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Date : 20070116

 

Dossier : T-1502-00

Référence : 2006 CF 1509

ENTRE :

MICROSOFT CORPORATION

 

demanderesse

et

 

 

9038-3746 QUÉBEC INC., 9014-5731 QUÉBEC INC.,

ADAM CERRELLI et CARMELO CERRELLI

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

 

LE JUGE HARRINGTON

[1]               La présente action en matière de droit d’auteur et de marque de commerce porte essentiellement sur la première question soulevée. Les parties conviennent que cette question concerne des disques compacts (CD) et du matériel accessoire qui, selon ce qu’affirme Microsoft, seraient contrefaits. Les CD renferment des copies de divers programmes informatiques de Microsoft. Ces programmes sont des œuvres littéraires protégés par droit d’auteur. Les CD et le reste du matériel sont également protégés par des marques de commerce bien connues telles que « Microsoft », « Windows », « Office » et « Outlook ». Cela dit, Microsoft allègue ensuite que, même si les CD et le reste du matériel sont authentiques, le commerce que les défendeurs en ont fait n’était pas autorisé par une licence et constitue une violation de son droit d'auteur et une contrefaçon de ses marques de commerce. Les défendeurs soutiennent que, dans la mesure où les articles sont authentiques, même sans licence, ils n'ont rien violé ni contrefait. Ils affirment avoir fait commerce dans un marché gris, ce qui est parfaitement légal.

 

[2]               Je suis d’avis que les CD et le matériel accessoire comprenant des manuels d’instructions et des certificats d’authenticité étaient contrefaits. En disant qu’ils étaient « contrefaits », j’entends qu’ils n’ont pas été fabriqués par Microsoft ni par l’un de ses duplicateurs agréés. Il s’ensuit que les copies des programmes informatiques gravés sur les CD n’étaient pas autorisées.

 

[3]               Par conséquent, l’argument de Microsoft suivant lequel le commerce fait avec du matériel authentique, sans licence, violait son droit d’auteur et ses marques de commerce est plutôt discutable. Néanmoins, il importe de prendre en considération cet argument compte tenu de la vaste portée de l’injonction permanente demandée.

 

[4]               La preuve qui m’incite à conclure que les copies des programmes informatiques en question n’étaient pas autorisées par Microsoft et que les CD et le matériel accessoire sont contrefaits résulte d’une saisie effectuée par la Gendarmerie royale du Canada en novembre 1999, laquelle a été suivie d’une autre saisie effectuée par le service de police de la Communauté urbaine de Montréal en mars 2000. Les articles saisis par la GRC ont été produits en preuve au procès et examinés dans les moindres détails par un expert de renom dont les services ont été retenus par Microsoft. J’accepte son opinion selon laquelle les articles qu’il a déclarés contrefaits étaient bel et bien contrefaits. Les articles saisis par le service de police de Montréal ont été retournés aux défendeurs qui en ont ensuite disposés dans des circonstances très suspectes. Heureusement, toutefois, ils avaient été examinés par une experte interne de Microsoft pendant qu’ils étaient entre les mains de la police. J’accepte l’opinion de cette experte qui affirme que les articles qu’elle a déclarés contrefaits étaient bel et bien contrefaits. Il s’ensuit que les copies des programmes informatiques gravés sur les CD n’étaient pas autorisées.

 

[5]               Même s’il ne fait aucun doute que Microsoft a droit à une certaine réparation au regard du jugement, telle que la remise du matériel contrefait, les défendeurs affirment qu’ils ne savaient pas que les CD et le matériel accessoire étaient contrefaits ni que les copies des programmes informatiques gravés sur les CD n’étaient pas autorisées. À vrai dire, par suite de l'établissement du bien‑fondé de la cause par Microsoft, ils ont démontré qu’il serait difficile, sinon impossible, pour quelqu’un de faire la différence entre la réalité et l’illusion à moins d’être au courant des renseignements confidentiels bien gardés de Microsoft. La connaissance ou l’absence de connaissance a beaucoup d’incidence sur la responsabilité personnelle des deux défendeurs qui agissent ou agissaient à titre d’administrateurs des sociétés défenderesses, ainsi que sur la portée de l'injonction générale, les dommages‑intérêts préétablis, les dommages‑intérêts punitifs et les autres mesures de réparation demandées par Microsoft.

 

[6]               Pour mettre les faits de la présente affaire dans leur contexte, je vais d’abord commencer par faire un survol des dispositions législatives applicables, puis décrire les activités commerciales de Microsoft et ses pratiques en matière de licence, les pratiques commerciales des défenderesses et la chronologie des événements importants et finalement discuter des conclusions de fait, de l’application des règles de droit à ces faits et des mesures de réparation qui doivent être accordées. Par souci de commodité, vu la longueur des motifs, j’ai créé ci-dessous un sommaire.

 

 

Paragraphes

 

Survol des dispositions législatives applicables

 

7 à 9

 

Activités commerciales de Microsoft et ses pratiques en matière de licence

 

 

10 à 20

Processus de fabrication

 

11

Processus de distribution

 

15

 

Pratiques commerciales des défenderesses

 

 

21 à 27

 

Chronologie des événements

 

 

28 à 72

Les articles saisis par la GRC étaient‑ils contrefaits?

 

35

Les articles saisis par la police de Montréal étaient-ils contrefaits?

 

46


Qu’est-il advenu des articles saisis par la police de Montréal?

 

55

Opération d’achat surveillé Mitchell

 

65



 

 

Responsabilité des défendeurs – ce qu’ils savaient

 

73 à 99

Les sociétés défenderesses

 

73

Responsabilité de Carmelo Cerrelli

 

91

Responsabilité d’Adam Cerrelli

 

99

 

Mesures de réparation

 

100 à 142

Jugement déclaratoire

 

101

Remise

 

102

Dommages‑intérêts

 

103

Dommages‑intérêts préétablis

 

105

Dommages‑intérêts punitifs

 

116

Injonction permanente

 

121

Personnes visées

 

125

Objet

 

128

Intérêts

 

139

Dépens

 

141

 

Conséquences

 

 

142

 

 

SURVOL DES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[7]               L’action de Microsoft se fonde sur deux lois fédérales : la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42, et la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13. Les défendeurs ont reconnu l’existence d’un droit d’auteur à l’égard des 25 œuvres alléguées dans la procédure et que Microsoft en était le titulaire. Ils ont également reconnu que Microsoft était propriétaire des dix marques de commerce alléguées et qu’elle les emploie et les a employées largement au Canada en liaison avec ses programmes informatiques et le matériel accessoire.

 

[8]               Le droit d’auteur accorde au titulaire le droit exclusif de produire ou de reproduire une œuvre, en l’occurrence une œuvre littéraire, sous une forme matérielle quelconque. L’article 27 de la Loi sur le droit d’auteur prévoit que l’accomplissement, sans le consentement du titulaire du droit, d’un acte réservé à ce dernier, notamment l’offre en vente, la vente ou la mise en circulation d’exemplaires, de manière à lui porter préjudice, constitue une violation du droit d’auteur. Il énonce aussi que la personne qui a accompli l’acte reproché savait ou aurait dû savoir que la production de l’exemplaire constituait une violation ou en aurait constitué une s’il avait été produit au Canada par la personne qui l’a produit. Toutefois, si les exemplaires ont été importés, la connaissance n’est pas pertinente. En cas de violation d’un droit d’auteur, le titulaire de ce droit peut obtenir en réparation une injonction, des dommages‑intérêts, la restitution des bénéfices en equity et la remise des exemplaires. Des règles particulières s’appliquent également à l’égard des injonctions et des dommages‑intérêts.

 

[9]               L’enregistrement d’une marque de commerce, à moins d’être déclaré invalide, donne au propriétaire le droit exclusif de l’employer partout au Canada à l’égard des marchandises ou services spécifiés, en faisant en sorte de les distinguer des marchandises ou services d’autres propriétaires. L'article 7 de la Loi sur les marques de commerce interdit que l’on puisse faire passer d’autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés. La vente, la distribution ou l’annonce de marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce créant de la confusion est réputée constituer une violation. En outre, nul ne peut utiliser une marque de commerce enregistrée par quelqu’un autre d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de l’achalandage attaché à celle‑ci. Cette loi reconnaît la réparation en equity par voie d’injonction, à l’instar de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.

 

ACTIVITÉS COMMERCIALES DE MICROSOFT ET SES PRATIQUES EN MATIÈRE DE LICENCE

[10]           Microsoft Inc. est un développeur et un fournisseur de programmes informatiques – systèmes et applications qui permettent à un ordinateur d’exécuter les fonctions désirées – de Redmond, dans l’État de Washington. Le nom de Microsoft a probablement fait sa marque comme aucun autre ne l’a fait. Ses programmes informatiques se définissent comme des « œuvres littéraires » au sens de la Loi sur le droit d’auteur, même s’ils ne sont pas normalement reproduits ou conservés sous forme imprimée. La façon de conserver les programmes hors de l’ordinateur a sans cesse évolué, allant des cartes à perforer aux puces de silicium, aux CD puis aux DVD, et elle continuera sans aucun doute à évoluer. Bien que maintenant presque assimilée à une question de l’histoire ancienne dans le monde en constante évolution qu’est celui de l’informatique, la décision Apple Computer Inc. et al. c. Mackintosh Computers Ltd. et al. (1986), 10 C.P.R. (3d) 1, confirmée à (1987), 18 C.P.R. (3d) 129 (CAF), puis à [1990] 2 R.C.S. 209, vu l’excellente analyse de la juge Reed, fournit des renseignements généraux judicieux.

 

Processus de fabrication

[11]           À l’époque pertinente, Microsoft ne fabriquait presque pas de disques compacts à mémoire morte (CD-ROM) préenregistrés de ses programmes informatiques. Elle faisait appel à des fabricants externes et utilisait diverses méthodes pour leur transmettre les copies des programmes, les illustrations et le texte à imprimer sur les CD, les jaquettes avant et arrière des étuis ou boîtiers dans lesquels les CD sont normalement conservés, les manuels d’instructions, les certificats d’authenticité et autre matériel du genre.

 

[12]           La plupart de ces renseignements sont soigneusement gardés et ont fait l’objet d’une ordonnance de confidentialité qui a été prononcée au début de l’instance par le protonotaire Giles et modifiée par la suite par le protonotaire Lafrenière. Il serait inapproprié d’exposer la preuve de Microsoft dans le détail parce qu’elle n’a pas été contestée et qu’il ne faudrait pas donner aux faussaires des renseignements leur permettant d’améliorer leur produit.

 

[13]           Néanmoins, certains renseignements sont accessibles au public. C’est ce qui ressort non seulement du témoignage des personnes appelées à témoigner par Microsoft, mais aussi de celui des deux défendeurs poursuivis personnellement. L’un des éléments à rechercher est le code d’identification de la source (code SID) que l’on peut voir facilement sur les CD. Microsoft participe à un programme soutenu par la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI), en collaboration avec Philips Electronics, aux Pays‑Bas. Les installations de production et les moules utilisés pour produire les « matrices » qui renferment le contenu numérique d’un disque se voient chacun attribuer un code d’identification. Pour les fabricants de disques optiques et leurs clients comme Microsoft, il s’agit d’un moyen d’identifier tous les disques gravés ou reproduits dans une usine en particulier, ainsi que chacun des enregistreurs à rayon laser et chacun des moules utilisés pour produire un disque donné. Ces codes permettent d'ajouter d'autres marqueurs. C'est ce que Microsoft a fait pour connaître les moindres détails de la provenance de chaque CD dont elle a autorisé la production.

 

[14]           Microsoft diffuse également certains indices d’authenticité sur son site Web et sur ses produits. Ainsi, le certificat d’authenticité qui accompagne Microsoft Windows 95 identifie certains éléments à rechercher sur le certificat lui‑même. Le manuel invite l’utilisateur qui croit que le produit est contrefait à communiquer avec Microsoft à une adresse de courriel particulière. Sur la jaquette arrière du boîtier du CD‑ROM de Microsoft Office 2000 Professional, il est expliqué que l’authenticité du disque peut se vérifier par la présence d’une image holographique.

 

Processus de distribution

[15]           Dans le cadre de la présente affaire, Microsoft a fait appel à deux chaînes de distribution principales pour acheminer ses programmes aux utilisateurs finaux. D’une part, il y a le marché des fabricants de matériel informatique d’origine (OEM) et, d’autre part, il y a le marché des commerces de détail. La concession d’une licence est impérative dans les deux cas.

