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Date : 20070116

Dossier : T‑1975‑05

Référence : 2007 CF 28

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

 

et

 

 

CHANDER P. GROVER

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Le Conseil national de recherches du Canada (le CNRC) a suspendu M. Chander P. Grover, indéfiniment et sans rémunération, parce qu’il a refusé d’être examiné par un médecin choisi par l’employeur. L’arbitre a jugé que le CNRC n’avait pas de motifs suffisants à faire valoir pour justifier cette exigence et il a fait droit au grief de M. Grover. Le demandeur affirme que l’arbitre a commis une erreur et que sa décision devrait être annulée.

 

LA PROCÉDURE JUDICIAIRE ET LE POINT EN LITIGE

[2]               La présente demande de contrôle judiciaire concerne la décision rendue par un arbitre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission). L’affaire soulève un point important pour le droit du travail et des relations de travail : où se trouve la ligne de démarcation entre le droit d’un employé à la vie privée et le droit légitime de l’employeur au maintien d’un lieu de travail sécuritaire?

 

LE CONTEXTE

[3]               M. Grover est un physicien spécialiste de l’optique. Il a commencé de travailler pour le CNRC en 1981. En 1996, il a été nommé directeur d’une section nouvellement établie, la Section de l’optique et des normes de rayonnement, à l’Institut des étalons nationaux de mesure (IÉNM). La section comprenait quatre groupes : normes des rayonnements ionisants, optique, photométrie et radiométrie, enfin systèmes photoniques. (Décision de l’arbitre du 3 octobre 2005, paragraphes 9 et 10; dossier de demande, volume 1, onglet 2, page 7; pièce E‑15, transcriptions du Tribunal canadien des droits de la personne, en date du 21 mai 1996; dossier de demande, précité, onglet 5‑80, pages 377 et 381.)

 

[4]               La nomination de M. Grover comme directeur, outre l’établissement et la structure de sa section, était le résultat d’une condamnation du CNRC pour discrimination. Trois autres plaintes de violation des droits de la personne déposées par M. Grover depuis les années 90 demeurent pendantes devant la Commission canadienne des droits de la personne. Une action pour discrimination, déposée en 2002, est également pendante en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.). (Pièce E‑15, précitée; dossier de demande, précité, page 373; décision de l’arbitre du 3 octobre 2005, paragraphes 9 et 10; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 7.)

 

[5]               Le 1er août 2003, M. Peter Hackett, l’un des vice‑présidents du CNRC, a été nommé directeur général intérimaire de la SÉNM, en plus de ses fonctions ordinaires. M. Grover a assisté à une réunion du comité de gestion avec le nouveau directeur général intérimaire le 3 septembre 2003. Il a trouvé que M. Hackett l’avait traité avec mépris durant la réunion et a cru sentir que le but réel de la nomination de M. Hackett était de lui régler son cas. (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphes 12 et 13; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 8.)

 

[6]               M. Grover a écrit à M. Arthur Carty, le président du CNRC, pour lui faire savoir [traduction] « que cet arrangement est directement lié à mon cas et que M. Hackett a été mandaté pour s’occuper de moi ». Il terminait sa lettre par les mots suivants : [traduction] « Toutes ces histoires m’ont causé un stress considérable. » (Pièce G‑6 : lettre de C. Grover à A. Carty, en date du 8 septembre 2003; dossier de demande, précité, volume 3, pages 423 et 423.)

 

[7]               M. Hackett a lui aussi écrit à M. Carty à propos de la réunion du comité de gestion de la SÉNM du 3 septembre 2003. Il précisait dans sa note qu’il avait jugé déplacée la conduite adoptée par M. Grover durant la réunion. Il concluait sa note ainsi : [traduction] « Le comportement de M. Grover risque de rendre très difficile la tâche de diriger la SÉNM en recourant au comité de gestion comme instrument principal de gestion. Je devrai envisager d’autres solutions. » (Pièce G‑5 : note de service adressée à Arthur Carty; dossier de demande, précité, volume 3, page 321.)

 

[8]               Tout au long de l’automne de 2003, M. Grover a trouvé de plus en plus pénible l’attitude de M. Hackett envers lui ainsi que sa gestion de la SÉNM. La situation devint critique lorsque M. Grover et M. Hackett exprimèrent de nouveau ouvertement leurs désaccords au cours d’une réunion du comité de gestion tenue le 14 janvier 2003. M. Grover s’était notamment déclaré sceptique sur l’intention de M. Hackett d’élargir le comité de gestion pour y inclure les chefs de groupe. M. Grover a de nouveau estimé que M. Hackett l’avait traité avec mépris durant la réunion, devant ses collègues. (Décision de l’arbitre, précité, paragraphe 17; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 8; pièce E‑2 : lettre de C. Grover à A. Carty, en date du 20 janvier 2004; dossier de demande, précité, volume 2, page 310.)

 

[9]               Après la réunion du 14 janvier 2003, M. Hackett est allé voir M. Grover. Selon M. Grover, M. Hackett l’a accusé d’être un perturbateur [traduction] « et m’a dit qu’il ne tolérerait plus cette attitude ». M. Grover a de nouveau écrit au président du CNRC pour protester contre ce qu’il voyait comme des brimades de la part de M. Hackett. Il s’exprimait ainsi : [traduction] « On dirait que M. Hackett cherche absolument à me contrarier et à minimiser mon rôle au sein de l’Institut. Cela me dérange énormément et m’empêche d’exercer convenablement mes fonctions. » (Pièce E‑2, précitée; dossier de demande, précité.)

 

Certificats médicaux et désaccord grandissant avec le CNRC

[10]           Peu de temps après avoir adressé cette lettre à M. Carty, M. Grover est allé voir son médecin de famille, le Dr Marcel Reny. Le Dr Reny lui a délivré un certificat médical où il perscrivait à M. Grover de [traduction] « prendre, pour cause de stress, un congé de quatre semaines, réparti sur huit semaines, selon le besoin ». M. Hackett a accepté ce certificat et le congé de maladie a été autorisé. (Décision de l’arbitre, précitée; dossier de demande, volume 1, onglet 2, page 8.)

 

[11]           Au cours des mois suivants, d’autres sujets de désaccord sont apparus entre M. Hackett et M. Grover. En février 2004, M. Hackett a demandé à M. Grover de participer à son appréciation du rendement et du mérite. M. Grover lui expliqua que le président du CNRC l’avait dispensé de telles appréciations depuis le compromis conclu en 1996 en matière de droits de la personne. Le 8 mars 2004, le président Carty écrivait ce qui suit à M. Grover : [traduction] « Comme M. Hackett vous l’a fait savoir dans sa lettre du 19 février 2004, je m’attends à ce que des appréciations du rendement par les pairs et des appréciations du mérite soient effectuées pour tous les gestionnaires du CNRC. » (Décision de l’arbitre, précitée; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, pages 8 et 9.)

 

[12]           M. Grover a témoigné devant la Commission que, selon lui, la lettre de M. Carty ne voulait pas dire que l’entente de 1996 concernant sa participation à ces processus était expressément résiliée. Il ne pouvait tout simplement pas croire que le président ferait une chose pareille. Simultanément, M. Hackett commença de menacer M. Grover de mesures disciplinaires s’il refusait de participer auxdites appréciations. (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphe 20; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 9; affidavit de Chander Grover, paragraphe 9; dossier de demande, précité, volume 4, onglet 9, page 939.)

