesse, lettre du 7 novembre 2000, page 171) :

 

Concernant ma demande de compensation monétaire par le biais d’un tribunal d’arbitrage, ne m’opposez pas un raisonnement juridique relativement à ma pension obtenue des Anciens combattants! Cette initiative législative a-t-elle été prévue dans les cas où une faute inacceptable de la part des autorités des FC casse complètement la carrière d’un jeune soldat? Non! Et surtout, cette dernière question est-elle-même pertinente dans le cadre d’une demande de réparation d’une injustice...?  Comment vous sentiriez-vous si VOUS étiez à ma place, dans l’impossibilité de poursuivre votre carrière dans les FC alors que vous étiez jeune, parce que les FC ont tenu à tout prix à vous déployer en mission au mépris de votre condition médicale et des risques associés;  et qu’il en résulte une impossibilité de poursuivre votre carrière?  Ne voudriez-vous pas être compensé, de façon juste et impartiale?

 

 

 

 

 

 

[21]           En réponse aux demandes contenues dans le grief, le CEMD, dans une décision datée du 12 janvier 2001, félicite le demandeur et témoigne de sa reconnaissance pour son courage et sa détermination démontrés lors de ses missions et reconnait son travail exceptionnel dans le cadre de l’assistance qu’il a apportée suite au naufrage du vaisseau « La Fierté Gonâvienne » au large de Montrouis en Haïti.  En résultat, le CEMD a octroyé la décoration canadienne à M. Bernath après avoir reconnu les congés de maladie le rendant éligible à recevoir un tel honneur.  De plus, le demandeur et les participants prêtant mains fortes lors du naufrage du vaisseau se sont vus reconnaître la mention élogieuse pour les services rendus en Haïti.   Toutefois, le CEMD a refusé d’accueillir la dernière demande de M. Bernath, soit celle de la compensation monétaire à être déterminée par un comité d’arbitrage (voir paragraphe 5, [18], de la présente décision pour la conclusion quant à la demande de réparation).

 

[22]           Ainsi, le demandeur reçoit à ce jour une pension mensuelle d’environ 1 900.00$ en compensation pour les divers problèmes que lui ont causé ses années de service au sein des Forces canadiennes.  Ce montant a été déterminé par le tribunal des Anciens combattants en conformité avec la Loi sur les allocations aux anciens combattants, L.R.C. 1985, c. W-3.

 

 

 

 

 

[23]           Comme nous pouvons le constater, la réclamation en compensation monétaire alléguée dans la demande de grief du demandeur ne réfère aucunement à la Charte ou à une autre loi qui prévoit les assises juridiques d’un tel type de demande, à l’exception des inférences qu’il est possible de tirer de la lettre de M. Bernath en date du 7 novembre 2000 où celui-ci soutient qu’il n’accepterait en aucun cas que sa demande de compensation monétaire soit rejetée sur la base de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, c. F-7 et de celle de l’article 111 de la Loi sur les Pensions, L.R.C. 1985, c. P-6 (voir la citation au paragraphe 20 de la présente décision).  En contrepartie, la décision du CEMD a effectivement rejeté la demande de compensation monétaire en s’appuyant pour ce faire sur les deux textes de loi auxquels se réfère le demandeur. 

 

[24]           Les faits allégués dans l’action introduite par requête devant cette Cour en vertu des articles 7 et 24 de la Charte sont les mêmes que ceux rapportés dans la demande de grief de M. Bernath.  Bref, les deux instances sont régies par une trame factuelle similaire.  Toutefois, on retrouve dans la déclaration amendée des ajouts concernant un manquement à une obligation de fiduciaire et un manquement lors du traitement du grief (voir les paragraphes 1(i), 1(j)) et les motifs allégués relatifs à la Charte (paragraphes 1 (introduction) 10, 55, etc de la Déclaration amendée du demandeur du 8 novembre 2004, Dossier de requête du demandeur, volume 2, onglet C)

 

 

 

 

[25]           Sachant que le recours introduit en cette Cour par le demandeur s’appuie sur les articles 7 et 24 de la Charte, la protonotaire a conclu dans son ordonnance que ce type particulier de recours faisait partie intégrante du processus de règlement des griefs des Forces canadiennes.  En d’autres mots, que ce processus constitue un « tribunal compétent » au sens de l’article 24 de la Charte et conséquemment, la protonotaire écrivait au paragraphe 70 de son ordonnance : 

[(...)] que le Chef d’état[-]major avait la compétence voulue pour entendre et déterminer la réclamation du demandeur telle que formulée dans sa déclaration précisée, que cette réclamation aurait pu et aurait [dû] être soulevée dans le cadre du grief formulé par le demandeur en vertu de la Loi sur la défense nationale, et que l’action du demandeur constitue donc un abus de procédure.

 

Pour les fins du présent appel, il s’agit là de l’élément d’analyse émanant de l’ordonnance contestée qui se trouve au cœur du débat.  En toute justice, à l’égard de la protonotaire, l’argument de droit précisé au présent paragraphe ne lui a pas été présenté. 

 

[26]           À mon avis, la question à résoudre pour solutionner le présent litige est la suivante : le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes prévu à la Loi sur la défense nationale constitue-t-il un « tribunal compétent » au sens de l’article 24 de la Charte?

 

[27]           Si la réponse est négative, en conséquence, il ne peut y avoir autorité de la chose jugée ou même abus de procédure puisque le processus de règlement des griefs ne constituerait pas en soi un forum adéquat pour traiter d’une question de droit découlant de l’interprétation de la Charte.  Toutefois, si la réponse est affirmative, la question à résoudre est alors de déterminer si l’action introduite par le demandeur constitue autorité de la chose jugée ou encore, si la requête déposée est tout simplement un abus de procédure.   

 

 

 

VI.       Les questions en litige

 

[28]           Suivant les prétentions alléguées des parties en cause, les questions en litige qu’elles soulèvent et qui feront l’objet de la présente analyse sont :

(1)   Le processus de règlement de griefs des Forces canadiennes mis de l’avant par la Loi sur la défense nationale, incluant ses composantes (l’autorité initiale, le CEMD ou son délégué et le Comité des griefs), est-il un « tribunal compétent » au sens de l’article 24 de la Charte et des critères jurisprudentiels établis par la Cour suprême du Canada?

(2)   Dans l’affirmative, y-a-t-il autorité de la chose jugée faisant échec à la demande de M. Bernath suite au dépôt de son grief en vertu du paragraphe 29(1) de la Loi sur la défense nationale, la décision prise par le CEMD en vertu des articles 29.11 et 29.15 de cette même loi et l’action introduite par requête devant cette Cour réclamant une réparation monétaire en vertu des articles 7 et 24 de la Charte?

(3)   De plus, dans l’affirmative, le fait que le demandeur ait introduit une action devant cette Cour en vue d’obtenir une compensation monétaire constitue-t-il un abus de procédure?

(4)   Dans les circonstances, le recours approprié n’était-il pas plutôt celui de procéder par la voie de contrôle judiciaire de la décision du CEMD selon les articles 7, 12 et 18 de la Loi sur les Cours fédérales?

(5)   Subsidiairement, le demandeur peut-il toujours procéder par voie d’action suivant l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales malgré le fait qu’il n’ait pas déposé au préalable de demande de contrôle judiciaire contestant la décision du CEMD en date du 12 janvier 2001?

 

VII.  La législation et la jurisprudence pertinentes aux fins de l’analyse

[29]           Le Parlement, en adoptant le paragraphe 24(1) de la Charte, a créé un mécanisme permettant de faire respecter les droits et libertés garantis par celle-ci (R c. Hynes, [2001] 3 R.C.S. 623 au para. 15).  Le paragraphe 24(1) de la Charte se lit comme suit :

24(1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

 

24(1) Anyone whose rights or freedoms, as guaranteed by this Charter, have been infringed or denied may apply to a court of competent jurisdiction to obtain such remedy as the court considers appropriate and just in the circumstances.

 

[30]           Le paragraphe 24(1) prévoit spécifiquement que toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés garantis par la Charte, peut s’adresser à un « tribunal compétent » pour y obtenir une réparation convenable et juste.  La question fondamentale que sous-tend la notion de « tribunal compétent » a fait l’objet de plusieurs examens par la Cour suprême du Canada afin d’en déterminer les attributs.  Par exemple, l’arrêt Mills c. La Reine, [1986] 1 S.C.R. 863 (Mills) a établi que, pour déterminer si un tribunal ou un décideur judiciaire ou administratif est un « tribunal compétent » sous la Charte, une analyse à trois volets doit être entreprise.  Les trois volets permettant d’identifier si un décideur ou un tribunal judiciaire ou administratif est compétent pour accorder une réparation en fonction du paragraphe 24(1) de la Charte sont les suivants : (1) le tribunal ou le décideur doit premièrement avoir compétence sur l’intéressé, (2) ensuite, le tribunal ou le décideur doit avoir compétence sur l’objet du litige et (3) finalement, le tribunal ou le décideur doit avoir compétence pour accorder la réparation demandée.  Suivant Mills, cette analyse tripartite a été reprise et confirmée par la Cour suprême dans les arrêts Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929 et Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75.

 

 

[31]           Dans la décision R c. 974649 Ontario Inc., [2001] 3 R.C.S. 575, la Cour suprême a repris l’examen relatif à la compétence du tribunal au sens du paragraphe 24(1) de la Charte et a développé une approche fonctionnelle et structurelle pour répondre plus spécifiquement au troisième volet de l’analyse de Mills qui est de déterminer si un tribunal ou un décideur a le pouvoir d’accorder la réparation demandée.  L’approche fonctionnelle et structurelle mise de l’avant est une évaluation contextuelle des facteurs pertinents afin de déterminer si de par sa fonction et sa structure, le tribunal ou le décideur est une instance décisionnelle adéquate pour ordonner la réparation souhaitée en vertu de la Charte.

 

[32]            Les critères à considérer sous la rubrique « fonction » sont les suivants: (1) qu’elle est la fonction du tribunal dans le cadre du régime établi par la loi? (2) l’existence du pouvoir d’ordonner la réparation demandée en vertu du paragraphe 24(1) aurait-elle pour effet d’entraver ce rôle ou de le renforcer?, (3) dans quelle mesure le pouvoir d’accorder la réparation demandée est-il essentiel au fonctionnement efficace et efficient du tribunal?, (4) quelle fonction exerce le tribunal au sein du système de justice général? et (5) est-ce qu’une autre juridiction conviendrait davantage pour réparer l’atteinte portée aux droits garantis par la Charte?

 

 

 

 

 

[33]           Les critères à considérer sous la rubrique « structure » sont les suivants : (1) la nature judiciaire ou quasi-judiciaire des procédures du tribunal, (2) le rôle des avocats, (3) l’applicabilité ou non des règles de preuve traditionnelles, (4) la question de savoir si le tribunal peut délivrer des assignations à comparaître, (5) la question de savoir si les témoins déposent sous serment, (6) l’expertise et la formation du décideur, (7) l’expérience institutionnelle du tribunal relativement à la réparation en question,  (8) la charge de travail du tribunal, (9) les contraintes de temps, (10) la capacité du tribunal de constituer un dossier suffisant pour les besoins d’une cour de révision et (11) toute autre considération opérationnelle du même ordre.

 

[34]           Afin de déterminer si le CEMD est un tribunal compétent en vertu de l’article 24 de la Charte, une analyse du processus de règlement des griefs des Forces canadiennes et du rôle du CEMD à l’intérieur de celui-ci doit être réalisée en fonction de l’analyse tripartite de Mills et en fonction de l’approche fonctionnelle et structurelle établie dans l’affaire R c. 974649 Ontario Ltd.  Par la suite, un exercice semblable sera suivi dans l’hypothèse où l’intervention du Comité des griefs est requise ou demandée, gardant à l’esprit que ce Comité n’a qu’un pouvoir de recommandation et que le CEMD demeure l’autorité compétente pour rendre la décision finale.

 

VIII.  L’analyse

 

(1)   Le processus de règlement de griefs des Forces canadiennes mis de l’avant par la Loi sur la défense nationale, incluant ses composantes (l’autorité initiale, le CEMD ou son délégué et le Comité des griefs), est-il un « tribunal compétent » au sens de l’article 24 de la Charte et des critères jurisprudentiels établis par la Cour suprême du Canada?

 

[35]           On se rappellera l’arrêt de principe en la matière, Mills, a mis de l’avant une analyse tripartite pour déterminer si un tribunal ou un décideur est un « tribunal compétent » en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, les trois volets du test de Mills étant : (1) compétence sur la personne, (2) compétence sur l’objet du litige et (3) compétence pour accorder la réparation demandée.  De plus, l’arrêt 974649 Ontario Inc., précité, a développé une approche fonctionnelle et structurelle pour évaluer le troisième volet.  L’approche suggérée énumère plusieurs facteurs contextuels à prendre en considération.

 

[36]           Compte tenu du libellé du paragraphe 29(1) de la Loi sur la défense nationale, il apparaît  qu’il s’agit d’un énoncé large faisant intervenir plusieurs situations possibles.  Toutefois, je ne crois pas que l’analyse doive se limiter à cela.  L’ensemble de la législation et les ORFC en relation avec le test de Mills en trois volets doivent être prises en considération ainsi que l’ensemble des facteurs contextuels suivant l’approche fonctionnelle et structurelle mise de l’avant par l’arrêt 974649 Ontario Inc.  Avant de transposer l’analyse tripartite de Mills aux faits du présent appel, je crois qu’il est utile, voire même essentiel, que l’étude des facteurs circonstanciels pertinents en l’instance en rapport avec l’approche fonctionnelle et structurelle soit faite en premier lieu.  Il m’apparaît évident que la fonction et la structure du processus de règlement des griefs des Forces canadiennes seront déterminantes pour répondre ensuite aux critères de Mills, notamment celui de déterminer si le CEMD avait compétence pour accorder les réparations réclamées par M. Bernath. 

 

 

 

[37]           À mon avis, pour bien évaluer la fonction du processus de règlement des griefs des Forces canadiennes, il est important d’avoir une bonne connaissance de ses tenants et aboutissants.  L’objet de ce processus ne peut être circonscrit qu’en établissant ses éléments structurels le constituant.  Il en va de l’approche que j’entends suivre en ces lignes. 

 

(i)   Structure du tribunal

 

(i.1)  Les procédures du tribunal ou du décideur sont-elles de nature judiciaire ou quasi judiciaire?

 

[38]           En guise de rappel, la question à l’étude est de savoir si le processus de règlement des griefs mis de l’avant dans la Loi sur la défense nationale et les ORFC a le pouvoir de statuer sur les droits garantis par la Charte, et incidemment, celui d’accorder en cas de leur violation une compensation monétaire à titre de réparation.   À cet égard, je note que la Loi sur la défense nationale ne prévoit pas explicitement que le processus est un forum adéquat pour statuer sur des questions de droit relatives à la Charte ni pour octroyer, en l’occurrence, les réparations appropriées qui en découlent.  En dépit de cet état de fait, le processus de règlement des griefs a-t-il les outils et est-il pourvu des mécanismes lui permettant de trancher de façon juste, équitable et uniforme les questions de droit et les réparations qui s’ensuivent en vertu de l’article 24 de la Charte.

 

 

 

[39]           En soi, la procédure de grief peut être qualifiée comme étant de nature judiciaire ou quasi judiciaire.  Ce qui doit faire l’objet d’un examen plus attentif est le mécanisme de résolution mis de l’avant pour solutionner le grief.  La question qui s’impose est la suivante: est-ce que ce processus a les attributs essentiels menant à une résolution juste, équitable et uniforme des griefs, tout en ayant à l’esprit le type de forum en place chargé d’entendre la contestation des questions de fond en jeu?

 

[40]           Comme il en a déjà été fait mention antérieurement en ces lignes, le processus de règlement de griefs est un mécanisme à deux paliers : 1) le niveau initial, l’examen par le commandant et 2) le niveau final, l’examen par le CEMD.  Il y a intervention du Comité des griefs à la discrétion du CEMD, ou encore, de façon obligatoire si certaines questions relèvent du mandat du Comité (voir l’article 7.12 des ORFC).   Toutefois, il est important de rappeler que les décisions du Comité des griefs ne sont que des recommandations qui ne lient en aucun cas l’autorité de deuxième instance que représente le CEMD puisque ce dernier demeure l’autorité finale dont la détermination représente l’étape ultime du processus de règlement des griefs.  

 

[41]           La Loi sur la défense nationale, les ORFC et le Manuel des griefs, émis par le Directeur général – Autorité des griefs des Forces canadiennes et constituant un guide pour les intervenants dans le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes,  établissent ce qui suit au sujet de ce processus décisionnel :

-                     Ils prévoient que le processus est enclenché par le dépôt d’un grief par un officier ou un militaire de rang;

-                     Ils prévoient la divulgation des renseignements écrits qui serviront à la détermination de la décision à rendre;

-                     Ils prévoient que les avis juridiques obtenus par le décideur ne sont pas communiqués parce qu’ils sont protégés « [(...)] par le privilège du secret professionnel de l’avocat et constitue de ce fait, aux yeux de la loi, une communication professionnelle entre l’avocat l’ayant rédigé et l’autorité l’ayant demandé. »  (voir Manuel des griefs, chapitre 3, article 3)

-                     Ils prévoient qu’il n’y a pas d’audience prévue dans le cadre de la procédure pour en arriver à la solution du grief;

-                     Ils prévoient qu’aucun pouvoir d’émettre des assignations à comparaître n’est octroyé;

-                     Ils ne prévoient pas la procédure à suivre pour le dépôt et l’échange de mémoires.  Toutefois, il est loisible à l’auteur du grief de déposer ses prétentions et ses commentaires, y incluant les motivations qui sous-tendent les assises de sa demande. 