 

[16]           La chaîne de distribution OEM comporte à son tour deux volets : les fabricants OEM qui paient une redevance et les « constructeurs de système ». La présente affaire n’intéresse pas les fabricants OEM qui paient une redevance. Il s’agit de grandes sociétés ayant conclu séparément des contrats avec Microsoft ou ses duplicateurs. Des noms bien connus tels que Compaq, Dell, Hewlett‑Packard et IBM ont été donnés en exemples. Toutefois, il y a aussi des petits fabricants ou des assembleurs, appelés « constructeurs de système », qui ne sont peut‑être pas plus grands que le magasin du coin. Ils assemblent et vendent des clones qui nécessitent des logiciels.

 

[17]           Les produits OEM qui se sont révélés contrefaits auraient dû faire l’objet de deux contrats de licence distincts; le premier entre Microsoft et le constructeur de système et le second entre le constructeur de système et l’utilisateur final. Il est prévu au premier contrat que les articles doivent toujours être vendus avec un ordinateur et jamais séparément. Il faut mentionner, cependant, que ce premier contrat intervient entre Microsoft Licensing Inc., une société du Nevada, et le constructeur de système. On peut présumer qu'il existe une entente interne entre la demanderesse Microsoft Corporation et Microsoft Licensing Inc. Toutefois, cette entente n’a pas été produite devant la Cour et Microsoft Licensing Inc. n’est pas désignée comme partie demanderesse. Quoi qu’il en soit, en vertu du contrat, le constructeur de système se voit accorder le droit de distribuer une unité complète des articles inclus dans le produit préparé pour la distribution. Le produit du constructeur de système en l’espèce renferme trois unités emballées sous pellicule rétractable, dans lesquelles on trouve des articles tels que le CD, le manuel d’instructions, un certificat d’authenticité et un contrat de licence entre le constructeur de système et l’utilisateur final.

 

[18]           Il n’est pas difficile de comprendre comment les composantes individuelles du produit du constructeur de système peuvent aboutir sur le marché. Ainsi, un petit constructeur de système pourrait avoir un contrat de dix ordinateurs à assembler pour un client. Ce client peut avoir besoin d’un seul CD et d’un seul manuel d’instructions. Le constructeur de système peut être tenté de vendre les exemplaires restants à quelqu’un d’autre. Par ailleurs, dans la plupart des cas en l’espèce, il ne s’agit pas de CD, de manuels d'instructions et de matériel accessoire authentiques.

 

[19]           Le marché de détail est assez différent. Les produits de vente au détail saisis à Inter-Plus par la police étaient également contrefaits – suivant le sens déjà donné à ce terme. Les produits Microsoft offerts peuvent être vus dans les annonces placées par les détaillants dans les journaux quotidiens. On achète une boîte en carton recouverte de cellophane sur laquelle apparaissent diverses marques de commerce de Microsoft. À l’intérieur, on trouve un CD dans son boîtier de rangement, un manuel d’instructions et du matériel accessoire. Bien que l’utilisateur final ait acheté le CD, il n’a apparemment pas acheté le ou les programmes informatiques gravés sur celui‑ci. L’installation du programme dans l’ordinateur et la saisie des détails de l’autorisation faisant en sorte que le programme fonctionne constituent, au dire de Microsoft, une entente de licence entre elle et l’utilisateur final.

 

[20]           Bien que je ne sois pas vraiment disposé à discuter des produits authentiques sans licence, Microsoft reconnaît que, outre le dégroupement non autorisé du produit OEM, il se peut que le produit authentique fabriqué par un duplicateur agréé [traduction] « aboutisse sur le marché clandestinement ». Un duplicateur se voit accorder une licence en vue de la production d’un certain nombre de CD‑ROM. La surproduction est possible. De l'avis de Microsoft, elle ne serait pas autorisée ni couverte par une licence. Toutefois, tel qu’il a été déjà dit, ce n'est pas le sujet de discussion en l'espèce.

 

PRATIQUES COMMERCIALES DES DÉFENDERESSES

[21]           Carmelo Cerrelli est le maître du jeu et « Inter-Plus » est le nom du jeu. Je dis cela en toute connaissance de cause. Les deux sociétés à numéro défenderesses ont fait des affaires sous ce nom et, plus récemment, d’autres sociétés apparentées qui ne sont pas parties défenderesses l’ont fait également. De plus, le nom « Inter‑Plus Inc. » a aussi été utilisé quoique rien ne prouve que cette société existe ou ait déjà existé. 9014‑5731 Québec Inc. a été radiée du registre des entreprises du Québec en 1999 parce qu’elle n’avait pas produit de déclarations annuelles. Il a été soutenu qu’elle aurait pu reprendre ses activités mais qu’elle ne l’a pas encore fait. Cela dit, on n’a pas tenté de faire rejeter l’action contre elle au motif qu’elle n’est pas une entité. Compte tenu de l’enchevêtrement des deux sociétés à numéro défenderesses, du fait qu’elles ont été dirigées toutes les deux par Carmelo Cerrelli, qu’elles ont utilisé le même nom et qu’elles ont été exploitées au même endroit et de l’existence d’une preuve de transfert des actifs dans des arrangements continus concernant la détention des actions, pour les besoins de la présente affaire, je vais considérer 9038‑3746 Québec Inc. et 9014‑5731 Québec Inc. comme une seule société.

 

[22]           Au moment où 9038-3746 Québec Inc. a été constituée en personne morale en 1996, Maria Pellizzi Cerrelli semblait en être la seule actionnaire et administratrice. Toutefois, il est devenu évident au cours de l’instance qu’elle avait seulement prêté son nom à ses deux fils, Carmelo et Adam, afin d’éviter de possibles problèmes de crédit. En réalité, la société reflétait un partenariat entre Carmelo, Adam et un autre associé qui a quitté la société en 1998 et qui est décédé par la suite. Ce dernier n’a jamais été visé dans l’action qui a maintenant été abandonnée à l’endroit de Maria.

 

[23]           Adam Cerrelli a quitté Inter‑Plus peu de temps après et il a déménagé dans la région de Toronto où il a fondé une société appelée Magnasoft Distributors Inc., dont Carmelo était également administrateur. En août 1999, Magnasoft et Adam Cerrelli ont plaidé coupables à des accusations criminelles d’avoir sciemment vendu des exemplaires contrefaits des œuvres de Microsoft à l’égard desquelles ils n’avaient aucun droit d’auteur. Microsoft ne cherche plus à obtenir d’Adam le recouvrement de dommages‑intérêts ou des dépens mais, par contre, il a été convenu que, si une injonction était prononcée à l’endroit de Carmello personnellement, elle devrait également l’être à l’endroit d’Adam. Carmelo a témoigné au procès. Adam n’a pas témoigné mais une partie de son interrogatoire préalable a été versée au dossier. Désormais, lorsque je parlerai de M. Carrelli sans autres précisions, il sera question de Carmelo Cerrelli.

 

[24]           Inter-Plus fait le commerce des produits OEM et de vente au détail de Microsoft, ainsi que des produits d’autres sociétés de génie logiciel. Ces produits ont été en grande partie importés des États‑Unis. Elle n’a pas acheté de produits de distributeurs agréés de Microsoft, mais plutôt de distributeurs qui ne donnaient pas d’indications sur la provenance du produit et qui lui « assuraient » néanmoins que le produit acheté était authentique. Abstraction faite des questions de droit d’auteur et de licence, il est tout à fait légal d’acheter un produit authentique sur le « marché gris » (Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc. (2004), 33 C.P.R. (4th) 246 (1re inst.), modifié à (2005), 47 C.P.R. (4th) 113 (C.A.F.), autorisation de pourvoi à la Cour suprême accordée, [2006] C.S.C.R. no 47).

 

[25]           Inter-Plus obtenait ses produits de diverses façons, la plupart du temps hors du circuit commercial envisagé par Microsoft. Elle achetait les articles séparément du matériel. Par exemple, elle achetait des CD‑ROM en pile ou en pochette, sans boîtier de rangement, jaquette avant, jaquette arrière, manuel d’instructions, certificat d’authenticité, et ainsi de suite. Ces derniers étaient également à leur tour achetés séparément. Inter‑Plus rassemblait les articles dans un emballage, les recouvrait d’une pellicule rétractable et les vendait. Par ailleurs, elle achetait aussi des produits de vente au détail dans des boîtes avec tout le contenu.

 

[26]           Les clients d’Inter-Plus étaient apparemment des constructeurs de système et des magasins de détail. Bien qu’aucune liste de clients n’ait été produite malgré une ordonnance de la Cour, je suis convaincu qu’Inter‑Plus ne vendait pas à des utilisateurs finaux, même si une société apparentée le faisait. Elle achetait et vendait les CD et les autres marchandises en question mais elle ne les fabriquait pas.

 

[27]           Comme Inter-Plus n’était ni un constructeur de système ni un utilisateur final d'aucun des articles, mais simplement un intermédiaire, dans le cadre de la présente affaire, elle n’était pas engagée dans une relation contractuelle directe avec Microsoft.

 

CHRONOLOGIE DES ÉVÉNEMENTS

[28]           Microsoft surveille évidemment le marché de près, c’est pourquoi ses avocats n’ont pas tardé à aviser Inter‑Plus. En mars 1997, ils lui ont écrit pour l’informer que Microsoft avait reçu des rapports selon lesquels Inter‑Plus distribuait des versions OEM des produits logiciels de Microsoft séparément du matériel. Ils poursuivaient en disant que Microsoft accordait aux fabricants OEM des licences qui les autorisaient à distribuer des systèmes d’exploitation et d’autres logiciels Microsoft avec des ordinateurs personnels ou des composantes matérielles. Les licences interdisaient aux fabricants OEM de distribuer les logiciels seuls et exigeaient que cette condition soit respectée dans toute la chaîne de distribution. Ils ont ajouté que Microsoft était d’avis que la distribution des logiciels séparément du matériel était contraire à la loi canadienne sur le droit d’auteur. Finalement, ils concluaient en disant que, selon une étude de marché, dont copie n’a pas été fournie, le tiers des produits OEM Microsoft distribués séparément du matériel au Canada étaient contrefaits.

 

[29]           Cette lettre a été suivie en janvier et mai 1998 d’autres lettres dans lesquelles les avocats affirmaient que Microsoft avait reçu des rapports selon lesquels Inter‑Plus distribuait des versions OEM contrefaites de Microsoft Windows 1995.

 

[30]           Inter-Plus a montré ces lettres à ses avocats. En décembre 1998, l’un des avocats, sans identifier son client, a envoyé à Microsoft deux produits de vente au détail Microsoft pour les faire analyser. Microsoft a répondu que les produits étaient contrefaits. Aucun détail n’a été donné ni demandé. La note de Microsoft disant que les produits étaient contrefaits faisait partie du matériel saisi par la GRC.

 

[31]           Carmelo Cerrelli voudrait que la Cour croie que les deux produits en question avaient été achetés de distributeurs agréés Microsoft. Je n’en crois rien. Non seulement il n’y a aucun élément de preuve, tel que des factures, corroborant son affirmation, mais aussi M. Carrelli, tel il sera exposé plus loin dans les présents motifs, s’est montré menteur et irrespectueux des lois à maintes et maintes occasions.

 

[32]           En novembre 1999, la GRC a exécuté un mandat de perquisition dans les locaux d’Inter‑Plus et y a saisi divers CD‑ROM et autres articles. Ce mandat a été suivi d’un autre mandat exécuté par le service de police de la Communauté urbaine de Montréal en mars 2000. La police a également saisi des CD‑ROM et d’autres articles. Dans les deux cas, le procureur du ministère public a refusé de porter des accusations criminelles.

 

[33]           L’article 42 de la Loi sur le droit d’auteur crée une infraction criminelle à l’endroit de quiconque sciemment importe, vend, met en circulation ou expose commercialement un exemplaire contrefait d’une œuvre protégée par un droit d’auteur. La décision du procureur du ministère public n’est pas pertinente dans la présente affaire qui est assujettie à la norme de preuve applicable en matière civile, à savoir la prépondérance des probabilités, plutôt qu’à la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable qui s’applique en matière criminelle. Les diverses procédures intentées contre O.J. Simpson aux États-Unis ont clairement fait comprendre ce point.

