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Date : 20070122

Dossier :  IMM-2931-06

Référence : 2007 CF 58

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2007

En présence de Monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

 

BAHAEDIEN ABDALLA KARSOUA

demandeur

et

LE MINISTRE DE

LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

1.         Introduction

[1]               Le demandeur, M. Bahaedien Karsoua, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision du 20 avril 2006 par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté la demande d’asile du demandeur à titre de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger.

 

2.         Les faits

[2]               Âgé de 20 ans, le demandeur est un Palestinien apatride. Il est né à Abu Dhabi, dans les Émirats arabes unis (EAU), où il a fréquenté l’école privée pendant 13 ans. Ses parents sont également des Palestiniens apatrides, qui résident encore à Abu Dhabi avec sept des huit frères et soeurs du demandeur, l’autre frère résidant actuellement aux États-Unis.

 

[3]               Le père du demandeur est un employé de longue date de la société pétrolière dirigée par l’État. Il est né à Yafo, en Palestine, en 1948 et a vécu en Cisjordanie par la suite. Ces deux régions ont plus tard été annexées à l’État d’Israël. En 1967, le père du demandeur s’est établi en Jordanie, mais n’a pas été autorisé à fréquenter l’université là-bas, parce qu’il n’était pas citoyen. En 1968, il a obtenu un passeport jordanien valide pour deux ans, ce qui ne lui donnait toutefois aucun statut dans ce pays. En août 1977, le père du demandeur a déménagé aux EAU, où il a toujours vécu et travaillé depuis.

 

[4]               La mère du demandeur est également une Palestinienne apatride qui a pu elle aussi obtenir un passeport jordanien valide pour deux ans.

 

[5]               Le demandeur a soutenu avoir fait l’objet de railleries et de discrimination à l’école privée qu’il fréquentait parce qu’il était Palestinien et n’était pas citoyen des EAU. Après avoir été coupé à la tête, il a tenté d’obtenir des traitements à l’hôpital privé, mais comme il n’était pas Émirien il a dû attendre deux heures pour recevoir des traitements à l’hôpital public.

 

[6]               En mai 2003, le demandeur a obtenu un passeport jordanien valide pour deux ans et s’en est servi pour demander un visa d’étudiant canadien qu’il a obtenu le 18 août 2003. Le passeport jordanien du demandeur comporte un permis de séjour aux EAU qui devait expirer après une absence du demandeur pendant une période de six mois, ou au plus tard en 2006.

 

[7]               Le demandeur est arrivé au Canada pour entreprendre ses études en septembre 2003. En mai 2004, il est retourné aux EAU pour rendre visite à sa famille pendant une période de trois mois. Il est ensuite revenu au Canada pour poursuivre ses études en août 2004. Il a demandé l’asile le 28 janvier 2005 à Halifax (N.-É.). L’audience a eu lieu le 15 février 2006 et la CISR a fait connaître sa décision négative le 20 avril 2006.

 

3.         La décision contestée

[8]               La CISR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni « d’éléments de preuve crédibles ni dignes de foi » et que, par conséquent, il n’avait pas qualité de « réfugié au sens de la Convention » ni de « personne à protéger » du fait qu’il serait exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture au sens du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) (voir l’annexe).

 

[9]               La CISR a conclu que le demandeur était un Palestinien apatride. Bien qu’il soit né aux EAU, il n’est pas citoyen de ce pays. Le demandeur est venu au Canada et a obtenu un visa d’étudiant à l’aide d’un passeport jordanien valide pour deux ans, lequel passeport ne lui accordait pas la citoyenneté ni le droit de retourner en Jordanie. Ce passeport a expiré depuis. Quant au permis de séjour aux EAU du demandeur, il devait expirer dès que son titulaire aurait passé six mois en dehors du pays, ce qui était précisément le cas à la date à laquelle la CISR a rendu sa décision, soit le 20 avril 2006.

 

[10]           La CISR a conclu que les EAU étaient le pays de résidence habituelle du demandeur. Il est né dans ce pays en 1977, il a étudié aux EAU et, à l’exception d’un bref séjour en Jordanie et en Cisjordanie, il y a passé toute sa vie.

 

[11]           La CISR n’a pas cru que le demandeur avait présenté une preuve crédible pour étayer son allégation selon laquelle il craignait d’être persécuté ou de subir des préjudices graves dans son pays de résidence habituelle, soit les EAU.

 

[12]           La CISR a également conclu que les railleries et la discrimination dont le demandeur a été la cible ainsi que l’incident survenu à l’hôpital privé n’établissaient pas une situation de persécution ou d’exposition à un risque de préjudices graves.