 

[13]           M. Hackett voulait aussi que M. Grover exhorte ses employés à participer au processus de « restructuration », établi pour faciliter le réexamen et la réorganisation de la SÉNM. Étant donné que la coopération était facultative, M. Grover lui a expliqué que, selon lui, l’envoi de rappels constants à son personnel constituait des « pressions indues ». M. Hackett s’est insurgé contre le point de vue de M. Grover, lui faisant savoir le 4 mars 2004 qu’il considérait ses réactions comme « de l’insubordination et de l’inconduite ». (Pièce G‑10; série de courriels échangés entre P. Hackett et C. Grover; dossier de demande, précité, volume 3, pages 523‑525, 524 pour la citation.)

 

[14]           Le 30 mars 2004, M. Grover est retourné voir son médecin, qui lui a délivré un second certificat médical accompagné des mêmes prescriptions qu’auparavant – à savoir quatre semaines de congé de maladie, réparti sur huit semaines, selon que de besoin. M. Grover a généralement utilisé ce congé de maladie en s’absentant du travail les lundis et les vendredis, jours où avaient lieu les réunions du comité de gestion. Il a témoigné devant la Commission qu’il évitait délibérément M. Hackett parce qu’il estimait que de telles rencontres lui causaient une tension extrême. (Décision de l’arbitre, précité, paragraphes 21 et 25; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 9.)

 

[15]           M. Hackett avait remarqué les absences de M. Grover aux réunions du comité de gestion et le fait que ces réunions coïncidaient avec les jours où M. Grover prenait un congé de maladie. M. Hackett a témoigné devant la Commission qu’il considérait la présence à telles réunions comme l’une des responsabilités premières des gestionnaires. En avril 2004, M. Hackett a changé les jours de la semaine où auraient lieu désormais les réunions, pour voir si la présence de M. Grover à telles réunions s’en trouverait améliorée. Il a constaté que les congés de maladie pris par M. Grover tombaient à nouveau les jours où avaient lieu les réunions du comité de gestion. (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphe 30; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 10.)

 

[16]           Après avoir constaté l’emploi que faisait M. Grover de ses journées de maladie au cours de cette période, un autre gestionnaire du CNRC, M. Steve Blais, signala à M. Hackett qu’il était évident que M. Grover se servait de ses congés de maladie pour se soustraire aux réunions du comité de gestion. M. Blais, qui conseillait M. Hackett tout au long de cette période quant à la manière de traiter avec M. Grover, concluait que c’était là un [traduction] « abus flagrant des congés ». (Pièce E‑1, onglet 9 : courriel de S. Blais à P. Hackett, en date du 3 juin 2004; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 5‑B‑9, page 80; pièce G‑11 : courriel échangé entre S. Blais et P. Hackett, en date du 28 avril 2004; dossier de demande, précité, volume 3, page 528.)

 

[17]           M. Hackett n’a jamais parlé à M. Grover des doutes que suscitaient ses absences aux réunions du comité de gestion. Il a aussi témoigné qu’il n’était pas prêt à conclure que M. Grover abusait de ses congés de maladie. (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphe 34; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 10.)

 

[18]           Un autre désaccord a surgi entre M. Grover et M. Hackett à propos du processus de nomination à un poste de chef de groupe dans la section de M. Grover. Le 26 avril 2004, M. Hackett a adopté une mesure officielle de discipline en envoyant à M. Grover une réprimande écrite. Une autre mesure disciplinaire fut prise sur la même question le 1er juin 2004, M. Grover se voyant imposer une suspension de trois jours sans traitement. (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphe 23; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 9.)

 

[19]           Le jour même où fut imposée la mesure disciplinaire, M. Grover avait un rendez‑vous chez son médecin. Son médecin de famille, le Dr Reny, était absent, et il a vu le Dr A. Saeed, un collègue du Dr Reny. Le Dr Saeed lui a délivré un certificat médical où était de nouveau prescrit le congé de maladie qu’avait déjà recommandé le Dr Reny. M. Grover a remis le certificat médical au CNRC le 2 juin 2004. (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphe 27; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 10; pièce G‑12 : courriel de C. Grover à P. Hackett, en date du 2 juin 2004; dossier de demande, précité, volume 3, page 530.)

 

Certificat médical refusé

[20]           Après que la mesure disciplinaire du 1er juin lui fut notifiée, M. Grover a informé M. Hackett qu’il serait en congé de maladie du 4 juin 2004 au 28 juin 2004. M. Hackett lui a répondu par lettre en date du 10 juin 2004, soulignant que cette dernière demande de congé de maladie était postérieure à la mesure disciplinaire du 1er juin 2004 susmentionnée. M. Hackett écrivait aussi dans sa lettre que [traduction] « c’est le troisième certificat du genre que vous présentez depuis le 2 février 2004, un certificat qui indique toujours le même traitement et qui vient de deux médecins différents ». (Pièce E‑1, onglet 8 : courriel de C. Grover à P. Hackett, en date du 3 juin 2004; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 5‑B‑8, page 79; portion de la pièce G‑14 : lettre de P. Hackett à C. Grover, en date du 10 juin 2004; dossier de demande, précité, volume 3, page 539.)

 

[21]           Dans sa lettre, M. Hackett écrivait aussi que le CNRC n’accepterait pas le dernier certificat [traduction] « tant que votre état de santé n’aura pas été confirmé par un médecin choisi par le CNRC ». Ce médecin [traduction] « déterminerait à la fois votre état de santé actuel et votre capacité, sur le plan médical, à reprendre vos fonctions et à assumer vos responsabilités ». M. Grover fut prié de ne pas revenir à son poste de travail tant que M. Hackett n’aurait pas reçu les résultats de l’examen médical. (Portion de la pièce G‑14 : lettre de P. Hackett à C. Grover, en date du 10 juin 2004; dossier de demande, précité, volume 3, page 539.)

 

[22]           À la date de la lettre de M. Hackett, c’est‑à‑dire le 10 juin 2004, M. Grover avait été absent du travail moins de 40 p. 100 du temps depuis qu’il avait produit le premier certificat médical daté du 27 janvier 2004; cependant, il avait continué d’exercer toutes ses fonctions, sauf qu’il n’assistait plus aux réunions du comité de gestion convoquées par M. Hackett. M. Grover était un cadre supérieur qui avait sous ses ordres 44 employés. Il occupait activement aussi de doter trois postes de chef de groupe et il n’avait pas d’assistante administrative. Le CNRC a reconnu que sa charge de travail était exceptionnellement lourde, mais a aussi admis qu’il remplissait ses obligations, hormis qu’il n’assistait pas aux réunions du comité de gestion. (Pièce E‑1, onglet 28 : note de service concernant le congé de maladie de M. C. Grover; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 5‑B‑28, page 139; pièce E‑1, onglet 1 : organigramme de la SÉNM; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 5‑B‑1, page 72; décision de l’arbitre, précitée, paragraphes 29‑30, 48 et 142; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, pages 10, 13 et 29.)

 

[23]           M. Grover a répondu à la lettre de M. Hackett par l’entremise de son avocat. Le 18 juin 2004, l’avocat a prié M. Hackett d’indiquer précisément les difficultés que lui causait le certificat médical et de dire pourquoi ce certificat était insuffisant. M. Hackett était également informé que, si M. Grover avait vu un nouveau médecin, c’était parce que son médecin de famille était absent. L’avocat expliquait aussi à M. Hackett que le nouveau médecin avait été mis en possession des certificats médicaux antérieurs et qu’il [traduction] « n’avait vu aucune raison de s’écarter du traitement prescrit » par le médecin de famille. (Lettre de D. Yazbeck à P. Hackett, en date du 18 juin 2004; dossier de demande, précité, volume 3, page 546.)

