Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Date : 20070105

Dossier : T‑1586‑05

Référence : 2007 CF 9

Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

RANDAL CLARK

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LA DEMANDE

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), qui, en application de l’alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la Loi), a rejeté sa plainte selon laquelle il avait été victime d’une discrimination à son lieu de travail en raison de sa déficience, le syndrome de stress post‑traumatique (SSPT). La Commission a conclu que la plainte n’atteignait pas le seuil requis pour justifier un renvoi au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal), et cela parce que la preuve ne confirmait pas les allégations suivantes du demandeur : il avait subi une différence préjudiciable de traitement, il n’avait pas bénéficié des mesures requises par son état, et il avait été privé d’un milieu de travail exempt de harcèlement.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Un compte rendu détaillé des faits se rapportant à chacun des points soulevés par le demandeur sera donné dans le texte des présents motifs, et je me limiterai à donner ici un bref aperçu des circonstances qui ont conduit à la demande. Dans ses arguments écrits, le demandeur a aussi fait état d’une gamme assez étendue d’erreurs que, d’après lui, l’enquêteur et la Commission ont commises lorsqu’ils ont évalué la preuve et en ont tiré des conclusions. À la date de l’audience tenue devant moi à Victoria, cependant, le demandeur, tout en continuant d’affirmer que l’enquêteur et la Commission s’étaient fourvoyés sur tous les aspects qu’il avait au départ soulevés, a circonscrit sa demande de contrôle. Partant, le présent résumé se focalisera uniquement sur les aspects qui demeurent litigieux à la suite de l’audience.

 

[3]               En 1984, le demandeur a commencé de travailler pour le Service correctionnel du Canada. En janvier 2000, il a subi des violences alors qu’il travaillait dans un établissement correctionnel, et, durant ses deux dernières années d’emploi au Service correctionnel du Canada, il a reçu des prestations de la Commission des accidents du travail (CAT) au titre de son SSPT. Il dit qu’on a également diagnostiqué chez lui une anxiété clinique et une dépression.

 

[4]               Le demandeur a été admis en septembre 2001 comme sujet bénéficiant d’une priorité pour cause de handicap par la Commission de la fonction publique (CFP). Conformément à l’article 36 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (2000), DORS/2000‑80 (le Règlement), un employé nommé pour une période indéterminée qui devient invalide et qui répond aux critères fixés dans le Règlement est fondé, en droit, à un statut prioritaire. Un tel employé a droit, sans concours, à une affectation prioritaire dans un poste que la CFP juge adéquat.

 

[5]               Le demandeur a sollicité, et obtenu, le 5 avril 2002, un emploi de conseiller de secteur au bureau d’Anciens combattants Canada (ACC), à Victoria, étant entendu qu’il participerait à un programme de retour au travail parrainé par la CAT à compter du 1er mai 2002 et jusqu’au 23 juillet 2002.

 

[6]               Le demandeur a commencé son travail à ACC le 1er mai 2002. L’idée de départ était d’embaucher le demandeur dans un poste à durée indéterminée après l’achèvement du programme de retour au travail, mais M. Ken Parkinson, directeur de district, a demandé que le programme soit prolongé de trois semaines. Sa demande fut acceptée, et le programme de retour au travail fut prolongé jusqu’au 13 août 2002. Au nom d’ACC, M. Parkinson a alors demandé pour le programme un autre renouvellement de trois mois. Le 8 août 2002, on a offert au demandeur une nomination d’une durée de trois mois. Peu après, ACC a demandé au psychologue du demandeur d’évaluer son aptitude au travail. Ayant reçu une évaluation favorable de l’aptitude du demandeur au travail, ACC lui a offert, le 4 septembre 2002, un emploi à durée indéterminée. Le demandeur dit qu’ACC aurait dû lui offrir tout de suite un statut d’employé nommé pour une durée indéterminée et que, ne l’ayant pas fait, l’organisation lui a fait subir une différence préjudiciable de traitement au titre de sa déficience.