 

[13]           La Commission a reconnu que l’expiration du permis de séjour aux EAU du demandeur signifiait vraisemblablement qu’il ne serait plus autorisé à retourner dans ce pays et qu’il n’avait aucun document de voyage valide, parce que son passeport jordanien valide pour deux ans avait également expiré.

 

[14]           La CISR a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur est retourné aux EAU à une occasion au début de 2004 pour rendre visite à sa famille. Elle n’a donc pas cru que le comportement du demandeur était celui d’une personne qui tente d’éviter la persécution ou des préjudices graves.

 

[15]           La CISR a conclu que le fait que le demandeur n’avait pas le droit de retourner aux EAU ne constituait pas de la persécution. Elle a cité la décision rendue dans Altawil c. Canada (M.E.I.), (1996) A.C.F. n° 986 (QL), selon laquelle la négation du droit de retour ne constitue pas de la persécution lorsqu’elle a lieu conformément à une loi d’application générale. De l’avis de la CISR, cette situation correspondait à celle du demandeur.

 

4.         Les questions en litige

[16]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

A.        La CISR a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité, notamment en concluant que l’effet cumulatif du harcèlement et de la discrimination auxquels le demandeur a été exposé aux EAU ne constituait pas de la persécution?

B.         La CISR a-t-elle commis une erreur en omettant d’analyser de façon précise la demande fondée sur l’article 97 ou de tenir compte de la crainte subjective du demandeur dans son analyse?

C.        La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la négation du droit de retour ne constituait pas de la persécution?

 

5.         Analyse

A.        La CISR a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité, notamment en concluant que l’effet cumulatif du harcèlement et de la discrimination auxquels le demandeur a été exposé aux EAU ne constituait pas de la persécution?

 

 

[17]           Il est largement reconnu que les conclusions de la CISR concernant la crédibilité sont révisées selon la norme de la décision manifestement déraisonnable (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 38, 2005 CSC 40). La première question concerne un aspect du litige obligeant la CISR à se demander si la preuve de harcèlement et de discrimination constitue de la persécution dans les circonstances de la présente affaire. Pour déterminer la norme de contrôle applicable à cette question, il faut mener une analyse pragmatique et fonctionnelle (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] R.C.F. 392.)

 

[18]           L’analyse nécessite l’examen des quatre facteurs contextuels énoncés pour la première fois dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 :

(1)        la présence ou l’absence d’une clause privative ou d’un droit d’appel dans la loi;

(2)        l’expertise relative du tribunal;

(3)        l’objet de la loi et de la disposition en cause;

(4)        la nature de la question.

 

            (1)        La présence ou l’absence d’une clause privative ou d’un droit d’appel dans la loi

[19]           La présence d’une clause privative intégrale atteste persuasivement que la Cour doit faire montre de retenue à l’égard de la décision du tribunal. En revanche, une disposition qui permet les appels suggère une norme de contrôle plus stricte. En l’espèce, la Loi ne comporte aucune clause privative et ne prévoit aucun droit d’appel. Bien qu’une partie puisse demander à la Cour fédérale de réviser la décision de la CISR conformément aux articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, l’accessibilité du contrôle judiciaire n’atténue pas nécessairement le degré de retenue qu’appellent les décisions de la CISR. Comme la Cour suprême du Canada l’a souligné dans Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722, la compétence d’un tribunal saisi d’un appel est beaucoup plus large que celle d’un tribunal qui exerce un contrôle judiciaire. Au paragraphe 31, la Cour suprême s’est exprimée comme suit : « En principe, le tribunal saisi d’un appel a le droit d’exprimer son désaccord avec le raisonnement du tribunal d’instance inférieure. »

 

[20]           En raison de l’absence de droit d’appel ou de clause privative dans la loi, je suis d’avis que l’impact de ce facteur sur le degré de retenue dont la Cour doit faire montre à l’endroit de la CISR est neutre.

 

(2)        L’expertise relative de la CISR

[21]           En évaluant ce deuxième facteur, la Cour doit examiner les « trois dimensions » de l’expertise relative, énoncées comme suit au paragraphe 33 de l’arrêt Pushpanathan, précité :

(1)        l’expertise de la CISR;

(2)        la propre expertise de la Cour par rapport à celle de la CISR;

(3)        la nature de la question précise dont était saisie la CISR par rapport à l’expertise de la Cour.

