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Date : 20070124

Dossier : IMM-1575-06

Référence : 2007 CF 77

Toronto (Ontario), le 24 janvier 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

XIONG WANG

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Wang, un citoyen de la République populaire de Chine, prétend craindre les autorités chinoises parce qu’il est chrétien et parce qu’il participe aux activités d’une église clandestine en Chine. La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande d’asile et a jugé qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Elle a conclu que le manque de crédibilité de M. Wang réfutait l’existence d’une crainte subjective. La conclusion quant à la crédibilité a porté un coup fatal à sa demande d’asile. 

 

[2]               M. Wang prétend que la SPR s’est employée avec un zèle excessif à déceler des contradictions dans sa preuve en procédant à une analyse microscopique et en omettant de prendre en considération le contexte général et son niveau d’éducation. Le nombre d’erreurs (y compris des preuves citées de manière inexacte) et les conclusions défavorables sans fondement seraient [traduction] « si graves qu’elles mettent en cause l’ensemble des motifs de la SPR ». En outre, le ton des motifs de la SPR donne à penser que les inexactitudes concernant certains faits ont influencé grandement et défavorablement la manière dont la SPR a jugé de la crédibilité de M. Wang.

 

[3]               Je conclus que les conclusions quant à la crédibilité sont claires et, sauf une, ne sont pas manifestement déraisonnables. Bien que le ton des motifs soit inutilement mordant, je suis convaincue que M. Wang a eu droit à une audience équitable.

 

I. Les faits

[4]               M. Wang vivait dans le village de Xi Lu. Il prétend être chrétien. Il soutient que le Bureau de la sécurité publique (BSP) a découvert le 18 décembre 2002 l’existence de l’église clandestine à laquelle il appartenait et a arrêté l’organisateur et trois membres. Bien qu’il ait réussi à s’échapper, le BSP a par la suite appris sa participation et s’est présenté chez lui les 19 et 26 décembre. M. Wang n’était chez lui pour ni l’une ni l’autre des visites, car il se cachait chez des amis. Lors de sa seconde visite, le BSP aurait montré un mandat d’arrestation à sa famille et aurait déclaré que des accusations avaient été portées [traduction] « pour envoyer [M. Wang] en prison ».

 

[5]               Avec l’aide d’un agent, M. Wang aurait quitté la Chine pour la Suisse le 9 janvier 2003, en utilisant son passeport chinois valide. Pendant plus de cinq mois, il a habité à Zurich avec le passeur (snakehead) qui avait organisé sa fuite. Après avoir voyagé en train de Zurich à Vienne, il a pris l’avion pour se rendre de l’Autriche au Canada, le 21 juin 2003, avec un faux passeport japonais fourni par le passeur. Il a détruit son vrai passeport ainsi que son faux passeport avant d’arriver au Canada. Il a demandé l’asile à son entrée au pays.

 

II. La décision

[6]               La SPR, dans une décision qui compte 22 pages, a relevé une pléthore de contradictions et d’invraisemblances dans le témoignage de M. Wang. Elle a été incapable de conclure, selon la prépondérance de la preuve, que M. Wang a pratiqué le christianisme en Chine. La SPR a affirmé :

L’examen que j’ai fait de la totalité de la preuve en l’espèce m’amène à conclure qu’il n’y a pas une once de vérité dans l’histoire du demandeur d’asile. J’ai relevé des contradictions et des incohérences dans tous les éléments de preuve qu’il a fournis.

 

Par conséquent, en raison de la gravité des incohérences, des omissions d’incidents et des invraisemblances, je conclus, en l’absence d’explications raisonnables, que le manque de crédibilité s’étend à la totalité des éléments de preuve pertinents produits par le demandeur d’asile ainsi qu’à l’ensemble de son témoignage.

 

 

[7]               La SPR a également noté que, selon une des pièces contenues dans le cartable de documentation, les mandats d’arrestation sont inscrits dans le hukou (document du système chinois d’enregistrement des ménages) des citoyens chinois. En conséquence, à la lumière de la preuve documentaire, elle a conclu qu’il n’était pas crédible que M. Wang, recherché activement par le BSP, ait pu obtenir un hukou à son nom (six mois après avoir quitté la Chine), lequel ne mentionnait pas qu’il était recherché par les autorités.