 

[7]               Durant cette période, le 11 juillet 2002, le demandeur a sollicité la modification de son espace de travail au motif que sa configuration l’exposait à des sensations pénibles en raison de sa déficience. Il dit que, lorsqu’il a quitté son travail le 1er avril 2003, sa demande n’avait eu aucune suite. Le défendeur affirme cependant que les travaux entrepris pour reconfigurer le bureau ont débuté en août 2002, qu’ils étaient partiellement achevés en janvier 2003 et qu’ils ont pris fin en juin 2003.

 

[8]               Le 1er avril 2003, le demandeur a assisté à une réunion au cours de laquelle il a élevé la voix et injurié un collègue de travail. Selon le demandeur, c’était là un des effets secondaires des médicaments qu’il prenait en raison de sa déficience. À la suite de cet incident, le demandeur n’est pas revenu au travail. L’incident a suscité des préoccupations parmi le personnel et une enquête s’en est suivie sur le comportement du demandeur. Avant la date prévue de retour du demandeur au travail, le demandeur a prié la direction d’organiser une séance de médiation pour examiner les points soulevés par ses collègues. Le demandeur fait aujourd’hui valoir que la conduite d’autres participants au cours de la séance de médiation a suscité un climat de harcèlement. Il affirme que les participants avaient pu exprimer leurs doutes à son sujet et à propos de son SSPT et que leur attitude envers lui avait été menaçante et offensante. Le défendeur affirme que la séance de médiation s’est déroulée dans un climat de courtoisie, de respect et d’urbanité, ajoutant que, dans une médiation digne de ce nom, la franchise est toujours de mise.

 

[9]               Le 4 février 2004, le demandeur a déposé sa plainte auprès de la Commission, affirmant qu’ACC l’avait traité d’une manière préjudiciable, ne lui avait pas procuré un milieu de travail exempt de harcèlement, n’avait pas pris de mesures tenant compte de son état et appliquait envers lui une politique et/ou pratique discriminatoire contraire aux articles 7, 10 et 14 de la Loi. Une enquête fut diligentée.

 

[10]           Dans un rapport daté du 4 mai 2005, l’enquêteur recommandait que, en application de l’alinéa 44(3)b) de la Loi, la Commission rejette la plainte. L’enquêteur est arrivé aux conclusions suivantes, qui intéressent les points soulevés dans la présente demande :

1.      la preuve n’appuyait pas l’affirmation du demandeur selon laquelle le fait qu’ACC ne lui avait pas offert tout de suite une nomination à durée indéterminée constituait une différence préjudiciable de traitement fondée sur la déficience;

2.      la preuve n’appuyait pas l’affirmation du demandeur selon laquelle le défendeur n’avait pas pris en sa faveur de mesures concernant son poste de travail. Cela avait pris du temps, mais le poste de travail avait été modifié; et

3.      même si la déficience du demandeur fut débattue lors de la séance de médiation, cela ne constituait pas un harcèlement ni une différence préjudiciable de traitement fondée sur la déficience.

[11]           L’enquêteur a recommandé que la plainte soit rejetée parce que [traduction] « la preuve ne confirmait pas les dires du plaignant, qui affirmait qu’il avait été traité d’une manière discriminatoire, qu’il n’avait pas bénéficié des mesures que commandait son état, ou qu’il avait été privé d’un milieu de travail exempt de harcèlement, et cela en raison de sa déficience (le syndrome de stress post‑traumatique) ».

 

[12]           La plainte a été rejetée par la Commission le 15 août 2005, en application de l’alinéa 44(3)b) de la Loi.

 

LES POINTS SOULEVÉS

 

[13]           Deux questions préliminaires sont soumises à l’examen de la Cour :

1.      Quel est le dossier dont la Cour doit tenir compte pour l’examen de cette demande?

2.      Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission de ne pas soumettre la plainte à l’examen du Tribunal?

