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Date : 20070118

Dossier : T-2295-03

Référence : 2007 CF 50

Toronto (Ontario), le 18 janvier 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

ENTRE :

ABBOTT LABORATORIES et

ABBOTT LABORATORIES LIMITED

demanderesses

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

PHARMASCIENCE INC.

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

LE JUGE O’KEEFE

[1]               Il s’agit d’une requête présentée par les demanderesses (Abbott) en vue d’obtenir, en vertu de l’article 403 des Règles des Cours fédérales (1998), DORS/98-106, modifiées, une ordonnance de la Cour adjugeant à Abbott une somme globale à titre de dépens.

 

[2]               L’ordonnance que j’ai rendue dans ma décision sur le bien-fondé de la présente requête contenait ce qui suit :

Abbott a droit aux dépens de la demande.

 

 

[3]               Ma décision sur le bien-fondé de la demande reposait sur le principe de la chose jugée.

 

[4]               La demande principale visait une ordonnance interdisant la délivrance d’un avis de conformité à Pharmascience Inc. avant l’expiration de sept brevets canadiens (les brevets d’Abbott).

 

[5]               La préclusion découlant d’une question déjà tranchée concernait la validité du brevet 732 qui faisait également l’objet d’un avis d’allégation antérieur visant les mêmes parties (Pharmascience I). Dans Pharmascience I, le juge Gibson de la Cour fédérale a statué que le brevet 732 était valide.

 

[6]               Ma décision fondée sur le principe de la chose jugée reposait sur la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, qui est un volet de ce principe.

 

Question en litige

 

[7]               Abbott devrait‑elle recevoir à titre de dépens une somme globale qui serait fixée par la Cour?

 

[8]               Une somme globale devrait-elle être adjugée à titre de dépens en l’espèce?

Pharmascience prétend que l’article 403 des Règles ne me permet pas d’adjuger une somme globale à titre de dépens puisque j’ai déjà adjugé les dépens à Abbott dans mon ordonnance. Je ne suis pas d’accord puisque le paragraphe 403(2) des Règles prévoit qu’une requête déposée en conformité avec le paragraphe 403(1) des Règles peut être présentée « que le jugement comporte ou non une ordonnance sur les dépens ». L’arrêt rendu à la majorité par la Cour d’appel fédérale dans Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., [2003] 2 C.F. 451 (C.A.F.), au paragraphe 4, précise qu’une requête présentée en vertu de l’article 403 des Règles est une requête demandant à la Cour de donner des directives à l’officier taxateur sous forme d’ordonnance enjoignant à celui‑ci de taxer les dépens sur la base de l’adjudication d’un montant global fixé par la Cour. Par conséquent, je conclus que j’ai compétence pour fixer une somme globale à titre de dépens en l’espèce.

 

[9]               Compétence pour adjuger une somme globale

Dans l’arrêt Consorzio, précité, la Cour d’appel fédérale a dit que l’un des avantages de l’adjudication des dépens sous forme d’un montant global est l’économie que les parties réalisent en ce qui concerne les dépens qui autrement seraient engagés dans le processus de la taxation. La compétence pour adjuger les dépens sous forme de somme globale est prévue au paragraphe 400(4) des Règles. J’estime qu’il convient d’adjuger les dépens sous forme de somme globale à cause du temps et, par conséquent, des frais qui auraient été associés au processus de taxation par l’officier taxateur.

 

[10]           Pour conclure qu’il y a lieu de fixer une somme globale pour les dépens, j’ai tenu compte de l’argument de Pharmascience selon lequel la question devait être déférée à un officier taxateur qui taxerait les dépens. J’ai rejeté cet argument parce que j’estime que la Cour peut fixer une somme globale de manière à éviter les dépenses supplémentaires liées au processus de taxation par l’officier taxateur.

 

[11]           Quelle devrait être la somme globale en l’espèce?

            Abbott prétend que les facteurs suivants mentionnés au paragraphe 400(3) des Règles doivent être pris en considération pour déterminer le montant des dépens :

400. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer […]

 

 

(3) Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l’un ou l’autre des facteurs suivants:

 

a) le résultat de l’instance;

 

b) les sommes réclamées et les sommes recouvrées;

 

c) l’importance et la complexité des questions en litige;

 

[…]

 

g) la charge de travail;

 

[…]

 

i) la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance;

 

[…]

 

k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance, selon le cas:

 

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

 

(ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

 

[…]

 

o) toute autre question qu’elle juge pertinente.

400. (1) The Court shall have full discretionary power over the amount and allocation of costs and the determination of by whom they are to be paid.

. . .

 

(3) In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider

 

 

 

 

(a) the result of the proceeding;

 

(b) the amounts claimed and the amounts recovered;

 

(c) the importance and complexity of the issues;

 

. . .

 

(g) the amount of work;

 

. . .

 

(i) any conduct of a party that tended to shorten or unnecessarily lengthen the duration of the proceeding;

 

. . .

 

(k) whether any step in the proceeding was

 

 

(i) improper, vexatious or unnecessary, or

 

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution;

 

. . .

 

 

(o) any other matter that it considers relevant.