 

III. La question

[8]               La question, comme l’a formulée M. Wang, est de savoir si la décision était fondée sur des conclusions de fait erronées de telle sorte que les conclusions tirées à partir de ces conclusions de fait vicient l’ensemble des motifs fournis par la SPR et les rendent manifestement déraisonnables.

 

IV. La norme de contrôle

[9]               Il n’est pas contesté que les conclusions quant à la crédibilité sont des conclusions de fait et que, par conséquent, la norme de contrôle applicable est la décision manifestement déraisonnable.

 

V. Analyse

[10]           Je n’ai pas l’intention d’énumérer les différentes contradictions relevées par la SPR. Il suffit de dire que la décision, du début à la fin, abonde en conclusions faisant état de contradictions et d’invraisemblances. M. Wang énumère huit conclusions « erronées » distinctes. Toutefois, il ne présente des arguments que pour quatre d’entre elles. Je limiterai mon analyse aux quatre conclusions contestées.

 

[11]           En premier lieu, M. Wang soulève une question quant à savoir s’il a mentionné dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu’il avait travaillé pour l’église. Selon lui, la SPR laisse entendre qu’il n’a pas fait référence à son emploi pour l’église dans son récit. M. Wang maintient que, en ce qui concerne le récit contenu dans le FRP, il est clair qu’il a bel et bien fait référence à son travail pour l’église.

 

[12]           L’élément qui a amené la SPR à tirer sur cette question une conclusion défavorable quant à la crédibilité était une incohérence entre les documents du point d’entrée et le FRP. Dans la section des emplois antérieurs, M. Wang a donné dans chaque document un titre différent à son emploi pour la même période. Au point d’entrée, il a déclaré que, après avoir travaillé à son compte comme chauffeur, il avait été employé par l’église. Dans son FRP, il a écrit qu’il travaillait à la ferme familiale à cette époque. La SPR a reconnu que M. Wang avait mentionné sa participation aux activités de l’église dans son récit. Le problème était en fait que, au point d’entrée, il avait qualifié son travail auprès de l’église d’emploi, mais que, dans son FRP et à l’audience, il avait affirmé que son travail à l’église n’était pas du tout un travail. Dans ces circonstances, il ne peut être dit que la conclusion de la SPR était déraisonnable, encore moins manifestement déraisonnable.

 

[13]           En deuxième lieu, M. Wang conteste la conclusion concernant la nature du travail qu’il a fait pour l’église. Il fait référence à la remarque de la SPR selon laquelle il a déclaré au point d’entrée qu’il avait « aidé le ministre dans sa prédication ». La SPR a jugé que cette déclaration contredisait son témoignage à l’audience où il a affirmé que, en fait, il ne prêchait pas. M. Wang attire l’attention sur la page 3 des notes prises au point d’entrée où il est écrit que [traduction] « l’intéressé explique que le gouvernement chinois a lancé un mandat d’arrestation contre lui parce qu’il aidait un ministre du culte de Taïwan à prêcher. Il n’agissait qu’à titre d’interprète et non à titre de prédicateur, mais le gouvernement a jugé qu’il avait participé à la prédication et à la défense de la liberté de religion. » Selon M. Wang, la SPR, en voulant faire ressortir une contradiction au sujet de la prédication, s’est appuyée sur une conclusion de fait erronée.

 

[14]           La SPR, pour conclure qu’il y avait contradiction à ce sujet, a également pris en compte l’admission de M. Wang selon laquelle il [traduction] « prêchait ». Les notes prises lors de l’interrogatoire au point d’entrée comprennent une liste des questions posées et les réponses données. À la question [traduction] « craignez-vous d’être persécuté en Chine », M. Wang a répondu : [traduction] « Chaque fois que je vais prêcher, j’ai des problèmes partout. » Pourtant, à l’audience, il a déclaré qu’il ne prêchait pas. Encore une fois, dans les circonstances, la conclusion de la SPR n’est pas manifestement déraisonnable, ni déraisonnable par ailleurs.

 

[15]           En troisième lieu, selon M. Wang, la SPR a trouvé une contradiction au sujet de l’emploi qu’il a déclaré occuper quand elle a conclu qu’il avait affirmé dans les Renseignements généraux qu’il travaillait à son compte comme chauffeur alors que dans son FRP, il avait prétendu avoir travaillé à la ferme familiale. Étant donné qu’un examen du FRP révèle qu’il a effectivement déclaré avoir travaillé à son compte comme chauffeur, la conclusion de la SPR est erronée.