-                     Ils prévoient toutefois que les décisions des autorités décisionnelles doivent être motivées;

 

[42]           Il s’agit donc d’un système interne de résolution de griefs qui est unique aux Forces canadiennes.  L’autorité compétente à chacun des paliers décisionnels est le supérieur, en respect de l’ordre hiérarchique établi au sein des Forces canadiennes, de l’officier ou du militaire de rang portant plainte.  En fait, il n’y a pas, au sens juridique du terme, un décideur indépendant appelé à décider d’un litige entre les parties.

 

 

 

[43]           Dans un tel système décisionnel, il est difficile de percevoir la présence de l’ensemble des attributs propres à un tribunal quasi judiciaire ayant la tâche de déterminer une question découlant des droits garantis par la Charte et d’octroyer, s’il y a lieu, la réparation appropriée en des  circonstances données.

 

[44]           Les questions de droits fondamentaux que soulèvent la Charte, et en conséquence, la possibilité de réparation qui y est énoncé à l’article 24, m’apparaissent comme étant des sujets d’importance qui font nécessairement appel à un décideur indépendant et autonome encadré par un forum approprié lui permettant de débattre adéquatement de telles questions.  Qui plus est, non seulement le décideur qui examine un grief déposé par un officier ou un militaire de rang n’a pas les attributs pour traiter des questions de droit découlant de la Charte,  mais aussi, le processus de règlement des griefs n’offre pas un forum adéquat pour traiter de questions de droit d’importance aussi fondamentales que celles découlant des droits constitutionnels que garantit la Charte.  La non-communication des avis juridiques au demandeur, obtenus par le décideur, m’apparaît être significatif.  Comment un processus décisionnel peut-il décider d’une question de droits protégés par la Charte sans même que les avis juridiques ne puissent en aucun temps être communiqués à la personne en cause?

 

(i.2)  Quel est le rôle des avocats?

 

[45]           Le rôle des avocats est limité à un rôle de conseil dans la préparation, la rédaction et l’étude du grief.  Il n’est pas voulu que l’avocat assume un rôle de représentation dans le cadre du système de griefs menant à une décision. 

 

[46]           À l’article 11 du chapitre 2 du Manuel des griefs, il est mentionné qu’un officier ou un militaire de rang peut bénéficier des services d’un avocat, mais qu’il doit le faire à ses propres frais.  Toutefois, l’article 7.03 des ORFC précise que l’officier ou le militaire peut obtenir de l’aide d’un officier à l’élaboration de son grief après que sa demande ait été formulée au commandant.   

 

[47]           Il m’apparaît inopportun de considérer qu’une instance décisionnelle est adéquate pour traiter convenablement d’une question relative aux droits et libertés, sans que cette dernière ne soit en mesure d’offrir un véritable forum d’échanges et de représentations sur les enjeux fondamentaux que ce type de question est à même de susciter. 

 

[48]           En contrepartie, pour faciliter leur travail, les décideurs ont à leur disposition des membres du personnel possédant des connaissances juridiques.  Néanmoins, le fruit des travaux juridiques potentiellement réalisables qui en découle n’est pas communiqué au titulaire du grief.  Bref, une telle situation ne permet pas d’identifier les éléments légaux en jeu, ni leur justesse et leur exhaustivité, ce qui va à l’encontre du processus de détermination d’une question de droits garantit par la Charte. 

 

(i.3)  Les règles de preuve traditionnelle trouvent-elles application?

 

 

 

 

[49]           À titre préliminaire, la Loi sur la défense nationale et les ORFC ne précisent pas les règles de preuve à suivre en la matière.  Le Manuel des griefs et le Manuel du Plaignant stipulent que la documentation «écrite» soumise devant le décideur doit être communiquée au titulaire du grief, et ce, à l’exception des avis juridiques qui demeurent la propriété du décideur chargé d’entendre la demande et sous le coup du privilège du secret professionnel liant l’avocat et son client.  Sur réception de la documentation écrite, le titulaire du grief a généralement 14 jours pour y répondre (voir Manuel des griefs, chapitre 3, article 3).

 

[50]           Ce genre de communication de la preuve documentaire, ne permet pas de la contester sous forme d’interrogatoires, de contre-interrogatoires ou encore par tout autre moyen.  Cette façon de procéder ne s’apparente en rien aux règles de preuves habituellement en vigueur devant un tribunal judiciaire ou quasi judiciaire.  À nouveau, je réitère le fait que la façon de faire la collecte des éléments de preuves documentaires et leur communication sont précisées dans le Manuel du Plaignant et celui des griefs, et non dans un texte de loi ou encore dans les ORFC.  Un guide n’a aucune valeur juridique s’apparentant à l’autorité de la législation ou de la réglementation.  Il serait erroné de prétendre que le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes répond à un ensemble cohérent de règles de preuves prédéterminé.  L’autorité décisionnelle compétente est à toute fin pratique maître de sa preuve, hormis les cas où elle doit respecter certaines règles comme mentionné plutôt en ces lignes.  On pourrait même dire que le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes n’a pas de règles de preuve en vigueur.  Ceci ne facilite pas la tâche lorsqu’on veut tenter de démontrer que le système de résolution de griefs des Forces canadiennes a compétence pour décider des questions de droits garantis par la Charte et de l’octroi de la réparation appropriée en conséquence.

 

(i.4)  Le tribunal peut-il délivrer des assignations à comparaître?

 

[51]           Comme il en a déjà été question au paragraphe 41 de la présente, la délivrance d’assignations à comparaître n’est pas une procédure poursuivie au cours du processus de règlement des griefs. 

 

(i.5)  Les témoins déposent-ils sous serment?

 

[52]           Le paragraphe 7.04(1) exige qu’un grief soit fait par écrit, qu’il soit signé par un titulaire et qu’il soit déposé devant le commandant désigné pour sa détermination.  L’alinéa 7.04(2)c) du chapitre 7, volume I des ORFC spécifie que l’auteur d’un grief peut déposer une déclaration écrite de toute personne qui peut établir le bien fondé de sa demande.  Ceci dit, il n’y a pas d’obligations énoncées à la Loi sur la défense nationale ou dans les ORFC prévoyant que de telles déclarations écrites doivent être déposées sous serment.

 

(i.6)  Qu’en est-il de l’expertise et de la formation du décideur en cause?

 

 

 

 

 

[53]           La Loi sur la défense nationale n’exige pas de l’autorité du premier palier décisionnel des Forces canadiennes ou encore, du CEMD, qu’il soit qualifié en droit.  La défenderesse allègue dans son mémoire supplémentaire daté du 30 novembre 2006 que le CEMD n’est pas un expert en droit, mais plutôt un expert des questions d’ordre militaire.  Toutefois, le Manuel des griefs mentionne que des « analystes » travaillent pour le Bureau des griefs des Forces canadiennes (BGFC) sous l’autorité d’un directeur.   Je note que cette Cour a déjà reconnu que le CEMD a une certaine expertise en matière de contrôle et d’administration des Forces canadiennes.  Le juge Hughes dans la décision McManus c. Canada (Procureur Général), 2005 CF 1281, au paragraphe 19, écrit ce qui suit au sujet de l’expertise du CEMD: « Le chef d'état-major de la Défense a une certaine expertise en matière de contrôle et d'administration des Forces canadiennes. »

 

(i.7)  Quelle est l’expérience institutionnelle relativement à la réparation en question?

 

[54]           Le CEMD est l’autorité finale en ce qui concerne la détermination à donner aux griefs logés par les militaires de rang et les officiers des Forces canadiennes.  En exerçant sa compétence, le CEMD se prononce sur une multitude de cas en plus d’assurer la direction et la gestion des Forces canadiennes.   Le CEMD, en tant qu’instance finale du processus de règlement des griefs, peut accorder une variété de réparations, telles qu’allouer une période de congé avec ou sans solde, décerner une promotion, octroyer des mentions honorifiques, présenter des excuses solennelles au nom des Forces canadiennes, autoriser des transferts de poste, etc. Ceci étant dit, aucune disposition énoncée à la loi, aux ORFC, au Manuel des griefs ou dans tout autre texte, où les pouvoirs de réparations du CEMD sont énoncés, renferment celui d’accorder des réparations monétaires. 

 

[55]           Dans sa décision du 12 janvier 2001, le CEMD reconnaît lui-même qu’il n’a pas la capacité d’accorder un tel type de réparation :

Finalement, en ce qui concerne votre dernière demande, c’est-à-dire une compensation monétaire à être déterminée par un Comité d’arbitrage, je ne peux pas vous l’accorder puisque aucune disposition législative ou réglementaire ne m’accorde cette autorité.

 

De surcroît, la défenderesse, dans son mémoire supplémentaire du 30 novembre 2006, au paragraphe 39, reconnaît que le CEMD n’a pas l’autorité nécessaire pour octroyer une réparation monétaire sous forme de dommages-intérêts dans le cadre d’un recours mettant en cause un grief introduit conformément à l’article 29 de la Loi sur la défense nationale :

La position actuelle de la défenderesse est à l’effet que le CEMD n’a pas la capacité d’octroyer une réparation monétaire sous forme de dommages-intérêts dans le cadre d’un recours en grief en vertu de l’article 29.

 

 

[56]           Une des assises juridiques justifiant cette incapacité du CEMD d’octroyer une réparation monétaire est le fait que le demandeur recevait et reçoit toujours une pension mensuelle d’environ 1,900.00$, une compensation monétaire ayant été déterminée par le tribunal des Anciens combattants en vertu de la Loi sur les allocations aux Anciens combattants, L.R.C. 1985, C. W-3.  Vu cette situation, l’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif  précise qu’il ne peut y avoir de procédure en réclamation monétaire d’entreprise contre l’État :    

    

9. Ni l’État ni ses préposés ne sont susceptibles de poursuites pour toute perte — notamment décès, blessure ou dommage — ouvrant droit au paiement d’une pension ou indemnité sur le Trésor ou sur des fonds gérés par un organisme mandataire de l’État.

9. No proceedings lie against the Crown or a servant of the Crown in respect of a claim if a pension or compensation has been paid or is payable out of the Consolidated Revenue Fund or out of any funds administered by an agency of the Crown in respect of the death, injury, damage or loss in respect of which the claim is made.

 

 

 

 

 

[57]           Ceci dit, la protonotaire, dans son ordonnance du 9 septembre 2005, a conclu que le CEMD avait la compétence voulue pour sanctionner une violation de la Charte et pour octroyer une compensation monétaire en guise de réparation.  À cet effet, la protonotaire écrit au paragraphe 38 de l’ordonnance contestée :

Le mécanisme de grief prévu par la Loi sur la défense nationale étant, comme on l’a vu, encore plus complet que celui prévu à la LRTFP, le Chef d’état[-]major doit manifestement avoir l’autorité et la compétence voulue pour appliquer la Charte, détermine s’il y a eu violation des droits garantis par celle-ci et, le cas échéant, accorder une compensation monétaire en guise de réparation en vertu de l’article 24 de la Charte s’il détermine que la pension par ailleur[s] accordée est insuffisante eu égard aux circonstances. 

[Je souligne]

 

Une telle conclusion m’apparaît aller à l’encontre de la Loi.  Bien qu’il s’agisse d’un recours ayant comme toile de fond les articles 24 et 7 de la Charte, il me semble qu’avant de pouvoir en conclure comme elle l’a fait, la protonotaire avait l’obligation de procéder à l’analyse tripartite de Mills et de considérer l’approche fonctionnelle et structurelle mise de l’avant par la Cour suprême dans l’arrêt 974649 Ontario Inc.  À nouveau, je répète que la protonotaire n’avait pas devant elle l’argumentation à la base de la présente décision. 

 

 

 

 

 

 

 

[58]           Si le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes n’accorde pas de réparations monétaires, il est insuffisant de retenir ce facteur d’analyse, soit l’expertise de l’autorité décisionnelle relativement à la réparation en question, pour en conclure que le système de grief n’est pas un tribunal compétent.  La défenderesse est de cet avis.  D’ailleurs, elle soutient qu’une certaine jurisprudence enseigne que même si un tribunal ne peut accorder exactement la même réparation que celle demandée dans un recours, cela n’en fait pas pour autant un tribunal moins compétent.  Pour appuyer cette allégation, la défenderesse s’appuie sur les arrêts Okwuobi c. Commission scolaire Lester-B-Pearson, [2005] 1 R.C.S. 257 (Okwuobi) de la Cour suprême et Phillips v. Harrison, (2000) 196 D.L.R. (4th) 69 (Phillips) de la Cour d’appel du Manitoba.  À mon avis, ces arrêts se distinguent du présent cas.

 

[59]           Dans Okwuobi, la Cour suprême a conclu que bien que le Tribunal administratif du Québec (TAQ) ne puisse pas prononcer une déclaration générale d’invalidité lorsqu’il détermine si une loi ou une partie d’une loi est inconstitutionnelle, ceci n’affecte pas sa compétence.  La Cour suprême précise que le TAQ a la compétence de déclarer l’invalidité d’une disposition législative, mais qu’une telle détermination ne liait pas pour l’avenir aucune autre instance décisionnelle et que cette situation n’affectait pas sa compétence comme tribunal compétent en vertu de l’article 24 de la Charte.  En d’autres mots, la Cour suprême a conclu dans cet arrêt que même si un tribunal ne peut accorder une réparation de même ampleur que celle demandée, ceci n’en fait pas moins un tribunal compétent, en autant que le tribunal possède les pouvoirs de réparation nécessaires à l’exercice de sa compétence. 

 

[60]           Dans l’affaire Phillips, la Cour d’appel du Manitoba a conclu que l’inhabilité d’un tribunal ou d’un arbitre à octroyer une réparation demandée n’en fait pas pour autant un tribunal ou un arbitre incompétent à décider de la question en cause.  Ainsi, même si les réparations que le tribunal en question peut accordées ne sont pas exactement celles qui sont demandées, le tribunal ne perd pas nécessairement sa compétence en la matière. 

 

[61]           Pour expliquer son raisonnement, la Cour d’appel du Manitoba a fait référence à la décision Giorno v. Pappas, (1999) 170 D.L.R. (4th) 160 (Giorno) de la Cour d’appel de l’Ontario.  Cette décision établit qu’un arbitre n’est pas compétent pour traiter d’une demande s’il n’a pas la capacité de réparer le tort allégué par le demandeur.  Il en va comme suit dans les motifs reproduits ci-dessous de M. le juge Goudge aux paragraphes 19 et 20 de la décision Giorno :

 

[19] It is of no moment that arbitrators may not always have approached the awarding of damages in the same way that courts have awarded damages in tort. In Weber, at p. 603, McLachlin J. made clear that arbitrators are to apply the same law as the courts. Laskin J.A. put it this way in Piko at para. 22:
I do not rest my decision on any differences between the power of courts and the power of arbitrators to award damages for a tort, such as the tort of malicious prosecution. I recognize that arbitrators may apply common law principles in awarding damages, and, more importantly, the breadth of an arbitrator's power to award damages does not necessarily determine whether Weber applies.
 
[20] What is important is that the arbitrator is empowered to remedy the wrong. If that is so, then where the essential character of the dispute is covered by the collective agreement, to require that it be arbitrated, not litigated in the courts, causes no "real deprivation of ultimate remedy". The individual is able to pursue an appropriate remedy through the specialized vehicle of arbitration. He or she is not left without a way to seek relief.

 

[Je souligne]

 

 

 

 

 

 

 

[62]           En l’espèce, la jurisprudence mise en lumière par la défenderesse ne sert aucunement à expliquer en quoi le CEMD est un décideur compétent en vertu de la Charte relativement au fait qu’il est incapable d’octroyer les réparations monétaires réclamées par M. Bernath.  Le Cour suprême dans Okwuobi a conclu qu’un tribunal qui ne peut pas accorder une réparation de même intensité que celle requise par le demandeur peut tout de même être un tribunal compétent au sens de l’article 24 de la Charte.  Ceci n’est certainement pas le cas en l’espèce.  Ici, il est admis que le CEMD ne peut d’aucune façon octroyer des réparations monétaires.  Il va sans dire que la situation en l’espèce est contraire à la situation dans l’arrêt Okwuobi où le tribunal avait le pouvoir de rendre une déclaration d’invalidité, soit la réparation demandée, mais que cette déclaration que pouvait rendre ce tribunal n’avait pas pour effet de lier les décideurs ultérieurs comme l’aurait souhaité les demandeurs. 

 

[63]           Dans l’affaire Phillips, la Cour d’appel du Manitoba a déterminé qu’un décideur n’est pas compétent pour traiter d’une demande s’il n’a pas la capacité nécessaire à la réparation appropriée du tort allégué par le demandeur.  Il en va de même en l’instance.  Ici, le demandeur réclame des dommages-intérêts pour compenser la violation alléguée au droit à la sécurité de sa personne énoncé à l’article 7 de la Charte.  Comme il en a déjà fait mention, le CEMD n’a pas compétence pour allouer des réparations monétaires et il n’y a aucune allégation de la part de la défenderesse à l’effet qu’une autre réparation de même nature aurait pu être accordée par le CEMD dans les circonstances.   En conséquence, la décision Phillips n’appuie pas cette allégation de la défenderesse relativement au fait que le CEMD est un tribunal compétent pour trancher des questions de Charte.  Au contraire, l’affaire Philipps appuie la thèse voulant que, pour sanctionner un droit découlant de la Charte, le tribunal doit avoir le pouvoir d’accorder une réparation appropriée.    