 

[24]           L’avocat du CNRC a répondu par lettre qu’un examen effectué par « un médecin désigné par le CNRC » demeurait nécessaire. Le 28 juin 2004, M. Grover est retourné au travail. M. Hackett l’a fait appeler dans son bureau et lui a ordonné de quitter les lieux. M. Hackett a témoigné que ce fut là une rencontre paisible, alors que M. Grover a déclaré qu’elle avait été très difficile et qu’il en était sorti humilié, et même effrayé. (Lettre de R. Snyder à D. Yazbeck, en date du 23 juin 2004; dossier de demande, précité, volume 3, page 548; décision de l’arbitre, précitée, paragraphe 40; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 11.)

 

[25]           Le CNRC a unilatéralement organisé l’examen médical de M. Grover, qui devait se présenter chez Comcare Health Services le 30 juin 2004. M. Grover a informé le CNRC qu’il ne s’y présenterait pas. Son refus fut suivi d’une lettre de M. Hackett en date du 29 juin 2004, mentionnant que, si M. Grover ne se présentait pas à la visite médicale, son geste serait considéré comme un acte d’insubordination. (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphe 41; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, pages 12‑13.)

 

[26]           M. Grover ne s’est pas présenté à l’examen médical prévu. Le 7 juillet 2004, M. Hackett lui a écrit pour l’informer qu’un voyage déjà organisé pour Tokyo était annulé. Suivait une autre lettre, en date du 19 juillet 2004, qui sanctionnait expressément M. Grover parce qu’il avait refusé de se présenter devant le médecin choisi par le CNRC. Dans sa lettre, M. Hackett écrivait : [traduction] « Votre refus constant de vous conformer aux directives en continuant à n’en faire carrément aucun cas est inacceptable; il ne peut être et ne sera pas toléré ». M. Grover était informé qu’il était suspendu durant trois jours sans traitement et qu’il pourrait se voir imposer d’autres mesures disciplinaires allant jusqu’au licenciement. Dans une lettre distincte portant la même date, M. Hackett indiquait qu’un nouveau rendez‑vous dans les prochaines 48 heures chez Comcare avait été pris et que M. Grover s’exposerait à des mesures disciplinaires s’il ne s’y présentait pas. (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphes 42‑44; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 12.)

 

[27]           Également le 19 juillet 2004, l’avocat du CNRC écrivait à l’avocat de M. Grover pour lui dire explicitement que M. Grover n’aurait pas le droit d’intervenir dans le choix d’un médecin pour un examen médical indépendant. L’avocat du CNRC soulignait aussi à nouveau que la décision de M. Grover de ne pas se présenter devant le médecin choisi par le CNRC « ne serait pas sans conséquences ». (Portion de la pièce G‑14 : lettre de R. Snyder à D. Yazbeck, en date du 18 juillet 2004; dossier de demande, précité, volume 3, page 570.)

 

[28]           M. Grover a écrit à M. Hackett le 20 juillet 2004. Dans sa lettre, il disait qu’il ne se présenterait pas devant le médecin choisi par le CNRC pour l’examen médical, mais qu’il était disposé à se soumettre à [traduction] « l’examen d’un médecin indépendant désigné à la fois par moi‑même et par le CNRC ». M. Hackett et le CNRC ne se sont pas donné la peine de répondre à cette proposition. (Portion de la pièce G‑14 : lettre de C. Grover à P. Hackett, en date du 20 juillet 2004; dossier de demande, précité, volume 3, page 571.)

 

[29]           M. Hackett a par ailleurs écrit à M. Grover le 28 juillet 2004. Il disait que [traduction] « votre refus de vous présenter à l’examen médical indépendant fixé une deuxième fois le 21 juillet 2004 chez Comcare Health Services constitue un nouvel acte d’insubordination ». M. Hackett lui imposait comme pénalité une suspension de cinq jours sans traitement, pénalité qui serait appliquée lorsque M. Grover reviendrait au travail. Dans la même lettre, M. Hackett informait aussi M. Grover que, en raison de son refus de se présenter chez Comcare, il se trouvait maintenant, à compter du 21 juillet 2004, en situation « pas de travail, pas de rémunération », et qu’on ne lui verserait plus son traitement. (Portion de la pièce G‑14 : lettre de P. Hackett à C. Grover, en date du 28 juillet 2004; dossier de demande, précité, volume 3, page 675.)

 

[30]           Le 1er août 2004, M. Hackett fut remplacé par M. Sherif Barakat au poste de directeur général intérimaire de la SÉNM. M. Grover a vu là une occasion de sortir de l’impasse. Il a écrit à M. Barakat pour lui dire qu’il avait été en proie au stress depuis janvier 2004, mais qu’il était maintenant disposé à revenir au travail. Il annexait à sa lettre, comme pièce justificative, un nouveau certificat médical de son médecin de famille, le Dr Reny. (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphe 50; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 3.)

 

[31]           M. Barakat s’est informé de la situation auprès de la Direction des ressources humaines du CNRC. Une fois mis au fait des antécédents de l’affaire, il a écrit à M. Grover pour lui dire que son dernier certificat médical était refusé. Il a aussi refusé la demande d’indemnité de congé annuel présentée par M. Grover, privant ainsi celui‑ci de toute rémunération possible. Finalement, M. Barakat informait M. Grover que son statut « pas de travail, pas de rémunération » serait maintenu jusqu’à ce qu’il se présente à un examen médical indépendant à l’initiative du CNRC. (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphes 51 et 52; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, pages 13 et 14; portion de la pièce G‑14 : lettre de S. Barakat à C. Grover, en date du 10 août 2004; dossier de demande, précité, volume 3, page 588.)

 

[32]           Le 16 août 2004, M. Grover a écrit à M. Barakat. Il se déclarait à nouveau disposé à subir un examen médical effectué par un médecin choisi de concert par le CNRC et par lui‑même. Pour le cas où cette offre serait refusée, M. Grover voulait en connaître la raison. Le CNRC n’a pas répondu à cette lettre. (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphe 53; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 14; lettre de C. Grover à S. Barakat, en date du 16 août 2004; dossier de demande, précité, volume 3, page 603.)

 

[33]           M. Grover a demandé à rencontrer M. Barakat, et ils se sont rencontrés le 17 août 2004. M. Grover voulait des éclaircissements sur l’affaire, et aussi connaître le détail de ce que le CNRC voulait exactement. Il n’a pas obtenu d’indications complémentaires, si ce n’est l’information qu’il était soumis à une politique du CNRC. Il a demandé le texte de cette politique, et la Politique du CNRC en matière de santé et de sécurité au travail lui a été remise quelques semaines plus tard. (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphes 54 à 56; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 14.)

 

[34]           M. Grover a tenté de retourner au travail le 18 août 2004, comme il croyait en avoir le droit après avoir reçu une lettre déroutante de la Section de la rémunération et des avantages sociaux du CNRC. M. Grover s’est trouvé devant M. Barakat, qui lui a ordonné de quitter les lieux. (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphes 55 et 56; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 14; décision de l’arbitre, précitée, paragraphe 41; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, pages 12 et 13.)

 

[35]           Au cours des mois qui ont suivi, M. Grover a tenté à plusieurs reprises de mettre fin à l’impasse. Il a continué de refuser d’aller voir un médecin choisi par le CNRC, expliquant qu’il ne savait pas encore quelles étaient les inquiétudes du CNRC. Plusieurs de ses propres inquiétudes étaient encore ignorées par le CNRC. (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphes 58 à 60; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, pages 12 et 13.)