 

[12]           Certains principes s’appliquent à la détermination du montant des dépens. Il ne s’agit pas d’une norme, mais la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’accorder des dépens majorés. Lorsque la Cour ne rend pas d’ordonnance précise concernant le type de dépens, ce sont les dépens mentionnés à la colonne III du tarif B qui s’appliquent par défaut.

 

[13]           Dans l’arrêt Consorzio, précité, le juge Rothstein a dit ce qui suit aux paragraphes 9 et 10 :

Cependant, l’objectif consiste à accorder une contribution appropriée aux dépens avocat-client et non à observer strictement la colonne III du tableau du tarif B qui, en lui-même, est arbitraire. Le paragraphe 400(1) précise que, suivant le principe premier de l’adjudication des dépens, la Cour « a entière discrétion » quant au montant des dépens. En exerçant son pouvoir discrétionnaire, la Cour peut fixer les dépens en se fondant sur le tarif B ou en s’en éloignant. La colonne III du tarif B représente une disposition applicable par défaut. Ce n’est que lorsque la Cour ne rend pas une ordonnance précise que les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tarif B.

 

Par conséquent, la Cour peut, à sa discrétion, ne pas tenir compte du tarif, particulièrement lorsqu’elle est d’avis qu’une adjudication des dépens conformément au tarif n’est pas satisfaisante. En outre, le montant des dépens avocat-client, bien qu’il ne détermine pas la contribution appropriée des dépens partie-partie, peut être considéré par la Cour si cette dernière le juge approprié. Le pouvoir discrétionnaire doit être exercé avec prudence. Toutefois, on doit garder à l’esprit que l’adjudication des dépens est une question de jugement en ce qui concerne les éléments appropriés, et non un exercice comptable.

 

[14]           Également dans l’arrêt Consorzio, précité, le juge Rothstein a dit ce qui suit aux paragraphes 5, 6, 7 et 8 :

L’intimée a soutenu que 12 questions avaient été soulevées en appel et que chacune d’elles nécessitait une réponse complète. Il s’agissait de questions de fait complexes, dont le témoignage d’expert et les méthodes d’enquête. L’argumentation en appel a duré près d’une journée complète.

 

Je suis convaincu, dans les circonstances de l’affaire, que l’intimée devrait se voir adjuger des dépens supplémentaires. Il s’agit d’un cas de propriété intellectuelle concernant des clients avertis. Lorsque, comme en l’espèce, de nombreuses questions sont soulevées en appel et qu’elles comportent des faits complexes ainsi que des témoignages d’expert, la quantité de travail requis de la part des avocats de l’intimée justifie une augmentation des dépens. Pour ce qui est de l’argument selon lequel la complexité de l’affaire n’était pas supérieure à celle de la plupart des cas de propriété intellectuelle qui sont entendus par cette Cour, je dirai que ces affaires présentent souvent des faits complexes et qu’elles entraînent des questions difficiles.

 

Les dépens supplémentaires à être adjugés sont des dépens partie‑partie. Ils ne dédommagent pas la partie qui a obtenu gain de cause de ses dépens avocat-client et ils ne visent pas à punir la partie déboutée pour son comportement non approprié.

 

Une adjudication de dépens partie-partie ne constitue pas un exercice exact. Il ne s’agit que d’une estimation du montant que la Cour juge approprié à titre de contribution aux dépens avocat-client de la partie qui a obtenu gain de cause (ou, de façon inhabituelle, à ceux de la partie déboutée). En vertu de la règle 407, lorsque les parties ne cherchent pas à obtenir des dépens supplémentaires, les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tableau du tarif B. Même lorsque l’on demande des dépens supplémentaires, la Cour, à sa discrétion, peut conclure que les dépens adjugés selon la colonne III constituent un dédommagement suffisant quant aux dépens partie‑partie.

 

 

[15]           En l’espèce, les dépens avocat-client sont d’environ 986 000 $. Selon les observations d’Abbott, les dépens de la colonne III seraient de 407 000 $ et ceux de la colonne V, d’environ 466 000$. Il était question dans les observations de Pharmascience de l’adjudication des dépens selon la colonne III, soit 168 556,07 $, et selon la colonne IV, soit 176 818,07 $. En déterminant le montant des débours, Pharmascience a accordé à Abbott 70 p. 100 de ses débours.

 

[16]           Dans les observations qu’elle a présentées à la Cour, Abbott a soutenu qu’elle devrait recevoir une somme globale se situant entre les dépens de la colonne III de 407 000 $ et les dépens avocat-client de 986 000 $. Plus précisément, Abbott demande qu’une somme globale de 769 603 $ lui soit adjugée à titre de dépens.

 

[17]           Pharmascience a fait valoir que les dépens adjugés à Abbott devraient être réduits parce qu’Abbott n’a pas plaidé le principe de la chose jugée dans sa demande. Toutefois, ainsi que je l’ai mentionné dans mes motifs, Abbott a soulevé ce principe dans son mémoire des faits et du droit et Pharmascience a répondu à cet argument dans son mémoire des faits et du droit. En outre, les deux parties ont débattu la question devant moi. Par conséquent, je ne suis pas d’accord pour dire que cela doit entraîner une diminution des dépens.