 

(i.8)  Quelle est la charge de travail du tribunal?  

 

[64]           Le processus de règlement des griefs est un mécanisme de résolution des réclamations en matière militaire auquel les membres des Forces canadiennes ont couramment recours.  En 2003, le CEMD a reçu 135 nouveaux cas et les statistiques de cette même année démontrent qu’il y avait déjà en attente d’une décision plus de 789 griefs (Rapport Lamer, page 89).  Il n’est pas sans importance de souligner à nouveau que le directeur du BGFC s’est vu accordé par délégation de pouvoir la faculté d’agir en tant qu’officier exerçant l’autorité décisionnelle finale en matière de grief, afin de diminuer la charge de travail du CEMD relative, à la résolution des griefs. 

 

(i.9)  Qu’en est-il des contraintes de temps du tribunal?

 

[65]           Il est de connaissance publique que le CEMD a de nombreuses responsabilités.  En plus d’être l’autorité finale en ce qui a trait au règlement des griefs logés par les militaires de rang et les officiers, tâche qu’il partage désormais avec le directeur du BGFC, le CEMD est de plus le commandant en chef des Forces canadiennes et en contrôle ainsi son administration.  De surcroît, le CEMD conseille le ministre de la Défense nationale du Canada sur toutes les questions relatives aux Forces canadiennes et conseille aussi au besoin, le Premier ministre et son Cabinet sur toutes questions relatives aux développements en matière militaire.  Il apparaît évident que le CEMD ne peut pas consacrer la totalité de ses heures de travail à la résolution des griefs sachant qu’il s’agit là de l’une des lourdes responsabilités liées à la fonction qu’il occupe (voir Rapport Lamer, précité, à la page 100). 

 

(i.10)  Le tribunal a-t-il la capacité de constituer un dossier suffisant pour les besoins d’une cour de révision?

 

[66]           En vertu de l’article 7.11 des ORFC, lorsque le grief n’appartient pas à une catégorie qui exige un renvoi devant le Comité des griefs, le CEMD doit :

7.11 – OBLIGATIONS – GRIEF NON RENVOYÉ DEVANT LE COMITÉ DES GRIEFS

Si le grief n’appartient pas à une catégorie qui exige, en application de l’article 7.12 (Renvoi devant le Comité des griefs), un renvoi devant le Comité des griefs, le chef d’état-major de la défense ou l’officier ayant le pouvoir de décision définitive doit :

a) étudier et décider du bien-fondé du grief;

b) informer le plaignant par écrit, par l’intermédiaire de son commandant, de la décision et des motifs à l’appui;

c) renvoyer tout document ou pièce déposé par le plaignant, si une demande est faite à cet égard;

d) conserver le dossier du grief, notamment la décision et les mesures prises.

7.11 – DUTIES WHERE GRIEVANCE NOT REFERRED TO GRIEVANCE BOARD

Where the grievance is not of a type that must be referred to the Grievance Board pursuant to article 7.12 (Referral to Grievance Board), the Chief of the Defence Staff or the officer to whom final authority has been delegated shall:

(a) consider and determine the grievance;

(b) advise the grievor in writing through the commanding officer of the determination and the reasons for it;

(c) return any documents or things submitted by the grievor if requested to do so; and

(d) maintain a record of the grievance, including the determination made and any action taken.

 

[67]           Le fait que le CEMD soit obligé de rendre une décision appuyée par des motifs écrits, en plus de l’obligation de conserver le dossier du grief, notamment la décision et les mesures prises, indique que le CEMD est à même de constituer lors du processus de règlement des griefs un dossier pour les besoins d’une cour de révision. 

 

(i.11)  Quelles sont les conclusions sous la rubrique « structure»?

 

[68]           En résumé, le processus et la procédure régissant le système des griefs et le rôle du CEMD en tant qu’autorité de dernière instance divergent du processus et de la procédure ordinairement suivis par les tribunaux jugés compétents au sens de l’article 24 de la Charte lorsque des réparations sont accordées pour cause de violation aux droits et libertés énoncés à la Charte.  Notamment, le fait que les avis juridiques dont disposent les décideurs ne sont pas communiqués, qu’aucune audience ne soit tenue, qu’aucun témoin ne puisse être entendu, que le processus n’accorde aucun pouvoir d’émettre des assignations à comparaître, que le rôle de décideur prévu par la Loi sur la défense nationale et les ORFC soit ce qu’il est et que le pouvoir d’accorder des réparations monétaires soit absent.  Ainsi, il est difficile de percevoir, dans un tel système, un pouvoir de nature quasi-judiciaire pouvant permettre de sanctionner une question de droits garantis par la Charte.

(ii)   La fonction du tribunal

(ii.1)  La fonction du tribunal dans le cadre du régime établi par la Loi

 

[69]           L’approche fonctionnelle et structurelle établie dans l’arrêt 974649 Ontario Inc. veut que l’analyse qu’elle sous-tend se préoccupe de la fonction du tribunal dans le but de conclure quant à la compétence sur la réparation demandée.  Je ne sais si cela ajoutera aux conclusions évidentes découlant de l’analyse de la structure du processus de règlement des griefs des Forces canadiennes déjà entreprise, mais afin d’examiner la question en profondeur, je poursuis l’exercice.  La question primordiale demeure celle de savoir si, par sa fonction et sa structure, le système de résolution de griefs des Forces canadiennes, à l’exception du Comité des griefs, est un forum approprié pour décider d’une réparation fondée sur la Charte.  Selon le vocabulaire choisi par la Cour suprême au paragraphe 44 dans l’arrêt 974649 Ontario Inc., précité, la fonction d’un tribunal se traduit par «[(...)] l’expression de son objectif ou mandat ».

(ii.2)  La fonction du tribunal dans le cadre du régime établi par la Loi

 

[70]           L’article 29 de la Loi a un libellé couvrant les décisions prises, les actes et les omissions dans le cadre des affaires des Forces canadiennes qui auraient lésé un officier ou un militaire de rang.  La procédure à suivre pour enclencher l’article 29 de la Loi est le dépôt d’un grief.  Ce libellé est général, vaste et n’est limité que par les objets suivants :

-                     les décisions d’une Cour martiale ou de Cour d’appel de la Cour martiale;

-                     les décisions d’un tribunal, office ou organisme crée en vertu d’une autre loi;

-                     les questions ou les cas exclus par règlement du gouverneur en conseil;

 

[71]           Dans le cas d’un grief réclamant une réparation monétaire, le Manuel des griefs à l’article 2.6 énonce que :

[(...)] si l’étude de la plainte démontre qu’il s’agit d’une demande de compensation monétaire, celle-ci peut servir de base à une réclamation contre l’état.  En pareil cas, le membre et l’officier désigné devraient se reporter à l’OAFC 59-3 et consulter le conseiller juridique de l’unité.

 

[72]           Il est même prévu dans les ORFC à l’article 7.16 que l’autorité initial ou de dernière instance saisie d’un grief est tenue de suspendre toute mesure à l’égard du grief logé si le titulaire de ce denier prend un recours, présente une réclamation ou une plainte en vertu d’une loi fédérale autre que la Loi sur la défense nationale.  Si le titulaire du grief se désiste ou abandonne son recours, sa réclamation ou sa plainte, avant qu’une décision au fond ne soit prise, l’autorité initiale ou de dernière instance doit reprendre l’étude du grief.  Le libellé de l’article 7.16 des ORFC semble donner priorité aux recours, réclamations et plaintes pris en vertu d’une loi autre que la Loi sur la défense nationale.  De plus, il est mentionné que l’étude du grief recommence lorsqu’il y a désistement ou encore lorsqu’il y a abandon de la procédure par le titulaire du grief.  Ainsi, lorsqu’un jugement au fond est rendu, celui-ci met fin à la procédure de grief qui avait été entreprise.  Tel que vu précédemment, je tiens à ajouter ce qui suit.  Le fait que l’alinéa 29(2)b) de la Loi sur la défense nationale, qui précise que les décisions d’un tribunal, office ou organisme créé en vertu d’une autre loi ne peuvent faire l’objet d’un grief, vient renforcer l’obligation de suspendre un grief lorsqu’un recours, une réclamation ou une plainte est fait en vertu d’une loi autre que la Loi sur la défense nationale.

 

[73]           À la lumière de ces constatations, il apparaît que l’objectif derrière l’adoption du processus de règlement des griefs était de régler les problèmes en matière de relations de travail.  Toutefois, ce processus n’a pas été conçu pour remplacer les recours, les réclamations et la résolution de plaintes prévus dans des lois autres que la Loi sur la défense nationale.  Faut-il le rappeler, suivant le processus de règlement des griefs, le décideur n’a pas le pouvoir d’octroyer quelque réparation monétaire que ce soit.  

 

[74]           Tenant compte de ces commentaires, je ne crois pas qu’il soit utile de faire une étude exhaustive des autres questions mises de l’avant dans l’arrêt 974649 Ontario Inc. pour mieux saisir la notion de « fonction » en l’espèce.  De par la façon dont certaines sont libellées, je ne vois pas en quoi une analyse plus poussée permettrait de circonscrire plus étroitement la fonction du processus de règlement des griefs des Forces canadiennes.  Je poursuis toutefois mon analyse, même si ce n’est que pour m’en tenir aux critères élaborés par la Cour suprême.      

 

(ii.3)  L’existence du pouvoir d’octroyer la réparation demandée en vertu du paragraphe 24(1) aurait-elle pour effet d’entraver le rôle du tribunal ou de le renforcer?

 

[75]           Il va de soi que le processus de règlement des griefs serait renforcé si celui-ci avait le pouvoir d’accorder des réparations monétaires en vertu de la Charte.  Ceci nécessiterait des changements importants à la législation et la structure du processus de façon à lui donner les outils nécessaires afin qu’il puisse rendre des décisions qui soient éclairées, équitables et dans l’intérêt de l’administration de la justice.

 

(ii.4)  Dans quelles mesures le pouvoir d’accorder la réparation demandée est-il essentiel au fonctionnement efficace et efficient du tribunal?

 

[76]           À ce jour, le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes ne donne pas le pouvoir à l’autorité décisionnelle désignée d’octroyer une réparation monétaire pour cause de violation d’un droit ou d’une liberté garanti à la Charte.  Le processus semble fonctionner et rencontrer ses objectifs.  Ce pouvoir n’est donc pas essentiel pour veiller sur le bon fonctionnement de la résolution des griefs.

 

(ii.2)  Conclusion sous la rubrique « fonction »

 

 

 

[77]           En conclusion, le libellé de l’article 29 de la Loi sur la défense nationale avec ses restrictions et l’obligation de l’autorité décisionnelle désignée de suspendre l’étude du grief si un autre recours, réclamation ou plainte a été entrepris démontre que le processus de règlement des griefs n’a qu’une fonction limitée qui ne permet pas d’y inclure celle de traiter d’une question de droit découlant de l’application de la Charte et de l’impossibilité d’octroyer une réparation en conséquence.

 

[78]           L’approche fonctionnelle et structurelle proposée dans l’arrêt 974649 Ontario Inc., précité, permet de conclure que la fonction et la structure du processus de règlement des griefs des Forces canadiennes ne sont pas conçues pour accorder une réparation monétaire en conséquence d’une violation à un droit garanti par la Charte.

 

[79]           Les deux autres volets de l’analyse tripartite de Mills, notamment pour déterminer si le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes a compétence sur l’intéressé et a compétence sur l’objet du litige, doivent être évaluées dans le but de compléter l’analyse.

 

(iii)   L’application de l’analyse tripartite de Mills au processus de règlement des griefs des Forces canadiennes sans tenir compte du rôle du Comité des griefs

 

[80]           Le test à trois volets de Mills demande une évaluation de la compétence du tribunal sur l’intéressé, sur l’objet du litige et sur la réparation demandée.

 

[81]           L’analyse fonctionnelle et structurelle a permis de constater que le processus de règlement des griefs, tel que conçu et structuré, ne pouvait pas accorder la réparation demandée.

 

[82]           De plus, l’analyse fonctionnelle et structurelle a permis de constater que le processus de règlement des griefs n’est pas le forum exclusif pour assurer la résolution des réclamations initiées par les officiers et les militaires de rang des Forces canadiennes car d’autres recours, réclamations et plaintes en vertu de lois autre que la Loi sur la défense nationale peuvent être entrepris.   Subséquemment, l’introduction d’une telle demande alternative de règlement d’une réclamation aura pour effet de suspendre l’examen du grief jusqu’au moment, s’il y a lieu, de son désistement ou de son abandon, et dans l’hypothèse où il y avait un jugement de rendu sur le fond de l’affaire, le dossier de grief alors suspendu deviendrait sans objet.

 

[83]           En tout état de cause, au sujet de la compétence sur l’intéressé, l’article 29 de la Loi sur la défense nationale reconnaît au processus de règlement des griefs des Forces canadiennes le pouvoir d’exercer sa compétence sur les officiers et les militaires de rang.  Par contre, comme mentionné précédemment, cette compétence n’est pas exclusive.

 

[84]           Dans le cas en l’espèce, quant à la compétence sur l’objet du litige, il apparaît que le processus de règlement des griefs n’a pas été conçu et structuré pour traiter d’une question de droit d’ordre constitutionnel.  Tel que mentionné précédemment, le recours à ce mécanisme de résolution des griefs n’est pas exclusif, puisque les militaires de rang et les officiers peuvent engager d’autres recours, réclamations ou plaintes sous l’autorité d’autres lois.  De plus, la structure de l’instance décisionnelle, le rôle du décideur initial et celui du CEMD, le forum limité que constituent le processus de règlement des griefs et la non-communication des opinions légales obtenues par l’autorité décisionnelle au titulaire du grief ne sont que quelques exemples permettant de conclure que le processus de règlement des griefs n’est pas un tribunal compétent au sens de la Charte.

 

[85]           En bref, bien que le processus de règlement des griefs jouisse d’une compétence non exclusive sur l’individu, il n’a pas compétence sur l’objet du litige en question et n’a pas compétence pour accorder la réparation demandée.  En conséquence, ce processus, en omettant l’autorité du Comité des griefs dont il sera sommairement question ci-après, n’est pas un tribunal compétent au sens de l’article 24 de la Charte.

 

(iv)   Est-ce que l’implication du Comité des griefs dans le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes peut faire de ce mécanisme un tribunal compétent selon l’article 24 de la Charte?

 

[86]           Faut-il le rappeler, le CEMD doit, en vertu de l’article 7.12 des ORFC, envoyer au Comité des griefs tous les griefs concernant (a) les mesures administratives émanant de la suppression ou des déductions de solde et d’indemnités, du retour à un grade inférieur ou de la libération des Forces canadiennes, (b) l’application et l’interprétation des politiques des Forces canadiennes qui concernent l’expression d’opinions personnelles, les activités politiques et la candidature à des fonctions publiques, l’emploi civil, les conflits d’intérêts et les mesures régissant l’après-mandat, le harcèlement ou la conduite raciste, (c) la solde, les indemnités et autres prestations financières et (d) le droit aux soins médicaux et dentaires.  Le CEMD a aussi la discrétion de renvoyer au Comité des griefs toutes demandes logées en vertu du paragraphe 29.12(1) de la Loi sur la défense nationale.

 

 

Les ORFC énoncent à la note (A) de l’article 7.12 que les facteurs devant être pris en compte par le CEMD dans le cadre de l’exécution de sa discrétion sont: «[(...)] l’avantage de faire examiner le grief par une autorité extérieure et de compter sur la capacité du Comité des griefs d’enquêter et de formuler des conclusions de façon indépendante. »

 

[87]           Les décisions du Comité des griefs sont des recommandations qui sont transmises au CEMD pour qu’une décision finale puisse être rendue.  Les conclusions et les recommandations du Comité des griefs ne lient pas le CEMD.  Toutefois, dans l’hypothèse où le CEMD décide de ne pas suivre les recommandations ou les conclusions du CEMD, il doit obligatoirement motiver son choix.  Ainsi, le CEMD demeure l’autorité décisionnelle finale pour la résolution des griefs et celui-ci prend ses décisions de façon autonome.

 

[88]           Le récit des faits à la base du grief du demandeur, la question de droit qu’il soulève et les réparations demandées qu’il s’en dégage, ne sont pas des objets assujettis à la compétence exclusive du Comité des griefs.  Des éléments au dossier révèlent que le CEMD aurait envisagé utiliser sa discrétion afin de référer le grief au Comité des griefs, mais pour des raisons inconnues, cela ne s’est pas produit.

 

 

 

 

[89]           Relativement au Comité des griefs, sans procéder de nouveau à l’analyse tripartite de Mills ni à l’examen de l’approche fonctionnelle et structurelle, il apparaît que ce Comité n’est pas plus que le processus de règlement des griefs un tribunal compétent au sens de l’article 24 de la Charte.  Le Comité n’a pas la compétence, de par son mandat, pour traiter de l’objet du litige qui met en jeu des questions d’ordre constitutionnel.  Conséquemment, le Comité des griefs n’est manifestement pas un tribunal compétent au sens de l’article 24 de la Charte.

 

[90]           Toutefois, sur le plan structurel, le Comité des griefs a plusieurs des attributs d’un tribunal quasi-judiciaire.