 

[34]           En août 2000, Microsoft a intenté la présente action dont les actes de procédure ont été modifiés deux fois. Elle a rapidement obtenu une ordonnance du juge MacKay pour la garde du matériel saisi par la GRC qui aurait autrement été retourné à Inter‑Plus. La Cour a confié la garde du matériel à KPMG. Toutefois, Microsoft n’a pas réussi à obtenir une ordonnance de garde à l’égard des articles saisis par la police de Montréal avant qu’ils ne soient retournés à Inter‑Plus. Microsoft a néanmoins obtenu une ordonnance d’inspection et de conservation dans l’attente de l’issue du procès. Par ailleurs, les avocats d’Inter‑Plus de l’époque ont affirmé que les articles avaient été vendus, tandis que Carmelo Cerrelli a déclaré dans un affidavit subséquent qu’il les avait jetés aux ordures. Quoi qu’il en soit, les articles saisis par la GRC ont été produits en preuve au procès et ceux saisis par la police de Montréal, à peut‑être une exception près, ne l’ont pas été.

 

 

Les articles saisis par la GRC étaient‑ils contrefaits?

[35]           Les articles saisis par la GRC ont été remis à la Cour par un représentant de KPMG. Comme ce n’est pas à lui que la GRC avait remis les articles initialement, des questions concernant la continuité de la possession ont été soulevées. Toutefois, il est devenu évident que, si cela était nécessaire, Microsoft était disposée à faire comparaître chacune des personnes qui avaient eu un rôle à jouer dans l’affaire au cours des six dernières années à KPMG. Il a été convenu que la preuve pouvait être présentée par affidavit et Inter‑Plus a renoncé à son droit de contre‑interroger. J’ai la conviction que les articles produits en preuve étaient bel et bien les articles saisis par la GRC dans les bureaux d’Inter-Plus en décembre 1999 et ceux examinés par l’expert de Microsoft, M. Robert Freedman, dans les bureaux de KPMG avant la tenue du procès.

 

[36]           M. Freedman possède des compétences professionnelles très impressionnantes. Il a travaillé pendant environ 25 ans dans le domaine des logiciels. Il est actuellement premier vice‑président aux opérations techniques de la division de production des disques optiques à National Film Laboratories Inc., à Los Angeles. Son entreprise, qui fait affaire sous l’appellation de Crest International, offre des services complets de production de disques préenregistrés, y compris tous les types de CD et de DVD. Elle s’occupe du matriçage, de la reproduction et de l’impression des CD et des DVD pour un certain nombre de fournisseurs de contenu différents dont des sociétés de l’industrie de la musique et Microsoft.

 

[37]           Il est membre fondateur du groupe de travail sur la protection contre le piratage de l’International Recording Media Association (IRMA) qui est appuyé par diverses associations sectorielles dont l’IFPI, dont il a été question précédemment, la Recording Industry Association of America et la Motion Picture Association. Le Service des douanes américaines et la police de Los Angeles ont déjà fait appel à ses services.

 

[38]           La Cour reconnaît à M. Freedman la qualité d’expert pour l’aider à déterminer l’authenticité des CD‑ROM et du matériel accessoire. M. Freedman possède des connaissances encyclopédiques concernant les CD, il sait comment ils sont fabriqués et comment ils fonctionnent. L’étendue de son savoir dépasse largement les processus de matriçage et de reproduction et englobe également l’impression et le conditionnement.

 

[39]           En résumé, que ce soit un CD-ROM qui contient un programme informatique de Microsoft ou de la musique préenregistrée ou un DVD qui peut contenir un long métrage, pour le faire fonctionner, il faut l’insérer dans un lecteur pourvu d’un laser optique qui lit les creux et les méplats créés au cours du processus de fabrication et convertit ces données en contenu numérique lisible par un ordinateur.

 

[40]           M. Freedman a déterminé que 394 des 397 CD-ROM qu’il a examinés étaient contrefaits et que les jaquettes avant et arrière identifiées dans son rapport étaient également contrefaites. Il a tenu compte de nombreux facteurs. Compte tenu de la nature confidentielle de son témoignage et du fait que ce témoignage n’a pas été contesté, il n’est pas nécessaire d’exposer cette preuve en détail. Il a tenu compte des codes SID, des illustrations, des caractéristiques des moules et du contenu des CD‑ROM.

 

[41]           Les CD qui comportaient des numéros IFPI ont permis de savoir qu’ils provenaient de trois usines différentes situées dans trois continents différents. M. Freedman a visité chacune de ces usines, comparé les matrices à ce que lui avait fourni Microsoft, examiné l’équipement et conclu que ces disques n’avaient pas été fabriqués par ces trois duplicateurs agréés Microsoft, aux endroits et avec l’équipement identifiés par les numéros IFPI apparaissant sur les disques. Il a affirmé que, même si un profane, sans être au courant des renseignements dont il disposait, ne pouvait réussir à identifier la provenance des disques avec le même degré de précision, il est bien connu dans l’industrie que l’absence de certains numéros IFPI suffit à soulever le doute. Il est possible d'obtenir facilement ces renseignements sur le site Web de l'IFPI et d'autres sites Internet.

 

[42]           Il a démontré à la Cour, en utilisant du matériel auquel le grand public ou même les marchands au détail ne peuvent avoir accès, en quoi les impressions et les illustrations figurant sur les CD et le matériel imprimé étaient contrefaites.

 

[43]           Les défendeurs n’ont pas tenté de contester l’opinion de M. Freedman. Ils ont plutôt laissé entendre qu’un inconnu, non au courant des secrets de Microsoft, ne serait pas en mesure de distinguer le faux du vrai. Même si cette position pouvait avoir un certain mérite si les faux étaient meilleurs, il n’est pas nécessaire d’être au courant des secrets de Microsoft pour comprendre ce que signifient l’absence des numéros IFPI sur les CD ou des numéros IFPI incomplets. De plus, une comparaison du produit authentique et du produit contrefait à l'œil nu, ou peut‑être avec un léger grossissement, montrait que l’impression et l’illustration figurant sur l’article authentique étaient beaucoup plus nettes et professionnelles que celles de l’article contrefait. Par ailleurs, les CD que M. Freedman a installés au hasard sur un ordinateur fonctionnaient tous. Les clés d’accès fonctionnaient également. Si le numéro de la clé avait été initialement délivré par Microsoft, il pouvait à l’époque être utilisé sur un nombre illimité d’ordinateurs, un problème qui n’existe plus maintenant.

 

[44]           Les employés de Microsoft appelés à témoigner au procès ou interrogés au préalable ont reconnu que, même s’ils avaient réussi à déceler le matériel contrefait, ils ne croyaient pas que cela aurait été possible sans les connaissances particulières qu’ils avaient, du moins lorsque tous les numéros IFPI apparaissaient sur le CD.

 

[45]           Le caporal Lamontagne de la GRC a participé à l’exécution du mandat de perquisition. Même s’il faisait partie du groupe chargé de l’application du droit d’auteur depuis deux ans et même s’il avait bénéficié d’une formation en cours d’emploi et participé à des ateliers de perfectionnement, il n'était pas en mesure et n’a pas essayé non plus d’établir si les CD étaient contrefaits ou non. Il a choisi au hasard environ 20 disques qu’il a marqués et envoyés à Microsoft pour analyse. Microsoft les a retournés avec une note de son employée Michelle Boyes dans laquelle elle expliquait en quoi les articles étaient contrefaits. Tout ce qu’il pouvait dire c’est que le procureur du ministère public n’avait pas déposé d’accusations. Il n’était pas au courant des discussions sous‑jacentes.

 

Les articles saisis par la police de Montréal étaient‑ils contrefaits?

[46]           Le 1er mars 2000, la police de Montréal a saisi d’autres marchandises dans les locaux d’Inter‑Plus, en vertu d’un nouveau mandat de perquisition. Les articles saisis comprenaient huit unités sous emballage de Microsoft Office 97 Professional Edition, 168 unités de Microsoft Office 2000 Professional (avec les CD-ROM dans leur boîtier), 595 unités de Microsoft Windows 98, Second Edition (version OEM), des piles de CD-ROM, des paquets de licences, des licences d’accès client, des jaquettes avant, des jaquettes arrière, des feuilles d’étiquettes de clé de CD, des feuilles d’étiquettes de clé de produit et des contrats de licence d’utilisateur final, ainsi que d’autre matériel. Ces articles sont demeurés entre les mains de la police jusqu’au 22 avril 2003, date à laquelle ils ont été retournés à Inter-Plus. Entre‑temps, ils ont été examinés par Michelle Boyes, technicienne juridique à Microsoft Canada, qui a reçu une formation dans le cadre de son programme antipiratage. Elle était d’avis que certains des articles saisis étaient contrefaits, que d’autres ne l’étaient pas et que d'autres étaient douteux.

 

[47]           Avant avril 2003, en fait en 2002, Microsoft avait fait signifier aux défendeurs un affidavit souscrit par Mme Boyes. Elle avait également fait signifier un affidavit souscrit par M. Freedman relativement à la saisie effectuée par la GRC.

 

[48]           Les avocats de Microsoft savaient que le procureur du ministère public ne déposerait pas d’accusations à l’égard des articles saisis par la police de Montréal et que ces articles devaient être retournés à Inter‑Plus. Ils ont exhorté les avocats d’Inter‑Plus à conclure une entente de garde, faute de quoi ils demanderaient une ordonnance judiciaire appropriée. Ils ont mentionné plus particulièrement qu’ils voulaient que leur expert examine les articles. Pour une raison quelconque, dont il sera discuté plus loin, Inter‑Plus n’a jamais fait en sorte que les articles saisis soient disponibles pour un autre examen.

 

[49]           Par conséquent, Microsoft a appelé Mme Boyes à comparaître comme témoin des faits et comme témoin expert. Inter-Plus s’est opposée à ce que la qualité d'expert lui soit reconnue et a fait valoir que, en tout état de cause, elle était en conflit d’intérêts parce qu’elle était une employée de Microsoft.

 

[50]           Sur ce dernier point, il est bien établi que le fait d’être employé par une partie au litige n’empêche pas automatiquement une personne qui a par ailleurs qualité d’offrir à la Cour une opinion d’expert. Le risque de conflit d’intérêts se rattache à l’importance qui devrait être accordée à ce témoignage, une fois tout bien considéré. Dans la présente affaire, le manque de respect flagrant d’Inter‑Plus à l’égard des ordonnances de la Cour a privé cette dernière de l’expertise de M. Freedman. Mme Boyes n’a pas l’expérience ni les vastes connaissances de M. Freedman et elle n’a été formée qu’à l’égard des produits Microsoft, alors que M. Freedman a pu, par exemple, témoigner sur le piratage des CD de musique, mais elle est la seule personne compétente à avoir examiné les articles saisis. Elle avait déjà donné une opinion à un tribunal du Nouveau‑Brunswick. Je lui ai reconnu la qualité d’expert. Je ne me suis pas trompé. Elle a beaucoup aidé la Cour et, dans la mesure du possible, elle abordait le problème de la même manière que M. Freedman l’avait fait. Elle était au courant des renseignements secrets. Je suis d’avis que les articles qu’elle a déclarés contrefaits – suivant le sens déjà donné à ce terme – étaient bel et bien contrefaits et que les articles qu’elle a déclarés non contrefaits n’étaient pas contrefaits. En ce qui a trait aux articles qu’elle a décrits comme douteux, leur disparition après qu’ils eurent été retournés à Inter‑Plus signifiait qu’une inspection subséquente des usines de fabrication aurait été sans importance.

 

[51]           Elle a fait remarquer que certains CD-ROM n’avaient pas les numéros IFPI requis, qu’il y avait des erreurs dans les illustrations, que la qualité de l’impression était inférieure à la norme, notamment les couleurs de la quadrichromie étaient absentes et la taille des petits caractères était inexacte. Il convient de noter que, tel qu'il a été dit précédemment, à son avis, les articles saisis n’étaient pas tous contrefaits.

 

[52]           Francesco Secondi, l’agent chargé de la saisie réalisée par la police de Montréal, a également été appelé à témoigner. En 2000, il était enquêteur à l’escouade des fraudes qui s’occupait à ce moment‑là des questions liées à l’informatique. Il est actuellement responsable de la division des crimes informatiques. Au cours de la saisie, il a négocié avec Carmelo Cerrelli qui s’est montré très coopératif. Ainsi, le mandat de perquisition ne visait pas tous les locaux d’Inter‑Plus, mais la police a néanmoins été autorisée à accéder à tous les locaux. La pièce qui a particulièrement attiré son attention comportait un rayonnage de logiciels Microsoft et d'autres logiciels, une machine avec du film rétractable, divers livrets de Microsoft, des CD en pile de 100, des CD en pochette et des contrats de licence. Un avis affiché indiquait qu’il fallait prendre soin de ne pas réutiliser le même numéro de clé. Il estimait que cet aménagement, y compris l’avis affiché, était très suspect. Il n’a pas saisi l’avis, mais il l'a photographié et il a aussi pris des clichés de l'aménagement dans son ensemble.

