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Date : 20070117

Dossier : IMM-4187-06

Référence : 2007 CF 40

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2007

en présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

KAREN RUTTER CASTRO

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse est une citoyenne du Mexique âgée de 33 ans. Elle a demandé l’asile au Canada en octobre 2005, pour des motifs liés à des menaces à sa vie en raison de son emploi dans le secteur judiciaire mexicain. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n’était ni une réfugiée, ni une personne à protéger, en raison de la disponibilité d’une protection adéquate de l’État au Mexique. La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision défavorable de la Commission.

historique

[2]                De 1996 à 2005, la demanderesse travaillait comme criminaliste dans le secteur judiciaire du gouvernement fédéral du Mexique. En septembre 2003, elle a commencé à travailler comme avocate à la cinquième Cour d’appel en matière pénale dans le District fédéral de la ville de Mexico.

[3]               Le supérieur de la demanderesse était le juge fédéral Jacinto Figueroa Salmoran. Elle l’aidait à évaluer les appels en matière criminelle et à faire enquête. De plus, lorsque le juge Salmoran était absent, la demanderesse le remplaçait et signait des jugements rendus par la cour.

[4]               En mai 2005, la demanderesse a travaillé à un appel interjeté par Javier Serrano Sixtos qui avait été détenu en tant que suspect relativement au meurtre en 1988, de Javier Ovando Hernandez (un membre du parti d’opposition dénommé le Parti révolutionnaire démocratique) et de son chauffeur. La Commission avait des preuves selon lesquelles le chef du Bureau du procureur général avait donné l’ordre de tuer M. Hernandez avant les élections fédérales de 1988 dans la ville de Mexico. Après avoir examiné l’appel de M. Sixtos, le juge Salmoran a décidé d’offrir à M. Sixtos une protection fédérale. Il l’a libéré de prison le 5 septembre 2005 sur le fondement du manque de preuve le reliant au meurtre de M. Hernandez et de son chauffeur. Le juge Salmoran étant absent à ce moment‑là, la demanderesse a dû signer l’ordonnance de mise en liberté de M. Sixtos.

[5]               Lorsqu’elle travaillait à l’appel de M. Sixtos, la demanderesse a reçu des coups de fil menaçants; on lui enjoignait de ne pas libérer l’accusé. Elle a également reçu un bouquet de roses noires séchées. Les menaces ont continué après le prononcé du jugement. La Commission a noté l’aisance avec laquelle toute personne peut obtenir des renseignements sur les employés du secteur judiciaire du gouvernement mexicain, par l’intermédiaire du site Internet sur lequel sont publiés la photo de la demanderesse, le nom de ses parents, son statut matrimonial, son lieu de naissance, les écoles qu’elle a fréquentées et son lieu de travail. La Commission a estimé crédible la preuve de la demanderesse relativement à son emploi, sa participation à l’affaire et le fait qu’elle avait signé le jugement Sixtos, les menaces qu’elles avaient reçues et le fait que des juges et des avocats aient été assassinés et qu’ils fassent fréquemment l’objet de persécution au Mexique.

[6]               Lors de l’audience devant la Commission, on  a demandé à la demanderesse si elle pouvait bénéficier de la protection de l’État au Mexique. Elle a répondu qu’elle avait demandé à son employeur, le juge Salmoran, si on pouvait lui offrir une protection quelconque contre les personnes qui l’avaient menacée. Elle a fait remarquer que certains juges avaient obtenu des gardes du corps à la suite de la persécution et des menaces de mort auxquelles les agents du secteur judiciaire sont soumis au Mexique. Le juge Salmoran a émis l’avis que la demanderesse n’était pas admissible à ce type de protection parce qu’elle n’était pas juge.

[7]               La Commission a conclu que la demanderesse pouvait bénéficier de la protection de l’État et a donc rejeté sa demande d’asile.

LA QUESTION EN LITIGE

[8]               La question à trancher dans la présente demande est de savoir si la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la demanderesse n’était ni une réfugiée, ni une personne à protéger en raison de la disponibilité de la protection de l’État au Mexique.

LA NORME DE CONTRÔLE

[9]               En ce qui a trait aux conclusions de fait de la Commission, y compris ses conclusions sur la crédibilité, c’est la décision manifestement déraisonnable qui s’applique comme norme de contrôle. Ce n’est que lorsque les conclusions de la Commission ne sont pas appuyées par la preuve dont elle dispose que la décision soumise au contrôle sera manifestement déraisonnable. Dans les autres cas, la Cour ne réexaminera pas les faits et elle n’évaluera pas non plus la preuve présentée à la Commission. Voir Jessani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 127, au paragraphe 16.

LA LOI applicable

[10]           La loi applicable à la présente demande est la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Les dispositions pertinentes qui régissent la protection et le statut de réfugié sont libellées de la façon suivante :

 

 

Définition de « réfugié »

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

Convention refugee

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

 

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

[…]

 

[…]

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas, […]

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country, […]

ANALYSE

Question :       La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la demanderesse n’était ni une réfugiée, ni une personne à protéger parce qu’il existait une protection adéquate de l’État au Mexique?

