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Date :  20070122

Dossier :  IMM-2932-06

Référence :  2007 CF 59

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2007

En présence de Monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

CLAUDE NADON

demandeur

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi), d'une décision de la Section d’appel de l’immigration, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal), datée du 12 avril 2006, qui a rejeté l’appel du demandeur à l’encontre du rejet de la demande parrainée de visa de résident permanent de l’épouse du demandeur (la requérante). 

 

 

I.          Question en litige

[2]               Est-ce que le tribunal a erré en concluant que le mariage du demandeur et de la requérante n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, SOR/2002-227 (le Règlement)?

 

[3]               Pour les motifs suivants, la réponse à cette question est positive et la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

II.        Contexte factuel

[4]               Le demandeur est né au Canada le 8 mars 1954. Il est citoyen canadien et fonctionnaire municipal à la ville de Laval depuis 1975. Célibataire et sans enfants, son professeur d’espagnol lui présente la requérante en septembre 2000 afin d’améliorer son espagnol.

 

[5]               La requérante est une divorcée mexicaine qui vit avec sa fille à Montréal depuis le 17 janvier 2000. Elle revendique le statut de réfugié le 10 février 2000 et une ordonnance de renvoi est émise contre elle le 4 mars 2000. La requérante demeure au Canada en attendant la réponse de sa demande de réfugiée qui lui est refusée le 13 septembre 2000. Le 19 octobre 2000, elle dépose une demande d’admission dans la catégorie de demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC). Sa demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision négative de sa demande de réfugié est rejetée le 5 mars 2001. Ayant épuisé tous ses recours d’appel, la requérante est contrainte à quitter le pays et rentre au Mexique le 5 novembre 2003, suite à une ordonnance de renvoi datée du 14 octobre 2003.

[6]               Entre temps, ce qui devait être un simple échange mutuel pour améliorer leurs compétences linguistiques se développe en une relation amoureuse. Bien qu’ils n’aient pas cohabité pendant toute la période, la requérante passait ses fins de semaines chez le demandeur à Laval et ils étaient reconnus comme un couple aussi bien par leurs amis intimes que par leurs familles respectives.

 

[7]               Le demandeur rend visite à la requérante au Mexique du 19 novembre 2003 au 1er janvier 2004. Ils se marient civilement le 18 décembre 2003. Le demandeur retourne au Mexique en novembre 2004 est cette fois, le couple se marient religieusement en décembre 2004. Le demandeur soutient financièrement son épouse, lui faisant parvenir l’équivalent de trois cents dollars (300 $) par mois. Il communique quotidiennement avec elle par téléphone et est considéré comme membre de sa belle-famille. Enfin, lors de l’une de ses visites au Mexique (novembre 2005), il s'occupe de sa belle-mère atteinte de leucémie et lui fait don de sang et de plaquettes.

 

[8]               Revenu seul au Canada après le mariage civil, le demandeur présente en date du 8 janvier 2004 une demande de parrainage de son épouse qui avait demandé le statut de résident permanent dans la catégorie du regroupement familial. Leurs demandes sont rejetées le 10 juin 2004. L’agent des visas n'est pas satisfait de l’authenticité du mariage et juge qu’il vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes du Règlement. Le refus de la demande repose aussi sur le fait que la requérante est interdite de territoire au Canada et devait obtenir l’autorisation du ministre pour revenir ici suite à l’exécution de la mesure d’expulsion prise contre elle le 4 mars 2000.

 

[9]               Le 26 juin 2004, le demandeur fait appel du rejet de la demande de son épouse mais cet appel est rejeté le 12 avril 2006. C’est cette décision qui est à la base de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

III.       Décision contestée

[10]           Après une analyse de l’ensemble de la preuve, aussi bien documentaire que testimoniale, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas établi selon la prépondérance des probabilités que le mariage était authentique et que son épouse s’était mariée principalement afin d’acquérir un statut au Canada.