 

[53]           Il croyait que des accusations de fraude seraient déposées. Toutefois, il a ultérieurement été informé que, comme la Loi sur le droit d’auteur elle‑même régissait certains aspects criminels, son application, contrairement au Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, relevait de façon générale des autorités fédérales plutôt que des autorités provinciales. Finalement, il a été informé par le procureur du ministère public qu’aucune accusation ne serait portée et que les articles saisis devaient être retournés à Inter-Plus, à la demande de cette dernière. Les articles saisis ont été remis à un représentant d’Inter‑Plus le 22 avril 2003.

 

[54]           Malheureusement, le dossier que M. Secondi avait avec lui au procès était incomplet. Le dossier avait été prêté à la GRC au tout début et il n’a été retourné que quelques jours avant le procès. Il manquait certains documents, y compris les photos. Néanmoins, je suis convaincu, suivant la prépondérance des probabilités, qu’une mise en garde contre la duplication des numéros de clé avait été affichée sur les lieux. Carmelo Cerrelli a plus tard été appelé à la barre des témoins, mais aucune question ne lui a été posée à ce sujet. Même s’il a été allégué que M. Secondi avait un préjugé contre M. Carrelli parce que Microsoft l’avait peut‑être amené à croire que le commerce de marchandises sans licence dans un marché gris était criminel en soi, je ne trouve aucun fondement à cet argument. En fait, au cours de l’interrogatoire principal, M. Secondi a lui‑même affirmé que M. Carrelli s’était montré très coopératif.

 

Qu’est-il advenu des articles saisis par la police de Montréal?

[55]           Nous sommes maintenant rendus à l’étape où j’ai conclu que tous les articles saisis par la GRC qui ont été déclarés contrefaits par M. Freedman et tous les articles saisis par la police de Montréal qui ont été déclarés contrefaits par Mme Boyes étaient, suivant la prépondérance des probabilités, contrefaits. Il s’ensuit que les programmes informatiques gravés sur les CD n’étaient pas autorisés par Microsoft. Les articles saisis par la GRC ont été produits en preuve devant la Cour et seront ultérieurement remis à Microsoft, mais on ne sait pas trop de quelle façon il a en fin de compte été disposé des articles saisis par la police de Montréal. Peu importe ce qui en est advenu, Carmelo Carrelli et Inter‑Plus sont empêtrés dans un tissu de mensonges qui démontre amplement un profond manque de respect à l’égard des moyens de contrainte de la Cour.

 

[56]           Le 4 juin 2003, l’avocat d’Inter-Plus a écrit aux avocats de Microsoft pour leur dire que [traduction] « les produits retournés à nos clients par le service de police de la Communauté urbaine de Montréal ont été vendus ». Il a ajouté que, même si Microsoft était fondée à présenter une requête en inspection, la question était maintenant théorique.

 

[57]           Sans se décourager, Microsoft a continué ses démarches. Le 16 juin 2003, le protonotaire Lafrenière a ordonné que, dans la mesure où les articles en question étaient encore en la possession, sous l’autorité ou sous la garde des défendeurs, les avocats de Microsoft et M. Freedman se voyaient accorder l’accès aux locaux d’Inter‑Plus pour procéder librement à leur inspection. Si les articles en question n’étaient plus en leur possession, sous leur autorité ou sous leur garde, les défendeurs se devaient immédiatement de faire signifier un affidavit exposant les détails de la vente ou de toute autre opération de disposition.

 

[58]           Cette ordonnance a été maintenue en appel par la juge Snider le 7 juillet 2003.

 

[59]           Par suite de cette ordonnance, Carmelo Cerrelli a souscrit, en date du 10  juillet 2003, un affidavit qui contredisait la lettre envoyée par ses avocats un mois auparavant. M. Cerrelli déclarait :

                        [traduction]

1. Les articles saisis par le service de police de Montréal ne sont plus en ma possession.

 

2. J’en ai disposé en les jetant tous aux ordures peu de temps après le 22 avril et avant le 1er mai 2003.

 

[60]           Il savait que Mme Boyes était d’avis que les articles retournés n’étaient pas tous contrefaits mais, apparemment, récupérer les articles authentiques posait trop de problèmes.

 

[61]           Toutefois, à l’interrogatoire préalable de M. Carrelli en 2005, sa version des faits avait changée et, d’ailleurs, elle semble avoir changé encore une fois au procès. Il a déclaré dans son témoignage que lorsqu’il employait la première personne du singulier (en anglais « I ») dans son affidavit, il sous-entendait le pluriel de majesté (« WE »). Ce n’est pas M. Carrelli qui s’occupe des ordures. Il avait voulu dire qu’il avait chargé un employé de l’entrepôt, qu’il n’a pas identifié avec précision sauf en disant que celui‑ci avait quitté son emploi à Inter‑Plus peu de temps après, de mettre les articles au rebut. Ce n’est que quelque temps plus tard, pendant une visite à l’entrepôt, qu’il s’est rendu compte que ses instructions n’avaient pas été suivies et qu’il a alors demandé à un nouvel employé, Patrick Mitchell, de le faire.

 

[62]           M. Mitchell, dont le témoignage est corroboré par un contrat de travail, a déclaré avoir commencé à travailler à Inter‑Plus le 18 juin 2003. Si M. Carelli avait l’intention de dire la vérité, les instructions qu’il a données à M. Mitchell doivent l’avoir été après qu’il eut signé l’affidavit daté du 10 juillet 2003. À ce moment‑là, Inter‑Plus était déjà visée par l’ordonnance de la Cour lui enjoignant de permettre l'inspection des articles, si bien que les instructions données à M. Mitchell allaient carrément à l'encontre de cette ordonnance.

 

[63]           M. Mitchell a témoigné que lui et un autre employé du service de l’expédition avaient pris les 20 ou 25 boîtes en question et les avaient jetées dans un conteneur à déchets situé à l’arrière de l’immeuble. Les couvercles de certaines boîtes étaient ouverts et M. Mitchell pouvait voir divers produits informatiques portant la marque Microsoft. Il est retourné subrepticement au conteneur plus tard pour y prendre quatre ou cinq boîtes.

 

[64]           Il se peut bien que M. Mitchell se soit unilatéralement approprié certains des articles qu’on lui avait demandé de mettre au rebut et qu’il ait jeté le reste. Il est également possible que M. Cerrelli ait lui‑même visité le conteneur. Cependant, peu importe comment cette situation est analysée, les articles n’avaient pas été détruits lorsque l’avocat a affirmé qu’ils l’avaient été et, à la connaissance de M. Cerrelli, ils étaient disponibles pour inspection à la suite de l’ordonnance rendue par le protonotaire Lafrenière. Il a témoigné que ses avocats le tenaient bien au courant des événements à mesure qu’ils se produisaient soit en lui fournissant une copie des lettres et ordonnances ou en l’informant de leur contenu. S’il a plus tard détruit ou vendu les articles, cela allait manifestement à l'encontre d'une ordonnance de la Cour.

 

Opération d’achat surveillé Mitchell

[65]           En octobre 2003, un enquêteur privé dont les services avaient été retenus par Microsoft a acheté, dans le cadre de son enquête, Microsoft Windows 98 Second Edition (un produit OEM) de M. Mitchell qui détenait un compte E-Bay. Microsoft n’était pas au courant à ce moment‑là du lien qu’il avait avec Inter‑Plus. L’achat a été déposé en preuve au procès. Même si les défendeurs ont commencé à contester la continuité de la possession, Microsoft a de nouveau établi qu’elle était disposée à faire témoigner chacune des personnes de la firme d'enquêteurs privés qui avaient eu un rôle à jouer dans l'affaire. Les avocats ont convenu sur‑le‑champ d’une entente en vertu laquelle des affidavits ont été déposés. Je suis convaincu que le produit déposé en preuve devant la Cour est le produit qui a été acheté de M. Mitchell et examiné par Mme Boyes avant la tenue du procès. M. Mitchell a admis sans hésitation avoir vendu les articles décrits, mais il est parfaitement compréhensible qu’il n’ait pas été en mesure de dire si les articles produits devant la Cour étaient exactement ceux qu’il avait vendus.

 

[66]           Compte tenu du témoignage de Mme Boyes, je suis d’avis que le CD-ROM est contrefait. Le manuel était le manuel authentique de Windows 98, mais non pas de Windows 98 Second Edition.

 

[67]           Le témoignage de M. Mitchell est fort intéressant parce qu’il a admis sans hésitation avoir été déloyal envers son employeur un certain nombre de fois. Non seulement a‑t‑il essayé de vendre les articles qu’il avait pris dans le conteneur à déchets sur son compte E‑Bay (sans trop de succès), mais aussi s’est‑il emparé de la liste des prix d’Inter‑Plus, mis son propre nom commercial sur celle‑ci, converti les prix en dollars américains et majoré le prix initial. Si le produit demandé n’était pas l’un des articles qu’il avait pris dans le conteneur, il l'achetait d'Inter‑Plus à partir d’un compte interne qui était alors documenté.

 

[68]           Quelques mois plus tard, il a proposé à M. Cerrelli de vendre les produits d’Inter-Plus sur son compte E-Bay. Il en a été ainsi pendant quelques mois, les ventes étant assujetties à la condition que les paiements soient faits à Inter-Plus.

 

[69]           En 2005, il a été congédié parce qu’il avait accepté des pots‑de‑vin d’un fournisseur. Toutefois, il a été immédiatement réengagé avec un nouveau contrat et s'est vu accorder une dernière chance. La grandeur d’âme dont a fait preuve M. Cerrelli est tout à fait remarquable, considérant le fait que la preuve au procès démontrait sa nette propension à poursuivre tout le monde, que ce soit des clients ou d’anciens employés, y compris sa propre sœur.

 

[70]           Comme ce fut le cas pour de nombreux autres événements, M. Cerrelli ne se rappelle pas d’avoir exploité un compte E-Bay avec M. Mitchell, et bien qu'il ait été sommé de produire tous les documents relatifs aux achats et aux ventes réalisés jusqu’en 2005, il ne l’a pas fait. Il jette le blâme sur une employée qui a quitté au milieu de l’année 2003 en emportant un certain nombre de dossiers. Toutefois, les opérations réalisées avec M. Mitchell et à l’égard desquelles ce dernier affirme qu’elles ont été entièrement documentées ont lieu après ce fait. Il a décrit de façon totalement incohérente les boîtes dans lesquelles les articles saisis par la police de Montréal ont été retournés. À l’interrogatoire préalable, il ne se souvenait de rien. Au procès, il a dit qu'il y avait environ sept boîtes vertes et blanches, toutes fermées, sur lesquelles apparaissait le nom d’une entreprise. M. Mitchell se souvenait qu’il y avait plus de vingt boîtes dont certaines étaient ouvertes.

 

[71]           Compte tenu du fait que les deux témoignages ne concordent pas, je préfère accepter celui de M. Mitchell. On lui a demandé de fournir les noms des employés qui occupaient divers postes et il l’a fait sans difficulté. Par ailleurs, M. Cerrelli, à qui il avait été ordonné de fournir ces renseignements, n’a pas réussi à le faire en grande partie. En cas d’égalité, ce qui n’est pas le cas en l’espèce en raison du manque total de crédibilité de M. Carrelli, le témoignage d’une personne qui se souvient de quelque chose positivement devrait normalement être préféré à celui du témoin qui ne se rappelle rien du tout (Lefeunteum c. Beaudoin, [1897] 28 R.C.S. 89).

 

[72]           Dans les circonstances, et compte tenu des mesures de réparation demandées par Microsoft, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de tirer une conclusion définitive quant à savoir ce qui est finalement advenu des articles saisis par la police de Montréal. Microsoft soutient que, abstraction faite des faits, la lettre de juin 2003, dans laquelle les avocats d’Inter‑Plus affirmaient que les articles avaient été vendus, constitue un aveu qui lie les défendeurs. Même s’il est exact de dire que la lettre d’un avocat peut constituer un aveu, dans les circonstances particulières de l'espèce, l’aveu fait ne serait pas un aveu défavorable à l’intérêt, et je ne suis donc pas disposé à le considérer comme tel. J’aurais peut‑être été enclin à le faire si je n’avais pas accepté la preuve de Mme Boyes et si j’avais dû conclure que la disposition des articles, que ce soit par la vente ou autrement, donnait lieu à une inférence défavorable. Il convient de faire remarquer que, au procès, M. Carrelli n’a pas tenté d’affirmer que son avocat avait mal compris ce qu’il lui avait dit. Il a plutôt tenté d’affirmer qu’il pouvait avoir pensé aux articles vendus par M. Mitchell. Compte tenu du fait que la lettre de l’avocat a été écrite en juin 2003 et que M. Carrelli a appris en 2005 seulement que M. Mitchell s'était approprié certains des articles jetés dans le conteneur à déchets, il est évident que M. Carrelli ne se soucie même pas du fait que la Cour sait qu’il ne dit pas la vérité.