 

[36]           Durant la même période, M. Grover apprit que le CNRC s’apprêtait à réorganiser la SÉNM et sa propre section. On l’informa plus tard que sa section était démantelée et que deux groupes étaient déplacés. Sa section allait aussi être transférée à un autre institut du CNRC, où M. Grover relèverait d’une personne qu’il voyait comme l’un des instigateurs des affaires de discrimination des années 90. (Lettre de S. Barakat à C. Grover, en date du 28 octobre 2004; dossier de demande, précité, volume 3, page 681; Lettre de C. Grover à S. Barakat, en date du 4 novembre 2004; dossier de demande, précité, volume 3, page 689.)

 

[37]           Le 1er décembre 2004, M. Grover recevait une lettre de M. Andrew Woodsworth, l’un des vice‑présidents du CNRC. La lettre précisait que, dans une « ultime » tentative de mettre fin à l’impasse, le CNRC exposait 12 points qui justifiaient les préoccupations et la position du CNRC. M. Woodsworth informait aussi M. Grover que les suspensions de trois jours et de cinq jours pour refus de se présenter à l’examen médical indépendant étaient annulées, mais qu’il conserverait le statut « pas de travail, pas de rémunération ». (Portion de la pièce G‑14 : lettre de A. Woodsworth à C. Grover, en date du 1er décembre 2004; dossier de demande, précité, volume 3, pages 703 à 706.)

 

[38]           Un autre vice‑président, M. David Simpson, remplaça M. Woodsworth en février 2005. Le 24 février 2005, M. Grover a écrit à M. Simpson pour lui exposer cinq options susceptibles de régler le différend. Ces options ont été refusées par le CNRC. (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphes 62 et 63; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 16.)

 

[39]           Le CNRC et M. Grover se sont concertés sur la possibilité pour M. Grover de se présenter à Santé Canada en vue d’un examen. M. Grover a souscrit à cette proposition à la condition que soit modifié le consentement à la communication de ses renseignements personnels. On lui a répondu que cela était impossible. L’affaire en était là lorsqu’ont débuté les audiences de la Commission en avril 2004. (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphes 63 et 66; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 16.)

 

ANALYSE

            La norme de contrôle

[40]           Il est bien établi que les cours doivent procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer. Les facteurs à prendre en compte sont les suivants : (1) la présence ou l’absence d’une clause privative; (2) la spécialisation relative du décideur; (3) l’objet du texte de loi, et de la disposition en cause; et (4) la nature de la question. (Arrêt Dr Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226.)

 

[41]           La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P‑35 (la LRTFP) ne renferme aucune clause privative. Cela pourrait signaler un faible niveau de retenue judiciaire, n’eût été le poids du second facteur, à savoir la spécialisation relative du décideur. La Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale ont à maintes reprises jugé que les décisions rendues par les arbitres en application de la LRTPF commandent en général le niveau de retenue le plus élevé compte tenu de leur expérience particulière et de leurs connaissances dans le domaine des relations de travail (voir l’arrêt Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2005 CAF 366, [2005] A.C.F. n° 1849 (QL), paragraphes 18‑19‑20‑21‑22).

[18]          Il est généralement accepté que l'interprétation et l'application d'une convention collective, y compris les renvois présentés aux termes de la LRTFP dans lesquels il est allégué que cette loi a été violée, relèvent du domaine d'expertise de la Commission et doivent faire l'objet d'une très grande retenue de la part des tribunaux et se voir appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir, par exemple, Barry c. Conseil du Trésor (1997), 221 N.R. 237 (CAF); Connors c. Canada (Revenu ‑ Impôt), [2002] A.C.F. no 477 (1re inst.), (Q.L.); Procureur général du Canada c. Social Science Employees Assn. et al., 240 D.L.R. (4th) 335; White c. Canada (Conseil du Trésor), [2004] A.C.F. n° 1231,

[19]          La demanderesse soutient toutefois que les arrêts rendus par la Cour suprême dans les affaires Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers' Union, Local 92, 2004 CSC 23 (CanLII), [2004] 1 R.C.S. 609 et Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, 2004 CSC 28 (CanLII), [2004] 1 R.C.S. 727 ont modifié la norme de contrôle applicable aux conflits de travail. D'après la demanderesse, ces arrêts permettent d'affirmer que l'interprétation et l'application des conventions collectives dans le contexte de conflits de travail ne font plus désormais l'objet d'une très grande retenue. Je ne pense pas que cela soit le cas.

[20]          Les deux arrêts invoqués n'ont pas été interprétés comme le propose la demanderesse. En fait, la Cour d'appel de l'Ontario a expressément refusé d'adopter l'approche proposée par la demanderesse dans Lakeport Beverages c. Teamsters Local Union 938 (2005), [2005] O.J. No. 3488, tout comme l'a fait la Cour fédérale dans Currie et al. c. La Reine (ADRC), [2005] A.C.F. n° 922, 2005 C.F. 733. Je ne connais aucune décision dans laquelle les commentaires de la Cour suprême dans Voice Construction et Lethbridge Community College ont été appliqués de la façon que propose la demanderesse.

[21]          De plus, à la différence de l'arbitre dans la décision Voice Construction, le président de la Commission n'est pas un arbitre ad hoc nommé par les parties. La Commission est un tribunal créé par le Parlement conformément à la LRTFP. J'estime que l'expertise institutionnelle qu'elle possède milite en faveur de l'adoption d'une norme de contrôle plus souple, très différente de la norme appliquée dans Voice Construction.

[22]          De plus, la question de savoir si les dispositions de la convention collective trouvaient application en raison des faits de l'espèce est une question mixte de fait et de droit. C'est un autre élément qui permet d'établir une distinction entre la présente demande et la question qui se posait dans Voice Construction.

 

[42]           La loi dont il s’agit ici a pour objet de faire en sorte que des arbitres connaissant bien le domaine soient en mesure de régler d’une manière expéditive les conflits de travail qui surgissent dans le secteur public fédéral. Ce facteur milite lui aussi en faveur d’un niveau élevé de retenue.

 

[43]           S’agissant du quatrième facteur, la nature de la question, il faut reconnaître que la plupart des questions auxquelles donneront lieu les décisions rendues par les arbitres de la Commission commanderont toujours le niveau le plus élevé de retenue. Les exceptions seraient les moyens purement déclinatoires, ou les questions de droit qui ne relèvent pas en principe du champ de spécialisation de tels arbitres. En l’espèce, les moyens soulevés par le demandeur sont presque tous rattachés à des questions de fait ou à des questions mixtes de droit et de fait. Le demandeur soulève de manière générale deux questions de droit, à savoir la signification d’une sanction disciplinaire et le critère d’après lequel un employé pourra être empêché de se rendre à son travail pour des raisons de sécurité; cependant, ce sont là des questions de droit qui relèvent tout à fait du domaine des relations de travail et commandent une retenue élevée envers les décisions des arbitres (arrêt Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2005 CAF 366, [2005] A.C.F. n° 1849 (C.A.F.) (QL)).

 

[44]           Le demandeur, s’appuyant sur le jugement Canada (Procureur général) c. Assh, 2005 CF 734, [2005] A.C.F. n° 923 (QL), affirme que les décisions se rapportant à des mesures disciplinaires déguisées ouvrent la porte à des moyens déclinatoires et appellent donc l’application d’une norme de contrôle moins accommodante. Par conséquent, pour la présente affaire, l’analyse faite dans le jugement Archambault c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CF 183, [2005] A.C.F. n° 229 (QL), confirmé sur ce point par la Cour d'appel fédérale : 2006 CAF 63, [2006] A.C.F. n° 207, est préférable. Dans l’affaire Archambault, la juge Danièle Tremblay‑Lamer, de la Cour fédérale, expliquait que les questions de ce genre appellent le niveau de retenue le plus élevé :

[15]          […] La question de savoir si l'employeur a agi de bonne foi en mettant fin à la relation de travail pour des raisons d'emploi ou s'il l'a plutôt licencié à titre de mesure disciplinaire sous le couvert de raisons d'emploi est une question qui relève carrément de la compétence dont l'arbitre est investi en vertu de la loi. Même si, en bout de ligne, la question est de nature juridictionnelle, elle repose sur cette recherche approfondie des faits quant aux intentions et à la conduite manifeste de l'employeur.