[11]           La Commission a rejeté la demande de la demanderesse au motif que la protection de l’État lui était offerte. Plus particulièrement, la Commission a conclu ce qui suit à la page 7 des motifs :

[L]a police et les autorités gouvernementales déploient des efforts importants pour offrir une protection aux membres de la magistrature mexicaine et probablement à leurs adjoints judiciaires comme la demandeure d’asile, si celle-ci demandait cette protection.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[12]           Dans ses motifs, la Commission fait référence à des articles de journaux qui établissent que de violentes attaques criminelles ont été lancées contre des juges et des avocats au Mexique et que certaines autorités gouvernementales ont ordonné que tous les juges aient des gardes policiers, tandis que d’autres ont obtenu une protection de 24 heures sur 24 par des gardes du corps de l’Agence fédérale d’enquête. Selon le témoignage de la demanderesse à l’audience, elle avait demandé au juge dont elle relevait de l’aider à obtenir une protection, mais le juge lui a dit qu’il ne pouvait pas l’aider à obtenir la même protection que celle qui était offerte aux juges.

[13]           La Commission a conclu que la protection des juges dont il est question dans les articles de journaux serait « probablement » offerte aux avocats de la cour si ceux-ci la demandaient. La Commission a implicitement rejeté la preuve de la demanderesse selon laquelle la protection offerte aux juges ne l’était pas aux avocats de la cour. La Commission a le droit d’évaluer la preuve et de rejeter la preuve de la demanderesse selon laquelle elle n’avait pas droit à une telle protection. La Cour ne peut pas intervenir à moins que les conclusions de fait ne soient manifestement déraisonnables. Je suis convaincu que la Commission a pris acte de la preuve de la demanderesse selon laquelle la protection offerte au juge dont elle relevait ne l’était pas pour elle en tant qu’avocate de la cour, mais la Commission n’a pas accepté cette preuve.

[14]           Le défendeur cite le juge Konrad von Finckenstein dans la décision Cortez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1487, à l’appui de l’argument selon lequel la demanderesse doit demander la protection de l’État aux autorités compétentes. Le défendeur soutient que la demanderesse n’a fait qu’une seule demande de protection au juge dont elle relevait. Le défendeur allègue que la demanderesse doit être déboutée de sa demande parce qu’il n’y avait aucune raison de ne pas demander la protection de l’État à la police qui était en mesure d’offrir une telle protection. Dans la décision Cortez, précitée, le demandeur n’avait demandé aucune aide aux autorités pendant qu’il était au Mexique. Dans la présente affaire, la demanderesse n’a pas non plus demandé la protection de la police. La preuve que la demanderesse a apportée pour démontrer qu’elle avait demandé la protection de l’État, avec l’aide du juge dont elle relevait, était mince, vague et pouvait facilement être remise en cause. Vu le poste qu’elle occupait, elle n’a fait ni d’effort considérable, ni d’effort significatif pour obtenir la protection de la police. La preuve qu’elle avance à ce sujet est la suivante :

[traduction]

Q.                Pouvez-vous expliquer, simplement pour être clair, pourquoi cette protection ne vous aurait pas été offerte?

 

 

R.        Tout ce que je sais — je ne suis pas sûre de la raison, mais je sais que lorsque les juges et les magistrats exercent leurs fonctions, ils obtiennent un numéro de téléphone particulier qu’ils peuvent composer pour obtenir la protection de la police, parce que j’ai un ami qui est magistrat et qui m’a dit, il y a longtemps, qu’ils avaient un numéro de téléphone particulier qu’ils pouvaient composer dès lors qu’ils avaient des problèmes et c’est — parce que et c’est à ce moment‑là que j’ai dit à mon patron, quand j’ai commencé à avoir des craintes et qu’il venait de rentrer de vacances et j’ai dit — je lui ai demandé de m’aider parce que je savais qu’il y avait un numéro de téléphone particulier et il m’a simplement dit qu’il ne pouvait pas m’aider.

 

 

 

Q.        OK. Pensez-vous que si vous étiez allée rencontrer des policiers et que vous leur aviez expliqué vos difficultés, ils vous auraient offert une aide ou une protection quelconque?

 

R.                 Non. Non.

 

Q.                 OK. Pouvez-vous expliquer pourquoi ils ne l’auraient pas fait?

 

R.         Je ne sais pas pourquoi, mais ils ne le font pas. Ils disent qu’il n’y a pas suffisamment de policiers pour les citoyens ordinaires, mais nous n’obtenons simplement pas de protection. Même si je n’étais pas simplement une citoyenne ordinaire, c’était — comme si cela était lié au travail que je faisais, mais je continue — parce que pas même le ministre de la Cour suprême n’avait de protection particulière.

 

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Par conséquent, je dois conclure que les conclusions de fait de la Commission selon lesquelles la demanderesse n’a pas demandé ou recherché la protection de l’État n’étaient pas manifestement déraisonnables.

 

 

 

[15]                    Aucune partie ne propose de question à certifier. Aucune question ne sera certifiée.

Conclusion

[16]                 Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                             IMM-4187-06

 

INTITULÉ :                                             KAREN RUTTER CASTRO

                                                                  c.

                                                                  MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE  L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Calgary (Alberta)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                     LE 10 JANVIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 17 JANVIER 2007      

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Lorna K. Gladman

 

POUR LA DEMANDERESSE

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Lorna K. Gladman

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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