[14]           Le demandeur soumet aussi trois questions de fond à l’examen de la Cour :

1.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en disant que la lenteur d’ACC à offrir au demandeur un poste à durée indéterminée ne constituait pas une différence préjudiciable de traitement fondée sur la déficience et que cette manière d’agir d’ACC n’avait donc pas à être soumise à l’examen du Tribunal?

2.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en disant que le demandeur n’avait pas été harcelé durant la séance de médiation de telle sorte que cet aspect de la plainte n’avait pas à être soumis au Tribunal pour examen?

3.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en disant qu’ACC avait rempli son obligation de répondre aux besoins du demandeur et de lui procurer un nouvel espace de travail et qu’il n’était donc pas nécessaire de soumettre cet aspect au Tribunal pour examen?

 

LA LÉGISLATION

 

[15]           L’article 44 de la Loi régit l’obligation de l’enquêteur de présenter un rapport à la Commission, et le pouvoir de la Commission de rejeter la plainte ou de la soumettre au Tribunal pour examen :

44. (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

 

 

 

[...]

 

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

 

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l’article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

 

(i)         d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci est justifié,

 

 

(ii)        d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

 

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue

 

 

(i)           soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci n’est pas justifié,

 

 

(ii)         soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

 

 

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

 

[...]

 

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

 

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

 

(i)          that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

 

(ii)        that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

 

(i)           that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

 

(ii)          that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

 

 

[16]           En l’espèce, dans sa plainte présentée à la Commission, le demandeur invoquait les dispositions suivantes de la Loi :

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

 

[...]

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

 

 

14. (1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

 

 

[...]

 

c) en matière d’emploi.

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.

 

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

 

 

...

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee, on a prohibited ground of discrimination.

14. (1) It is a discriminatory practice,

 

 

 

...

 

(c) in matters related to employment,

to harass an individual on a prohibited ground of discrimination.

 

 

[17]           Les arguments présentés à la Commission par le demandeur soulevaient aussi des questions se rapportant à l’article 10 de la Loi, mais les points à décider dans cette demande de contrôle judiciaire ne font intervenir que des aspects se rapportant à l’alinéa 7b) et à l’alinéa 14(1)c).

 

ANALYSE

 

            Généralités

 

[18]           De manière générale, le demandeur a prié la Cour d’examiner si la Commission avait commis une erreur en disant que la preuve dont elle était saisie ne confirmait pas sa plainte, et en concluant que, eu égard à l’ensemble des circonstances de la plainte, l’examen de la plainte par le Tribunal n’était pas justifié. Au soutien de sa demande, le demandeur décrit ce qu’il considère comme une série d’erreurs susceptibles de contrôle dont serait entachée la décision de la Commission, et qui, considérées séparément ou cumulativement, l’autorisent à dire que la décision devrait être annulée.

 

Les détails

 

[19]           Dans ses arguments écrits, le demandeur faisait état d’un éventail assez étendu d’erreurs que, selon lui, l’enquêteur et la Commission ont commises lorsqu’ils ont évalué la preuve et qu’ils en ont tiré des conclusions. Lors de l’audience tenue devant moi à Victoria, cependant, le demandeur, tout en continuant d’affirmer que l’enquêteur et la Commission avaient tous deux erré sur tous les points qu’il avait au départ soulevés, a néanmoins admis qu’il n’y avait eu erreur susceptible de contrôle qu’au regard des trois aspects suivants :

 

1.      La différence préjudiciable de traitement

Le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle quand elle a dit qu’il n’avait pas été soumis à une différence préjudiciable de traitement lorsqu’ACC avait rechigné à lui offrir un poste à durée indéterminée en raison de doutes suscités par sa déficience. Autrement dit, il affirme que la conclusion selon laquelle la lenteur d’ACC à lui offrir un poste à durée indéterminée ne constituait pas une discrimination au sens de la jurisprudence applicable était une erreur susceptible de contrôle;