 

[22]           La Cour suprême du Canada a formulé d’autres commentaires sur la relation entre l’expertise et la déférence dans Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226. Au paragraphe 28 de ce jugement, faisant allusion à l’arrêt Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, la Cour s’est exprimée comme suit :

Un plus haut degré de déférence est dû uniquement lorsque l’organisme décisionnel possède, de quelque façon, une plus grande expertise que les cours et que la question visée relève de cette plus grande expertise.

 

[23]           La question sous examen concerne la mesure dans laquelle les faits à l’appui de l’allégation de discrimination et de harcèlement constituent de la « persécution » au sens envisagé dans la Loi.

 

[24]           À titre de tribunal spécialisé sur les questions relatives aux réfugiés, la CISR possède certainement une expertise reconnue en ce qui concerne l’évaluation des facteurs à prendre en compte au cours de l’examen d’une demande d’asile. Cependant, étant donné que 10 p. 100 seulement des commissaires sont tenus par la loi d’avoir une formation juridique (paragraphe 153(4) de la Loi), la CISR n’est certainement pas reconnue comme un tribunal spécialisé sur les questions de droit. En conséquence, la Cour a une plus grande expertise que la CISR sur les questions de droit.

 

[25]           La question qui se pose en l’espèce est une question mixe de droit et de fait et nécessite une analyse comportant un élément factuel important. Compte tenu de l’expertise de la Cour sur les questions de droit et de l’expertise reconnue du Tribunal en ce qui a trait à l’évaluation des faits dans le contexte d’une demande d’asile, je suis d’avis que, bien que ce facteur ne milite pas en faveur d’un degré de retenue élevé, une certaine déférence est justifiée.

 

(3)        L’objet de la loi et de la disposition en cause

[26]           L’objet de la Loi en ce qui concerne les réfugiés est énoncé au paragraphe 3(2) et consiste à offrir l’asile aux réfugiés tout en mettant en place une procédure équitable et efficace pour atteindre cet objectif. En bout de ligne, les dispositions de la Loi qui concernent les réfugiés visent à assurer le respect des obligations juridiques du Canada envers ceux-ci en vertu du droit international.

 

[27]           Au paragraphe 48 de l’arrêt Pushpanathan, la Cour suprême du Canada a commenté le rôle dévolu à la CISR en vertu de la Loi :

On ne peut affirmer non plus que la Commission accomplit une fonction de «gestion» ou de «surveillance» comme la Cour l’a dit dans les arrêts Southam et National Corn Growers.  La Commission elle‑même n’est pas responsable de l’élaboration des politiques.  L’objectif de la Convention -- et en particulier celui des exclusions énoncées à la section Fc) de l’article premier -- n’est, de toute évidence, pas la gestion des flux de personnes, mais bien l’instauration d’un régime de protection minimale des droits de la personne.  Le contexte dans lequel la fonction juridictionnelle est exercée n’est pas «polycentrique»; il ne s’agit pas de concilier les intérêts de différents groupes, mais plutôt de donner effet à un ensemble de droits de la personne assez statiques et d’assurer la protection des personnes qui appartiennent aux catégories définies.

 

[28]           Le contexte dans lequel la CISR doit évaluer la preuve et trancher la demande n’est pas « polycentrique » au sens donné à ce terme dans l’arrêt précité. La question doit plutôt être tranchée dans le contexte de la protection des droits de la personne d’un demandeur précis, ce qui appelle un degré de retenue plus faible.

 

(4)        La nature de la question

[29]           La question sous examen est une question mixte de fait et de droit. La CISR doit décider si la situation factuelle du demandeur permet de conclure que celui-ci a été victime de « persécution » au sens envisagé dans la Loi. Ce n’est pas une question dans laquelle il est facile de séparer les conclusions de fait de la définition juridique du mot « persécution. » À mon avis, l’élément factuel de la question demeure une composante importante de l’analyse. Étant donné que les conclusions de fait relèvent de la compétence de la CISR, ce dernier facteur milite en faveur d’un certain degré de retenue à l’endroit de celle-ci de la part d’un tribunal de révision.

 

[30]           À mon sens, compte tenu de l’ensemble des facteurs contextuels susmentionnés, la norme qu’il convient d’appliquer pour réviser la décision de la CISR au sujet de la question de savoir si la discrimination et le harcèlement constituent de la persécution est la norme de la décision raisonnable simpliciter. Cette conclusion va dans le sens de celle que mes collègues ont tirée dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hamdan, 2006 CF 290, au paragraphe 17 et Al-Mahamud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 334, 218 F.T.R. 205. L’application de la norme de la décision raisonnable nécessite fondamentalement l’examen de la question suivante : les motifs donnés par la Commission peuvent-ils dans l’ensemble, après un examen assez poussé, étayer la décision qu’elle a rendue? Au paragraphe 56 de l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam, [1997] 1 R.C.S. 748, la Cour suprême du Canada a décrit la norme de la décision raisonnable simpliciter comme suit :

Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion.

