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Date : 20070119

Dossier : T-68-06

Référence : 2007 CF 55

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2007

En présence de Monsieur le juge Blais

 

ENTRE :

RÉMY VINCENT

demandeur

et

 

CONSEIL DE LA NATION HURONNE-WENDAT

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 (Loi), à l’encontre de la « décision » du 22 décembre 2006 rejetant la contre-proposition du demandeur et réitérant la décision du Conseil de la Nation Huronne-Wendat (Conseil) d’exécuter l’ordonnance de confiscation émise à l’égard du demandeur, si ce dernier n’acceptait pas les termes du Conseil d’ici le 5 janvier 2006.

 

FAITS PERTINENTS

 

[2]               Le demandeur a été déclaré coupable d’une infraction de criminalité organisée liée à la contrebande de cigarettes. À la suite de ce jugement, la Cour du Québec a ordonné la confiscation d’un lot et d’une bâtisse en possession du demandeur, une décision qui a été confirmée par la Cour d’appel du Québec. Tel que requis par la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, les droits, titres et intérêts confisqués par le Gouvernement du Canada ont subséquemment été cédés au Conseil de la Nation Huronne-Wendat.

 

[3]               Le 5 novembre 2005, les membres de la Nation Huronne-Wendat ont pris part à un référendum et voté en faveur de la prise de possession du lot et de la bâtisse par le Conseil et de l’expulsion du demandeur des lieux.

 

[4]               Le 11 novembre 2005, les procureurs du demandeur soumettaient une proposition de règlement au Conseil.

 

[5]               Pour faire suite aux résultats de ce référendum et après avoir pris connaissance de la proposition du 11 novembre 2005, le Conseil de la Nation Huronne-Wendat a adopté à l’unanimité la résolution numéro 5755.  Par cette résolution datée du 18 novembre 2005, le Conseil consentait au demandeur un délai strict allant jusqu’au 2 décembre 2005 pour accepter les termes du Conseil, ce qui lui permettrait de continuer à occuper les lieux. Dans l’éventualité où il refuserait les termes du Conseil, le Grand Chef de la Nation était mandaté pour agir pour et au nom du Conseil afin de prendre les mesures nécessaires, y compris le recours aux tribunaux, pour exécuter l’ordonnance de confiscation et permettre au Conseil de reprendre possession physique du lot et de la bâtisse en litige. Cette résolution du Conseil, accompagnée de la contre-proposition de règlement, a été communiquée au demandeur par l’entremise de ses procureurs le 21 novembre 2005.

 

[6]               Le 30 novembre 2005, les procureurs du demandeur informaient les procureurs du défendeur que le demandeur refusait ces termes et attendait une réponse par écrit sur la contre-offre en date du 11 novembre 2005.

 

[7]               Le 2 décembre 2005, les procureurs du défendeur informaient les procureurs du demandeur que le Conseil consentait au demandeur un délai de grâce de 30 jours à compter du 5 décembre 2005 afin qu’il informe le Conseil de sa décision. Dans cette lettre, les procureurs du défendeur informaient aussi le demandeur du maintien de la proposition du 18 novembre 2005.

 

[8]               Le 15 décembre 2005, le demandeur soumettait une contre-proposition au Conseil par l’intermédiaire de ses procureurs.

 

DÉCISION CONTESTÉE

[9]               Le 22 décembre 2005, par l’entremise de ses procureurs, le Conseil informait les procureurs du demandeur que la dernière contre-proposition de leur client avait été refusée pour des motifs impératifs de transparence et d’intégrité auprès des autres membres de la Nation, et réitérait l’échéance du délai de grâce consenti jusqu’au 5 janvier 2006, par la lettre du 2 décembre 2005.

 

[10]           À la suite d’une ordonnance émise par Madame la juge Johanne Gauthier le 21 avril 2006, seule la validité de cette  « décision » du 22 décembre 2005 peut être contestée dans le présent contrôle judiciaire. Ceci étant dit, dans une deuxième ordonnance en date 27 avril 2006, Madame la juge Gauthier note qu’il relèvera du juge qui entendra cette affaire au fond de décider si la lettre du 22 décembre 2005 peut être considérée comme une « décision d’un office fédéral » en vertu de l’article 18.1 de la Loi.

 

POINTS EN LITIGE

 

[11]           Les points en litige dans cette demande de contrôle judiciaire sont les suivants :

a)      Est-ce que la lettre du 22 décembre 2005 des procureurs du défendeur constitue une « décision d’un office fédéral » et « la première communication, par l’office général, de sa décision » au sens des articles 18 et 18.1 de la Loi?

b)      Dans l’affirmative, la preuve et les arguments du demandeur sont-ils de nature à convaincre cette Cour de la nécessité de déclarer nulle ou illégale cette « décision » contenue à cette lettre du 22 décembre 2005, le tout suivant les paragraphes 18.1(3) et 18.1(4) de la Loi?

 

EXTRAITS LÉGISLATIFS PERTINENTS

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7

18.1 (2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

 

 

 

 

(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

 

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

 

18.1 (2) An application for judicial review in respect of a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the end of those 30 days.

 

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

 

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

(f) acted in any other way that was contrary to law.

 

 

ANALYSE

a)  Est-ce que la lettre du 22 décembre 2005 des procureurs du défendeur constitue une « décision d’un office fédéral » et « la première communication, par l’office général, de sa décision », au sens des articles 18 et 18.1 de la Loi?