 

[16]          En termes simples, la compétence fondée sur l'alinéa 92(1)c) de la LRTFP dépend de la question de savoir si le renvoi de l'employé découlait d'une mesure disciplinaire. Il s'agit uniquement d'une conclusion de fait de sorte que la norme de contrôle applicable est à mon avis celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[45]           Toutes les questions soulevées par le demandeur, qu’il s’agisse de questions de fait, de questions de droit ou de questions mixtes de droit et de fait, relèvent de la spécialisation particulière des arbitres de la CRTFP. La norme de contrôle qui est ici applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

Les mesures disciplinaires

[46]           La LRTFP établit un régime applicable à la résolution des griefs déposés par les employés du secteur public fédéral. Conformément à ce régime, certains griefs sont classés comme griefs non susceptibles d’arbitrage, ce qui signifie que la décision de dernier niveau est celle de l’employeur et que l’employé n’a pas droit à un arbitrage indépendant; cependant, les employés ont le droit à l’arbitrage devant la Commission pour d’autres genres de questions qui sont jugées de portée plus grande. Les tribunaux ont reconnu depuis longtemps que certains employeurs pourraient vouloir se soustraire à un arbitrage en tentant de dissimuler la vraie nature de leurs décisions. Les arbitres de la Commission doivent considérer le fond d’une décision plutôt que sa forme lorsqu’ils se demandent s’ils ont ou non compétence. Selon les mots de la Cour d'appel, « l’on ne peut tolérer que, par l’effet d’un camouflage, une personne soit privée de la protection que lui accorde une loi ». (LRTFP, précitée, articles 91 et 92; Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.), [1989] A.C.F. n° 461 (QL); jugement Archambault, précité, paragraphes 9‑12.)

 

[47]           Selon le paragraphe 92(1) de la LRTFP, un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire. En accord avec l’arrêt Penner, précité, la jurisprudence de la Commission et de l’instance qui l’a précédée reconnaît que les employeurs recourent parfois à des « mesures disciplinaires déguisées » pour se soustraire à la procédure d’arbitrage. Les arbitres doivent d’entrée de jeu se demander si les décisions de l’employeur qui sont à première vue de nature administrative ne sont pas en réalité des mesures disciplinaires déguisées. Pour se prononcer sur la question, les arbitres doivent considérer l’ensemble des faits et circonstances entourant la décision. (LRTFP, article 92; Nolan et Conseil du Trésor (Santé et Bien‑être social Canada), [1994] CRTFP n° 115 (QL); Tobin et Conseil du Trésor (Pêches et Océans Canada), [1990] CRTFP n° 11 (QL).)

 

[48]           En l’espèce, M. Grover a déposé un grief contre la décision de son employeur de le décréter unilatéralement en congé sans traitement parce qu’il a refusé de se présenter pour un examen médical devant un médecin choisi par le CNRC. Le CNRC a soutenu qu’il s’agissait là uniquement d’une décision administrative destinée à préserver la sécurité du lieu de travail. M. Grover a maintenu que les décisions du CNRC étaient en réalité des décisions disciplinaires, ou des mesures disciplinaires déguisées, et que par conséquent l’arbitre était compétente pour statuer sur son grief. L’arbitre a statué en faveur de M. Grover, et le demandeur conteste aujourd’hui la sentence arbitrale.

 

[49]           Le fond des arguments du demandeur sur ce point est que l’arbitre a commis quelques erreurs de fait et n’a pas compris que, lorsqu’un employeur suspend un fonctionnaire pour des raisons de sécurité, il le fait pour des raisons administratives. (Exposé des faits et du droit présenté par le demandeur, paragraphes 97‑98 et 108‑118; dossier de demande, précité, volume 5.)

 

[50]           Le deuxième point soulevé par le demandeur, aux paragraphes 108 à 117 de son exposé des faits et du droit, peut être rejeté sommairement. S’agissant de la législation du travail, l’arbitre a manifestement compris la différence entre une mesure administrative et une mesure disciplinaire; cependant, elle a tout simplement rejeté les arguments du CNRC selon lesquels le CNRC agissait en vérité sans aucune intention de punir M. Grover ou de sanctionner une inconduite de sa part. Ainsi que l’écrivait l’arbitre :

[120]        … le simple fait que l’employeur a qualifié ses décisions de mesures administratives en invoquant une politique administrative ou une prérogative de la direction ne les rend pas automatiquement telles. L’analyse des faits et du contexte est déterminante.

 

 

[51]           L’arbitre a souligné plusieurs faits qui l’ont amenée à la conclusion que la décision de mettre fin au traitement de M. Grover et de l’exclure du lieu de travail était en réalité une décision disciplinaire. Aspect sans doute le plus éloquent, elle a fait observer que, au début, le CNRC avait expressément traité l’affaire comme une affaire disciplinaire. Elle fait remarquer à juste titre que « M. Hackett disait au fonctionnaire s’estimant lésé [dans ses lettres] que le refus de se conformer à une mesure administrative serait considérée comme de l’insubordination, ce qui en faisait une question disciplinaire. C’est seulement plus tard que l’employeur a aussi qualifié ses actions de mesures administratives ». (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphes 123, et 124 pour la citation; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, pages 25 et 26.)

 

[52]           Le CNRC a explicitement, et par deux fois, imposé une mesure disciplinaire à l’auteur du grief – une suspension de trois jours et une suspension de cinq jours – parce qu’il ne s’était pas présenté devant un médecin choisi par le CNRC, qualifiant d’« insubordination » son attitude. Ce n’est qu’à la date de la deuxième suspension que le CNRC a alors prétendu prendre des mesures administratives en supprimant indéfiniment le traitement de M. Grover.

 

[53]           L’arbitre a aussi relevé que le CNRC n’avait pas donné à M. Grover l’occasion d’épuiser ses congés de maladie et qu’il avait refusé sa demande d’indemnité de congés annuels. Il n’y avait aucune raison d’opposer un tel refus à M. Grover autre que la volonté de le sanctionner ou de le contraindre d’une autre manière à modifier son comportement. C’est là la marque même d’une mesure disciplinaire. L’arbitre a clairement montré qu’elle comprenait les principes propres aux mesures disciplinaires, lorsqu’elle écrivait : « Ces mesures avaient pour but de contraindre le fonctionnaire s’estimant lésé à se conformer aux directives de l’employeur. » (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphes 135 et 138, pour la citation; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, pages 22 et 23.)

 

[54]           Le raisonnement de l’arbitre est juste, mais il convient de noter que la jurisprudence de la Commission portant sur des faits similaires suit le même raisonnement. Dans la décision Tobin, précitée, le ministère des Pêches et des Océans avait ordonné à l’auteur du grief de se soumettre à un examen médical. Ne s’y étant pas présenté, il avait été suspendu indéfiniment, sans traitement. L’employeur avait contesté la compétence de l’arbitre en invoquant les mêmes moyens que dans la présente affaire, mais l’arbitre avait jugé que, au vu des circonstances, la suspension indéfinie était une mesure « de nature disciplinaire ».