 

2.      Le manquement dans la mise à disposition d’un lieu de travail exempt de harcèlement

Sous cette rubrique, le demandeur limite son argument à la séance de médiation qui a eu lieu le 10 décembre 2003. S’agissant de cette réunion, il dit que non seulement ACC n’a pas empêché le harcèlement, mais s’est aussi rendu responsable du plus grave cas de harcèlement qui soit survenu. Il dit que la séance de médiation s’est transformée en une attaque personnelle contre lui et contre sa déficience, attaque qu’il a été contraint de supporter afin de pouvoir retourner à son poste. Partant, il dit que la conclusion de l’enquêteur et de la Commission selon laquelle ce n’était pas là un traitement discriminatoire constitue une erreur susceptible de contrôle;

 

3.      La négligence d’ACC à prendre les mesures requises par son état

Le demandeur limite maintenant cette contestation à la réponse inadéquate d’ACC à la requête qu’il avait faite pour que son bureau soit réaménagé. Il dit que la conclusion de l’enquêteur, confirmée par la Commission, selon laquelle ACC n’avait pas négligé de répondre à sa requête, étayée sur le plan médical, constituait une erreur susceptible de contrôle.

 

Le demandeur n’invoque plus l’absence de mesures spéciales au regard de la requête qu’il avait faite pour être autorisé à enregistrer sur bande les propos échangés durant les réunions. Mais il évoque néanmoins le traitement qui lui fut réservé, à la suite de la requête qu’il avait faite en la matière, pour donner une idée générale du harcèlement dont il dit avoir été l’objet de la part d’ACC.

 

Considérations préliminaires

 

[20]           Outre qu’il lui faut examiner le bien‑fondé de la décision de la Commission au regard des points soulevés par le demandeur, la Cour doit aussi considérer deux points litigieux d’importance qui séparent les parties :

 

1.            Le dossier soumis à la Cour

[21]           Le défendeur souligne que le dossier certifié du tribunal comprend le rapport d’enquête, le résumé de la plainte, le formulaire de plainte, la réponse du plaignant au rapport d’enquête, enfin une chronologie. Cependant, dans la présente demande, le demandeur a déposé un affidavit auquel il a annexé des pièces qu’il avait présentées à l’enquêteur, mais qui, selon le défendeur, n’ont pas été soumises à la Commission. Le défendeur est d’avis que seules les pièces 158, 161 et 162 faisaient partie du dossier certifié du tribunal et avaient été soumises à la Commission.

 

[22]           Le défendeur exprime l’avis que, à moins que la Cour ne soit priée de trancher une question d’équité procédurale, de partialité ou d’erreur de compétence au regard d’une décision contestée (et aucun élément ni argument attestant une telle erreur n’est avancé dans la présente affaire), les pièces soumises à la Cour qui ne faisaient pas partie du dossier certifié du tribunal devraient être radiées ou laissées de côté. Le défendeur dit que la Cour doit donc radier toutes les pièces annexées à l’affidavit du demandeur, sauf les pièces 158, 161 et 162.

 

[23]           Le demandeur tente de répondre à cet argument de deux façons. En premier lieu, il dit que la Commission avait devant elle la plupart des pièces mentionnées dans son affidavit parce qu’il les avait soumises à l’enquêteur. Il ne les avait pas incluses de nouveau dans sa réponse au rapport d’enquête soumis à la Commission, mais il avait expressément renvoyé la Commission auxdites pièces qu’il avait soumises à l’enquêteur.

 

[24]           Subsidiairement, le demandeur dit que, si la Commission n’a pas évoqué et examiné les documents qu’il avait soumis à l’enquêteur, et auxquels il s’était référé dans sa réponse au rapport d’enquête, alors se pose une question d’équité procédurale, parce que cela signifierait que la Commission a manqué à son obligation générale d’examiner et d’évaluer les documents de base accompagnant la plainte et soumis à l’enquêteur.