 

[16]           M. Wang a raison sur ce point. La conclusion est manifestement déraisonnable parce que le FRP contient bel et bien une déclaration de M. Wang selon laquelle il travaillait à son compte comme chauffeur. Cependant, étant donnée la kyrielle de contradictions relevées par la SPR, cette seule erreur ne pourrait avoir d’incidence sur l’ensemble de la décision. En outre, il y a une contradiction dans les dates qu’a données M. Wang au sujet de son travail autonome comme chauffeur. Lors de l’interrogatoire au point d’entrée, il a déclaré avoir travaillé à son compte comme chauffeur de janvier 1990 à janvier 1998. Dans son FRP, il a déclaré avoir travaillé à son compte somme chauffeur d’octobre 1990 à décembre 1998. En conséquence, il existe encore un problème quant à la question de son emploi de janvier 1998 à décembre 1998. M. Wang travaillait-il à son compte comme chauffeur, comme employé de l’église ou à la ferme familiale?

 

[17]           En quatrième lieu, M. Wang soutient que la SPR a exagéré une contradiction concernant la date du fait déclencheur. En formulant cette observation, M. Wang reconnaît implicitement qu’il y a contradiction. Il conteste l’importance que la SPR a attribuée à cette contradiction. Cet argument est sans fondement. Il revient à la SPR, et non à la Cour, de déterminer la valeur à accorder aux éléments de preuve. En outre, rien ne permet de savoir quelle importance a été attribuée à cette contradiction. La SPR a déclaré avec insistance que c’était l’effet cumulatif de la multitude de contradictions qui l’avait amenée à conclure comme elle l’avait fait.

 

[18]           Pour ce qui est de l’allégation de M. Wang selon laquelle son manque d’éducation aurait dû être pris en considération, je note que M. Wang a eu recours aux services d’un avocat pour préparer son FRP et pour le représenter à l’audience. Il ne se représentait pas lui‑même. Toutefois, cette observation pose une difficulté, car elle manque de précision et elle constitue une simple affirmation énoncée sans contexte. Il est donc impossible de l’évaluer.

 

[19]           Je me penche maintenant sur l’allégation concernant le ton des motifs de la SPR. M. Wang  relève cinq passages distincts de la décision de la SPR, lesquels contiennent, selon lui, [traduction] « des insinuations qui vont beaucoup plus loin qu’une conclusion relevant une contradiction et qui sont clairement ad hominem ». Cette allégation est grave et je la considère comme telle. Par conséquent, j’ai examiné avec attention les motifs et la transcription de l’audience. Malheureusement, je considère que le ton de la décision de la SPR est dur et mordant. Les mots employés dans les passages mis en évidence par M. Wang sont inutilement sévères. Pis encore, ils ne reflètent pas le degré de professionnalisme auquel on pourrait s’attendre d’un tribunal quasi judiciaire. Les demandeurs ont droit au respect et les remarques désobligeantes sont inacceptables.

 

[20]           Toutefois, après avoir examiné attentivement la transcription, je suis convaincue que les remarques en question ne sont pas représentatives du déroulement de l’audience. Outre les rares manifestations d’impatience découlant du fait que M. Wang ne répondait pas aux questions, la SPR s’est montrée impartiale et courtoise tout au long de l’audience. Il ne fait aucun doute que M. Wang a eu droit à une audience équitable. Bien que les commentaires en question ne puissent être excusés, je suis consciente que les motifs comptent 22 pages et que M. Wang ne conteste que cinq passages sur les 22 pages. Cela dit, le commissaire de la SPR est mis en garde et il devra à l’avenir faire preuve de plus de modération dans le choix de ses mots. 

 

[21]           Les avocats n’ont pas proposé de question à certifier et aucune n’est soulevée.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1575-06

 

INTITULÉ :                                                   Xiong Wang

                                                                        c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 23 JANVIER 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE   

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                                                           

DATE DES MOTIFS :                                  LE 24 JANVIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Levine

 

POUR LE DEMANDEUR

Lena Jaakkimainen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levine Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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