 

IV.       Législation pertinente

[11]           L’article 4 du Règlement se lit comme suit :

4. Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

 

4. For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.

 

V.        Analyse

Norme de contrôle

[12]           Cette Cour a examiné à plusieurs reprises, la norme de contrôle applicable à des décisions de la section d’appel d’immigration concernant les demandes de parrainage des membres de la famille (Sanichara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1015, [2005] A.C.F. no 1272 (C.F.) (QL), au paragraphe 11; Mohamed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 696, [2006] A.C.F. no 881 (C.F.) (QL), aux paragraphes 34 et 39; Gavino c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 308, [2006] A.C.F. no 385 (C.F.) (QL); Deo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1339, [2004] A.C.F. no 1612 (C.F.) (QL)).

 

[13]           Dans la décision Khangura c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 815 (C.F. 1ère inst.) (QL), mon collègue le juge John A. O’Keefe s'est exprimé ainsi au paragraphe 21:

La norme de contrôle qui s'applique à la décision de la section d'appel est celle de la décision correcte lorsqu'une question de droit est en cause et celle de la décision raisonnable simpliciter lorsqu'une question de fait et de droit est en cause. Les conclusions de fait tirées par la section d'appel ne devraient être annulées que si elles sont manifestement erronées.

 

 

[14]           Il est clair que la détermination de l’authenticité du mariage est une question mixte de fait et de droit puisqu’il s’agit d’une application des faits aux exigences du Règlement. La norme de contrôle est donc celle de la décision raisonnable simpliciter (Mohamed, ci haut, paragraphe 39) :

La conclusion de l'agente selon laquelle la demanderesse n'avait pas présenté de preuve suffisante pour démontrer que sa relation avec son époux est authentique est une question mixte de droit et de fait. La norme applicable à cette décision dans le cadre du présent contrôle judiciaire est celle de l'erreur déraisonnable simpliciter (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817).

 

[15]           Ainsi je dois examiner l’ensemble de la preuve et les motifs du tribunal pour m’assurer que la décision est fondée sur une analyse qui peut raisonnablement aboutir à la conclusion à laquelle ce dernier en est arrivé. En d’autres termes, la décision doit être raisonnable.

 

Est-ce que le tribunal a erré en concluant que le mariage du demandeur et de la requérante n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de l’article 4 du Règlement?

 

[16]           Le demandeur prétend que le tribunal a commis une erreur à l’égard de l’authenticité du mariage parce que les témoignages que le demandeur et son épouse avaient donnés en ce qui concerne les éléments essentiels sont compatibles. Le demandeur souligne qu’il n’était pas invraisemblable qu’ils fournissent des explications différentes et que leurs réponses ne sont pas contradictoires mais plutôt cumulatives et complémentaires.

 

[17]           Pour sa part, le défendeur rejette cette prétention et suggère que le tribunal a eu raison de tirer des conclusions négatives à l’égard des raisons de la non-cohabitation du couple.

 

[18]           Autre élément de discorde concerne le moment de la communication de l'information par la requérante au demandeur de sa demande d'asile rejetée. Lors de son témoignage, le demandeur déclare que c'est en 2001 ou 2002 alors que la requérante affirme que c'est quatre ou cinq semaines après leur rencontre. Le tribunal en a tiré une inférence négative et en a conclu que s’il s’agissait d’une relation authentique, la requérante aurait informé le demandeur auparavant.

 

[19]           Le demandeur réplique que le tribunal a ignoré la preuve et a contourné son témoignage à cet égard parce qu’il a déclaré à l’audience que la requérante l’avait informé de son statut et des raisons pour sa demande d’asile. Il maintient qu’il était tout à fait au courant de la situation précaire de sa conjointe et de toutes les démarches qu'elle avait faites pour y remédier. Toutefois, il a appris du refus de sa demande de réfugié après leur mariage alors qu’il remplissait les documents pour le parrainage.

 

[20]           Ayant lu attentivement les notes sténographiques, je suis d’avis que les explications du demandeur sont raisonnables et dignes de foi. J’accepte que le demandeur n’a appris du refus du statut de refugié de son épouse qu’après leur mariage. J’accepte également que le demandeur était au courant des raisons pour sa demande d’asile.