 

 

[31]           Le demandeur soutient que la CISR n’a pas exposé clairement les raisons pour lesquelles elle a conclu qu’il n’avait pas présenté d’éléments de preuve crédibles au sujet du fait qu’il craignait avec raison d’être persécuté ou qu’il était une personne à protéger. Le demandeur reproche donc à la CISR d’avoir commis une erreur lorsqu’elle a formulé ses conclusions concernant la crédibilité et de ne pas avoir tenu compte de l’effet cumulatif des nombreux incidents de harcèlement et de discrimination lorsqu’elle a conclu que les incidents en question ne constituaient pas de la persécution. Le demandeur fait également valoir que la CISR a procédé à une évaluation sélective et restreinte de la preuve et qu’elle a commis une erreur en se fondant sur un seul événement pour conclure à l’absence de crédibilité du demandeur, soit le retour de celui‑ci aux EAU en 2004 pour rendre visite à sa famille.

 

[32]           À mon avis, la CISR n’a pas rejeté la preuve du demandeur au sujet des incidents de harcèlement et de discrimination allégués. Dans ses motifs, la CISR s’est exprimée comme suit : « Même si le tribunal acceptait ces déclarations, il est d’avis qu’elles ne dénotent pas une situation de persécution ou d’exposition à un risque de préjudices graves. » La CISR n’a tiré aucune conclusion défavorable au sujet de la crédibilité en ce qui a trait à ces incidents. Elle a simplement conclu qu’ils ne constituaient pas de la persécution. Il appert d’un examen attentif du dossier, notamment de la transcription du témoignage présenté à l’audience devant la CISR, que celle‑ci a examiné la preuve dont elle était saisie. Dans ses motifs, elle a commenté explicitement la discrimination dont le demandeur avait été la cible à l’école privée et à l’hôpital et a également reconnu qu’il avait été victime de railleries et de discrimination. Je souligne qu’il n’y a pas eu de violence lors de l’un ou l’autre des incidents de harcèlement et de discrimination dont le demandeur s’est plaint et qu’aucun de ceux-ci n’a justifié l’intervention de la police ni n’a été signalé aux autorités. La CISR a également examiné le statut d’apatride du demandeur et les incidences de ce statut pour la demande d’asile qu’il a présentée. Je rejette l’allégation du demandeur selon laquelle la CISR a fait un examen sélectif et limité de la preuve. Après avoir examiné l’ensemble de celle-ci, je suis d’avis qu’il était raisonnablement loisible à la CISR de conclure que le demandeur n’avait pas présenté d’éléments de preuve crédibles au sujet de l’existence d’une crainte fondée de persécution. La CISR n’a commis aucune erreur susceptible de révision en concluant comme elle l’a fait sur cette question.

 

B.         La CISR a-t-elle commis une erreur en omettant d’analyser de façon précise la demande fondée sur l’article 97 ou de tenir compte de la crainte subjective du demandeur dans son analyse?

 

[33]           La question de savoir si le demandeur a qualité de « personne à protéger » est une question mixte de fait et de droit. Lorsque la décision sur cette question est examinée « globalement et dans son ensemble », elle est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. Voir Demirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1284, au paragraphe 23, Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437, aux paragraphes 8 à 22; Herrada et al. c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 1004, au paragraphe 24 et Yousef c.Canada (M.C.I.), 2006 CF 864, au paragraphe 17.

 

[34]           Le demandeur soutient que la CISR n’a pas fait de distinction entre les critères exigés par les articles 96 et 97 de la Loi, étant donné qu’elle a examiné la crainte subjective du demandeur pour trancher la demande fondée sur l’article 97. Il ajoute que la CISR a commis une erreur en omettant d’examiner ou de commenter les arguments qu’il avait formulés au sujet du risque objectif auquel il était exposé, soit le risque de menace à sa vie et de traitements ou peines cruels et inusités.