 

[25]           Je reconnais avec le défendeur qu’il est bien reconnu dans les procédures de contrôle judiciaire que la seule chose dont la Cour devrait tenir compte est la preuve et le dossier dont le décideur était saisi, hormis des cas restreints, qui en général font intervenir des questions d’équité procédurale, de partialité ou de compétence. Cette position est confirmée dans des précédents tels que Lemiecha c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 72 F.T.R. 49, (1993), 24 Imm. L.R. (2d) 95, paragraphe 4, et Société Radio‑Canada c. Paul (2001), 274 N.R. 47, 2001 CAF 93, paragraphe 77.

 

[26]           Aucune des raisons habituelles justifiant l’élargissement du dossier n’est alléguée dans l’affaire dont je suis saisi, et il n’y en a aucune. Il s’agit donc de savoir si l’on peut dire que le dossier dont la Commission était saisie, et donc le dossier certifié du tribunal, renferment des preuves qui ont été soumises à l’enquêteur et auxquelles s’est référé le demandeur devant la Commission.

 

[27]           D’abord, je ne vois aucune raison pour laquelle les règles habituelles ne s’appliqueraient pas à un document dont l’enquêteur n’était pas saisi et qui n’a pas été soumis à la Commission, même si le demandeur en a fait état dans ses observations relatives au rapport d’enquête.

 

[28]           En conséquence, la décision qu’il me faut prendre à ce sujet m’amène à me demander si le dossier certifié du tribunal doit être réputé inclure la preuve qui avait été soumise à l’enquêteur, mais que le demandeur n’a fait qu’évoquer dans ses arguments avancés devant la Commission.

 

[29]           Le défendeur se fonde sur la jurisprudence générale concernant le dossier soumis à la Cour, et en particulier sur les propos tenus par le juge Strayer dans l’arrêt Paul, au paragraphe 77 :

Il ressort de ces décisions que la Commission n’est pas tenue de soupeser des éléments de preuve éventuels : elle a le droit de se fonder sur le rapport d’enquête et sur les observations formulées au sujet du rapport par les parties, pour déterminer si le rapport justifie rationnellement le renvoi de l’affaire à un tribunal. Toute lacune que comporte le témoignage éventuel des témoins peut être mise à l’épreuve de manière adéquate lorsque le tribunal statue sur l’affaire. Dans le même ordre d’idées, lorsque, comme en l’espèce, une partie demande le contrôle judiciaire de la décision de renvoyer l’affaire (et non du rapport d’enquête), le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire est tenu d’examiner uniquement le dossier dont disposait la Commission lorsqu’elle a rendu la décision qui fait l’objet du contrôle judiciaire, sous réserve d’allégations spéciales concernant la procédure ou la compétence de l’auteur de la décision.

 

[30]           Je ne crois pas que ce passage soit pertinent à la question dont je suis saisi ici. La raison donnée par le juge Strayer pour appuyer son opinion selon laquelle « la Commission n’est pas tenue de soupeser des éléments de preuve éventuels » et selon laquelle « elle a le droit de se fonder sur le rapport d’enquête et sur les observations formulées au sujet du rapport par les parties, pour déterminer si le rapport justifie rationnellement le renvoi de l’affaire à un tribunal » est que « toute lacune que comporte le témoignage éventuel des témoins peut être mise à l’épreuve de manière adéquate lorsque le tribunal statue sur l’affaire ».

 

[31]           En l’espèce, et toutes les fois que la Commission décide de ne pas renvoyer une plainte au Tribunal, il n’y a aucune possibilité de mettre plus tard à l’épreuve les lacunes des témoignages, et la décision de ne pas renvoyer l’affaire au Tribunal revient à statuer définitivement sur le cas du demandeur, sous réserve bien sûr d’un contrôle judiciaire.