 

[12]           Le défendeur soumet que la demande de contrôle judiciaire du demandeur ne saurait conférer juridiction à cette Cour pour déclarer nuls et illégaux les termes contenus à la lettre datée du 22 décembre 2005, puisqu’il ne s’agit pas d’une « décision d’un office fédéral » au sens des articles 18 et 18.1 de la Loi. Cette lettre ne constitue pas une « ordonnance » ou une « décision » d’expulsion du demandeur à cette date, mais réitère plutôt l’expulsion du demandeur décidée par le Conseil le 18 novembre 2005 par la résolution numéro 5755. Selon le défendeur, c’est plutôt cette résolution, communiquée au demandeur le 21 novembre 2005 et en rappel le 2 décembre 2005, qui constitue la « décision d’un office fédéral ».

 

[13]           Il est bien établi dans la jurisprudence que le conseil d'une bande indienne constitue un « office fédéral » au sens de l'article 2 de la Loi (Canatonquin c. Gabriel, [1980] A.C.F. no 87, [1980] 2 C.F. 792). Aussi, tel que l’a reconnu Madame la juge Gauthier dans son ordonnance du 27 avril 2005, il est évident que Me Michel Beaupré agissait pour et au nom de son client, le Conseil de la Nation Huronne-Wendat, ou de son mandataire le Grand Chef, lorsqu’il a rédigé la lettre du 22 décembre 2005.

 

[14]           La véritable question est donc de déterminer si la lettre du 22 décembre 2005 constitue une « décision » en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi, ou simplement la confirmation d’une telle décision (Wenzel c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [2003] A.C.F. no 373).

 

[15]           À première vue, on pourrait facilement conclure que la véritable décision qui aurait dû faire l’objet de la demande de contrôle judiciaire est la résolution du Conseil adoptée le 18 novembre 2005, ou plus précisément la communication de cette résolution au demandeur par l’entremise de ses procureurs, en date du 21 novembre 2005.

 

[16]           Ceci étant dit, l’affidavit de Max Gros-Louis, Grand Chef de la Nation Huronne-Wendat,  révèle que la décision d’octroyer un sursis de 30 jours au demandeur était motivée en partie par  le fait que les échanges entre les parties se poursuivaient. Donc, il ne serait pas déraisonnable de conclure que la décision du 18 novembre 2005 n’était pas finale et que la lettre du 22 décembre 2005 rejetant la contre-offre du demandeur constituait aussi une décision de la Nation Huronne-Wendat.

 

[17]           Étant donné l’ambiguïté qui entoure cette question, je ne crois pas qu’il serait approprié de rejeter la demande de contrôle judiciaire sur cette base. J’accepte donc que la lettre du 22 décembre constitue la première communication d’une décision d’un office fédéral au sens des articles 18 et 18.1 de la Loi, soit de rejeter la dernière contre-proposition du demandeur.

 

b)  La preuve et les arguments du demandeur sont-ils de nature à convaincre cette Cour de la nécessité de déclarer nulle ou illégale cette « décision » contenue à cette lettre du 22 décembre 2005, le tout suivant les paragraphes 18.1(3) et 18.1 (4) de la Loi?

 

 

[18]           Subsidiairement, le défendeur soumet que le demandeur ne peut rencontrer le fardeau de preuve nécessaire pour supporter l’un des motifs prévus au paragraphe 18.1(4) de la Loi, les affirmations du demandeur n’étant pas soutenues par la preuve.

 

[19]           Sur ce point, je suis d’accord avec le défendeur. Les « soumissions » du demandeur consistent essentiellement en une série d’allégations de discrimination et un récit de faits, dont plusieurs dépassent les paramètres établis par les ordonnances de Madame la juge Gauthier, et qui ne forment pas un argument pouvant démontrer un manquement de la part du Conseil pouvant justifier l’intervention de cette Cour sous l’article 18.1 de la Loi.

 

[20]           Le Conseil a clairement agit dans le cadre de ses compétences, en respectant les principes de droit appropriés. De plus, rien dans la preuve ne démontre un manquement quelconque à la justice naturelle ou à l’équité procédurale. En fait, la décision du Conseil fait suite à l’expression de l’opinion populaire de la Nation Huronne-Wendat par l’entremise d’un processus démocratique. Finalement, rien dans la preuve n’indique que le Conseil a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait.

 

[21]           En conclusion de son mémoire, le demandeur affirme vouloir recevoir le même traitement que son père François Vincent, à qui le Conseil avait décidé de remettre les biens qui lui avaient été confisqués. Ce faisant, il ignore les différences fondamentales entre sa situation et celle de son père : ce dernier avait plaidé coupable aux accusations découlant des activités de contrebande de cigarettes de sa femme et avait été reconnu par la Couronne comme étant un possesseur passif, n’ayant pas participé aux activités de contrebande et s’y étant même opposé.

 

[22]           Le demandeur n’ayant pas démontré que la décision du Conseil de la Nation Huronne-Wendat est de nature à justifier l’intervention de cette Cour en vertu de l’article 18.1, la demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

 

[23]           Quant aux dépens, le défendeur déposera ses représentations écrites au plus tard le 26 janvier 2007, et le demandeur déposera sa réponse au plus tard le 2 février 2007.

 

 


JUGEMENT

 

1.      Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      En ce qui concerne les dépens, le défendeur déposera ses représentations écrites au plus tard le 26 janvier 2007, et le demandeur déposera sa réponse au plus tard le 2 février 2007.

 

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-68-06

 

INTITULÉ :                                       RÉMY VINCENT c. CONSEIL DE LA NATION HURONNE-WENDAT

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vidéoconférence (Victoria (Colombie-Britannique) et Québec (Québec))

 

DATE DE L’AUDIENCE :               9 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :                   LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      19 janvier 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Rémy Vincent

309 Lawrence Street

New Westminster (Colombie Britannique) V3M 5L3

Tél. : (604) 521-2408

Fax : (604) 521-2428

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Michel Beaupré

Québec (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour lui-même

 

POUR LE DEMANDEUR

Langlois Kronström Desjardins

Québec (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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