 

[91]           L’article 29.21 de la Loi sur la défense nationale précise que le Comité des griefs a le pouvoir d’assigner des témoins, de les contraindre à témoigner sous serment, oralement ou par écrit et de les contraindre à produire les documents et les pièces sous leur responsabilité et qu’ils estiment nécessaires à une enquête et à une étude complètes. Le Comité des griefs a un pouvoir d’enquête que l’autorité initiale et le CEMD n’ont simplement pas.

 

[92]           Les Règles de procédure du Comité des griefs des Forces canadiennes (examen des griefs par voie d'audition), DORS/2000-294 (Règles du Comité) prévoient l’examen de griefs par voie d’audition.  Dans les Règles du Comité, on retrouve des éléments associés à un tribunal quasi-judiciaire.  On y retrouve les acteurs suivants : greffier, agent d’audience, plaignant, décideur et témoins.

 

[93]           De plus, les Règles du Comité précisent les modes de signification, de production de documents, de suspension d’instance, d’avis d’audience, d’assignation à comparaître, de témoin expert, de requêtes interlocutoires, d’échange d’observations écrites, de plaidoiries, etc.  Ces règles de procédure ne se comparent en rien à celles applicables devant les deux paliers d’autorité décisionnelle du processus de règlement des griefs. 

 

[94]           Toutefois, tout comme il en est devant l’autorité initiale et le CEMD des Forces canadiennes, le Comité des griefs ne communique pas au demandeur les avis juridiques qu’il a obtenu et son pouvoir n’est qu’en définitive un pouvoir de recommandation qui ne lie pas le CEMD, faut-il le rappeler (voir Manuel des griefs, chapitre 3, article 4 et les représentations écrites additionnelles de la défenderesse datées du 19 décembre 2006 à la page 5).

 

[95]           L’intervention du Comité des griefs dans l’examen d’un grief logé en vertu de l’article 29 de la Loi sur la défense nationale ne peut donc pas changer la conclusion à laquelle j’en suis arrivé, soit que le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes n’a pas été conçu et structuré pour traiter de question de droits protégés par la Charte ni de la question des réparations à accorder en conséquence.  Le Comité des griefs, de par sa structure, ajoute au processus par le fait qu’il est une autorité autonome extérieure à la chaîne de commandement, ayant son propre pouvoir d’enquêter et la possibilité de « [(...)] fonder des conclusions indépendantes. » (voir ORFC, article 7.12, note (A)).  En fait, ce Comité ne représente qu’une composante de l’ensemble que constitue le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes. 

 

(v)   Conclusion

 

[96]           Pour les motifs mentionnés ci-dessus, le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes mis de l’avant par la Loi sur la défense nationale y incluant ses composantes, dont l’autorité initiale, le CEMD et le Comité des griefs, n’est pas un tribunal compétent au sens de l’article 24 de la Charte. 

 

(2)   Dans l’affirmative, y-a-t-il autorité de la chose jugée faisant échec à la demande de M. Bernath suite au dépôt de son grief en vertu du paragraphe 29(1) de la Loi sur la défense nationale, la décision prise par le CEMD en vertu des articles 29.11 et 29.15 de cette même loi et l’action introduite par requête devant cette Cour réclamant une réparation monétaire en vertu des articles 7 et 24  de la Charte?

 

[97]           Cette question est sans objet vu la conclusion à laquelle j’en arrive relativement au pouvoir décisionnel du processus de règlement des griefs des Forces canadiennes en regard de l’article 24 de la Charte.  À ce point-ci de l’analyse, adresser cette question est d’y répondre.  Je m’explique.  Le recours du demandeur se fonde essentiellement sur les articles 7 et 24 de la Charte afin d’obtenir une réparation monétaire dû à l’atteinte qu’il allègue avoir subi en raison de la violation du droit à la sécurité de sa personne.  Pour conclure à l’égard d’une requête alléguant autorité de la chose jugée, il faut tout d’abord que l’instance décisionnelle qui a entendu l’affaire ait compétence pour en décider.  Il s’agit là d’un principe élémentaire.  En l’instance, ayant conclu que le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes n’est pas un tribunal compétent pour traiter de questions de droits découlant de la Charte, il n’avait pas la compétence voulue pour en décider.  Par le fait même, l’autorité de la chose jugée ne peut trouver application en l’espèce.   

 

(3)   De plus, dans l’affirmative, le fait que le demandeur ait introduit une action devant cette Cour en vue d’obtenir une compensation monétaire constitue-t-il un abus de procédure?

 

[98]           Décider d’une question de droit découlant de la Charte m’apparaît être une question d’une toute autre nature que celle qui est foncièrement factuelle et qui nécessite une analyse des faits à la lumière de la documentation pertinente.  Il serait faut de prétendre que, dans le cas des deux demandes, soit celle que constitue le grief déposé en vertu de l’article 29 de la Loi sur la défense nationale et celle que constitue l’action introduite par requête devant cette Cour, la trame factuelle et la réparation monétaire demandée ne s’apparente aucunement. Faut-il le préciser, le fondement juridique donnant naissance aux deux recours n’est de toute évidence pas le même.  Dans le cas des griefs, le fondement juridique qui sous-tend sa résolution n’apparaît pas de lui-même. Certes qu’il y ait des renvois à certaines ORFC et à quelques lois, la décision du CEMD est en très grande partie une décision factuelle qui n’est précédée par aucune enquête.  Dans le cas de questions d’ordre constitutionnel découlant de l’application de la Charte, le décideur compétent doit appliquer la loi suprême du pays à des faits donnés, propres aux circonstances d’une affaire.  Il n’est pas nécessaire d’élaborer davantage sur cet aspect de la question sachant que le grief devant le CEMD et la documentation à l’appui ne référaient pas à une question de droit découlant de l’application de la Charte.

 

 

 

 

[99]           Comment peut-il y avoir abus de procédure alors que le décideur n’avait pas compétence pour trancher une question de droit en application de la Charte et d’y octroyer une réparation en conséquence?  Il apparaît clairement qu’il serait impensable de conclure à un abus de procédure compte tenu de la conclusion à laquelle que j’en arrive en regard de la Charte. 

 

(4)   Dans les circonstances, le recours approprié n’était-il pas plutôt celui de procéder par la voie de contrôle judiciaire de la décision du CEMD selon les articles 7, 12 et 18 de la Loi sur les Cours fédérales?

 

[100]       La défenderesse soumet que même si la décision du CEMD en date du 12 janvier 2001 ne constitue pas autorité de la chose jugée, il ne serait pas approprié que cette Cour traite du recours du demandeur tant que cette décision, provenant d’un office fédéral, n’aurait pas été annulée par la voie de contrôle judiciaire.  Pour appuyer cet argument, la défenderesse se réfère à la décision Canada c. Tremblay, 2004 CAF 172 (Tremblay).  Un extrait des paragraphes préliminaires, résumant la cause, est ici reproduit :

Il s’agit d’un appel d’une ordonnance par laquelle un juge de la Cour fédérale a rejeté l’appel interjeté par l’appelante contre une ordonnance d’un protonotaire portant rejet de la requête présentée par l’appelante en vue d’obtenir la radiation de l’action de l’intimé.  L’intimé a déposé une action fondée sur l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales trois ans après avoir pris sa retraite des Forces canadiennes suite à l’application des dispositions sur l’âge obligatoire de la retraite prévues à l’article 15.17 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (Révision de 1994) (les ORRFC).  Dans son action, l’intimé demandait que les articles des ORRFC prescrivant l’âge de la retraite obligatoire, l’alinéa 15(1)b) de la Loi canadienne sur les droits [page 166] de la personne (la LCDP) sous l’empire duquel les ORRFC sont adoptés ainsi que l’alinéa 15(1)c) de la LCDP, soient déclarés inopérants parce qu’incompatibles avec les articles 3 et 7 de la LCDP et avec la Charte canadienne des droits et libertés.  L’intimé réclamait sa réintégration auprès des Forces canadiennes ainsi que des dommages-intérêts.  L’appelante soutenait pour sa part que l’action de l’intimé était prescrite en vertu de l’article 269 de la Loi sur la défense nationale et demandait subsidiairement que les conclusions de la nature d’un contrôle judiciaire soient radiées.

 

Les questions en litige sont les suivantes : 1) l’intimé pouvait-il procéder par action ou devait-il procéder par voie de contrôle judiciaire?; et 2) dans le cas où l’intimé pouvait procéder par action, celle-ci était-elle prescrite compte tenu de la prescription de six mois prévue à l’article 269 de la Loi sur la défense nationale?

 

[101]       Au cœur de ce litige, la question débattue était la décision qui avait mené le demandeur à la retraite et les conclusions recherchées équivalaient à une demande en nullité.  Il est de connaissance générale que la seule façon d’annuler le renvoi à la retraite était d’attaquer cette décision par une demande de contrôle judiciaire (voir le paragraphe 18(3) des Règles des Cours fédérales).  Sur ce point, la Cour d’appel a accueilli en partie la requête en radiation.

 

[102]       Le cas à l’étude s’en distingue.  Il n’y a pas de demande de nullité de la décision du CEMD et la base légale du recours ne s’apparente aucunement à celle d’un grief.  Les conclusions recherchées se limitent à une réclamation monétaire.  Il est à se demander, à la lumière de la décision Tremblay, pourquoi le demandeur aurait-il dû procéder par la voie d’un contrôle judiciaire de la décision du CEMD?

 

[103]       Sans vouloir me projeter dans l’avenir, l’enquête faisant partie de la procédure judiciaire en cours pourrait donner un éclairage différent sur la situation de faits décrite dans la décision du CEMD.  Il faut rappeler que le processus de règlement des griefs ne prévoit aucune procédure d’enquête à l’exception de celle pouvant être menée sous l’autorité du Comité des griefs.  Ce qui n’est pas le cas en l’instance. 

 

(5)   Subsidiairement, le demandeur peut-il toujours procéder par voie d’action suivant l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales malgré le fait qu’il n’ait pas déposé au préalable de demande de contrôle judiciaire contestant la décision du CEMD en date du 12 janvier 2001?

 

[104]       Pour les motifs en réponse à la question précédente, le recours par voie d’action en vertu de l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales est à la disposition du demandeur.  Il s’agit d’un recours distinct de la procédure de grief prévue à l’article 29 de la Loi sur la défense nationale qui n’est pas incompatible avec cette dernière.  De plus, comme le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes n’a pas compétence pour décider des questions relatives aux droits protégés par la Charte et des demandes de réparations monétaires, le demandeur pouvait procéder par voie d’action devant cette Cour, un forum compétent pour traiter de questions fondamentales.   

 

IX.  Les autres considérations

 

[105]       En cours de rédaction des présents motifs, j’avais à l’esprit l’arrêt de la Cour suprême Vaughan c. Canada [2005] 1 R.C.S. 146 (Vaughan), qui brièvement, enseigne que lorsque le législateur a établi un régime complet pour le règlement des différends en matière de relations de travail, il ne faut pas mettre en péril l’élaboration d’un tel mécanisme de résolution des différends prévu à la loi en permettant également le recours aux tribunaux.

 

[106]       Je suis du même avis, mais je tiens à ajouter que, pour ce faire, le législateur doit tout d’abord avoir établi et mis en place un forum adéquat pour traiter des différends que soulèvent les questions de Charte, comme il l’a fait en matière de relations employeur-employé.  Il n’y a pas de rapprochement possible entre le régime de règlement des différends en matière de relations de travail dans la Fonction publique décrit dans Vaughan et le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes.  Les deux mécanismes n’ont pas de composantes, de règles, de processus, ou d’expertises similaires.  De plus, la problématique soulevée dans Vaughan, n’est pas la même que celle en l’instance.  Le législateur, en créant le régime de règlement des différends en matière de relations de travail de la Fonction publique, a donné à ce régime la compétence exclusive pour la résolution de tous les différends découlant des relations employeur-employé de la Fonction publique.  Dans Vaughan, le juge Binnie a déterminé que, compte tenu de la compétence exclusive reconnue au régime de règlement des différends en matière de relations de travail de la Fonction public, le recours aux tribunaux n’était pas approprié puisqu’il est malvenu d’ignorer le régime législatif en vigueur, même si certains décideurs dans ce régime ne sont pas « indépendants ». 

 

[107]       En l’instance, le processus de règlement des griefs est un régime qui ne semble pas être aussi complet et autonome à l’égard de la gestion des conflits de travail au sein des Forces canadiennes.  Comme il en a déjà été fait mention, le système n’est pas exclusif en soi, l’alinéa 29(2)b) de la Loi sur la défense nationale reconnaît que d’autres organismes civils, comme  la Commission des droits de la personne par exemple, peuvent traiter des relations conflictuelles en matière d’emploi dans les milieux liés au service militaire.  De surcroît, le processus de règlement des griefs n’est pas exclusif considérant que l’article 7.16 des ORFC oblige l’autorité en charge de l’étude du grief de suspendre son travail jusqu’au moment où le titulaire du grief abandonne ou se désiste de tous recours, réclamations ou plaintes entrepris sous une loi autre que la Loi sur la défense nationale, ou encore, le grief est clos lorsqu’une décision a été rendue relativement au recours, réclamations ou plaintes secondaires entrepris.  À nouveau, le Manuel du Plaignant, à l’article 2.7, met en lumière cet aspect, lorsqu’il énonce, à titre informatif aux intervenants, « [(...)] que la procédure de grief est suspendue [(...)]  tant que l’action civile n’est pas terminée [(...)] Si tous les points du litige ont été couverts par l’instance civile, le grief sera normalement clos [(...)]». 

 

[108]       En dernier lieu, il est établi que si un droit est reconnu et qu’il lui ait porté atteinte, une réparation doit obligatoirement être accordée pour en garantir la jouissance.  Il s’agit là d’un adage devant avoir préséance lorsqu’une question met en jeu des droits fondamentaux (voir paragraphe 22 de Vaughan).  On se rappelle que le processus de règlement des griefs ne peut accorder de réparations monétaires sous forme de dommages-intérêts, en vertu de l’article 29 de la Loi sur la défense nationale.  De plus, hormis le fait que le législateur utilise la close nonobstant pour mettre de côté la Charte, les droits garantis par celle-ci doivent être protégés et une réparation accordée en conséquence, lorsqu’il y a atteinte.  Aucune disposition à cet effet n’est énoncée à la Loi sur la défense nationale.  Subséquemment, un militaire qui se croit victime de la violation de l’un de ses droits garantis à la Charte peut en demander la réparation en s’adressant à l’instance décisionnelle compétente. 

 

[109]       Par conséquent, Vaughan ne s’applique pas au présent dossier.  Le processus de règlement des griefs n’a pas compétence exclusive en matière de conflit de travail au sein des Forces canadiennes.  Les instances civiles peuvent intervenir dépendamment du recours intenté.  Il est reconnu à l’article 7.16 des ORFC que le titulaire du grief peut entreprendre une procédure civile et qu’en conséquence, l’étude du grief sera suspendue.  De plus, comme il en a été précédemment question, le processus de règlement des griefs n’est pas un forum adéquat pour débattre des questions d’ordre constitutionnel en vertu de la Charte, et par ce processus décisionnel, aucune réparation monétaire ne peut être accordée.  

 

[110]       À tout événement, le processus de règlement des griefs constitue bel et bien un forum pouvant répondre à un large éventail de réclamations opposant les membres des Forces canadiennes à leur employeur.    Je suis d’avis que l’objectif derrière l’élaboration d’un tel processus était celui d’harmoniser les relations de travail dans un milieu aussi singulier que celui des Forces canadiennes.  Toutefois, ce processus ne constitue pas un forum adéquat pour traiter des questions de droits fondamentaux.  Dès lors, avoir recours aux tribunaux judiciaires pour adresser de telles questions est approprié, voire essentiel en l’espèce. 

 

X.  Les dépens

 

[111]       Le demandeur et l’avocat de la défenderesse ont informé qu’ils ne demandaient pas les dépens.  Il n’y aura aucune ordonnance à cet effet.

 

XI.  La conclusion

 

[112]       Étant donné que le processus de règlement des Forces canadiennes et ses composantes n’ont pas été conçus et mis en place pour traiter de questions de droits garantis par la Charte et de la réparation à accorder en conséquence, ce processus y incluant ses composantes, n’est pas un tribunal compétent au sens de l’article 24 de la Charte.  N’ayant pas compétence, ce qui est en soi la question de fond examinée en l’instance, le principe de l’autorité de la chose jugée et celui d’abus de procédure sont inapplicables.  Qui plus est, le demandeur n’avait pas à procéder au préalable par la voie de contrôle judiciaire avant d’introduire son action. 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que:

           

-                     L’appel de la décision de la protonotaire en date du 9 septembre 2005 soit accordé;

-                     La requête en radiation de la défenderesse soit rejetée.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ANNEXE 1

 

Le Manuel des griefs, émis par le Directeur général, Autorité des griefs des Forces canadiennes

N.B. Le Manuel des griefs est reproduit tel qu’il a été soumis par la défenderesse. 

 

 

CHAPITRE 1 - CONTEXTE

1. 1. Considérant le haut degré d'insatisfaction manifesté à l'égard du processus actuel et après une étude poussée, les assises du processus simplifié de règlement de griefs des Forces canadiennes (FC) furent officiellement posées en 1998 par une modification de la Loi sur la défense nationale (LDN). Le nouveau processus décrit à l'article 29 de la LDN est précisé au chapitre 7 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC).