 

[32]           Il me semble que, si la Commission a le droit de se fonder sur le rapport d’enquête lorsqu’elle décide de ne pas renvoyer l’affaire au Tribunal, ce qui revient pour elle à statuer définitivement sur la plainte, alors tout vice entachant ce rapport, sauf à être constaté par la Commission, puis récusé par elle, doit aussi être un vice entachant la propre décision de la Commission. Cela signifie, à mon avis, que, lorsqu’il sollicite le contrôle judiciaire de cette décision, un demandeur doit pouvoir attaquer le rapport d’enquête et en démontrer les lacunes. Cette conclusion semble aussi découler inévitablement de l’affirmation du juge Strayer, dans l’arrêt Paul, selon laquelle « la Commission n’est pas tenue de soupeser des éléments de preuve éventuels ». Si tel est le cas, et si elle peut décider de ne pas renvoyer l’affaire au Tribunal en s’en remettant simplement au rapport, aux motifs et aux recommandations de l’enquêteur, alors la réalité est que la juridiction de contrôle examine la décision de la Commission et le rapport d’enquête, de telle sorte que la preuve soumise à l’enquêteur se trouve par le fait même devant la Cour. Je ne crois pas que l’on puisse répondre à cela en disant par exemple que le demandeur aurait pu à nouveau soumettre les pièces à la Commission au moment de répondre au rapport d’enquête et que, parce qu’il ne l’a pas fait, alors la Cour n’est pas saisie desdites pièces puisqu’elles ne font pas partie intégrante du dossier certifié du tribunal. Si la Commission « n’est pas tenue de soupeser des éléments de preuve éventuels » et « a le droit de se fonder sur le rapport d’enquête », et si elle n’est pas tenue de considérer les lacunes des éléments de preuve éventuels ou celles des hypothèses et conclusions de l’enquêteur, alors, quand une décision de ne pas renvoyer une plainte au Tribunal est soumise à un contrôle judiciaire, comme c’est le cas ici, le demandeur doit être autorisé à soumettre à la Cour les pièces qu’il avait présentées à l’enquêteur. Dans le cas contraire, le demandeur sera alors privé de la possibilité de démontrer les vices d’un rapport d’enquête fondé sur des éléments que la Commission « n’est pas tenue de soupeser... » et qui constituent le fondement intégral de la décision de la Commission de ne pas renvoyer la plainte au Tribunal.

 

[33]           Cela dit, je crois devoir reconnaître que, à plusieurs reprises, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale se sont demandé si des documents de base pouvaient être considérés comme partie intégrante du dossier dont la Commission était saisie lorsqu’elle a décidé de renvoyer ou non une plainte au Tribunal, et elles ont jugé que le dossier n’englobe pas les documents de base. Cependant, dans la recension de cette jurisprudence on décèle deux fonctions d’examen distinctes. La première concerne l’examen de la décision de la Commission de renvoyer ou non la plainte au Tribunal, compte tenu du rapport d’enquête. Le précédent qui est souvent cité comme décision de principe sur la question de savoir quels documents doivent être considérés comme soumis à la Commission est la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455, 180 N.R. 152, conf. [1995] C.S.C.R. n° 306. Dans cette affaire, le juge des requêtes avait considéré que l’enquêteur n’était pas indépendant de la Commission, mais menait l’enquête en tant que prolongement de la Commission (comme cela fut reconnu plus tard dans l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), [2006] 3 R.C.F. 392, 2005 CAF 404). Le juge des requêtes est donc arrivé à la conclusion que les documents soumis à l’enquêteur devaient être réputés avoir été soumis à la Commission et qu’ils intéressaient par conséquent la demande de contrôle judiciaire; de ce fait, ils devaient être produits. Cette conclusion fut infirmée par la Cour d’appel fédérale. D’abord, le juge Pratte a estimé, au paragraphe 11 de son arrêt, que, selon l’article 44 de la Loi, la Commission rend sa décision en se fondant sur le rapport d’enquête, et le droit présume que le rapport de l’enquêteur résume correctement toute la preuve produite devant lui. Ainsi, à moins que le dossier soumis à la Cour ne donne à penser que le rapport d’enquête comporte des inexactitudes ou des lacunes, il faut présumer que le rapport d’enquête constitue un compte rendu exact et complet. Pour cette raison, la production des documents ne présenterait aucun intérêt (paragraphe 2).