 

RESPONSABILITÉ DES DÉFENDEURS – CE QU’ILS SAVAIENT

Les sociétés défenderesses

[73]           Tel que je l’ai mentionné au début, je considère les deux sociétés à numéro comme si elles n’en formaient qu’une seule et je n’ai nullement besoin d’examiner la question de la responsabilité d’Adam Cerrelli à titre personnel. Le cas advenant qu’une injonction soit prononcée contre Carmelo Cerrelli, Adam Cerrelli a consenti à ce qu’elle soit également prononcée contre lui. La responsabilité d’Inter‑Plus et de Carmelo Cerrelli doit être considérée tant sous le régime de la Loi sur le droit d’auteur que sous celui de la Loi sur les marques de commerce.

 

[74]           Je conclus, suivant la prépondérance des probabilités, que les articles contrefaits ont été importés au Canada. Il est plus vraisemblable qu’invraisemblable qu'Inter‑Plus les ait achetés de MBC Enterprises, une société établie au Utah. M. Carrelli a témoigné que MBC était le principal fournisseur de produits Microsoft d’Inter‑Plus. De plus, les seules factures pertinentes produites en preuve étaient celles de MBC, lesquelles avaient été saisies par la GRC.

 

[75]           Je conclus qu’Inter-Plus a importé au Canada les œuvres protégées contrefaites dans le but de les offrir en vente, de les vendre et les mettre en circulation. Aux termes du paragraphe 27(3) de la Loi sur le droit d’auteur, « le fait que l’importateur savait ou aurait dû savoir que l’importation de l’exemplaire constituait une violation n’est pas pertinent ».

 

[76]           En ce qui a trait à l’application de l’alinéa 27(2)b), je suis d'avis que la mise en circulation des exemplaires par Inter‑Plus a porté préjudice à Microsoft. Sauf pour ce qui est de la perte des profits que Microsoft aurait réalisés avec la vente des exemplaires authentiques, le témoignage de Mme Boyes suivant lequel les prix payés par Inter‑Plus pour les produits achetés de MBC étaient anormalement bas n’a pas été contredit. Je conclus que la vente des articles contrefaits à bas prix a porté préjudice à Microsoft dans sa relation avec sa chaîne de fournisseurs légitimes.

 

[77]           À supposer que je fasse erreur en maintenant que les articles contrefaits ont été importés, il est nécessaire de déterminer si Inter‑Plus savait ou aurait dû savoir que les articles étaient contrefaits. Cela vaut également pour Carmelo Carrelli, puisque c’est Inter‑Plus, et non lui, qui était l’importateur. Je suis convaincu, suivant la prépondérance des probabilités, que Carmelo Carrelli et Inter‑Plus savaient ou auraient dû savoir que les articles étaient contrefaits et violaient le droit d’auteur.

 

[78]           Il n’est pas nécessaire de prouver la connaissance réelle. Comme l’a affirmé le juge Spence dans Clark, Irwin & Co. c. C. Cole & Co. Ltd. (1960), O.R. 117 (C.A.), à la page 123 :

[traduction]

Le mot « connaissance » dans la disposition ne peut signifier, à mon avis, rien de plus que la prise de conscience de faits à partir desquels une personne raisonnable conclurait à la contrefaçon du droit d’auteur.

 

Qui plus est, [traduction] « il n’est pas suffisant pour cette personne de fermer les yeux devant des faits qui auraient été évidents si elle avait gardé les yeux ouverts » : Simon & Schuster Inc. c. Coles Book Stores Ltd. (1975), 23 C.P.R. (2d) 43 (H.C. Ont.), à la page 45.

 

[79]           La connaissance peut également être établie lorsque la conduite des défendeurs s’assimile à l’ignorance volontaire. Dans R. c. Laurier Office Mart Inc. (1994), 58 C.P.R. (3d) 403 (C. Ont. (Div. prov.)), décision confirmée à (1995), 63 C.P.R. (3d) 229 (C. Ont. (Div. gén.)), une affaire de violation de droit d’auteur visant un service de photocopie, la Cour provinciale a décrit, à la page 412, l’ignorance volontaire en ces termes :

[traduction]

L’ignorance volontaire survient lorsqu’une personne qui a pris conscience du besoin de se renseigner, refuse de le faire parce qu’elle ne veut pas connaître la vérité et préfère rester dans l’ignorance. En pareil cas, elle a une connaissance réelle et sa croyance en un autre état de choses est sans importance. (Voir R. c. Sansregret, [1985] 1 R.C.S. 570; 58 N.R. 123; 35 Man. R. (2d) 1; 18 C.C.C. (3d) 223.)

 

[80]           La Cour suprême du Canada s’est fait l’écho de cette opinion dans R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55, où le juge Sopinka a affirmé, au paragraphe 102, que « [l]e fait de choisir délibérément d’ignorer une chose lorsqu’on a toutes les raisons de croire qu’un examen approfondi est nécessaire peut satisfaire à l’exigence en matière d’élément moral de l’infraction ». Il faut bien noter qu’il s’agissait d’une affaire criminelle avec une norme de preuve plus exigeante que celle dans la présente affaire.

 

[81]           Nul besoin d’établir une distinction entre ce qu’Inter‑Plus aurait dû savoir et ce que Carmelo Cerrelli aurait dû savoir. Il reconnaît être la tête dirigeante d’Inter-Plus. Même si Adam Cerrelli et le troisième associé avaient également participé aux décisions d’achat au début, en 1999, Carmelo Cerrelli était la seule et unique personne responsable.

 

[82]           La violation en question est une violation à une étape ultérieure en ce sens qu’Inter‑Plus n’a pas elle‑même fabriqué ou copié quoi que ce soit. Le paragraphe 27(2) de la Loi sur le droit d’auteur crée une violation du droit d’auteur à l'endroit d'une personne qui, notamment, vend un exemplaire d’une œuvre alors qu’elle « sait ou devrait savoir que la production de l’exemplaire constitue une violation de ce droit, ou en constituerait une si l’exemplaire avait été produit au Canada par la personne qui l'a produit ».

 

[83]           Je suis convaincu, suivant la prépondérance des probabilités, que Carmelo Cerrelli et Inter‑Plus savaient ou auraient dû savoir que les articles en question violaient le droit d’auteur de Microsoft et les droits afférents à ses marques de commerce.

 

[84]           Les motifs sont notamment les suivants :

a.                   Ils ont accepté l’assurance donnée (aucun document à cet égard n’a été fourni) par leurs fournisseurs sans s’enquérir de la provenance des articles.

b.                  J’accepte le témoignage de Mme Boyes suivant lequel les prix payés par Inter‑Plus pour les articles achetés étaient extrêmement bas, ce qui aurait dû éveiller des soupçons. Le fait que les articles soient contrefaits n’était pas une conclusion inévitable, comme cela aurait été le cas pour une montre Rolex achetée à l’arrière d’un camion pour dix dollars, mais c’était un facteur.

c.                   Microsoft les a informés dès le départ que le tiers des produits OEM vendus sans matériel au Canada étaient contrefaits. Même s’ils n’avaient aucune obligation de croire cette affirmation, ils avaient été avisés du risque et l’expérience d'Adam Cerrelli et de Magnasoft explique nécessairement le fait qu’il y avait des articles contrefaits sur le marché, sans même que l’on ait à considérer les plaidoyers de culpabilité comme des aveux.

d.                  Ils ont été informés au début de 1999 que les produits qu’ils avaient envoyés à Microsoft pour analyse étaient contrefaits.

e.                   L’examen qu’ils ont fait des articles achetés était « sommaire » dans le meilleur des cas. C’est le mot qu’Adam Carrelli a employé à l’interrogatoire préalable. Carmelo Cerrelli a témoigné qu'il inspectait peut‑être cinq pour cent des articles. Il affirme qu’il vérifiait la présence de matériel sensible à la chaleur et les numéros IFPI conformément aux indications de son contrat avec MBC. S’il avait davantage prêté attention, comme M. Freedman et Mme Boyes l’ont fait, même sans connaissances spécialisées, il se serait rendu compte que quelque chose n’allait pas. S’il avait comparé ces articles à ceux articles achetés d’un distributeur agréé, il se serait aperçu que la qualité de l’impression était moindre. Il aurait pu demander l’avis de Microsoft, comme la police l’a fait. Selon toute vraisemblance, il ne l’a pas fait parce qu’il connaissait la réponse. Les défendeurs n’ont rien vu, rien entendu et rien dit. Ils se sont contentés de jouer à l’autruche.

f.                    J’accepte le témoignage de M. Secondi et je conclus qu’ils avaient acheté des numéros de clé dupliqués.

 

[85]           Après la saisie effectuée par la GRC, ils n’ont pas changé leur façon d’acheter, mais ils l’ont fait (c’est ce qu’ils disent) après la saisie effectuée par la police de Montréal. Toutefois, le défaut de produire des factures, tel que la Cour leur avait ordonné, leur est défavorable.

 

[86]           Pour résumer ce point, il se peut bien que, au début, les défendeurs ne savaient pas qu’ils faisaient le commerce d’articles contrefaits. Il se peut qu’ils aient été trop optimistes. Ils se sont peut‑être trop fiés à ce que leur disaient leurs fournisseurs. Sans plus d’expérience, il aurait été exagéré de leur reprocher d’avoir commis plus qu’une erreur de jugement à cette époque.

 

[87]           Toutefois, leur entreprise était, dans une certaine mesure, expérimentale parce qu’ils savaient qu’ils faisaient affaire avec des distributeurs non agréés et que Microsoft n’avait pas prévu que ses produits seraient vendus séparément du matériel. Par conséquent, il leur incombait plus fortement de garder l’entreprise sous le contrôle constant d’un expert à mesure qu’ils prenaient de l’expérience et d’engager quelqu’un qui connaissait bien les exigences et qui avait la compétence et le temps voulus pour voir au‑delà des affaires quotidiennes.

 

[88]           Il s’est produit un certain nombre d’incidents qui auraient dû soulever des doutes dans leur esprit, mais il semble que ce n’ait pas été le cas. Ils savaient, à la lecture des indications qui se trouvaient sur les boîtes des produits de détail, qu’ils pouvaient toujours demander l’avis de Microsoft. Ils l’ont fait une fois et ils ont été informés que les produits en question étaient contrefaits. Ils ne se sont plus jamais adressés à Microsoft par la suite. Même la saisie effectuée par la GRC ne les a pas persuadés de changer leurs façons de faire. Ils disent avoir changé de fournisseurs après la saisie effectuée par la police de Montréal, mais ils ont fait fi des ordonnances de la Cour et n'ont fourni aucun élément de preuve corroborant.

 

[89]           Ils auraient dû établir les faits aussi précisément que possible. Ils auraient dû se rendre compte que les articles dont ils faisaient le commerce étaient vraisemblablement contrefaits et ne pas ménager les efforts pour voir ce qui pouvait être fait en réaction à ce qu'ils avaient ainsi appris (voir les propos du juge en chef, lord Dermott, dans The Princess Victoria, [1953] 2 Lloyd’s Rep. 619, aux pages 630 à 633).

 

[90]           Je n’ai aucune hésitation à conclure que les défendeurs savaient ou auraient dû savoir que les articles dont ils faisaient le commerce étaient contrefaits.