 

Les principaux changements

 

2. Les principaux changements apportés au processus simplifié sont les suivants :

a. une définition plus claire du droit de présenter un grief (dans un délai de six mois);

b. une définition plus claire de ce qui peut et ne peut pas faire l'objet d'un grief;

c. une réduction du nombre de paliers pouvant rendre une décision sur la plupart des griefs;

d. la reconnaissance du Chef d'état-major de la Défense (CEMD) comme autorité de redressement de dernière instance du processus de grief. (Ce pouvoir peut être délégué pour certains types précis de griefs); et

e. la création d'une entité indépendante, le "Comité des griefs des Forces canadiennes" (CGFC), pour enquêter et formuler des recommandations au CEMD sur les griefs que lui confie ce dernier.

 

L'objet du manuel sur le règlement de griefs          

 

3.  Le présent manuel a été conçu pour aider, à titre de guide seulement, à la préparation et à la présentation des griefs dans le cadre du processus simplifié de règlement de griefs. Le manuel sur le règlement de griefs ne fait pas autorité légale et n'a aucunement force de loi. Ce sont l'article 29 de la LDN et le chapitre 7 des ORFC qui servent de cadre législatif au processus simplifié de règlement de griefs des FC. En matière d'interprétation, l'article 29 de la LDN et le chapitre 7 des ORFC ont préséance sur tout renseignement contenu dans le présent manuel. Pour trancher toute difficulté d'interprétation, veuillez communiquer avec le Directeur Général – Authorité des griefs des Forces canadiennes (DGAGFC).

 

La forme et le contenu du manuel sur le règlement de griefs

 

4. Bien que nous vous invitions à lire le manuel au complet au moins une fois, de la première à la dernière page, celui-ci est conçu de telle sorte que vous puissiez en consulter les sections indépendamment les unes des autres, dès que les intervenants et le processus vous seront familiers. Vous remarquerez donc de nombreux recoupements, d'un chapitre à l'autre et d'une section à l'autre, visant à favoriser ce type de consultation.

 

5. Avant de prendre connaissance de ce manuel, nous vous incitons à lire d'abord attentivement l'article 29 de la LDN et le chapitre 7 des ORFC. Ces références ne sont pas reprises dans le présent manuel mais vous pouvez vous les procurer via la chaîne de commandement, à votre salle des rapports et sur les sites intranet et internet de la DGAGFC. La LDN est aussi reproduite en entier à l'appendice 1.1, du Volume IV des ORFC.

 

CHAPITRE 2 - LES PRINCIPAUX INTERVENANTS

 

L’auteur du grief

 

Le droit de déposer un grief

 

1. Tout officier ou militaire du rang (MR) des FC qui s'estime lésé par une décision, un acte ou une omission dans le cours de l’administration des affaires des FC pour lequel n'existe aucun autre recours de réparation en vertu de la LDN, et que cela n'est pas expressément empêché par la LDN ou les ORFC, a le droit de déposer un grief, jusqu'au moment de sa libération des FC. Ce droit de déposer un grief s'applique également à tous les membres de la Réserve supplémentaire. Toutefois, un ancien membre des FC, qu'il soit de la Force régulière ou de la Force de réserve, qui a obtenu sa libération et n'a pas transféré vers un autre élément des FC, ne peut présenter de grief après sa libération, même si la décision, l'acte ou l'omission en cause est survenu alors qu'il était encore membre des FC. Le fait de déposer un grief n’interrompt pas le processus de libération d’un militaire, à moins de circonstances exceptionnelles justifiant une telle suspension.

 

Demande officieuse et autres approches

 

2. Tout militaire désireux de déposer une demande de redressement d’un grief est invité à rechercher la solution la plus efficace et demandant le moins de formalité possible. Le droit de déposer un grief n'empêche pas le militaire de demander d'abord verbalement au commandant (Cmdt) le redressement désiré. La médiation constitue une autre possibilité lorsque les deux parties en différent acceptent de se rencontrer et de rechercher en commun une solution. Même après le dépôt d'un grief, l’auteur du grief peut toujours retirer ou suspendre le grief au profit d'un règlement à l'amiable, tant et aussi longtemps qu’une décision n'a pas été rendue par l'autorité arbitrale.

 

Protection contre les sanctions

 

3. Le paragraphe 29(4) de la LDN stipule que le dépôt d'un grief ne doit entraîner aucune sanction contre l’auteur du grief. À cette fin, les documents afférents au grief ne seront pas versés au dossier personnel de l’auteur du grief, ni à son dossier de rendement, sauf s'ils s'avèrent nécessaires à la réalisation d'un élément du redressement accordé. Toutefois, le dépôt d'un grief n'entraîne pas l'immunité complète contre toute conséquence possible. Le paragraphe 29(5) de la LDN précise en effet que toute erreur découverte à la suite d'une enquête sur un grief peut être corrigée, même si la mesure corrective peut avoir un effet défavorable sur l’auteur du grief.

 

 

 

 

 

 

Le grief

 

Droit de déposer un grief et exceptions

 

4. Conformément aux préceptes d'équité procédurale et de justice naturelle, le processus simplifié de règlement de griefs des FC est conçu de façon à examiner les décisions, actes ou omissions litigieux survenant dans le cadre de l’administration des affaires des FC, qui affectent les droits ou la situation d'un membre des FC. Sous réserve des limites indiquées au paragraphe suivant, les décisions, actes ou omissions qui sont sujets à examen et décision en vertu du processus de griefs sont ceux dont le CEMD, un de ses subordonnés ou toute personne agissant en vertu de l'autorité ou d'une délégation de pouvoir du CEMD est l'auteur.

 

5. Sous le régime du processus simplifié de règlement de griefs, ne peuvent faire l'objet d'un grief par un membre des FC :

a.       une décision d'un procès par voie sommaire, d'une cour martiale ou de la Cour d'appel de la cour martiale (CACM);

(Les militaires insatisfaits des décisions d’une cour martiale ne peuvent en appeler qu'à la CACM. Les militaires insatisfaits de la décision d'un procès par voie sommaire ne peuvent demander un réexamen qu'aux conditions stipulées à l'article 108.45 des ORFC. S'ils sont insatisfaits de l'examen d'une décision ou d'une sanction consécutive à un procès par voie sommaire, le tribunal fédéral demeure leur unique recours.)

b.      les questions pour lesquels la LDN prévoit d'autres mécanismes de redressement;

(Par exemple, instituée en vertu de la LDN, la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire doit examiner et juger les plaintes de conduite ou d’ingérence ayant trait aux devoirs de la police militaire. De telles plaintes ne peuvent donc satisfaire à la condition essentielle d'un grief aux termes de l'article 29 de la LDN.)

c.       une décision d'un tribunal, commission ou organisme non institué en vertu de la LDN;

(La Commission canadienne des droits de la personne et les Commissaires aux langues officielles, à la protection de la vie privée et de l'accès à l'information en sont des exemples. Toutefois, les questions qui impliquent des actes, décisions ou omissions de membres des FC, peuvent faire l'objet d'un grief, lorsque le CEMD a le pouvoir d'accorder le redressement demandé et que le tribunal, la commission ou l'organisme ne s'est pas encore prononcé sur le litige.)

d.      les questions ou les cas exclus par règlement du gouverneur en conseil.

(Ceci inclut n’importe quelle situation, cas ou décision spécifiquement identifiés dans n’importe lequel des ORFC tels que ceux qui ne peuvent satisfaire à la condition essentielle d’un grief aux termes de l’article 29 de la LDN.)

e.       une décision rendue en vertu du Code de discipline militaire.

 

 

Restrictions d'ordre administratif

 

6. Le règlement prévoit également quelques conditions supplémentaires, essentiellement de nature administrative, au dépôt d'un grief dans le cadre du processus simplifié :

  1. un grief ne peut être déposé au nom de quelqu'un d'autre. La décision, l'acte ou l'omission doit avoir directement affecté l’auteur du grief;
  2. un grief ne peut être présenté conjointement avec un autre militaire. Tout militaire qui se considère lésé et qui désire présenter une plainte doit le faire de manière individuelle; et
  3. un grief ne doit contenir ni langage ni commentaires injurieux, faisant preuve d'insubordination ou dérogeant autrement aux principes de l'ordre et de la discipline, sauf lorsque ces éléments s'avèrent indispensables à la claire énonciation de la plainte.

 

Contenu minimum

 

7. Une plainte n'est considérée officielle que lorsqu'elle est présentée par écrit, signée et transmise au Cmdt de l’auteur du grief. La plainte doit comprendre au moins les éléments suivants :

  1. une brève description de la décision, l'acte ou l'omission qui constitue l'objet de la plainte, y compris tous les faits pertinents connus de l’auteur du grief;
  2. la demande d'une décision (règlement) et un énoncé clair du plein redressement demandé; c.-à-d. que ce que l’auteur du grief désire pour que la situation soit finalement corrigée doit être évident;
  3. une copie de tous les documents afférents dont dispose l’auteur du grief et une description du contenu de tout autre document pertinent dont l’auteur du grief a connaissance, ainsi que de l'endroit où se trouvent ces documents;
  4. une déclaration écrite de toute personne en mesure de se prononcer sur le bien-fondé de la plainte. S'il n'est pas possible d'obtenir une déclaration ou si celle-ci n'est pas disponible, l’auteur du grief doit fournir tous les renseignements nécessaires pour communiquer avec cette personne.

 

Suspension d'un grief

 

8. L'article 7.16(1) des ORFC prévoit que l'autorité de redressement saisie d'un grief présenté par un militaire doit suspendre toute action se rapportant à ce grief si l’auteur du grief intente une procédure relevant d'une autre loi que la LDN au sujet de la question ayant donné lieu au grief. L'article 7.16(2) des ORFC ordonne que, dans semblable cas de suspension, l'autorité de redressement reprendra l'examen du grief si l'autre procédure a été interrompue ou abandonnée avant que le bien-fondé en ait été établi et que l'autorité de redressement en a été avisée. Conformément à l'article 7.16 des ORFC, lorsqu'un grief a été suspendu, la note afférente à cet article précise toutefois que le militaire conserve son droit au grief jusqu'à ce qu'une décision soit rendue sur le bien-fondé de la procédure intentée en vertu d'une autre loi que la LDN. Cependant, après avoir soumis un grief, si un militaire décide de poursuivre un autre processus mais, cette fois, conformément à la LDN, les ORFC, les DOAD ou d’autres documents ou politiques des FC, ce grief peut être suspendu en attendant le résultat de cet autre processus seulement avec le consentement de l’auteur du grief.

 

Le militaire qui assiste

 

9. Lorsqu'un auteur du grief a demandé de l'aide pour formuler sa plainte, le Cmdt doit désigner un officier ou un militaire du rang pour l'aider. S'il est possible de le faire, le Cmdt doit désigner l'officier ou le militaire du rang choisi par l’auteur du grief. Lorsque cela n'est pas possible, le Cmdt peut toutefois désigner une autre personne. L’auteur du grief n'est cependant pas tenu d'accepter ni de recourir aux services de ce substitut proposé par le Cmdt.

 

10. Le rôle du militaire qui assiste se limite à faire en sorte que l’auteur du grief connaisse les règles et procédures en matière de grief et de l'aider à énoncer de façon claire, complète et concise la plainte ainsi que le redressement désiré. Bien que le militaire qui assiste puisse contribuer à tous les aspects de la collecte de renseignements et de preuves à l'appui de la plainte et ce, à chacun des paliers, la responsabilité de développer son grief demeure avec l’auteur du grief. Le membre qui assiste n'est ni l'avocat, ni le conseiller juridique de l’auteur du grief, ni son représentant et n'a pas le droit de se prononcer officiellement au nom de l’auteur du grief, ni de toute autre manière officielle représenter l’auteur du grief tout au long du processus de grief.

 

Représentation et avis juridiques

 

11. Les auteurs d’un grief n'ont pas le droit de se faire conseiller ou représenter par des avocats des FC, du MDN et du ministère de la Justice. Les auteurs d’un grief peuvent cependant engager à leurs propres frais un conseiller juridique ou autre représentant civil. Lorsqu'un auteur d’un grief choisit de retenir les services d'un avocat ou d'un autre représentant officiel et que les FC sont officiellement avisées par écrit que c'est avec ce représentant qu'elles doivent échanger la correspondance concernant le grief, les FC achemineront donc toute correspondance ultérieure à ce représentant désigné et seulement à celui-ci. L’auteur d’un grief est alors responsable d'obtenir de son représentant les renseignements et copies qu'il désire. Ni les interventions personnelles, ni les copies ne se feront normalement en double.

 

Le commandant (Cmdt)

 

12. Le Cmdt est le premier niveau responsable et tenu de recevoir un grief. Bien que le Cmdt doit informer l’auteur du grief par écrit de la réception de la plainte, l’auteur du grief est toutefois responsable de s'assurer que le Cmdt a reçu la plainte. Lorsque le Cmdt n'est pas le Cmdt de la base, de l'escadre ou de la formation, il lui appartient, le cas échéant, d'aviser la chaîne de commandement. Toutefois, l'implication de la chaîne de commandement doit se limiter à faciliter un cheminement rapide et, dans tous les cas, n'est possible en vertu de la loi que sur un besoin de savoir. Mis à part le Cmdt qui reçoit la plainte, la seule personne susceptible de formellement l'instruire est l'autorité de première instance.

 

 

 

 

 

 

L'autorité de première instance (API)

 

13. L'API est cette personne qui peut "examiner et décider" (c.-à-d., qui a toute l'autorité pour ce faire) la question faisant l'objet de la plainte. Lorsque le Cmdt du plaignant peut accorder le redressement demandé, c'est lui qui est l'API. Autrement, l'API est le commandant ou l'officier remplissant les fonctions de directeur général ou de cadre plus élevé au QGDN, qui est responsable de traiter la question qui fait l'objet du grief. Plusieurs questions peuvent nécessiter plusieurs API. Aucun officier ne peut agir à titre d'API si c'est lui qui a rendu la décision faisant l'objet de la plainte ou s'il est de toute autre façon l'objet de la plainte. En cas de pareil conflit d'intérêt, la plainte est transmise à l'officier du prochain niveau hiérarchique dans la chaîne de commandement qui est une API.

 

14. Ce tableau présente les API habituelles pour plusieurs des questions qui font généralement l'objet de griefs :

OBJET DU GRIEF

API

NOTES

Administration de carrière

DGCM

Selon le niveau et le temps écoulé depuis la plainte

RAR

DGCM

Seulement après de sérieux efforts pour une solution à l'amiable avec le Cmdt qui a rédigé le RAR en cause.

Affectation

DGCM

Dépendant qui est l’autorité d’affectation.

Promotion

DGCM

Seulement pour les promotions relevant du QGDN.

Libération

DGCM

Il y a des exceptions ; i.e., pour certains élof et sdt.

Avantages financiers

DGRAS

Seulement lorsque le cas dépasse le pouvoir de la chaîne.

Médical/Dentaire

DGSS

Selon la chaîne médicale ou dentaire et le niveau de refus.

Formation (non-libéré) et (intra et extra-militaire)

}

CEMA pertinent

Chef GRFC

→ 

 

CEMA pour formation en environnement contrôlé.

Chef GRFC pour formation autre/résiduelle/niveau national.

 

 

 

Le Chef d'état-major de la Défense (CEMD)

 

15. Le CEMD est la dernière instance du processus simplifié de règlement de griefs des FC. C'est le Directeur Général - Authorité des griefs des Forces canadiennes (DGAGFC) qui reçoit les griefs adressés au CEMD. Selon le problème présenté, le DGAGFC prépare le grief au nom du CEMD ou le traite pour en saisir le Comité des griefs des Forces canadiennes (CGFC). Bien que tout grief puisse être transmis au CGFC, certaines questions doivent lui être transmises, notamment les plaintes concernant des décisions, actes ou omissions du CEMD en rapport avec l’auteur du grief et la situation exceptionnelle où le CEMD est à la fois la première et dernière instance de redressement. Le CEMD peut déléguer son pouvoir de dernière instance pour tout grief autre que ceux qui doivent obligatoirement être transmis au CGFC. En ce qui concerne les griefs transmis au CGFC, bien que le CEMD ne soit pas lié par les conclusions et recommandations du CGFC, s'il déroge à ces recommandations, le CEMD doit fournir une explication écrite à l’auteur du grief et au CGFC.

 

Directeur Général – Aut[o]rité des griefs des Forces canadiennes (DGAGFC)

 

16. DGAGFC est l'autorité de dernière instance auquelle le CEMD délègue, aux termes de l'article 29.14 de la LDN (voir aussi le chapitre 3, para 31 ci-dessous), ses pouvoirs, devoirs et responsabilités aux griefs qui ne sont pas obligatoirement soumis au CGFC. Le processus de traitement des griefs est virtuellement le même à ce niveau qu'à celui du CEMD, sauf que le DGAGFC ne peut examiner et rendre une décision concernant les griefs de la catégorie prescrite, qui sont obligatoirement transmis au CGFC. De plus, toute plainte concernant une décision, un acte ou une omission du DGAGFC, alors qu'il agissait à titre d'API ou dans le cadre d'une autre affectation, doit également être transmise au CEMD pour décision finale.