 

[34]           Le juge MacGuigan a souscrit aux motifs du juge Pratte et développé davantage son analyse. Il écrivait, au paragraphe 21 de l’arrêt Pathak, que l’enquêteur et la Commission ne sont pas à toutes fins une seule et même personne : « Tous les documents étaient sous la garde de la Commission et d’un accès facile, mais l’on ne saurait dire qu’ils étaient effectivement devant la Commission lorsqu’elle a rendu sa décision ». Recenser les documents dont la Commission était saisie aux fins de sa décision requiert de savoir ce sur quoi la Commission dit s’être fondée. En droit, seul le rapport de l’enquêteur et les observations des parties doivent être pris en compte par la Commission. Ainsi, selon le juge MacGuigan, au paragraphe 23 de l’arrêt Pathak, si la Commission n’exige pas la production d’un document, on ne saurait dire que ce document se trouvait devant elle lorsqu’elle a rendu sa décision.

 

[35]           La deuxième fonction d’examen consiste à examiner le rapport d’enquête pour y déceler des vices de forme. Sur ce point, le jugement Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne) (1re inst.), [1994] 2 C.F. 574, conf. (1996), 205 N.R. 383 (C.A.F.), semble être la décision de principe. Dans cette affaire, la demanderesse affirmait que la rédaction du rapport lui‑même était défectueuse. Le juge Nadon a conclu, au paragraphe 50, que l’enquête devait être à la fois neutre et rigoureuse. S’agissant de la neutralité, si la Commission adopte simplement les conclusions de l’enquêteur, sans exposer de motifs, et si les conclusions de l’enquêteur ont été tirées d’une manière que l’on pourrait qualifier de partiale, alors il y a erreur susceptible de contrôle. Dans ce genre de contrôle judiciaire, les éléments intéressant l’enquête seraient recevables. Cependant, l’examen se focalise sur l’enquête elle‑même, pour déterminer si elle répondait aux normes de l’équité procédurale (voir paragraphe 69).

 

[36]           Dans l’arrêt Hutchinson c. Canada (Ministre de l’Environnement), [2003] 4 C.F. 580, 2003 CAF 133, le juge Pelletier a conclu, au paragraphe 49, que « le droit de connaître la preuve à réfuter et d’y répondre se rapporte à des éléments qui seront mis à la disposition du décideur plutôt qu’à des éléments qui passent entre les mains d’un enquêteur dans le cadre de l’enquête ». S’appuyant sur cet arrêt, le juge de Montigny a conclu, dans la décision récente Niaki c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1104, au paragraphe 27, que lorsqu’aucun manquement à l’équité procédurale n’est allégué, ou lorsque la rigueur du rapport d’enquête n’est pas en cause, la Cour ne devrait en principe considérer que le dossier dont la Commission était saisie lorsqu’elle a rendu la décision contestée.

 

[37]           En l’espèce, le demandeur soulève, dans son avis de demande, les lacunes procédurales dont serait entaché le rapport d’enquête, mais il ne semble pas le faire directement dans des arguments additionnels. Cependant, à mon avis, il est possible de considérer ses arguments en général comme des arguments donnant à entendre que l’enquêteur n’a pas tenu compte de la preuve pertinente et qu’il a commis, dans ses constatations et conclusions, des erreurs de droit susceptibles de contrôle.