 

[55]           En l’espèce, l’arbitre a aussi évoqué la correspondance et « le contexte global et l’attitude de l’employeur ». L’employeur a envoyé littéralement des douzaines de lettres à M. Grover entre juin 2004 et avril 2005. Chacune d’elles ou presque signale ou explique que M. Grover était insubordonné et coupable d’inconduite ou qu’il s’exposait à un renvoi. Le ton de ces lettres ne laisse subsister aucun doute et ne montre guère de compassion pour la santé de M. Grover, qui était la prétendue raison des « mesures administratives » prise par le CNRC. (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphe 134; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 27.)

 

[56]           Le demandeur conteste aussi la décision de l’arbitre en faisant valoir qu’elle a commis plusieurs erreurs de fait dans le passage suivant :

… Ajoutons à cela que le fonctionnaire s’estimant lésé a été taxé d’insubordination parce qu’il ne participait pas aux réunions de la direction et aussi parce qu’il refusait de coopérer et s’obstinait à ne pas rédiger sa propre appréciation de rendement. On lui a également reproché son manque de coopération dans le contexte de la restructuration de sa section et de l’Institut lui‑même, telle qu’elle avait été mise en œuvre par M. Hackett…

 

 

(Décision de l’arbitre, précitée, paragraphe 134; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 22; exposé des faits et du droit présenté par le demandeur, paragraphes 95 à 101; dossier de demande, précité, volume 5, pages 964 et 965.)

 

[57]           M. Grover reconnaît avec le demandeur qu’une mesure disciplinaire en règle n’a été imposée dans aucune des circonstances susmentionnées. Cependant, le demandeur accorde trop d’importance à l’expression « taxé d’insubordination » et se méprend sur ce que veut dire l’arbitre. Eu égard au sommaire plus complet que l’arbitre fait de la preuve aux paragraphes 19 à 34 de sa décision, il est évident qu’elle savait que des mesures disciplinaires en règle n’avaient pas été imposées au titre des circonstances évoquées. Elle a néanmoins conclu, et à juste titre, que le CNRC considérait M. Grover comme insubordonné parce qu’il n’assistait pas aux réunions du comité de gestion et qu’il s’opposait à une appréciation de son rendement.

 

[58]           Plus précisément, M. Blais, directeur des relations avec les employés, avait le sentiment que M. Grover évitait les réunions du comité de gestion en « abusant d’une manière flagrante » de ses congés de maladie. M. Grover a aussi témoigné qu’il avait été menacé de sanctions disciplinaires par M. Hackett pour s’être opposé à une appréciation de son rendement. Dans les deux cas, la preuve indique que le CNRC jugeait M. Grover insubordonné, même si des mesures disciplinaires n’ont pas été imposées. (Pièce E‑1, onglet 9 : courriel de S. Blais à P. Hackett, en date du 3 juin 2004; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 5‑B‑9, page 80; affidavit de C. Grover, paragraphe 9; dossier de demande, précité, volume 4, onglet 9, page 939.)

 

[59]           S’agissant de la coopération dans la réorganisation de l’Institut, il ressort clairement de la preuve que M. Hackett a menacé M. Grover de sanctions disciplinaires parce qu’il refusait de faire pression sur ses employés pour qu’ils participent au processus de « restructuration ». Là encore, la conclusion de l’arbitre est juste et elle s’appuie sur la preuve. (Affidavit de C. Grover, paragraphe 9; dossier de demande, précité, volume 4, onglet 9, page 939.)

 

[60]           Selon le demandeur, la décision de l’arbitre devrait être annulée parce qu’elle s’est à tort fondée sur un document particulier pour dire que les décisions de l’employeur étaient de nature disciplinaire. Les deux parties à l’arbitrage avaient versé dans le dossier une pièce considérable comportant de nombreux documents. Le conseiller juridique du CNRC avait informé l’arbitre que l’employeur ne s’opposait pas à la pièce produite par M. Grover, pour autant que tous les documents fussent par la suite authentifiés au cours de l’audience. L’avocat de M. Grover a plus tard vérifié l’authenticité de tous les documents à la faveur du témoignage de M. Grover. Le demandeur ne s’y est jamais opposé, ni même lors de ses derniers arguments. Le demandeur affirme aujourd’hui qu’il peut se reposer sur ses objections quant à la recevabilité des documents jusqu’à ce que cette question soit soumise à la Cour fédérale. Il ne le peut pas, et l’argument est rejeté.

 

[61]           Le demandeur dit aussi que l’arbitre a choisi les preuves d’une manière sélective parce qu’elle s’est fondée sur le document en question, une lettre de M. Grover, sans prêter attention à d’autres documents connexes, à savoir la réponse de l’employeur. La lettre de l’employeur doit être lue en même temps que la lettre ultérieure de M. Grover, laquelle montre que les points soulevés par l’employeur étaient erronés. Il ne fait aucun doute que l’arbitre a tenu compte de toute la correspondance connexe. (Exposé des faits et du droit présenté par le demandeur, paragraphe 106; dossier de demande, précité, volume 5, page 966; portion de la pièce G‑14 : lettre de S. Barakat à C. Grover, en date du 24 septembre 2004; dossier de demande, précité, volume 3, page 118; portion de la pièce G‑14 : lettre de C. Grover à S. Barakat, en date du 27 septembre 2004; dossier de demande, précité, volume 3, page 120.)

 

[62]           Compte tenu de tout ce qui précède, les conclusions tirées par l’arbitre à propos du caractère disciplinaire des mesures prises par le CNRC étaient justes. En tout état de cause, l’arbitre disposait de preuves considérables sur lesquelles se fonder et l’on ne saurait dire que sa décision était manifestement déraisonnable.

 

La norme juridique à laquelle est astreint le CNRC avant d’interdire à M. Grover de se présenter au travail jusqu’à ce qu’il se présente devant un médecin qui n’est pas celui de son choix

 

 

[63]           Le demandeur s’exprime sur deux aspects de la décision de l’arbitre dans laquelle elle indique le principe ou critère juridique auquel était astreint l’employeur dans les circonstances évoquées. D’abord, il affirme que l’arbitre a mal interprété la jurisprudence applicable au droit du travail et se rapportant au droit de l’employeur d’obliger un employé à subir un examen médical afin d’assurer la sécurité du milieu de travail. Dans le même esprit, le demandeur fait valoir que l’arbitre aurait dû interpréter d’une manière libérale la politique du CNRC sur cette question.

 

[64]           L’analyse de l’arbitre et la définition qu’elle a donnée du principe juridique applicable découlent directement de la jurisprudence pertinente en matière de droit du travail. Le principe de base est que les employés jouissent d’un droit élevé en matière de vie privée, pour ce qui concerne leur intégrité corporelle et le recours à un médecin; il y a donc intrusion si un employé est examiné contre sa volonté. Par conséquent, l’employeur ne saurait ordonner à un employé de se faire examiner par un médecin choisi par l’employeur sauf s’il existe une obligation contractuelle ou une disposition législative explicite en ce sens (Thompson and Oakville (Town) (1963), 41 D.L.R. (2d) 294 (H.C. Ont.), page 302.)

 

[65]           Nonobstant ce qui précède, il est également bien établi que les employeurs ont l’obligation importante de garantir un milieu de travail sécuritaire. Cela signifie que les employeurs ont le droit d’en savoir davantage sur le dossier médical d’un employé s’il y a des motifs raisonnables et probables de croire que l’employé constitue un risque pour la santé ou la sécurité en milieu de travail.