 

Responsabilité de Carmelo Carrelli

[91]           M. Cerrelli ne peut pas être tenu responsable des actes commis par Inter‑Plus. Il n’est pas suffisant qu’il ait déjà été un actionnaire et qu’il soit un dirigeant et un administrateur; il doit avoir commis une violation personnellement. La décision faisant autorité est celle de la Cour d’appel fédérale dans Mentmore Manufacturing Co. c. National Merchandise Manufacturing Co. Inc. (1978), 40 C.P.R. (2d) 164, où le juge Le Dain a dit ce qui suit à la page 174 :

Je ne pense pas qu’on doive aller jusqu’à poser en principe que l’administrateur ou le dirigeant doit savoir ou avoir des raisons de savoir que les actes qu’il ordonne ou accomplit constituent des violations. Ce serait imposer une condition de responsabilité qui n’existe pas, généralement, en matière de violation de brevet. Il convient d’observer qu’une telle connaissance a été jugée, aux États‑Unis, non essentielle en matière de responsabilité personnelle d’administrateurs ou dirigeants (voir Deller’s Walker on Patents, 2e éd., 1972, vol. 7, aux pages 117-118). À mon avis, il existe toutefois certainement des circonstances à partir desquelles il y a lieu de conclure que ce que visait l’administrateur ou le dirigeant n’était pas la conduite ordinaire des activités de fabrication et de vente de celle‑ci, mais plutôt la commission délibérée d’actes qui étaient de nature à constituer une contrefaçon ou qui reflètent une indifférence à l’égard du risque de contrefaçon. De toute évidence, il est difficile de formuler précisément le critère approprié. Il convient de pouvoir dans chaque cas apprécier toutes les circonstances pour déterminer si celles‑ci entraînent la responsabilité personnelle.

 

[92]           Même s’il s’agissait d’une affaire de contrefaçon de brevet, les mêmes principes ont été appliqués au droit d’auteur dans Apple Computer, précité, et dans Ital-Press Ltd. c. Sicoli (1999), 86 C.P.R. (3d) 129. Les propos du juge Gibson dans cette dernière affaire sont pertinents :

[148]      Compte tenu du critère énoncé dans la décision Mentmore, je suis convaincu que la preuve démontre que Mme Sicoli, qui était l’âme dirigeante des sociétés défenderesses pendant toute la période pertinente aux fins qui nous occupent, et qui était apparemment également l’unique administratrice et actionnaire des sociétés défenderesses aux moments pertinents, manifestait tout au moins une certaine indifférence à l’égard du fait que les actes des sociétés défenderesses risquaient d’entraîner une violation du droit d’auteur, ou manifestait une certaine indifférence à l’égard du risque de violation du droit d’auteur telle que celle qui a selon moi été commise. Dans ces conditions, je conclus que Mme Sicoli est personnellement responsable de la violation, comme l’est également Il Nuovo Mondo Publishing Inc. dans le cas de l’annuaire de 1994, et Alberta Italian Yellow Directory Inc. dans le cas de l’annuaire de 1995‑1996.

 

[93]           Par ailleurs, M. Cerrelli allègue que Mentmore, précité, est sans objet en l’espèce parce qu’il a toujours été établi dans la province de Québec. Il croit que l’article 1457 du Code civil du Québec s’applique et que, par conséquent, il n’est pas responsable. La disposition est rédigée comme suit :

1457.  Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

 

Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.

 

 

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.

1457.  Every person has a duty to abide by the rules of conduct which lie upon him, according to the circumstances, usage or law, so as not to cause injury to another.

 

Where he is endowed with reason and fails in this duty, he is responsible for any injury he causes to another person by such fault and is liable to reparation for the injury, whether it be bodily, moral or material in nature.

 

He is also liable, in certain cases, to reparation for injury caused to another by the act or fault of another person or by the act of things in his custody.

 

[94]           La Cour répond à cet argument que l’article 1457 du Code civil du Québec ne s’applique pas. La Cour fédérale a été constituée par le Parlement, en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, comme tribunal additionnel pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada. Elle n’assure pas l’application des lois provinciales, sauf dans la mesure où une loi provinciale est accessoirement pertinente. Le statut de « personne morale » des sociétés à numéro est un exemple facile. Une loi provinciale qui établit une responsabilité ou dégage une personne d’une responsabilité ne peut guère être considérée comme accessoire (Bow Valley Husky (Bermuda) Ltd. c. Saint John Shipbuilding Ltd., [1997] 3 R.C.S. 1210 et Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437).

 

[95]           La question est de savoir si M. Cerrelli a enfreint deux lois fédérales, la Loi sur le droit d’auteur et la Loi sur les marques de commerce. Sa responsabilité serait la même peu importe qu’il soit établi au Québec, en Ontario ou n’importe où ailleurs au Canada.

 

[96]           La décision Mentmore, précitée, s’applique. Je n’ai vraiment aucune hésitation à conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu, de la part de M. Carrelli, commission délibérée d’actes de nature à constituer une violation du droit d’auteur de Microsoft et une contrefaçon de ses marques de commerce et qu’il a persisté dans l’indifférence.

 

[97]           Même si l’article 1457 s’appliquait, il n’aurait pas dégagé M. Cerrelli de sa responsabilité. Le fait qu’une société soit tenue responsable n’immunise pas ses dirigeants et ses administrateurs contre la responsabilité personnelle extracontractuelle. Carmelo Cerreli a causé préjudice à Microsoft par son comportement répréhensible et il est solidairement responsable avec Inter‑Plus. Dans Société canadienne de perception de la copie privée c. 9087-0718 Québec Inc., 2006 CF 283, le juge von Finckenstein a eu recours à la doctrine applicable au Québec pour expliquer l’article 1457. Il a écrit ce qui suit :

[25]            Les auteurs Maurice Martel et Paul Martel expliquent clairement, dans La compagnie au Québec Vol. 1, Les aspects juridiques, Montréal, Martel, 2002, p. 24-84, la façon dont cette disposition s’applique :

 

3 - Faute extracontractuelle de la compagnie. Troisièmement, la responsabilité personnelle des administrateurs peut par ailleurs, dans certaines circonstances, être engagée en cas de faute extracontractuelle de la compagnie...

 

En droit québécois, la responsabilité de l'administrateur en cas de faute extracontractuelle de la compagnie peut se fonder sur la solidarité en matière extracontractuelle, et aussi sur le fait que son immunité à titre de mandataire ne peut jouer à l'égard de tiers, en dehors de relations contractuelles entre ceux-ci et la compagnie. Encore faut-il prouver la faute extracontractuelle de l'administrateur lui-même. Toutefois, dans le cas d'un administrateur unique, sa participation à la faute sera présumée.

 

M. Carrelli a invoqué la décision du juge von Finckenstein, mais il est facile de la distinguer des faits de l’espèce parce que, dans cette affaire, les administrateurs n’avaient commis aucun acte délictuel ni aucune faute. Il s’agissait d’une action en recouvrement de créance.

 

[98]           Inter-Plus et M. Cerrelli sont également tenus responsables sous le régime de la Loi sur les marques de commerce, pour à peu près les mêmes motifs. Cette loi, contrairement à la Loi sur le droit d’auteur, ne tient pas particulièrement compte de l’état d’esprit des défendeurs. Toutefois, même si tel était le cas, je suis convaincu que Carmelo Cerrelli et Inter‑Plus savaient ou auraient dû savoir que leurs activités portaient atteinte aux droits de Microsoft prévus par cette loi. Ils ont fait passer les marchandises contrefaites pour des produits Microsoft, contrairement à l’article 7. Microsoft avait le droit exclusif à l’emploi de ses diverses marques de commerce dans tout le Canada et leurs activités constituaient donc une violation au sens des articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce. Ils ont utilisé les marques de commerce d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à ces marques, pour des motifs identiques à ceux exposés relativement au droit d’auteur.

 

Responsabilité d’Adam Cerrelli

[99]           Compte tenu de l’entente intervenue entre les parties, il n’est pas nécessaire à la Cour de se pencher sur la question de la responsabilité personnelle d’Adam Cerrelli, car aucune condamnation pécuniaire n’est demandée à son endroit. Il a été convenu que, si une injonction était prononcée contre Carmelo Cerrelli personnellement, elle devrait l’être également contre Adam Carrelli. Une injonction sera prononcée contre les deux.

 

MESURES DE RÉPARATION

[100]       Microsoft sollicite un jugement déclaratoire sur la validité de ses droits d’auteur et marques de commerce, la remise du matériel contrefait, des dommages‑intérêts préétablis et punitifs, la restitution des bénéfices, une injonction permanente, les intérêts et les dépens avocat‑client. Je vais discuter de chacun de ces éléments à tour de rôle.

 

Jugement déclaratoire

[101]       Le jugement rendu confirmera, à l’égard des parties, la validité des 25 droits d’auteur et des 10 marques de commerce allégués dans l’instance. Les défendeurs ont porté atteinte à ces droits d’auteur et marques de commerce.

 

Remise

[102]       La remise du matériel contrefait est une mesure de réparation normale et je n’hésite pas à l’accorder.

 

Dommages‑intérêts

[103]       La règle générale veut que des dommages‑intérêts soient accordés pour remettre le demandeur dans la position où il aurait été si les défendeurs ne lui avaient pas causé préjudice. Le fait que les dommages soient difficiles à calculer dans un cas donné n’empêche pas le recouvrement d’un montant symbolique. Ce principe ne se limite pas à la violation des droits de propriété intellectuelle (Pendivic Contracting Co. c. International Nickel Co. of Canada, [1976] 1 R.C.S. 267, et Boutique Jacob Inc. c. Pantainer Ltd., 2006 CF 217).

 

[104]       De plus, la Cour fédérale est un tribunal d’equity et, dans les affaires comme celle en l’espèce, elle peut accorder au demandeur les bénéfices que le défendeur a tirés des activités liées à la contrefaçon. Cette mesure de réparation a été reconnue dans le domaine des marques de commerce (3925928 Manitoba Ltd. c. 101029530 Saskatchewan Ltd., 2005 CF 1465), même si la Loi sur les marques de commerce n’en fait pas expressément état.

 

Dommages‑intérêts préétablis

[105]       Par ailleurs, la Loi sur le droit d’auteur renferme des dispositions législatives particulières concernant les profits et les dommages‑intérêts. L’article 35 prévoit que, en plus des dommages‑intérêts prouvés, un défendeur est passible de payer « la proportion, que le tribunal peut juger équitable, des profits […] réalisés en commettant cette violation […] qui n’ont pas été pris en compte pour la fixation des dommages‑intérêts ». Un demandeur peut choisir de ne pas demander des dommages‑intérêts et la restitution des bénéfices. L’article 38.1 lui permet de choisir de recouvrer à la place des dommages‑intérêts préétablis, dont le montant est normalement d’au moins 500 $ et d’au plus 20 000 $, relativement à chaque œuvre contrefaite. Le montant minimal de 500 $ peut être réduit jusqu’à 200 $ si le défendeur ne savait pas et n’avait aucun motif raisonnable de croire qu’il avait violé le droit d’auteur. En outre, si plusieurs œuvres ont été contrefaites (on en compte 25 dans la présente affaire), la Cour peut réduire davantage le montant accordé si elle est d’avis que ce montant serait par ailleurs extrêmement disproportionné à la violation.

 

[106]       Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit tenir compte notamment des facteurs suivants :

a.                   la bonne ou mauvaise foi du défendeur;

b.                  le comportement des parties avant l’instance et au cours de celle‑ci;

c.                   la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations éventuelles du droit d’auteur en question.

 

[107]       Finalement, le fait de choisir les dommages‑intérêts préétablis n’a pas pour effet de supprimer le droit du titulaire du droit d’auteur à des dommages‑intérêts exemplaires ou punitifs.

 

[108]       Microsoft n’a pas fait la preuve de dommages particuliers. En ce qui a trait au droit d’auteur, elle demande le montant maximal préétabli de 20 000 $ à l’égard de chacun des 25 droits d'auteur violés. De plus, elle demande une restitution des bénéfices en vertu de la Loi sur les marques de commerce, ainsi que des dommages‑intérêts punitifs ou exemplaires.

 

[109]       Le premier facteur dont la Cour a tenu compte pour déterminer le montant des dommages‑intérêts préétablis est la question de savoir si les défendeurs l’ont convaincu qu’ils ne savaient pas et n'avaient aucun motif raisonnable de croire qu’ils avaient violé le droit d’auteur. Si elle est convaincue que tel est le cas, la Cour peut réduire le montant accordé à 200 $ par œuvre. Toutefois, pour les motifs exposés précédemment, les défendeurs ne m’ont pas convaincu qu’ils avaient des motifs raisonnables de croire qu’ils n’avaient pas violé le droit d’auteur.