 

[18]           Pharmascience a également soutenu qu’Abbott aurait dû demander que la question de l’autorité de la chose jugée (préclusion découlant d’une question déjà tranchée) soit tranchée avant l’audience principale ou demander, en vertu de l’article 107 des Règles, que la question de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée en l’espèce soit jugée séparément et que cela devait influer sur le montant des dépens. Je ne suis pas convaincu, compte tenu du moment où la préclusion découlant d’une question déjà tranchée a pu être invoquée, que l’approche utilisée par Abbott devrait avoir une incidence sur les dépens.

 

[19]           Pharmascience a également prétendu qu’Abbott devrait avoir réalisé des économies relativement aux dépens puisque qu’elle a eu recours aux mêmes experts dans d’autres demandes semblables. Je ne peux pas conclure, compte tenu de la preuve présentée, que le montant demandé pour les experts dans la présente demande est lié à des dossiers autres que ceux en cause dans la présente demande.

 

[20]           Abbott a soutenu que ce qui s’est passé dans la demande constituait un abus de procédure et qu’elle devrait donc obtenir des dépens plus élevés. Je tiens à souligner que ma décision relative au brevet 732 était fondée sur la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et non sur l’abus de procédure.

 

[21]           Dans la demande de contrôle judiciaire, les parties ont déposé des documents volumineux. Il était question de sept brevets et chaque partie a présenté trois témoins experts. Quatre jours ont été consacrés à l’audition de la demande de contrôle judiciaire. Même si la décision était fondée sur la chose jugée (préclusion découlant d’une question déjà tranchée), plusieurs autres questions ont été présentées et débattues. Ainsi que je l’ai déjà mentionné, les dépens avocat‑client se sont élevés à 986 000 $.

 

[22]           Il n’y a aucun doute que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer le tarif B. Ce pouvoir discrétionnaire doit être utilisé avec circonspection. Les dépens avocat-client peuvent être pris en considération, si cela est opportun, mais il faut toujours tenir compte également du tarif B (voir AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 477 (C.F.)).

 

[23]           J’ai examiné les facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles qui ont été invoqués par la demanderesse, à savoir les alinéas 400(3)a), b), c), g), i) et k) des Règles.

 

[24]           Alinéa 400(3)a) des Règles – Le résultat

En l’espèce, Abbott a obtenu l’ordonnance d’interdiction.

 

[25]           Alinéa 400(3)b) – Les sommes réclamées

Comme l’ordonnance interdisait au ministre de délivrer un avis de conformité avant 2017, les sommes en cause pour les deux parties ont atteint des centaines de millions de dollars.

 

[26]           Alinéa 400(3)c) des Règles L’importance et la complexité des questions en litige

L’affaire était importante pour les deux parties puisqu’il s’agissait de l’exclusivité sur le marché jusqu’en 2017. L’affaire était plus complexe que d’habitude à cause du nombre d’éléments de preuve scientifiques produits.

 

[27]           Alinéa 400(3)g) des Règles

Il ressort d’un examen des fiches de compilation du temps et des documents déposés qu’il a fallu beaucoup de travail pour préparer et compléter le dossier.

 

[28]           Alinéas 400(3)i) et 400(3)k) des Règles – La conduite des parties et les mesures inutiles

La décision était fondée sur la chose jugée (préclusion découlant d’une question déjà tranchée) en ce qui a trait au brevet 732, mais d’autres questions devaient encore être débattues relativement à d’autres brevets.

 

[29]           Après avoir examiné tous les facteurs pertinents, j’adjugerais une somme globale de 515 000 $ pour les dépens entre parties, y compris les dépens de la présente requête et la TPS applicable.

 

[30]           Les demanderesses ont sollicité l’intérêt après jugement relativement à tous les dépens adjugés, cet intérêt devant courir à compter de la date de ma décision, à savoir le 16 mars 2006. Les défendeurs ont affirmé que l’intérêt devait commencer à courir 30 jours après la date de la décision. Conformément à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans CCH Canada Limitée c. Barreau du Haut‑Canada, 2004 CAF 278, j’accorderais l’intérêt sur les dépens à compter du 16 mars 2006.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                                          Une somme globale de 515 000 $ est adjugée à Abbott pour les dépens entre parties, y compris les dépens de la présente requête et la TPS applicable.

2.                                          Les demanderesses ont droit à l’intérêt sur les dépens à compter du 16 mars 2006.

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2295-03

 

INTITULÉ :                                       ABBOTT LABORATORIES et ABBOTT

LABORATORIES LIMITED

c.

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

PHARMASCIENCE INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 20 JUILLET 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 18 JANVIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew J. Reddon                               POUR LES DEMANDERESSES

Elizabeth S. Dipchand

 

Paula Bremner                                      POUR LA DÉFENDERESSE 

Ariel Neuer                                          (PHARMASCIENCE INC.)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tétrault LLP                        POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)

 

Hitchman & Sprigings                           POUR LA DÉFENDRESSE

Toronto (Ontario)                                 (PHARMASCIENCE INC.)

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