 

[66]           Il ne s’ensuit pas qu’un employeur peut automatiquement exiger d’un employé qu’il subisse un examen médical. Pour tenir compte du droit de l’employé à sa vie privée et à son intégrité corporelle, l’employeur doit explorer d’autres solutions s’il veut obtenir les renseignements nécessaires. Si l’employeur n’est pas satisfait de ces autres solutions, par exemple s’il juge insuffisant le certificat médical produit par l’employé, alors il doit lui expliquer clairement les raisons pour lesquelles le document produit ne suffit pas. Encore une fois, cette solution respecte le droit de l’employé à sa vie privée, outre qu’elle lui permet d’évaluer les objections de l’employeur et de produire d’autres renseignements au besoin. Ce n’est qu’après que toutes ces étapes ont été franchies qu’un employeur pourra dans certains cas insister pour qu’un employé se présente devant un médecin choisi par l’employeur. (Air Canada c. Canadian Airline Employees Association (1982), 8 L.A.C. (3d) 82 (Simmons), pages 13‑14; Riverdale Hospital c. Canadian Union of Public Employees, Local 79 (1985), 19 L.A.C. (3d) 396 (Burkett), pages 406‑407; Nelsons Laundries Ltd. and Retail Wholesale Union, Local 580 (1997), 64 L.A.C. (4th) (Somjen), pages 125‑127.)

 

[67]           La Cour divisionnaire de l’Ontario a récemment confirmé la jurisprudence arbitrale en la matière. Dans le jugement Ontario Nurses’ Association v. St. Joseph’s Health Centre (2005), 76 O.R. (3d) 22 (C. div. Ont.), la juridiction ontarienne écrivait ce qui suit :

[traduction]

[19] On nous a renvoyé à plusieurs décisions arbitrales où est examinée la question de savoir quels renseignements un employeur peut exiger d’un employé qui revient au travail après un congé pour raisons médicales. Comme l’on pouvait s’y attendre, des lignes de démarcation ont été tracées par les arbitres compte tenu du droit à la vie privée.

 

[20] D’après la jurisprudence arbitrale majoritaire, les employeurs sont fondés à obtenir des renseignements médicaux pour s’assurer qu’un employé qui revient au travail est en mesure d’y revenir d’une manière sécuritaire, sans faire courir de risque aux autres. L’obligation première de l’employé est de présenter un bref certificat de son médecin déclarant qu’il est apte à revenir au travail. Si l’employeur a des motifs raisonnables de croire que l’état de santé de l’employé constitue un danger pour lui‑même ou pour autrui, l’employeur peut alors lui demander des renseignements additionnels propres à apaiser les craintes précises qu’il peut avoir, et cela après en avoir expliqué les raisons à l’employé. La demande doit se rapporter au motif de l’absence; aucune enquête de nature générale sur la santé de l’employé n’est autorisée. À mon avis, ce sont là des principes justes.

 

[68]           Il importe aussi de souligner encore une fois que l’intérêt de l’employeur doit être la sécurité. Les doutes qu’il peut avoir sur la validité du congé de maladie d’un employé ne sauraient l’autoriser à exiger qu’il subisse un examen médical. Il y a en effet une « différence fondamentale » entre le fait d’exiger un examen médical pour mesurer l’aptitude au travail et le fait de vérifier la véracité d’une maladie (décision Riverdale Hospital, précitée, pages 405‑406.)

 

[69]           Le demandeur conteste les propos de l’arbitre selon lesquels « une demande d’examen médical indépendant pour déterminer si un employé est apte à travailler est une mesure qui ne devrait être envisagée que dans des circonstances exceptionnelles et claires ». Le demandeur fait valoir que l’obligation de prouver l’existence de « circonstances exceptionnelles et claires » est quelque peu incompatible avec la jurisprudence. Cet argument n’est pas fondé.

 

[70]           De nombreux précédents font état de l’obligation de prouver qu’un examen médical est « nécessaire » en raison d’un « doute légitime ». La charge de la preuve repose sur l’employeur, lequel doit être disposé à produire une « preuve convaincante » au soutien de sa position. La nécessité d’un examen médical est décrite comme une « mesure drastique », qui doit reposer sur un « solide fondement » et qui ne sera requise que dans de « rares cas ». Eu égard à de telles remarques des arbitres, le fait pour l’arbitre d’avoir évoqué la nécessité de « circonstances exceptionnelles et claires » découle manifestement des précédents. (Riverdale Hospital, précité, pages 406‑407; K. Nicholson et Conseil du Trésor (Défense nationale), [1991] CRTFP n° 267 (QL), pages 10‑11; Dennison et Conseil du Trésor (Solliciteur général), [1983] CRTFP n° 89 (QL), page 20; Consumers Glass and C.A.W., Local 29 (1990), 18 C.L.A.S. 171 (Marcotte), paragraphes 40 et 44; décision Nelson Laundries, précitée, page 123.)

 

[71]           Finalement, le demandeur fait valoir que l’arbitre aurait dû interpréter d’une manière plus « libérale » la politique du CNRC en matière de santé et de sécurité au travail. Selon cette politique, la direction doit s’inquiéter « avec raison » de la capacité d’un employé à accomplir son travail « sans qu’un danger vienne entraver la sécurité ». Fondamentalement, le demandeur dit que l’employeur remplissait cette condition s’il pouvait prouver l’existence d’un risque d’un genre ou d’un autre.

 

[72]           Encore une fois, l’argument du demandeur est sans fondement et il ne s’accorde pas avec la jurisprudence arbitrale. L’importance du risque dépendra de la gravité de la maladie de l’employé, ainsi que de la nature de ses tâches. Par ailleurs, des « motifs raisonnables et probables » doivent exister avant que l’on puisse présumer que l’employé constitue un risque. Cela exclura nécessairement les suppositions ou conjectures. D’ailleurs, selon les mots employés par un arbitre, « l’employeur ne peut pas refuser d’autoriser un employé à retourner travailler à cause d’une simple possibilité que celui‑ci ait des problèmes de santé dans l’avenir ». La politique du CNRC s’accorde avec cette jurisprudence, et elle a été validement interprétée par l’arbitre. (Décision Air Canada, précitée; décision Kolski et Conseil du Trésor (Agriculture Canada), [1994] CRTFP N° 149 (QL), page 21; décision Inco Ltd. and United Steelworkers (1988), 35 L.A.C. (3d) 108 (Burkett), pages 112‑113; décision Nelsons Laundries, précitée, pages 126‑127.)

 

Le CNRC n’a pas justifié l’ordre qu’il a donné à M. Grover de voir un médecin qu’il n’avait pas choisi

[73]           Le demandeur conteste la conclusion de l’arbitre selon laquelle le CNRC n’avait pas de raisons suffisantes d’exiger un examen médical. Il n’existe absolument aucun fondement permettant de croire que la décision de l’arbitre sur ce point était manifestement déraisonnable.

 

[74]           La « simple possibilité » qu’un employé soit malade ou constitue par ailleurs un risque pour la sécurité n’équivaut pas à des « motifs raisonnables et probables » de croire qu’il en est ainsi. Qui plus est, dans les nombreuses lettres qu’il a adressées à M. Grover, le CNRC ne donne pas de motifs particuliers l’autorisant à croire que M. Grover constitue un risque pour la sécurité. Au cours de l’audience, des témoins du CNRC ont dit avoir observé que M. Grover avait des ennuis de santé au travail. Il est remarquable que de telles observations n’aient jamais été évoquées auparavant. Si les inquiétudes étaient réelles, elles auraient dû être mentionnées en temps opportun.