 

[110]       Le facteur suivant consiste à déterminer si le montant minimal de 500 $ accordé pour chacune des 25 œuvres, ou un montant de 12 500 $ au total, est extrêmement disproportionné par rapport à la violation. Un montant de 12 500 $ serait extrêmement disproportionné en ce sens qu’il serait beaucoup trop bas. Si Microsoft n’avait pas opté pour des dommages‑intérêts préétablis, les défendeurs auraient été tenus, en vertu de l’article 35, de payer la proportion des profits résultant de la contrefaçon. La demanderesse n’aurait eu qu’à prouver les ventes brutes, tandis que les défendeurs auraient été tenus de prouver chacun des éléments du coût (Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc., 2006 CF 453).

 

[111]       Le témoignage de M. Cerrelli est en quelque sorte une cible mouvante. À tout le moins, si l’on se fie à son témoignage au procès, le chiffre d’affaires brut d’Inter‑Plus était de trois millions de dollars et 60 pour 100 de celui‑ci provenait de la vente des produits Microsoft. Toutefois, quand cela lui convenait, il jurait que le chiffre d’affaires d’Inter‑Plus dépassait les cinq millions de dollars, comme ce fut le cas dans un affidavit qu’il a déposé auprès de la Cour supérieure du Québec. Je ne suis pas naïf au point de penser que les seuls articles contrefaits qu’Inter‑Plus avait eus en sa possession étaient ceux saisis par la police. Aucune preuve concernant les dépenses d’Inter‑Plus n’a été présentée au procès, mais Microsoft avait déjà opté pour les dommages‑intérêts préétablis. Néanmoins, il faut tenir compte du fait qu’il avait été enjoint à Inter‑Plus, par ordonnance de la Cour, de produire tous les documents commerciaux appropriés, reçus, factures d’achat, factures de vente et autres détails concernant les articles retournés jusqu’en 2005. M. Carrelli a dit qu’il n’était pas en mesure de produire ses registres parce qu’une employée déloyale, contre laquelle il a intenté une action, les avait emportés avec elle. Par contre, lorsqu’on lui a rappelé qu’elle avait quitté au milieu de l’année 2003 et qu’il lui avait été ordonné expressément de fournir les documents accumulés jusqu’en 2005, il a donné comme prétexte qu’il devait avoir mal compris la question. Compte tenu des faits établis et de la conduite des défendeurs, je déduis qu’ils ont continué à faire le commerce de produits contrefaits. Je dis cela tout en étant conscient de la distinction à établir entre les déductions et les hypothèses. À ce propos, le juge MacGuigan a affirmé ce qui suit dans Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171 (C.A.F.), aux paragraphes 34 et 35 :

La différence entre une déduction justifiée et une simple hypothèse est reconnue depuis longtemps en common law. Lord Macmillan fait la distinction suivante dans l’arrêt Jones c. Great Western Railway Co. (1930), 47 T.L.R. 39, à la p. 45, 144 L.T. 194, à la p. 202, (H.L.) :

 

[traduction] Il est souvent très difficile de faire la distinction entre une hypothèse et une déduction. Une hypothèse peut être plausible mais elle n’a aucune valeur en droit puisqu’il s’agit d’une simple supposition. Par contre, une déduction au sens juridique est une déduction tirée de la preuve et si elle est justifiée, elle pourra avoir une valeur probante. J’estime que le lien établi entre un fait et une cause relève toujours de la déduction.

 

 

[112]       Vingt‑cinq droits d’auteur ont été violés. À 20 000 $ par violation, les dommages préétablis se chiffrent à 500 000 $. J’accorde ce montant de dommages‑intérêts dont les sociétés défenderesses et Carmelo Cerrelli seront solidairement responsables du paiement.

 

[113]       J’ai également tenu compte des facteurs énoncés au paragraphe 38.1(5). Les défendeurs ont agi de mauvaise foi. Leur comportement avant l’instance et au cours de celle‑ci faisait fi de l’ordre public et le défaut de produire les documents appropriés, malgré l’ordonnance de la Cour, démontre la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations éventuelles du droit d’auteur en question.

 

[114]       Comme autre exemple de leur comportement, parlons de la société qui occupe les mêmes locaux qu’Inter‑Plus et qui fait le commerce des produits Microsoft destinés au monde de l’enseignement. Le contrat permettait à Microsoft de procéder à des vérifications. Microsoft a donné avis qu’il serait procédé à pareille vérification. Toutefois, à son arrivée, l’expert‑comptable a rencontré une personne, qui disait s’appeler Robert, qui a refusé de le laisser entrer et l’a jeté dehors. Au cours de l’interrogatoire préalable et du contre‑interrogatoire au procès, M. Cerrelli a dit qu’il ne connaissait personne du nom de Robert. Lorsqu’on lui a dit que l’expert‑comptable attendait dans le corridor, qu’il l’avait vu, et qu’il allait témoigner que c’était lui qui l’avait jeté dehors, sa mémoire s’est améliorée. Il a eu une révélation durant la nuit et il a demandé à ses avocats de convenir que, après réflexion, il se rappelait qu’il était le Robert en question qui avait montré la porte à l'expert‑comptable.

 

[115]       En fait, je doute fort que la somme de 500 000 $ soit suffisante pour permettre une pleine restitution des bénéfices que les défendeurs ont tirés de la violation des droits de Microsoft. Par ailleurs, Microsoft, qui avait également réclamé une restitution des bénéfices en vertu de la Loi sur les marques de commerce, a affirmé qu’elle ne demandait pas des dommages‑intérêts, exception faite des dommages‑intérêts exemplaires ou punitifs, peu importe la manière de les qualifier, dépassant 500 000 $ et je m’en tiens à cela.

 

Dommages‑ intérêts punitifs

[116]       Le paragraphe 38.1(7) de la Loi sur le droit d’auteur prévoit expressément que le choix de réclamer les dommages‑intérêts préétablis n’a pas pour effet de supprimer le droit du demandeur à réclamer par ailleurs des dommages‑intérêts exemplaires ou punitifs. Microsoft réclame un montant de 100 000 $ à chacune des deux sociétés à numéro et un montant de 100 000 $ additionnel à Carmelo Cerrelli, pour un total de 300 000 $. Toutefois, comme j’ai considéré les deux sociétés à numéro comme une seule et même société pour la question de la responsabilité, je ne suis maintenant pas disposé à les considérer comme des entités distinctes pour décider des dommages‑intérêts punitifs.

 

[117]       La décision faisant autorité en matière de dommages‑intérêts punitifs a été rendue par la Cour suprême dans Whiten c. Pilot Insurance Co., [2002] 1 R.C.S. 595. Le juge Binnie s’est exprimé en ces termes au paragraphe 36 :

Exceptionnellement, des dommages‑intérêts punitifs sont accordés lorsqu’une conduite « malveillante, opprimante et abusive […] choque le sens de la dignité de la cour » : Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 196. Ce critère limite en conséquence de tels dommages‑intérêts aux seules conduites répréhensibles représentant un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable. Parce qu’ils ont pour objet de punir le défendeur plutôt que d’indemniser le demandeur (la juste indemnité à laquelle ce dernier a droit ayant déjà été déterminée), les dommages‑intérêts punitifs chevauchent la frontière entre le droit civil (indemnisation) et le droit criminel (punition).

 

[118]       La Cour a noté que de nombreux facteurs pouvaient influer sur la gravité du caractère répréhensible et elle a énuméré certains d’entre eux au paragraphe 113, notamment le fait que la conduite répréhensible ait été préméditée et délibérée, l’intention et la motivation du défendeur, le caractère prolongé de la conduite inacceptable du défendeur, le fait qu’il ait caché sa conduite répréhensible ou tenté de la dissimuler, le fait qu’il savait ou non que ses actes étaient fautifs et le fait qu’il ait ou non tiré profit de sa conduite répréhensible.

 

[119]       Des dommages‑intérêts punitifs ou exemplaires ont été accordés dans des cas de violation de droit d’auteur. Voir, par exemple, la décision de la Cour d’appel fédérale dans Profekta International Inc. c. Lee (1997), 75 C.P.R. (3d) 369.

 

 

[120]       Je suis convaincu que la conduite des défendeurs était inacceptable et que Microsoft a droit à des dommages‑intérêts punitifs. Je lui accorde un montant de 100 000 $ à être payé solidairement par les deux sociétés à numéro et un montant additionnel de 100 000 $ à être payé par Carmelo Cerrelli.

 

Injonction permanente

[121]       En tant que tribunal d’equity (Loi sur les Cours fédérales, article 3), la Cour peut ordonner à quelqu’un de cesser de faire quelque chose et de ne pas faire quelque chose dans le futur. Le pouvoir d’accorder une réparation par voie d’injonction est reconnu à l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales. Les articles 373 et suivants des Règles des Cours fédérales donnent plus de détails. Ce recours est également prévu aux articles 39 et 39.1 de la Loi sur le droit d’auteur ainsi qu’aux articles 53 et 53.3 de la Loi sur les marques de commerce. En fait, l’article 39 de la Loi sur le droit d’auteur prévoit qu’une injonction est le seul recours en cas de contrefaçon d’une marque de commerce non déposée si le défendeur prouve qu’il ne savait pas et n’avait aucun motif raisonnable de soupçonner que l’œuvre en question était protégée. Cela n’est évidemment pas le cas en l’espèce.

 

[122]       Les articles en question sont protégés par 25 enregistrements de droit d’auteur et 10 enregistrements de marque de commerce. Les éléments de preuve recueillis sous forme de pages extraites du site Web d’Inter‑Plus et de celui de Systèmes Ivorcom Inc., une société apparentée établie dans les mêmes locaux, permettent d’établir qu’elles offrent encore certains des programmes informatiques qui font l’objet de la présente action, même si certains sont maintenant très dépassés. M. Carrelli a déclaré qu’il avait cessé d’acheter ces programmes il y a quelques années. Par exemple, même s’il a été plutôt vague quant au nombre d’années, selon lui, Inter‑Plus avait peut‑être déjà cessé de vendre Windows 95, en version OEM, en 2001. Elle a cessé de vendre Office 97 quelque part entre 2001 et 2003, Office 2000 à peu près en 2004, Office NT Server autour de 2002, Windows 98 autour de 2001, Windows 98 Second Edition autour de 2003 et Windows Office 2000 autour de 2004. Devant la preuve que ces articles étaient toujours offerts, il a réagi en affirmant bien entendu qu’il avait voulu dire qu’il avait cessé d’acheter ces articles dans les années mentionnées. Il a ajouté qu’il se pouvait que ces articles fassent partie des stocks existants et que les sites Web n’étaient peut‑être pas gardés à jour. Bien qu’il n’ait pas eu la responsabilité de mettre à jour les sites Web, M. Mitchell avait observé qu’ils étaient mis à jour régulièrement et la préférence va à son témoignage.

 

[123]       Nous ne savons pas si les articles offerts sont exactement ceux qui ont été retournés par la police de Montréal ou des articles achetés auprès du même fournisseur, mais cela est fort possible. De plus, Inter‑Plus et Ivorcom vendent des programmes informatiques qui ne sont pas mentionnés dans l’exposé de la demande, par exemple divers programmes de Microsoft Windows 2003.

 

[124]       Je n’ai aucune hésitation à interdire aux défendeurs, à leurs dirigeants, administrateurs, préposés, agents et employés, ainsi qu’à toutes les autres personnes sous leur autorité, de faire le commerce, maintenant et dans le futur, des versions contrefaites des CD‑ROM renfermant des copies non autorisées des programmes informatiques protégés par le droit d’auteur de Microsoft et du matériel accessoire, lesquels sont mentionnés dans la nouvelle déclaration modifiée, mais Microsoft veut beaucoup plus. Elle demande ce qui suit :

a.                   que les sociétés apparentées, telles que Ivorcom, soient désignées nommément dans l’injonction permanente, même si elles n’étaient pas des parties défenderesses dans la présente affaire;

b.                  que la portée de l'injonction s’étende à toute personne qui en apprend l’existence, même si cette personne n’est pas apparentée aux défendeurs, encore moins sous leur autorité;

c.                   que la portée de l’injonction s’étende aux droits d’auteur existants de Microsoft qui n’ont pas été mentionnés dans l’action et aussi à ceux qui n’ont pas encore été enregistrés;

d.                  que l’injonction interdise aux défendeurs de faire le commerce des programmes Microsoft, y compris des CD-ROM authentiques ou d’autre matériel, qui ne sont pas conditionnés convenablement et accompagnés des composants accessoires que les distributeurs agréés de Microsoft doivent conditionner ensemble, tels que les jaquettes avant, les jaquettes arrière, les contrats de licence d’utilisateur final, les licences d’accès client, les certificats d’authenticité, les étiquettes de certificat d’authenticité et les manuels.