Le bureau du DGAGFC est le bureau central de traitement pour tous les griefs présentés au niveau du CEMD. C'est le personnel du DGAGFC qui reçoit et étudie initialement toutes les plaintes présentées au niveau du CEMD afin de s'assurer que tous les griefs qui doivent obligatoirement être transmis au CGFC lui sont rapidement transmis accompagnés de toute documentation d'accompagnement détenue à tous les niveaux des FC. Le DGAGFC a également la responsabilité d'aviser le CEMD, d'analyser, de traiter et de présenter des options et des analyses d'impact au DGAGFC pour tout grief du niveau du CEMD qui n'est pas transmis au CGFC et de fournir avis et conseils aux membres des FC au sujet des règles et règlements afférents au processus simplifié de règlement de griefs des FC. Lorsque le CEMD ou le DGAGFC rend une décision de redressement, le dossier de grief revient à son point de départ et est retourné au bureau du DGAGFC pour y être traité. Le DGAGFC transmet à l’auteur du grief la décision de redressement du CEMD ou du DGAGFC, au besoin par l'entremise du Cmdt de l’auteur du grief, et fait parvenir une copie de la décision au CGFC, si celui-ci était impliqué, et, à l'autorité qui doit intervenir, lorsque la décision l'exige. Le bureau du DGAGFC contrôle ensuite et confirme la réalisation de toutes mesures exigées dans le cadre de la décision rendue par le CEMD ou le DGAGFC.

 

Le Comité des griefs des Forces canadiennes (CGFC)

 

17. Le CGFC est l'entité externe et sans lien de dépendance, légalement constituée par la LDN, avec mandat d'instruire et d'examiner les griefs qui lui sont soumis par le CEMD et de lui fournir en retour des conclusions et recommandations les concernant. Le CGFC dispose du pouvoir d'assigner des témoins, de forcer la présentation de preuves lorsque le Comité le juge nécessaire et d'établir et de modifier ses propres règles de procédure. Le CGFC n'a pas le pouvoir d'accorder ou de refuser les redressements afférents à un grief; il peut uniquement fournir au CEMD des conclusions et des recommandations. Le CEMD peut déléguer tous les griefs au CGFC mais doit lui transmettre les griefs suivants conformément à l'ORFC 7.12 :

  1. toute mesure administrative entraînant la suppression ou une réduction de la solde et des indemnités, la rétrogradation à un grade inférieur ou la libération des Forces canadiennes;
  2. la mise en œuvre et l'interprétation des politiques des Forces canadiennes concernant l'expression d'opinions personnelles, des activités politiques et la candidature à un poste, un emploi civil, les conflits d'intérêt et les mesures concernant l'après-mandat, le harcèlement ou le racisme;
  3. la solde, les indemnités et autres avantages financiers;
  4. le droit aux soins médicaux et dentaires.

 

18. Types de griefs qui peuvent être transmis au CGFC mais qu'il n'est pas obligatoire de lui transmettre :

  1. les rapports d’appréciation de rendement;
  2. les affectations (indépendamment qui est l’autorité d’affectation);
  3. les promotions;
  4. la formation (niveau environnemental et national);
  5. toute autre mesure ou question relative à la carrière dont n'est pas autrement saisi le CGFC.

 

19. L'avantage découlant de ce que le grief soit examiné à l'externe et la capacité du CGFC de faire enquête en totale indépendance et de formuler des conclusions et des recommandations comptent au nombre des facteurs évalués par le CEMD et le DGAGFC pour décider d'exercer ou non leur pouvoir discrétionnaire de saisir le CGFC d'un grief autre que ceux d’une catégorie prescrite à l’ORFC 7.12.

 

 

CHAPITRE 3 - LE PROCESSUS

 

Les éléments essentiels du processus

 

1. Dans le cadre du processus simplifié de règlement de griefs des FC, il n'existe que deux instances autorisées à accorder ou à refuser un redressement : l'autorité de première instance (API) et l'aut[o]rité de dernière instance (ADI). L'ADI est le Chef d'état-major de la Défense (CEMD) ou son délégué. Le commandant (Cmdt), même lorsqu'il n'est pas l'API, tient aussi un rôle prépondérant, tout comme le CGFC. Toutefois, avant d'examiner comment ces principaux intervenants interagissent dans le processus simplifié de règlement de griefs et traitent les plaintes, il importe de se familiariser d'abord avec les trois éléments essentiels du processus : l'examen et la décision, la divulgation et les délais.

 

Examen et décision

 

2. "Examen et décision" est la formule légale pour désigner le processus selon lequel la personne investie de l'autorité de régler un grief :

  1. s'informe et enquête pour s'assurer que tous les faits pertinents sont disponibles avant qu'une décision ne soit rendue;
  2. examine et analyse tous les faits disponibles avant qu'une décision ne soit rendue;
  3. rend la décision d'accorder un redressement complet ou partiel ou de refuser complètement le redressement demandé.

 

Divulgation

 

3. En langage juridique, "la divulgation est le processus qui, conformément aux préceptes d'équité procédurale et de justice naturelle, permet de découvrir la preuve documentaire qui servira à l'examen et à la décision de l'autorité de redressement en fonction du grief, à en informer l’auteur du grief pour lui permettre de présenter des commentaires écrits précis et pertinents concernant la preuve et de présenter des éléments de preuve supplémentaires pertinents avant que le grief ne soit tranché". Essentiellement, la divulgation implique donc de s'assurer tout d'abord que l’auteur du grief reçoive copie des renseignements écrits dont se servira l'autorité de redressement pour rendre sa décision. Cela signifie ensuite, lorsqu'une partie de l'information présentée est incomplète ou fausse, d'allouer à l’auteur du grief un délai suffisant (habituellement 14 jours) pour présenter par écrit une argumentation ou un commentaire. L'avis juridique constitue une exception notoire au principe de divulgation. L'avis juridique obtenu par l'autorité de redressement ou en son nom est protégé contre toute divulgation, parce qu'il est protégé par le privilège du secret professionnel de l'avocat et constitue de ce fait, aux yeux de la loi, une communication professionnelle entre l'avocat l'ayant rédigé et l'autorité l'ayant demandé.

 

4. Bien qu'il y ait divulgation à chaque fois que la plainte est examinée par une autorité capable d'en établir aussi le bien-fondé, qu'il s'agisse de la première ou de la dernière instance, les documents particuliers ne seront divulgués qu'une seule fois pendant la vie du grief. En d'autres termes, à chaque nouvelle instance, ne seront divulguées à l’auteur du grief que les copies de documents contenant de nouveaux renseignements non encore communiqués à celui-ci ou à son représentant légal.

 

Délais

 

5. L'une des principales raisons militant en faveur de l'adoption du processus simplifié de règlement de griefs était la constatation que l'ancien processus prenait trop de temps. En conséquence, dans le cadre du processus simplifié, à chaque fois que la plainte est traitée, exception faite du niveau du CEMD, elle est soumise à des délais rigides. Pour permettre une consultation rapide, ces délais (indiqués en jours civils) sont précisés dans le tableau suivant :

 

 

 

 

 

ACTIVITÉ

DÉLAI

Le militaire désire présenter un grief.

Pas plus de six mois après que soit survenue la question soulevée dans la plainte, ou après le jour où l’auteur du grief a pris connaissance ou aurait raisonnablement dû constater la décision, l'acte ou l'omission en cause. Dans l'intérêt de la justice, l'API peut prolonger ce délai.

Cmdt reçoit et transmet le grief à l'API. (En présumant que le Cmdt n'est pas l'API.)

Dans les 10 jours suivant la date à laquelle le Cmdt a reçu le grief de l’auteur du grief. Les commentaires et autres renseignements au dossier ajoutés par le Cmdt doivent être communiqués à l’auteur du grief par le Cmdt, lorsque le dossier de grief est transmis à l'API.

L'API reçoit le grief et procède à la divulgation.

Au moins 14 jours sont normalement accordés pour la réponse de l’auteur du grief. La divulgation se répète à chacun des niveaux où il est évident que l’auteur du grief n'a pas eu l'occasion de commenter les documents ou renseignements au dossier que peut consulter l'autorité pour examiner et rendre une décision.

L'API rend une décision et l’auteur du grief est informé de la décision.

Dans les 60 jours suivant la réception de la plainte. Si l'API n'est pas en mesure d'examiner la plainte ET de rendre une décision dans les 60 jours et que l’auteur du grief n'accepte pas d'accorder une prolongation, l’auteur du grief peut demander que le grief soit transmis au niveau du CEMD. Lorsque c'est le CEMD qui est l'API, aucun délai concernant l'examen et la décision ne s'applique.

L’auteur du grief présente le grief au CEMD pour décision finale.

Dans les 90 jours du jour où l’auteur du grief a reçu la décision de l'API. Le CEMD ou le DGAGFC, selon l'objet du grief, peut prolonger le délai dans l'intérêt de la justice.

Le CEMD (ou le DGAGFC) reçoit la plainte et procède à la divulgation.

Même processus que déjà décrit pour la divulgation par l'API au plaignant. Seuls sont divulgués à ce niveau les documents au dossier qui ne l'ont pas encore été.

Le CEMD (ou le DGAGFC) rend une décision et l’auteur du grief est informé de la décision.

Le CEMD (ou le DGAGFC) n'est pas contraint par un délai. Lorsqu'un grief est au niveau du CEMD, l’auteur du grief recevra au besoin des mises à jour.

 

Les étapes du processus

 

6. Le processus simplifié de règlement de griefs des FC comporte trois étapes :

a. Préparation et présentation du grief,

b. Examen et décision en première instance,

c. Examen et décision du CEMD.

Chacune de ces étapes, de même que leurs interrelations, sont décrites dans les pages qui suivent et l'ensemble est représenté graphiquement à l'annexe A, sous le titre de "Matrice du processus de grief des FC".

 

Un - Préparation et présentation du grief

 

7. Tout membre des FC qui considère avoir été lésé personnellement et individuellement par ce qui lui a été dit ou fait, ou qui aurait dû l'être et ne l'a pas été, doit d'abord établir si la question qui le préoccupe en est une qui peut faire l'objet d'un redressement ou qui peut le mieux faire l'objet d'un redressement par le biais du processus simplifié de règlement de griefs des FC. Il peut exister un autre processus, comprenant peut-être moins de formalités, qui pourrait être mieux adapté à la situation : la médiation par exemple. La question peut faire partie de celles auxquelles un autre processus s'ajuste avec précision; i.e., une plainte de harcèlement se règle mieux en vertu des dispositions de la section 19-39 des OAFC. En définitive, si un membre décide que le problème doit être présenté en tant que grief sous le régime du processus de grief des FC, et que cela ne lui est pas interdit par la LDN ou une ORFC, le membre peut donc déposer un grief. Bien qu'il soit encouragé à tenter d'abord de régler la question verbalement, le membre n'est pas tenu d'y consentir.

 

8. Tout membre des FC dispose de six mois pour déposer un grief, à compter de la date à laquelle il a pris connaissance ou aurait raisonnablement dû prendre connaissance de la décision, l’acte ou l’omission offensante pour laquelle il demande redressement. Lorsqu'il y va de l'intérêt de la justice, l'API peut prolonger ce délai. À titre d'exemple, le délai peut être prolongé pour tenir compte de délais ou de complications hors du contrôle du membre où lorsqu'en raison des circonstances, le membre est physiquement ou émotivement incapable d'entamer le grief dans les six premiers mois suivant un incident particulier.

 

9. La décision d'un membre de chercher une solution informelle ne prolonge pas le délai de six mois accordé au grief; le temps est toujours calculé à partir de la date à laquelle il a pris connaissance ou aurait dû prendre connaissance des circonstances pour lesquelles il demande réparation, et non de la date à laquelle il entreprend les procédures informelles ou les interrompt. Toutefois, lorsque le membre poursuit le processus informel jusqu'à la fin et qu'il n'est pas satisfait de la décision des FC en résultant, le membre peut alors soumettre un grief concernant la décision donnant suite au processus informel dans les six mois suivant la réception de la décision, à condition que le membre et les FC n'aient pas convenu d'un règlement ou n'aient pas entériné toute autre convention liant les parties et que la question en litige n'est pas de celles qui sont écartées du processus de grief des FC par exception de la LDN ou d'une ORFC. Quand le processus informel en question est la médiation qui a été approuvée par les autorités décisionnelles concernées, le délai de soumission doit être calculé à partir de la date où le processus de médiation se termine et semble infructueux pour les deux parties.

 

10. Lorsque le membre s'est assuré que la question litigieuse peut faire l'objet d'un grief, et que les délais n'ont pas été dépassés (toute considération prise), il peut demander que son Cmdt nomme un membre pour l'aider à la préparation de son grief. Il peut demander qu'un membre particulier soit désigné et cela lui sera normalement accordé à moins que ce soit impossible de le faire. Si le Cmdt ne peut désigner le membre demandé, un remplaçant approprié sera suggéré.

 

 

 

11. Avec l'aide et les conseils du membre désigné pour l'assister, l’auteur du grief prépare son grief, donnant autant de précisions et fournissant autant de preuves qu'il croit nécessaire pour appuyer sa demande et convaincre l'autorité concernée d'accorder le redressement demandé. Bien que l’auteur du grief puisse s'attendre à ce que les FC prennent toutes les dispositions nécessaires pour qu’il puisse présenter en temps un cas bien documenté, la responsabilité d'établir la preuve incombe finalement à l’auteur du grief et non aux FC. Une fois le grief rédigé et signé par l’auteur du grief, celui-ci le présente à son Cmdt. La responsabilité de s'assurer que le Cmdt reçoit le grief incombe à l’auteur du grief. Parallèlement, c'est aussi le droit de l’auteur du grief de recevoir en temps opportun une confirmation écrite que son Cmdt a reçu le grief.

 

Deux - Examen et décision en première instance

 

12. Au premier palier décisionnel, un grief ne peut uniquement être examiné et une décision rendue que par l'API. Celle-ci ne dispose que de 60 jours à compter de la réception d'un grief pour l'examiner, rendre sa décision et en informer l’auteur du grief. Le Cmdt qui reçoit la plainte peut ou peut ne pas être une API. Lorsque le Cmdt se qualifie comme une API mais que la plainte porte sur une décision, un acte ou une omission de ce Cmdt, celui-ci n’est plus qualifié pour rendre une décision et doit transmettre le grief au prochain officier de grade supérieur dans la chaîne de commandement qui est une API.

 

13. Il est possible que plusieurs personnes puissent agir à titre d'API dans le cadre d'un grief particulier. Dans un tel cas, si le Cmdt de l’auteur du grief a l'autorité de redressement, ce Cmdt est l'API. Si le Cmdt n'a pas l'autorité nécessaire ou qu’il n’est pas qualifié pour agir à titre d’API, ce Cmdt, en consultation avec les autres Cmdt, la chaîne de commandement, l'expert en la matière et, au besoin, le DGAGFC, détermine l'API. Il est possible que personne d'autre que le CEMD n'ait l'autorité nécessaire pour accorder le redressement demandé. Le CEMD devient alors la première et la dernière instance de redressement et remplit simultanément les deux fonctions. En de telles circonstances, dans le but d'assurer l'impartialité, le CEMD doit, avant d'examiner lui-même le grief et de rendre sa décision, transmettre le grief au CGFC pour que celui-ci fasse enquête et formule une recommandation.

 

14. Un grief peut comprendre plusieurs plaintes et plusieurs API peuvent être appelées à exercer leur autorité respective en fonction des diverses questions soulevées. Le Cmdt de l’auteur du grief peut alors décider qu'il est indispensable de faire parvenir pour examen des copies complètes du dossier de grief à plus d'une API. Dans un tel cas, si le Cmdt de l’auteur du grief agit à titre d'API pour l'une ou l'autre des questions afférentes au grief, ce Cmdt demeure responsable de transmettre la réponse finale à l’auteur du grief. Lorsque le Cmdt de l’auteur du grief n'agit pas à titre d'API pour aucune des questions et que l’identification d’une API principale n’est pas évidente, le traitement du cas peut être discuté avec le DGAGFC. Même dans ces circonstances, le Cmdt de l’auteur du grief demeure toujours responsable que celui-ci reçoive des mises à jour et des commentaires en temps utile.

 

 

 

 

 

15. Le Cmdt dispose de 10 jours pour déterminer qui est l'API et pour transmettre le grief à cette API. Lorsqu'il est nécessaire d'acheminer le grief, le dossier doit comprendre les originaux de tous les documents pertinents. Le Cmdt peut y ajouter des renseignements et commentaires supplémentaires et y exprimer, par exemple, avec preuve à l’appui, son support ou son absence de support envers le redressement. Lorsque le grief est acheminé, le Cmdt informe l’auteur du grief de l'identité de l'API et de la date à laquelle le grief a été acheminé et donne à l’auteur du grief une copie de tout renseignement et commentaire supplémentaire acheminé par le Cmdt à l'API. Un Cmdt qui agit à titre d'API est aussi tenu d'en informer l’auteur du grief dès le début. Qu'il agisse à titre d'API ou non, le Cmdt peut aussi devoir informer la chaîne de commandement s’il s’avère strictement justifiable de le faire.

 

16. Sur réception, l'API informe officiellement, par écrit, l’auteur du grief de la date de réception du grief. Si l'API n'est pas le Cmdt de l’auteur du grief, cet accusé de réception est envoyé à l’auteur du grief par l'entremise de son Cmdt. L'API peut alors proposer un règlement à l'amiable au grief, sans rendre une décision formelle. Si le règlement à l'amiable touche chacun des points du grief et que l’auteur du grief signe qu'il l'accepte comme plein règlement du grief, la lettre d'acceptation est annexée au dossier de grief. Alors, une fois le règlement informel mis en œuvre, le dossier est fermé et l’auteur du grief n'a plus le droit de présenter à nouveau un grief sur la même question.