 

[75]           Finalement, le demandeur ne dit rien de l’aspect « procédural » de ce critère. Il accepte semble‑t‑il que les employeurs doivent prouver qu’ils ont des motifs raisonnables et probables d’être préoccupés par le risque que fait peser sur la sécurité la santé d’un employé; cependant, il faut aussi compter avec un élément d’« équité procédurale ». Selon la jurisprudence, l’employeur doit expliquer clairement les raisons qu’il peut avoir de douter de la validité du certificat médical d’un employé. Qui plus est, l’employeur doit être ouvert à d’autres solutions propres à dissiper ses doutes, sans aller jusqu’à exiger de l’employé qu’il consulte un médecin qu’il n’a pas lui‑même choisi (décision Nelsons Laundries, précitée, page 125.)

 

[76]           En l’espèce, M. Grover a offert de consulter d’autres médecins, dont un médecin que les parties auraient choisi de concert. Le CNRC n’a pas tenu compte de ces propositions écrites les premières fois qu’elles lui ont été présentées. Il n’a pas exposé d’une manière rationnelle les raisons pour lesquelles cette solution ne lui convenait pas. Pour ce seul motif, les griefs du demandeur eussent clairement été couronnés de succès. Pareillement, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée parce que, quelles que puissent être les autres erreurs alléguées, la décision tout entière de l’arbitre est raisonnable (arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, paragraphes 55‑56.)

 

Absence d’erreur susceptible de contrôle au regard de conclusions de fait

[77]           Il est bien établi, et le demandeur l’admet, que les conclusions de fait d’un tribunal administratif commandent le niveau le plus élevé de retenue. La norme de la décision manifestement déraisonnable est si élevée que la décision dont il s’agit doit être jugée comme une décision clairement irrationnelle (arrêt Dr Q., précité.)

 

[78]           L’arbitre a dit que le CNRC avait négligé d’aborder les ennuis de santé de M. Grover avec celui‑ci. Compte tenu du résumé complet de la preuve, il est clair que l’arbitre a reconnu que Mme Lorna Jacobs avait parlé avec M. Grover de ses ennuis de santé; cependant, la période considérée par l’arbitre était postérieure à l’ordre intimé le 10 juin 2004 par M. Hackett à M. Grover de rester chez lui jusqu’à ce qu’il se présente devant un médecin choisi par le CNRC. Entre le 10 juin 2004 et l’audience tenue devant la Commission, les ennuis de santé de M. Grover n’ont jamais été discutés avec lui. L’arbitre n’a tiré ici aucune conclusion manifestement déraisonnable. (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphes 36 et 37; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 11; exposé des faits et du droit présenté par le demandeur, paragraphes 27‑69; dossier de demande, précité, volume 5.)

 

[79]           Le demandeur dit aussi que l’arbitre a commis une erreur en concluant que M. Grover n’avait jamais eu la possibilité de fournir d’autres indications de ses médecins parce qu’il ne savait pas où le CNRC voulait en venir. Cette conclusion de l’arbitre semble procéder davantage d’une question mixte de droit et de fait. L’arbitre a relevé que M. Grover était à juste titre dérouté par les décisions du CNRC. Le CNRC disait qu’il était malade au point qu’il constituait un risque pour la sécurité au travail, alors qu’il mettait simultanément en doute la validité du congé de maladie. L’arbitre a noté d’autres incohérences, par exemple le fait que le CNRC fut informé des raisons pour lesquelles deux médecins étaient arrivés aux mêmes prescriptions, mais continua néanmoins de soulever la question sans dire pourquoi il semblait rejeter l’explication donnée. L’arbitre était fondée, au vu de la preuve, à tirer cette conclusion. (Décision de l’arbitre, précitée, paragraphe 119; dossier de demande, précité, volume 1, onglet 2, page 25; exposé des faits et du droit présenté par le demandeur, paragraphes 72‑75; dossier de demande, précité, volume 5.)

 

DISPOSITIF

Ainsi que l’a enseigné la Cour suprême, les juridictions saisies d’une procédure de contrôle judiciaire doivent s’abstenir de soumettre chacun des éléments d’une décision à une analyse pour savoir si ledit élément est ou non raisonnable. C’est plutôt la décision dans sa globalité qu’il faut considérer. S’il existe des motifs suffisants qui autorisent la décision, alors la Cour doit s’abstenir d’intervenir. Eu égard aux motifs exposés par l’arbitre dans la présente affaire, sa décision est confirmée. (Arrêt Ryan, précité, paragraphes 55‑56.)

JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire, avec dépens.

 

 

Obiter dictum

Avant que cette affaire ne soit soumise à la Cour fédérale, c’est‑à‑dire au niveau de la procédure arbitrale :

Si l’insubordination de l’intéressé avait été établie, le résultat aurait pu être différent, mais elle ne l’a pas été!

Si le bien‑fondé de mesures disciplinaires avait été établi à l’égard d’une personne qui refusait de coopérer avec la hiérarchie de son organisation, constituant ainsi un obstacle pour la hiérarchie et pour l’organisation elle‑même, le résultat aurait pu être différent, mais ce ne fut pas le cas!

Si l’incompétence de l’intéressé au sein de la structure de l’organisation avait été établie, encore une fois le résultat aurait pu être différent, mais ce ne fut certainement pas le cas!

Il s’agit simplement de savoir si une organisation peut exiger de l’un de ses employés qu’il soit examiné par un médecin choisi par l’organisation (privant de ce fait l’intéressé du droit de protéger sa vie privée) en raison d’un comportement qu’elle juge préjudiciable au fonctionnement de l’organisation – parce que tel comportement expose l’organisation et son travail à un risque (on n’a jamais su ce qu’était ce risque et aucun argument n’a non plus été avancé dans cet esprit); l’eût‑il été, le résultat aurait pu être différent, mais il ne l’a pas été!

Cependant, les thèmes susmentionnés, qui n’avaient rien à voir avec la réalité de l’affaire, ont été omniprésents et il a fallu les détacher de la réalité de l’affaire.

Il s’agit ici d’une procédure de contrôle judiciaire à fort contenu factuel, à laquelle il est difficile d’appliquer des principes jurisprudentiels ou juridiques généraux sans reconnaître et prendre en compte la succession elle‑même des faits, dans tous ses détails, telle qu’elle a été présentée au juge des faits, c’est‑à‑dire l’arbitre; et il convient ensuite de rappeler au demandeur, eu égard à la nature des actes de procédure, qu’il ne s’agissait pas là d’un appel, mais d’une procédure de contrôle judiciaire dans laquelle la norme de contrôle est d’une importance capitale (comme dans toutes les procédures du genre); et il appartenait donc à la Cour, compte tenu des divers thèmes évoqués, de ne pas perdre de vue que la question était de savoir si l’arbitre avait le droit de décider comme elle l’a fait, au vu de la preuve dont elle était saisie.

La Cour est donc arrivée à sa conclusion en se fondant sur tous les aspects de la décision arbitrale découlant de la preuve elle‑même, dont la Cour a pris connaissance.

Il ne s’agissait pas de savoir si la Cour serait arrivée à la même décision; il s’agissait simplement de savoir si la décision de l’arbitre concordait avec la preuve produite, d’après la norme de contrôle applicable à cette affaire.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1975‑05

 

INTITULÉ :                                                   LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                        c.

                                                                        CHANDER P. GROVER

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE:                            LE 10 JANVIER 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SHORE

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 16 JANVIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald M. Snyder

 

                  POUR LE DEMANDEUR

Paul Champ

 

                  POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

                  POUR LE DEMANDEUR

RAVEN, CAMERON, BALLANTYNE & YAZBECK LLP

Ottawa (Ontario)

 

                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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