 

Personnes visées

[125]       En ce qui a trait aux personnes visées par l’injonction permanente, je pense qu’il faudrait inclure les Cerrelli et les deux sociétés Inter‑Plus, leurs dirigeants, administrateurs, préposés, employés et agents, ainsi que toute autre personne, société ou entité agissant suivant leurs directives. Désigner nommément Ivorcom, par exemple, serait inapproprié dans les circonstances. Il n’y a aucun doute que Microsoft lui fera signifier le jugement et, par conséquent, dans la mesure où elle agira suivant les directives des défendeurs et fera le commerce de produits contrefaits, ce sera à ses risques et périls.

 

[126]       Je sais que l'on peut obliger des membres du public à respecter des ordonnances judiciaires dans des actions privées sous peine de condamnation pour outrage au tribunal et qu’il vaut cependant mieux qu’ils en soient informés : MacMillan Bloedel Ltd. c. Simpson, [1996] 2 R.C.S. 1048. Il s’agissait dans ce cas d’une injonction interlocutoire. La juge McLachlin, plus tard juge en chef, a fait remarquer que, même s’il n’était pas nécessaire d’aller plus loin dans l’affaire dont la Cour était saisie, il avait été proposé que, lorsqu’il s’agit d’une injonction définitive, comme c’est le cas en l’espèce, la circonspection s’impose si le tribunal veut étendre à des tiers l’application de l’ordonnance. Elle s’est appuyée plus particulièrement sur la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans Sandwich West (Township) c. Bubu Estates Ltd. (1986), 30 D.L.R. (4th) 477.

 

[127]       L’injonction est une mesure de réparation que la Cour accorde à sa discrétion. Je pense qu’il serait trop zélé de prétendre l'appliquer de façon permanente à des tiers. L’injonction serait prononcée ex parte à leur endroit et ils pourraient présenter une requête en annulation. Ils auraient pu être désignés comme défendeurs et des éléments de preuve, au lieu d’hypothèses, auraient pu être établis contre eux. Je comprends le point de vue de Microsoft selon lequel l’appellation « Inter‑Plus » semble circuler continuellement d’une société apparentée à une autre, si bien que, si elle avait continué d’ajouter des défendeurs, l’affaire n’aurait jamais abouti devant la Cour. Toutefois, Microsoft n’est pas sans recours. Si elle réussit à obtenir la preuve que l’une de ces entités fait le commerce de contrefaçons, le degré de preuve requis pour présenter une requête en outrage au tribunal n’est pas moindre, et probablement qu’il est plus exigeant, que celui requis pour obtenir une ordonnance Anton Piller dans une nouvelle procédure.

 

 

Objet

[128]       Les observations de Microsoft sur ce point comportent deux volets. Premièrement, elle demande que la portée de l’injonction permanente s’étende aux droits d’auteur non mentionnés dans la nouvelle déclaration modifiée et, en fait, aux droits d’auteur qui n’existent pas encore. Deuxièmement, elle demande de fait à la Cour d'ordonner aux défendeurs de respecter ses ententes de licence, même s’ils n’y sont pas parties.

 

[129]       Relativement à l’inclusion des droits d’auteur non désignés nommément, Microsoft invoque le paragraphe 39.1(2) de la Loi sur le droit d’auteur qui prévoit qu’une injonction peut viser les œuvres ou les autres objets « sur lesquels le demandeur n’avait pas de droit d’auteur ou à l’égard desquels il n’était pas titulaire d’une licence lui concédant un intérêt sur un droit d’auteur au moment de l’introduction de l’instance, ou qui n’existaient pas à ce moment ».

 

[130]       Malgré le comportement des défendeurs, je ne suis pas prêt à étendre l’objet de l’injonction aux droits d’auteur qui n’ont pas été expressément allégués dans la présente instance, peu importe qu’ils existent ou non à l’heure actuelle. Les défendeurs ont le droit de savoir ce qui leur est reproché. La déclaration a été modifiée deux fois pour ajouter des droits d’auteur non allégués dans la première déclaration. Ces modifications se sont révélées être justifiées en ce sens que la preuve indique que les défendeurs violaient les droits d’auteur en question. Il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin que l'article 39.1 de la Loi sur le droit d’auteur le permet. À supposer, sans en décider, qu’il me soit possible d’étendre la portée de l’injonction visant les défendeurs à des droits d’auteur non allégués dans la nouvelle déclaration modifiée, ou même exposés au procès, et qu’il me soit possible d’étendre la portée de l’injonction visant les défendeurs à des droits d’auteur qui n’existent même pas à l’heure actuelle, je ne le ferais pas.

 

[131]       Ces œuvres littéraires protégées par le droit d’auteur sont en soi complexes et prennent du temps à se développer, comparativement, disons, à une chanson populaire de trois minutes. Microsoft a amplement eu l’occasion d’identifier les droits d’auteur particuliers, mais elle a refusé de le faire. Il y a suffisamment à faire pour trancher l’affaire dont la Cour est saisie, sans avoir à trancher en plus une affaire dont elle n’est pas saisie.

 

[132]       En demandant à la Cour d’interdire aux défendeurs de faire le commerce des produits Microsoft autres que ceux sous licence et conditionnés selon ses exigences, Microsoft sollicite en fait une ordonnance faisant en sorte qu’Inter‑Plus soit exclue du marché gris. Je refuse de le faire.

 

[133]       Microsoft demande aux défendeurs de respecter les ententes de licence OEM qui interdisent le dégroupement des diverses composantes d’un produit préparé pour la distribution. Microsoft demande qu’il soit interdit à Inter‑Plus de faire le commerce de produits Microsoft authentiques qui ne sont pas sous licence.

 

[134]       En ce qui a trait aux produits OEM authentiques, le concédant de licence est Microsoft Licensing Inc. du Nevada, et non pas la demanderesse. Il n’a pas été proposé que cette société agisse comme représentant de la demanderesse en qualité de mandant non désigné nommément. Rien dans la preuve n’indique non plus que le contrat de licence constitue une stipulation pour autrui, à savoir la demanderesse (Fraser River Pile & Dredge Ltd. c. Can-Dive Services Ltd., [1999] 3 R.C.S. 108). Aucune relation contractuelle n’existe entre la demanderesse et les défendeurs. Si la demanderesse croit que les défendeurs ont, de façon délictuelle, porté atteinte à ses relations contractuelles avec les utilisateurs OEM, elle aurait dû l’alléguer. Sur ce point, voir Kanematsu GmbH c. Acadia Shipbrokers Ltd. et al. (2000), 259 N.R. 201 (C.A.F.), [2000] A.C.F. no 978 (QL).

 

[135]       Outre le dégroupement des composantes par les fabricants OEM, tel qu’il a été mentionné précédemment, Microsoft a reconnu qu’il y a eu des cas où les CD‑ROM et d’autres articles fabriqués par les duplicateurs agréés avaient abouti « sur le marché clandestinement ». Il n’est pas difficile d’imaginer qu’il y ait eu des surproductions non autorisées. En pareil cas, et ce n'est pas le cas en l’espèce, une partie comme Inter‑Plus aurait pu acheter un CD‑ROM, fabriqué par l’un des duplicateurs agréés de Microsoft, comportant tous les numéros IFPI et les autres indices d’authenticité, autrement dit l’article authentique.

 

[136]       À mon avis, la Loi sur le droit d’auteur ne peut être invoquée à l’appui du modèle de fonctionnement actuel de Microsoft. Il ne s’agit pas d’un cas où le produit authentique a été acheté à l’étranger puis mis en marché par Inter‑Plus au Canada en violation des licences de droit d’auteur (Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc. (2004), 33 C.P.R. (4th) 246 (1re inst.), modifié à (2005), 47 C.P.R. (4th) 113 (C.A.F.), autorisation de pourvoi à la Cour suprême accordée, [2006] C.S.C.R. no 47). Il appartient à Microsoft de poursuivre les constructeurs de système.

 

[137]       Toutefois, la situation est assez différente sous le régime de la Loi sur les marques de commerce. Dix marques de commerce déposées sont visées : deux enregistrements pour la marque « Microsoft », deux enregistrements pour l’image du drapeau, deux enregistrements pour « Windows », un enregistrement pour « Windows NT », un enregistrement pour « Front Page », un enregistrement pour « Outlook » et un enregistrement pour « Power Point ».

 

[138]       L'article 19 de la Loi sur les marques de commerce prévoit que l’enregistrement d’une marque à l’égard de marchandises ou services donne à son propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle‑ci dans tout le Canada, relativement à ces marchandises ou services, sauf s'il est démontré que son enregistrement n’est pas valide. La distinction entre le droit d’auteur et la marque de commerce tient du fait que les droits d’auteur sont limités à des programmes informatiques particuliers et au matériel accessoire, ce qui n’est pas le cas pour les marques de commerce. La marque de commerce « Microsoft » différencie les marchandises et services offerts par la demanderesse des marchandises et services offerts par d’autres propriétaires de marque de commerce, peu importe que ces marchandises ne soient pas encore créées ou que ces services ne soient pas encore offerts. Les défendeurs ont reconnu que les marques de commerce sont valides. Il leur sera enjoint de ne pas faire le commerce de marques contrefaites.

 

Intérêts

[139]       Les intérêts avant jugement et après jugement sont régis par les articles 36 et 37 de la Loi sur les Cours fédérales. Le fait générateur n’est pas limité à une seule province parce que Inter‑Plus a acheté les articles à l’extérieur du Québec et les a vendus au Canada et aux États‑Unis. Par conséquent, la Cour peut accorder des intérêts avant jugement calculés au taux qu’elle estime raisonnable. Par ailleurs, l’article 36 interdit expressément les intérêts avant jugement sur les dommages‑intérêts exemplaires.

 

[140]       Aucune preuve n’a été présentée quant aux taux appliqués aux prêts commerciaux, bien qu’il convienne de faire remarquer qu’ils étaient plutôt bas au cours de la présente procédure. J’estime raisonnable d’accorder des intérêts avant jugement simples sur les dommages‑intérêts préétablis au taux légal de cinq pour cent par année, calculés à partir du dépôt de la première déclaration, en date du 14 août 2000, jusqu’à l’expiration d’un délai de 30 jours à partir de la date des présentes. Par la suite, les intérêts après jugement qui seront calculés sur les dommages‑intérêts préétablis de 500 000 $, les dommages‑intérêts punitifs de 200 000 $ et les intérêts avant jugement le seront au taux préférentiel pondéré offert par les banques canadiennes plus un pour cent, avec capitalisation deux fois l’an. À défaut d’entente, les parties devront s’en remettre aux taux affichés par la Banque de Montréal.

 

Dépens

[141]       Les parties ont convenu qu’elles préféraient discuter de la question des dépens à la suite de la communication des présents motifs. L’une ou l’autre des parties peut présenter une requête en vue d'obtenir des directives dans un délai de 30 jours, conformément à l’article 403 des Règles.

 

Conséquences

[142]       Comme les ordonnances de confidentialité prononcées par les protonotaires Giles et Lafrenière sont demeurées en vigueur durant tout le procès, la divulgation des motifs précédents en date du 18 décembre 2006 se limitait aux avocats des parties qui se sont vu accorder la possibilité de présenter des observations sur la question de savoir si les motifs devaient être considérés comme confidentiels, en tout ou en partie, étant donné l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires. Les parties n’ont pas proposé que la version publique des motifs soit modifiée de quelque manière que ce soit et, par conséquent, les motifs sont délivrés tels quels, avec l’ajout du présent paragraphe et d'une entrée correspondante dans le sommaire présenté au paragraphe 6.

 

 

« Sean Harrington »

 

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 16 janvier 2007

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                             T-1502-00

 

INTITULÉ :                                                           Microsoft Corporation

                                                                                c.

                                                                                9038-3746 QuÉbec Inc., 9014-5731            QuÉbec Inc., Adam Cerrelli et Carmelo Cerrelli

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATES D’AUDIENCE :                                       LE 31 OCTOBRE ET LES 1, 2, 3, 6, 7, 9,          14, 15, 16, 20 ET 21 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS CONFIDENTIELS

DU JUGEMENT :                                                 LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS CONFIDENTIELS :         LE 18 DÉCEMBRE 2006

 

VERSION PUBLIQUE DES

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 16 JANVIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

John C. Cotter

Tara James

 

                   POUR LA DEMANDERESSE

Neil G. Oberman

Dany S. Perras

 

                   POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

                   POUR LA DEMANDERESSE

Michelin & Associates

Avocats

Montréal (Québec)

                   POUR LES DÉFENDEURS

 

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