 

17. L'examen et la décision de l'API implique de rassembler l'information pertinente, de communiquer avec l’auteur du grief (comprenant la pleine divulgation et les commentaires) et de faire tous les efforts nécessaires pour résoudre le grief au plus bas niveau possible. (Il est important de noter que la divulgation intervient pendant le délai de 60 jours de l'API et implique normalement que l’auteur du grief dispose de 14 jours à compter de la réception de l'ensemble des documents pour les examiner et faire parvenir ses commentaires écrits à l'API.) Si l'API considère que le grief ne peut être réglé dans le délai de 60 jours, elle peut demander à l’auteur du grief de lui accorder par écrit une prolongation pour une période donnée. Aussi longtemps que l’auteur du grief sait que son grief est toujours activement analysé, il est habituellement à son avantage d'accorder de telles prolongations de sorte que l'API puisse terminer son examen. Toutefois, après 60 jours, si l’auteur du grief l'exige, le grief doit être immédiatement transmis au niveau du CEMD. À compter de ce moment, le niveau du CEMD assumera la responsabilité pour la conduite et la coordination de l'enquête sur le fond du grief, avant que le dossier ne subisse l'examen final et que la décision ne soit rendue.

 

18. Lorsque c'est le CEMD qui est l'API, aucun délai ne prévaut. Toutefois, tous les efforts raisonnables seront consentis afin de répondre rapidement et de régler le grief au plus tôt. Lorsque, en raison de la nature et de la complexité du grief, l'examen et la décision au niveau du CEMD demande une longue période de temps, des mises à jour seront données à l’auteur du grief selon le besoin.

 

 

 

 

 

 

 

19. Lorsqu'une API rend sa décision, l’auteur du grief est informé par écrit de la décision et des raisons la justifiant. Si l'API n'est pas le Cmdt de l’auteur du grief, l'API transmet la réponse au Cmdt qui l'achemine à l’auteur du grief. Lorsque l'API n'est pas le CEMD, l'API, en plus de lui transmettre la réponse, informe l’auteur du grief par écrit de son droit de présenter son grief au niveau du CEMD dans les 90 jours suivant la réception de la décision de l'API si l’auteur du grief n'est pas satisfait de cette décision. Si le CEMD agit à titre d'API, il n'existe pas, dans le cadre de ce processus de grief, de disposition concernant une nouvelle présentation du grief. Ensuite, afin de protéger toutes les parties et de rendre officielle la date de réception, le Cmdt de l’auteur du grief remplit un formulaire intitulé "Demande de redressement d'un grief - Formulaire de transfert de la décision en première instance", présenté à l'annexe B de ce manuel, le joint à la décision de l'API et s'assure que l’auteur du grief signe, date et retourne la copie originale du formulaire au Cmdt afin qu'elle soit incluse au dossier de grief de l’auteur du grief. Lorsque l’auteur du grief n'est plus un militaire en activité de service des FC, l'API envoie sa décision directement à l’auteur du grief par courrier recommandé ou par un autre moyen approprié ce qui permettra d'obtenir une preuve évidente de réception par l’auteur du grief.

 

20. Si l’auteur du grief en fait la demande, l'API doit retourner tout matériel d'accompagnement présenté par l’auteur du grief. Toute documentation restante qui concerne le grief, qui n'est pas par la suite requise ni transmise au niveau du CEMD pour examen conformément au A-AD-D11-001/AG-001, "Plan de conservation et d'élimination des documents", est conservée par l'API pendant une période d'au moins cinq ans avant d'être détruite.

 

21. L’auteur du grief qui n'est pas satisfait de la réponse de l'API peut soumettre son grief par l'entremise de son Cmdt au niveau du CEMD, pour examen et décision. Les militaires libérés présentent leur grief au niveau du CEMD directement au DGAGFC. La soumission doit être faite par écrit et signée et elle doit être reçue par le Cmdt dans les 90 jours de la date à laquelle l’auteur du grief a reçu la décision de l'API. Si des raisons pertinentes sont invoquées et qu'il est convaincu d'agir dans l'intérêt de la justice, le CEMD ou le DGAGFC peut à sa discrétion prolonger le délai de 90 jours. Les présentations devraient comprendre la présente adresse domiciliaire de l’auteur du grief et son numéro de téléphone, afin de faciliter l'administration en temps opportun.

 

Trois - Examen et décision du CEMD

 

22. Tous les griefs acheminés au CEMD pour examen et décision sont d'abord reçus et traités par le bureau du DGAGFC. Ceux qui doivent ou qui devraient être acheminés au Comité des griefs des Forces canadiennes (CGFC) conformément à l'article 7.12 des ORFC sont identifiés et transmis. Les dossiers restant sont traités par le bureau du DGAGFC.

 

23. Pendant toute la période où un grief est au niveau du CEMD ou l'autorité de dernière instance (ADI), des efforts seront déployés pour trouver une solution à l'amiable.

 

 

 

 

24. Lorsque la décision finale et rendu, le DGAGFC s'assure que le dossier est complet et fait parvenir à l’auteur du grief la décision par l'intermédiaire du Cmdt de l’auteur du grief, lorsque l’auteur du grief est toujours militaire du cadre actif des FC. Si l’auteur du grief a été libéré, la réponse du CEMD ou l’ADI lui est adressée directement par le DGAGFC. Si le grief est l'un de ceux qui ont été examinés par le CGFC avant que le CEMD ne l'examine et rende sa décision, et que la décision du CEMD diffère des conclusions et recommandations du CGFC, une explication écrite des raisons motivant la décision du CEMD de ne pas s'en être remis aux conclusions et recommandations du CGFC est incluse à la réponse du CEMD à l’auteur du grief. Le DGAGFC s'assure aussi qu'une copie de toutes les décisions et explications du CEMD, qui sont afférentes aux dossiers et qui ont initialement été traités par le CGFC a été donnée au président du CGFC.

 

25. Si le CEMD ou l'ADI décide d'accorder un redressement complet ou partiel, le DGAGFC transmet la décision du CEMD ou de l'ADI à l'autorité pertinente pour qu'elle la mette à exécution. Le DGAGFC continue ensuite de surveiller et de suivre le dossier jusqu'à ce que la mesure ordonnée par le CEMD ou en son nom soit prise et complétée. Le dossier n'est fermé qu'après que le DGAGFC ait reçu confirmation écrite de l'organisme mandaté, à l'effet que la mesure ordonnée a été réalisée.

 

26. Toute documentation qui concerne le grief, conformément au système de classification par sujet, de conservation et d’élimination des documents de la Défense (SCSCEDD), est conservé par le DGAGFC pour une période de cinq ans après la fin de toute mesure, avant d'être détruite.

 

27. Puisqu'une décision de redressement au niveau du CEMD équivaut, en vertu de la Loi sur la Cour fédérale, à une décision rendue par un Office, une Commission ou un Tribunal fédéral, l’auteur du grief peut intenter un recours en révision à ses propres frais, devant une Cour fédérale, dans les 30 jours suivant la date de la décision rendue au niveau du CEMD. Les motifs d'une telle demande reposent sur la perception d'une erreur de droit ou de fait, l'apparence que la décision a été rendue en contravention du devoir d'équité et des principes de justice naturelle, sans tenir dûment compte de la preuve ou parce que l'autorité décisionnelle semble avoir agi d'une manière contraire à la loi. À titre de recours, la Cour fédérale pourrait annuler la décision, la casser, passer outre ou renvoyer la question pour examen et décision.

 

Faits nouveaux

 

28. Si un militaire ayant déposé un grief au niveau du CEMD présente des faits qui étaient jusqu'alors ignorés ou qui ne pouvaient raisonnablement être connus du membre au moment où il a déposé le grief en première instance, selon les provisions de l’article 7.17 des ORFC, l'examen du grief par le CEMD ou l'ADI peut être interrompu et le grief peut être retourné à l’API pour examen et décision. Lorsqu'un grief est renvoyé à l'API, celle-ci doit réexaminer le grief et confirmer, amender ou révoquer la décision initiale. Que la décision initiale de l'API soit confirmée, amendée ou abrogée, l’auteur du grief peut toujours présenter à nouveau le grief au CEMD, dans les 90 jours suivant la réception de la dernière décision de l'API, si l’auteur du grief n'est pas satisfait de cette dernière décision.

 

 

 

Délégation de l'autorité de dernière instance du CEMD

 

29. L'article 29.14 de la LDN prévoit que :

"le Chef d'état-major de la Défense peut déléguer à tout officier tout pouvoir, devoir ou fonction du Chef d'état-major de la Défense à titre d'autorité de dernière instance dans le processus de grief, à l'exception :

  1. du devoir d'agir comme autorité de dernière instance pour un grief qui doit être transmis au Comité des griefs,
  2. du pouvoir de délégation que lui confère le présent article."

 

 

ANNEXE A - MATRICE DU PROCESSUS DE GRIEF DES FC

 

 

ANNEXE B - FORMULAIRE DE TRANSFERT DE LA DÉCISION EN PREMIÈRE INSTANCE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ANNEXE 2

 

Le Manuel du Plaignant et de l’Officier désigné, émis par le Directeur général, Autorité des griefs des Forces canadiennes

N.B. Le Manuel du Plaignant et de l’Officier désigné est reproduit tel qu’il a été soumis par la défenderesse. 

 

Partie 1 - Introduction

 

1.1 - But

Les principaux intervenants de la procédure de grief des FC sont les plaignants et les officiers désignés. Ce guide est destiné à les aider dans les tâches de préparation, de soumission et de règlement des plaintes dans le cadre du système de grief des FC. L’efficacité et la rapidité de la procédure de grief reposent sur une bonne préparation et une communication claire de la plainte, ainsi que les efforts d’un officier désigné bien informé. Le contenu du présent manuel permettra aux plaignants et aux officiers désignés d’établir une plainte bien formulée en vue d’obtenir un règlement équitable et rapide des griefs.

 

 

Partie 2 - Résolution des Différends

 

2.1 - Généralités

L’administration courante des FC donne lieu à de nombreux différends. Les différends opposant les FC à leurs membres qui ne peuvent pas être résolus sur-le-champ risquent de dégénérer en griefs. Cependant, comme le traitement des griefs est long et coûteux en main-d’oeuvre, il est de l’intérêt de tous de contribuer à une résolution précoce des différends. Le « meilleur grief » est celui qui peut être résolu de manière rapide et équitable au niveau de l’unité. Il est donc essentiel que les autorités des FC s’efforcent de résoudre les différends par des moyens informels à un stade aussi précoce que possible.

 

2.2 - Recherche d’une solution informelle

Avant qu’un membre des FC ne consacre temps et efforts à la préparation et à la soumission d’une plainte écrite au commandant de l’unité, il devrait s’adresser à un supérieur de confiance qui l’aidera à trouver une solution informelle ou administrative au différend l’opposant à la personne ou au service en cause. Cette solution rapide n’implique nullement de renoncer à son droit de grief si la solution administrative ne permet pas de régler le problème.

 

2.3 - En cas d’échec de la solution informelle

Si le membre des FC a demandé de l’aide pour résoudre un problème et n’a pas obtenu satisfaction, il dispose d’autres ressources au niveau de la base, de l’escadre ou de la région, selon la nature de sa plainte. Voici une brève description des solutions de remplacement.

 

2.4 - Harcèlement ou abus d’autorité

Dans certains cas, la plainte initiale porte sur des relations interpersonnelles en milieu de travail. Ce genre de difficulté dans les relations interpersonnelles est souvent à l’origine d’allégations de harcèlement ou d’abus d’autorité. Dans ce genre de cas, le membre plaignant devrait être renvoyé à la DOAD 5012-0, qui fournit des conseils pour la résolution des questions de harcèlement. Chaque base ou escadre dispose d’un conseiller en harcèlement qui peut donner des conseils sur la meilleure façon d’aborder le problème. Les cas de harcèlement peuvent généralement être résolus d’une manière très rapide au niveau de l’unité. Le processus de plainte pour harcèlement est le mieux adapté à ce genre de situation et devrait être préféré à la procédure de grief. Il est important d’informer le plaignant qu’il ne renonce pas à son droit de grief s’il n’est pas satisfait des résultats de l’enquête sur son cas de harcèlement.

 

2.5 - Règlement extrajudiciaire des différends (RED)

Toutes les bases importantes et les escadres, ainsi que chaque région des FC, disposent d’un Centre de règlement des conflits (CRC), dont le fonctionnement est régi par la DAOD 5046-0. Le plaignant devrait s’adresser au personnel du CRC pour déterminer si le problème peut être résolu par RED. À ce niveau encore, si la plainte est justiciable de ce processus et si le plaignant y consent, il est possible d’éviter une longue procédure de grief.

 

2.6 - Réclamations contre l’État

Dans un certain nombre de cas, la seule solution pour régler la plainte est de verser une réparation monétaire. Si l’étude de la plainte démontre qu’il s’agit d’une demande de compensation financière, celle-ci peut servir de base à une réclamation contre l’État. En pareil cas, le membre et l’officier désigné devraient se reporter à l’OAFC 59-3 et consulter le conseiller juridique de l’unité.

 

2.7 - Procédure devant les instances civiles

Le plaignant a toujours la possibilité d’entreprendre une procédure civile. Cependant, certaines précautions s’imposent avant de décider de prendre un avocat civil et d’engager des poursuites devant les instances civiles. Sauf autorisation préalable, les FC ne remboursent normalement pas les frais juridiques et judiciaires du plaignant. De plus, l’expérience a démontré que les tribunaux refusent normalement d’entendre une cause basée sur un grief tant que toutes les possibilités de la procédure de grief n’ont pas été épuisées. Seule la Commission canadienne des droits de la personne peut recevoir des plaintes avant la fin de la procédure de grief des FC. Lorsqu’une réclamation basée sur un grief est portée devant les instances civiles, l’article 7.16 des ORFC précise que la procédure de grief est suspendue (les FC n’entreprennent aucune démarche) tant que l’action civile n’est pas terminée. Si le membre réactive son grief après l’action au civil, le DGBGFC étudiera sa plainte pour voir s’il reste des points en suspens. Si tous les points du litige ont été couverts par l’instance civile, le grief sera normalement clos. La Loi interdit qu’un plaignant reçoive, pour la même plainte, des compensations de différentes sources. S’il reste des points non résolus, la procédure de grief se poursuivra normalement pour les points en litige.

 

 

 

 

 

Partie 3 - DEVOIRS DES INTERVENANTS

 

3.1 - Membre qui s’estime lésé (le plaignant)

Le plaignant doit déposer son grief dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision, l’acte ou de l’omission contesté; au-delà de cette période, il doit donner des motifs valables pour son retard. La plainte initiale peut être formulée verbalement, mais le plaignant doit présenter une plainte écrite qui soit claire et compréhensible, et indique la réparation recherchée. La plainte écrite doit être signée par le plaignant (ou son représentant personnel agissant en vertu d’une procuration, ou un avocat dont le plaignant a retenu les services, ou encore son exécuteur testamentaire, si le plaignant est décédé). La plainte doit être présentée dans le respect des normes de conduite décrites dans les articles 19.14 et 7.04 des ORFC. En particulier, la plainte ne doit pas contenir de propos relevant de l’insubordination ou constituant une violation du code de discipline. Tous les points du grief doivent être dûment étayés.

 

3.2 - Officier désigné

L’article 7.03 des ORFC précise que le commandant de l’unité doit, à la demande du membre, désigner un officier pour l’aider, selon le choix du plaignant, dans la mesure où les exigences du service le permettent. Le règlement précise que le rôle de l’officier désigné est d’aider le plaignant dans la préparation de sa plainte. En pratique, ce rôle peut aller plus loin et ne se limite pas à la soumission d’une plainte au commandant. Si possible, l’officier désigné devrait pouvoir aider le membre tout au long des étapes du processus. L’expérience montre que le soutien d’un officier désigné est une solide garantie de la soumission d’une plainte bien rédigée et bien étayée. Les commandants sont invités à désigner un officier, même si le membre n’en fait pas la demande.

 

Le rôle de l’officier désigné est le même que celui de son homologue dans le cadre d’un processus disciplinaire des FC. Il met sa compétence et son expérience au service du plaignant pour l’application des règlements et la préparation de la plainte. L’officier désigné doit s’assurer que le membre connaît et comprend les procédures de soumission des griefs et que sa plainte est conforme aux règles de l’article 7.04 des ORFC. Il doit également faciliter l’accès aux règlements et aux instructions des FC, ainsi qu’à toute autre documentation concernant la procédure de grief.

 

L’article 7.02 des ORFC prévoit une période de six mois pour le dépôt d’une plainte ou grief. Si ce délai est dépassé, le rôle de l’officier désigné est d’aider le plaignant à élaborer et à communiquer au commandant les raisons valides de son retard. L’API (ou le commandant faisant fonction d’API) examine les motifs invoqués et accepte la demande s’il juge que c’est dans l’intérêt de la justice. Si l’API estime que l’intérêt de la justice n’exige pas d’accepter une demande tardive, il peut la rejeter avec une justification écrite donnée au plaignant.

 

Si d’autres mécanismes de règlement offrent une solution plus directe et plus expéditive, l’officier désigné doit encourager le plaignant à explorer ces solutions. La procédure de grief complète est longue et coûteuse en temps et en efforts. Il est donc recommandé de privilégier un processus plus rapide, plus souple et moins officiel.