 

[21]           Le demandeur reproche également au tribunal d’avoir tiré des conclusions négatives des multiples démarches de la requérante de rester au Canada. Le défendeur soumet que le tribunal n’a pas tiré une inférence négative du fait que la requérante ait utilisé les différents recours qu’autorise la Loi. Au contraire, le défendeur maintient que le tribunal a noté au paragraphe 15 de ses motifs les faits qui mettent en doute l’authenticité du mariage. Il convient de reproduire ce passage :

Dans le passé, la requérante a tenté d’acquérir un statut au Canada. Selon la lettre de refus de l’agent d’immigration, la requérante a déclaré avoir demandé l’asile lorsqu’elle visitait sa sœur puisqu’elle a manqué d’argent et qu’elle voulait rester au Canada. La requérante a une sœur au Canada, qui s’est adressée au professeur d’espagnol de l’appelant pour lui demander s’il connaissait quelqu’un qui pourrait enseigner le français à la requérante. Cette dernière a rencontré l’appelant le même mois où sa demande d’asile a été rejetée. Après le refus, la requérante n’a pas quitté le Canada lorsqu’elle devait le faire puisque la mesure d’interdiction de séjour prise contre elle est devenue une mesure d’expulsion. Il appert donc de la preuve que les parties ont contracté le mariage pour que la requérante acquière un statut au Canada.

 

 

[22]            Or, la requérante était dans son droit d'entreprendre des recours pour contester la décision négative qui avait été rendue à son sujet. La requérante a d'ailleurs quitté le pays à la date fixée par l’ordonnance de renvoi, un fait que le tribunal semble ignorer dans sa décision.

 

[23]            Toutefois, le tribunal a reconnu que le demandeur était crédible et a noté au paragraphe 16 les observations suivantes :

Il importe de souligner que l’appelant connaissait bien la famille de la requérante au Canada, au Mexique et à l’étranger. Il appert des réponses que la requérante a fournies dans un questionnaire versé au dossier d’appel qu’elle connaissait des détails sur l’emploi, le salaire et la relation de fait antérieure de l’appelant. Des transferts monétaires font état d’un soutien financier. Dans son addenda au questionnaire des conjoints, la requérante a énuméré des activités et des sorties qu’elle a exercées et faites avec l’appelant lorsqu’elle se [sic] vivait au Canada. Ces éléments de preuve n’ont pas été contestés à l’audience. Bien qu’il s’agisse de facteurs positifs dont le tribunal a tenu compte, les difficultés que renferme la preuve l’emportent sur ces facteurs.

 

 

[24]            L’appel devant le tribunal est une audience de novo comme le souligne le défendeur. À ce titre, le tribunal doit considérer non seulement les motifs de l’agent d’immigration mais aussi l’ensemble de la preuve soumise par le demandeur pour démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que son épouse ne s’est pas mariée principalement dans le but d’obtenir un statut au Canada.

 

[25]           Or, pour soutenir cette thèse de l’authenticité du mariage, le demandeur a déposé plusieurs factures téléphoniques, l’enregistrement vidéo de la cérémonie de leurs deux mariages, ainsi que l’accusé de réception démontrant que ceux-ci ont été reçus par le tribunal.

[26]           Enfin, le demandeur a également déposé 75 photos, dont 36 des cérémonies de mariage. Or, le tribunal n’a fait aucune référence à la cassette vidéo ainsi qu’aux photos du couple, deux éléments de preuve importants dans la détermination de l’authenticité du mariage.

 

[27]           La Cour est d'avis que des éléments de preuve importants et pertinents n'ont pas été mentionnés ou considérés. Ici, le tribunal n'a pas examiné une preuve contradictoire aux éléments retenus pour appuyer sa conclusion (Cepeda-Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1ère inst.) (QL)).

 

[28]           Les parties n’ont pas soulevé de question à certifier et ce dossier n’en contient aucune.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que :

1.                                          La présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie. Le dossier est retourné devant un autre tribunal pour être reconsidéré.

2.                                          Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2932-06

 

INTITULÉ :                                       CLAUDE NADON ET

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                                                                                 L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 9 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 22 janvier 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

Carole Fiore                                                                 POUR LE DEMANDEUR

 

 

Isabelle Brochu                                                             POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Carole Fiore                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

John Sims, c.r.                                                              POUR LA DÉFENDERESSE 

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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