 

[35]           Lorsqu’elle est saisie d’une demande fondée sur l’article 97 de la Loi, la Commission doit décider si le renvoi du demandeur l’exposerait personnellement aux risques et dangers mentionnés aux alinéas 97(1)a) et b) de la Loi. Il incombe au demandeur de prouver selon la prépondérance des probabilités que ce renvoi l’exposerait personnellement aux risques en question. Dans la présente affaire, la CISR a conclu clairement que le demandeur ne s’était pas déchargé de ce fardeau. Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve montrant qu’il serait exposé personnellement aux risques ou dangers prévus aux alinéas 97(1)a) et b) de la Loi. Un examen de la preuve documentaire concernant la situation qui règne aux EAU révèle peu de renseignements qui s’appliqueraient à la situation du demandeur. À mon avis, la CISR n’a commis aucune erreur susceptible de révision dans la façon dont elle a traité la demande du demandeur fondée sur l’article 97. Il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure, au vu de la preuve, que le demandeur n’avait pas qualité de personne à protéger.

 

C.        La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la négation du droit de retour ne constituait pas de la persécution?

 

[36]           Le demandeur soutient que le déni de son droit de retourner aux EAU constitue de la persécution dans les circonstances de la présente affaire. Au soutien de son allégation, il cite la décision Altawil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. n° 986 (QL), où la juge Sandra Simpson s’exprime comme suit au paragraphe 11 : « Bien qu’il soit manifeste que le déni d’un droit de retour puisse, en soi, constituer un acte de persécution de la part d’un État, il me semble que l’intention ou la conduite de la nature d’une persécution doit transparaître des circonstances réelles de l’affaire. » Le demandeur cite également le raisonnement suivant que la Cour d’appel fédérale a suivi dans l’arrêt Thabet c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.), [1998] 4 C.F. 21, au paragraphe 32 : « Pour s’assurer qu’un revendicateur peut à juste titre se faire reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, la Commission doit se demander pourquoi le demandeur se voit refuser l’entrée dans un pays où il a eu sa résidence habituelle parce que le motif de la négation de ce droit peut, dans certaines circonstances, constituer un acte de persécution par l’État. »

 

[37]           Le demandeur fait valoir que les circonstances du déni du droit de retour constituent de la persécution. Il admet que le régime des permis de travail des EAU est une loi d’application générale; cependant, il fait valoir que la loi a des incidences défavorables et engendre un mode de persécution à son endroit en raison de sa nationalité. Il soutient que, alors que d’autres groupes ont la possibilité de retourner dans leur pays d’origine lorsqu’ils sont incapables de revenir dans les EAU ou d’y rester, il ne peut le faire, parce qu’il est apatride. Il ajoute que les incidences défavorables de cette loi se limitent à lui et aux personnes qui se trouvent dans sa situation et qu’elles sont évidentes pour les autorités des EAU qui ont édicté cette loi. De l’avis du demandeur, étant donné que les autorités connaissent les incidences défavorables de cette loi, l’application qu’elles font de celle-ci constitue de la persécution.

 

[38]           Les arguments susmentionnés sont essentiellement les mêmes que ceux que le demandeur a invoqués dans Altawil et que la juge Simpson a rejetés. Il est admis en l’espèce que la loi attaquée exigeant des permis de travail est une loi d’application générale. Le demandeur n’a relevé aucun élément de preuve montrant une intention ou une conduite qui participe de la persécution qui découlerait de la loi contestée. En l’absence de cette preuve, je dois forcément conclure dans les circonstances, comme l’a fait la juge Simpson dans Altawill, que la CISR n’a pas commis d’erreur en décidant que le déni d’un droit de retour ne constitue pas de la persécution. Comme la juge Simpson l’a souligné dans l’avant-dernier paragraphe des motifs de la décision qu’elle a rendue dans Altawil, « ... tous les apatrides ne sont pas des réfugiés. Pour être réfugiés, ils doivent se trouver hors du pays dans lequel ils avaient leur résidence habituelle, pour les raisons indiquées dans la définition. Lorsque ces raisons n'existent pas, l'apatride n'est pas un réfugié. »

 

6.         Dispositif

[39]           Étant donné que j’ai conclu que la CISR n’a commis aucune erreur susceptible de révision en tranchant la demande d’asile du demandeur comme elle l’a fait, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[40]           Les parties ont eu la possibilité de soulever une question grave de portée générale, comme le prévoit l’alinéa 74d) de la Loi, et ne l’ont pas fait. Je suis d’avis que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale et je n’en certifierai pas.


 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire relative de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en date du 20 avril 2006 est rejetée.

 

2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L., trad. a.


Annexe

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2931-06

 

INTITULÉ :                                       Bahaedien Abdalla Karsoua c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Halifax (N.-É.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 10 janvier 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Monsieur le juge Blanchard

 

DATE DES MOTIFS :                      le 22 janvier 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lori Hill                                                                                    POUR LE DEMANDEUR

902.422.6738

 

Melissa Cameron                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

902.426.7916

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lori Hill                                                                                    POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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