 

Si l’officier désigné estime que les fondements de la plainte sont insuffisants, il doit en informer le plaignant et l’aider à développer une meilleure argumentation. Si ce n’est pas possible, il doit conseiller au plaignant d’abandonner sa plainte. Cependant, l’officier désigné n’a pas de pouvoir décisionnel et devrait s’abstenir de porter un jugement sur les mérites de la plainte. Son rôle à cet égard se limite à déconseiller au membre de maintenir une plainte mal fondée.

 

Si le plaignant demande à l’officier de l’aider à formuler des plaintes futiles ou injustifiées, il doit l’informer qu’il ne peut aller à l’encontre de la discipline normale et de la courtoisie militaire. Si la situation semble aller à l’encontre de l’éthique ou du devoir d’officier des FC, il doit demander à être relevé du mandat.

 

Dans la mesure du possible, le plaignant devrait être accompagné par le même officier désigné tout au long du processus. C’est lui qui connaît le mieux le plaignant et la nature de la plainte et qui aura plus de facilité que quiconque pour soumettre le cas aux autorités décisionnelles supérieures. En cas de mutation de l’officier ou du plaignant, l’officier doit informer le plaignant qu’il devra se trouver un remplaçant. Si le plaignant est libéré des Forces au cours du processus, l’officier doit s’assurer que l’unité et la DGBGFC ont sa nouvelle adresse et qu’il connaît les numéros de contact de la DGBGFC.

 

Si le plaignant est libéré pour des raisons médicales avant le règlement d’un grief, il convient de s’assurer qu’il est informé des ressources disponibles au bureau régional du « Centre » (DSBA), ou d’un avocat des pensions de Anciens Combattants, ou d’un officier des services de la Légion offrant aide et de soutien.

 

3.3 - Commandant de l’unité

L’article 7.10 des ORFC donne au commandant 10 jours civils pour répondre à une plainte déposée. Cette période devrait être mise à profit pour tenter de résoudre le problème par des voies informelles ou pour faire appel au réseau de d’assistance à la résolution des griefs (RARG), mais dans tous les cas une API doit être désignée. Le commandant s’efforce de trouver une solution informelle, à moins que le plaignant n’ait déjà fait des tentatives raisonnables dans ce sens. Si le commandant ne peut pas trouver un terrain d’entente, il s’adresse aux ressources du RARG pour déterminer s’il existe des mécanismes autres que le grief. Si tel est le cas, le grief peut être orienté vers un autre processus, sous réserve du consentement écrit du plaignant. Si le plaignant y consent, son grief sera traité et résolu par des moyens extrajudiciaires.

 

À ce stade, le commandant peut vouloir rencontrer le plaignant, ou le plaignant peut demander une entrevue avec le commandant conformément aux dispositions de l’article 19.12 des ORFC.

 

 

 

 

 

 

S’il n’est pas possible de détourner le grief vers d’autres mécanismes ou si le plaignant refuse de donner son consentement, le commandant doit s’adresser au greffier du DGBGFC pour inscrire le grief dans la base de données du SGN pour obtenir un numéro de dossier. Ce numéro doit être inscrit dans la case appropriée de la formule et devra figurer sur toute autre correspondance ou demande ultérieure.

 

Le commandant de l’unité désigne ensuite l’autorité de première instance (API). S’il n’assume pas personnellement cette tâche, le dossier de grief est alors transféré à l’API avec les commentaires appropriés du commandant sur la formule de grief ou sur une feuille annexée. À partir de ce point, toute nouvelle information inscrite au dossier par l’unité doit être communiquée au plaignant.

 

Si le commandant de l’unité assume le rôle d’API, il examine le grief et donne une réponse écrite au plaignant. Si le plaignant est satisfait par la réponse, le commandant doit faciliter la mise en oeuvre de la solution. Si le plaignant n’est pas satisfait de la réponse, le commandant doit l’aider à préparer le dossier qui sera soumis à l’autorité de dernière instance (ADI), conformément à l’article 7.10 des ORFC. L’API doit s’assurer que les limites de temps sont respectées et que toute la documentation, y compris tout ajout fait par l’unité, est communiquée à la DGBGFC, par l’entremise du commandant.

 

Si les délais de soumission à l’ADI sont dépassés, le commandant aide le plaignant à présenter une argumentation convaincante, avec des motifs valides, pour faire accepter son grief.

 

3.4 - Réseau d’assistance à la résolution des griefs

Le réseau d’assistance à la résolution des griefs (RARG) comprend toutes les ressources disponibles pour le règlement des plaintes au niveau de la base, de l’escadre ou de la région. Au minimum, le RARG comprend le commandant de l’unité, le JAA local, le personnel des RH au QG de la base ou de l’escadre, un représentant du centre local de résolution des conflits (de la base ou régional) et un membre de la DGBGFC. Le rôle du RARG est de faciliter la tâche du commandant en analysant la nature de la plainte et en suggérant le mode de résolution le mieux adapté, avec le consentement informé du plaignant. L’annexe A contient une description détaillée du RARG.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3.5 - Autorité de première instance

L’API est une personne qualifiée pour « étudier et décider du bien-fondé du grief ». Le commandant d’unité est l’API dans les cas où il est en mesure d’accorder la réparation demandée. Dans les autres cas, c’est le commandant de l’entité (base, escadre, formation ou commandement), ou un officier détenant le rang de directeur général ou au-dessus au QGDN, qui a la responsabilité du règlement ou de la politique sur lequel ou laquelle porte la plainte. L’annexe B fournit une liste des API pour les cas les plus courants de griefs.

L’article 7.07 des ORFC fixe pour l’API un délai de 60 jours pour étudier et décider du bien-fondé du grief. L’API doit informer le plaignant de sa décision par écrit, par l’intermédiaire de son commandant dans le cas où ce dernier n’est pas l’API. Si l’API n’est pas en mesure d’étudier le grief et de rendre une décision dans ce délai de 60 jours, il doit normalement demander au plaignant une prolongation du délai pour pouvoir formuler une réponse appropriée. À noter qu’il est dans l’intérêt du plaignant d’accepter cette prolongation car l’API possède l’expérience et les ressources pour analyser attentivement la plainte et fournir une réponse motivée. Il est essentiel, pour trouver une solution équitable à la plainte, que l’API ait le temps voulu pour préparer la réponse. Toutefois, le plaignant peut refuser la prolongation du délai, auquel cas l’API doit renvoyer le grief au niveau du CEMD afin que la décision soit rendue par le DGBGFC.

 

3.6 - Directeur général du bureau des griefs des Forces canadiennes

Le DGBGFC fournit les fonctions de gestion et de soutien du SGN et agit comme observateur durant toute la durée du traitement du grief. Le Bureau des griefs des Forces canadiennes (BGFC) est le centre d’excellence et la base de connaissances en matière de griefs. Ses équipes d’analystes ont l’expertise nécessaire pour conseiller en temps réel les usagers du SGN. Un exposé de la mission, des valeurs et du modèle de gestion du BGFC est annexé au présent manuel.

 

Le BGFC assure l’enregistrement et le suivi des griefs dans le cadre du SGN. Si le plaignant a des questions à propos de l’avancement et de l’état de son grief, il peut contacter le greffier du BGFC. Cependant, le personnel du BGFC ne peut faire aucun commentaire sur les mérites d’un grief quelconque tant qu’une décision n’a pas été prononcée.

 

3.7 - Comité des griefs des Forces canadiennes

Le Comité des griefs des Forces canadiennes (CGFC) est un tribunal administratif possédant des pouvoirs quasi judiciaires, sans lien de dépendance et qui a pour mandat de fournir au CÉMD des conclusions et recommandations concernant les griefs qui lui sont soumis. Le CÉMD peut déléguer tour les griefs au CGFC, mai généralement, ils portent sur les droits de la personne, les libérations obligatoires et les bénéfices financiers des membres des FC. L’ORFC 7.12 “Renvoi devant le comité des griefs” donne des détails sur les types des griefs qui doivent obligatoirement être soumis au CGFC. Si un grief traite d’un sujet qui tombe sous une de ces catégories, le CGFC doit l’examiner et soumettre au CÉMD ses conclusions et recommandations pour considérations avant la décision finale. Le CÉMD n’est pas lié par les conclusions et recommandations du CGFC, mais s’il choisit de s’en écarter, il doit toutefois motiver son choix dans sa décision.

 

 

 

 

Lorsque le CGFC reçoit un grief du Directeur général, Autorité des griefs des Forces canadiennes (DGAGFC), celui-ci fait parvenir au plaignant une lettre qui confirme la réception du grief ainsi que son contenu. De plus, le CGFC doit obtenir l’autorité d’accès (Loi sur la protection des renseignements personnels) à tous documents qui pourraient être reliés au cas. Le CGFC invite le plaignant à soumettre toute information supplémentaire pertinente au dossier. Si le CGFC obtient de l’information nouvelle, elle sera divulguée au plaignant.

 

Un officier de grief du CGFC fait une analyse approfondie de la plainte, qui peut impliquer la participation d’un avocat. Par la suite, les membres du Comité préparent les conclusions et recommandations. S’il le juge nécessaire, le Comité peut appeler des témoins et même tenir une audience formelle. Les conclusions et recommandations sont par la suite acheminées au plaignant et au CÉMD en même temps. Le plaignant a la chance de réviser les conclusions et recommandations du CGFC et si nécessaire peut y ajouter des représentations supplémentaires pour considération par le CÉMD avant la décision finale. Le CÉMD qui peut accepter ou rejeter les conclusions et recommandations du CGFC, communiquera sa décision au plaignant ainsi qu’au CGFC.

 

3.8 - Autorité de dernière instance

Le SGN fonctionne en deux temps. Ainsi, le plaignant dispose de deux occasions de présenter son dossier : une première devant l’API, et une seconde devant l’autorité de dernière instance (ADI). Si le plaignant n’est pas satisfait de la réponse de l’API, il peut demander qu’une décision soit rendue par l’ADI. Dans la procédure de grief des FC, le CEMD est l’autorité de dernière instance. Toutefois, le CEMD a délégué ses pouvoirs de décision pour toutes les questions (autres que celles justiciables du CGFC) adressées au directeur général du bureau des griefs des FC. C’est à ce titre qu’il aura à étudier et à décider du bien-fondé du grief en tant qu’autorité de dernière instance par délégation du CEMD.

 

Du point de vue du plaignant, la procédure est identique à celle suivie devant l’API, à l’exception de l’intervention des analystes du BGFC qui assurent les fonctions d’enquête et d’analyse au nom de l’ADI. Le plaignant peut s’attendre à une divulgation des rapports des analystes du BGFC avant la soumission du dossier à l’ADI.

La décision de l’ADI constitue l’étape finale de la procédure de grief des FC. Si le plaignant est insatisfait de la décision de l’ADI, il peut demander une révision judiciaire au tribunal fédéral. Il a également la possibilité de formuler une plainte auprès de l’ombudsman des FC.

 

 

Partie 4 - Procédure de Réglement Efficace des Griefs

 

4.1 - Résolution précoce des différends

Les FC ont un intérêt majeur à ce que les griefs soient résolus aussi rapidement que possible. Le processus de règlement est neutre quant aux gagnants et aux perdants, mais se concentre principalement sur les points suivants.

  1. entreprendre des démarches officielles seulement si les solutions informelles se sont révélées impraticables;
  2. entreprendre une procédure de grief officiel seulement après avoir épuisé les processus spécifiques applicables (par exemple, pour le harcèlement selon la DOAD 5012-0);
  3. veiller à ce que les griefs soient clairement exposés et adéquatement justifiés;
  4. rechercher une décision rapide et équitable;
  5. s’assurer que les décisions motivées sont pleinement fondées sur la base du droit, des politiques des FC et de l’équité.

 

4.2 - Qu’est-ce qu’un bon grief?

Un « bon grief » est un grief bien exposé, solidement étayé et indiquant clairement la réparation demandée. Un bon grief est dans l’intérêt du plaignant et simplifie la tâche de l’organisme d’arbitrage en facilitant la compréhension du dossier, en évitant des efforts administratifs inutiles et en conduisant à une décision motivée. À cet effet:

  1. Le motif du grief doit être clairement exposé.
  2. La demande doit se référer explicitement à une décision, un acte ou une omission qui est à l’origine du grief.
  3. La décision doit décrire clairement les motifs invoqués pour contester la décision, l’acte ou l’omission, et en quoi le plaignant a été lésé. (En général, cette démonstration se fait en invoquant une certaine « norme » et en expliquant en quoi la décision réelle s’écarte de cette norme.)
  4. La demande doit être accompagnée des faits pertinents et des documents justificatifs nécessaires pour établir les bases du grief, le tout constituant une documentation complète présentée d’une manière organisée.
  5. La réparation demandée doit être clairement identifiée et réaliste dans le contexte des FC.

La désignation d’un officier pour aider le plaignant n’est pas automatique, il doit en faire la demande. Toutefois, l’expérience montre que la présence d’un officier désigné facilite la préparation d’un bon dossier de plainte. Les commandants sont invités à aller dans ce sens dans tous les cas.

 

4.3 - Analyse en deux étapes

L’établissement d’un bon grief repose sur une analyse en deux étapes.

  1. Première étape: La décision, l’acte ou l’omission contesté justifie-t-il un grief? Pour déterminer si c’est le cas, posez-vous les trois questions suivantes:
    1. Le membre a-t-il le droit de déposer un grief? Déterminez si la question en cause relève de la responsabilité des FC. La décision, l’acte ou l’omission est-il lié aux activités quotidiennes des FC ou du MDN? Résulte-t-il d’un règlement ou d’une directive d’un autre organisme gouvernemental que les FC ont converti en un ordre? Il y a matière à grief si la question relève directement des FC ou s’il s’agit d’une politique mise en oeuvre par les FC.

En d’autres termes, un membre peut formuler un grief à propos de faits survenus dans le cadre de son service au sein des FC, pour lesquels il ou elle s’estime personnellement lésé(e).

 

 

 

 

 

 

 

    1. Le membre a-t-il subi un préjudice? Il ne suffit pas que le membre soit en désaccord avec une décision, un acte ou une omission découlant de l’application d’une politique ou d’une décision des FC. Le membre doit démontrer qu’il ou elle a été lésé(e) par l’application de cette décision ou politique. La démonstration du préjudice subi n’est généralement pas difficile à faire. Il suffit d’établir que la décision, l’acte ou l’omission en cause a eu un effet personnel sur le membre des FC. On peut, par exemple, démontrer sur pièces que le membre a perdu des occasions de promotion, n’a pas pu bénéficier d’avantages financiers ou a fait l’objet de harcèlement en milieu de travail.
    2. La plainte relève-t-elle d’une autre procédure? Il existe dans les FC d’autres processus de plainte régis par d’autres règlements. L’exemple le plus courant est celui du Code discipline militaire. La loi et les règlements sur la Défense nationale prévoient des mécanismes de révision interne pour des procès sommaires dont l’issue ne peut faire l’objet d’un grief.

Il y a également des processus applicables à des types spécifiques de plaintes. Sans exclure le recours au grief, il est préférable d’explorer d’abord ces mécanismes.

a) Si la question constitue une plainte contre la Couronne, reportez-vous à l’OAFC 59-3 et consultez le conseiller juridique de l’unité.
b) S’il s’agit d’un cas de harcèlement ou d’abus d’autorité, reportez-vous à la DOAD 5012-0 et consultez le conseiller en harcèlement de l’unité.
c) S’il s’agit d’une question de résolution de conflit, consulter le personnel du CRC local.

  1. Deuxième étape: Le grief est-il correctement formulé et étayé? La bonne formulation comprend quatre volets qui doivent tous figurer dans la plainte. Posez-vous les trois questions suivantes :
    1. S’agit-il d’une plainte spécifique? La plainte doit être fondée sur une décision, un acte ou une omission. De plus, le plaignant doit avoir été affecté ou lésé par l’incident. Une plainte ne peut pas être basée sur ce qui est arrivé à quelqu’un d’autre.
    2. La plainte est-elle adéquatement étayée? C’est au plaignant qu’incombe le fardeau de la preuve de son préjudice. Il doit réunir suffisamment d’éléments pour démontrer l’existence du problème qui n’a pas été résolu. S’il ne peut le faire, l’officier désigné doit l’y aider. Si ce n’est pas contraire à la loi, le plaignant doit pouvoir accéder aux documents nécessaires pour exposer et étayer son grief.
    3. La réparation est-elle appropriée? La compensation demandée par le plaignant est-elle raisonnable, compte tenu de la nature du grief, et est-elle clairement exposée? Dès le début, le plaignant et l’officier désigné doivent analyser le grief et déterminer le mode de compensation qu’ils estiment approprier et disponible dans le contexte des FC, puis l’exposer clairement par écrit.

Conclusion: Déterminez si la plainte satisfait aux critères des deux étapes. Si c’est le cas, elle peut faire l’objet d’une procédure de grief. Si la plainte ne satisfait pas aux critères de la première étape, il ne s’agit probablement pas d’un grief et il faudra envisager d’autres solutions. Si le critère de la première étape est satisfait, mais pas celui de la seconde, il s’agit bien d’un grief, mais la demande a besoin d’être étoffée avant de pouvoir être soumise au processus d’arbitrage.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1683-02

 

INTITULÉ :                                       Patrick Bernath c. Sa Majesté la Reine

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               18 octobre 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  L’Honorable Juge Simon Noël

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 31 janvier 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Patrick Bernath

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Pierre Salois

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. Patrick Bernath

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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