 

[38]           Plusieurs précédents donnent aussi à entendre que le dossier dont la Cour est saisie comprend les documents de base, même si le point en litige requiert uniquement l’examen de la décision de la Commission. D’abord, la Cour a reconnu la norme plus élevée qui s’applique au contrôle de la décision de rejeter une plainte plutôt que de la renvoyer au Tribunal pour examen. Dans l’arrêt Sketchley, précité, le juge Linden affirme, au paragraphe 37, que l’enquêteur ne peut pas être considéré comme « un simple témoin indépendant devant la Commission », et il confirme que « lorsque la Commission adopte les recommandations de l’enquêteur et qu’elle ne présente aucun motif ou qu’elle fournit des motifs très succincts, les cours ont, à juste titre, décidé que le rapport d’enquête constituait les motifs de la Commission [...] ». Cela signifie selon moi que, lorsqu’elle adopte les recommandations de l’enquêteur et qu’elle les considère comme ses propres motifs, la Commission adopte aussi la manière dont l’enquêteur a évalué les documents au dossier. Je crois que tel est le cas dans la présente demande.

 

[39]           Par conséquent, je suis d’avis que, si les pièces annexées à l’affidavit du demandeur se trouvaient bel et bien devant l’enquêteur et qu’elles ont été évoquées dans la réponse du demandeur au rapport d’enquête soumis à la Commission, alors lesdites pièces faisaient partie du dossier sur lequel la Commission a fondé sa décision, et elles font partie du dossier soumis à la Cour. Je crois aussi que cette manière de voir s’accorde avec les vues exprimées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sketchley, aux paragraphes 36 et 37, lorsqu’elle examinait la relation entre la décision de la Commission et le rapport d’enquête :

Le juge des requêtes a dit qu’il considérait que l’analyse faite dans les rapports d’enquête représentait les motifs de la décision de la Commission et il a invoqué, comme facteur justifiant cette conclusion, la brièveté de la décision de la Commission (paragraphe 12). L’appelant prétend qu’il s’agit d’une erreur de droit, puisqu’une telle conclusion ne reconnaîtrait pas les rôles distincts et séparés de l’enquêteur et de la Commission.

 

Selon moi, l’argument de l’appelant à cet égard doit être rejeté. Il est vrai que l’enquêteur et la Commission sont deux entités « à bien des égards distinctes » (Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak (1995), 180 N.R. 152, [1995] 2 C.F. 455, au paragraphe 21, le juge MacGuigan (avec l’appui du juge Décary)), mais il est également bien établi qu’aux fins d’une décision de la Commission en conformité avec le paragraphe 44(3) de la Loi, l’enquêteur n’est pas qu’un simple témoin indépendant devant la Commission (Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, au paragraphe 25 [SEPQA]). L’enquêteur établit son rapport à l’intention de la Commission et, par conséquent, il mène l’enquête en tant que prolongement de la Commission (SEPQA, précité, au paragraphe 25). Lorsque la Commission adopte les recommandations de l’enquêteur et qu’elle ne présente aucun motif ou qu’elle fournit des motifs très succincts, les cours ont, à juste titre, décidé que le rapport d’enquête constituait les motifs de la Commission aux fins de la prise décision en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi (SEPQA, précité, au paragraphe 35; Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (1999) 167 D.L.R. (4th) 432, [1999] 1 C.F. 113, au paragraphe 30 (C.A.) [Bell Canada]; Société Radio‑Canada c. Paul (2001), 274 N.R. 47, 2001 CAF 93, au paragraphe 43 (C.A.)).

 

 

 

[40]           Dans l’affaire qui m’est soumise, la décision effective de la Commission n’est guère motivée et elle renvoie de toute évidence aux motifs exposés dans le rapport de l’enquêteur, pour ne pas accepter la réponse détaillée du demandeur audit rapport. Deuxièmement, ce que le demandeur conteste, ce sont les constatations, les conclusions et les motifs du rapport d’enquête, que la Commission a acceptés sans hésiter. Par conséquent, je suis d’avis que le dossier dont je suis saisi contient à juste titre les pièces dont l’enquêteur disposait et auxquelles s’est référé le demandeur lorsqu’il a présenté à la Commission ses arguments à propos du rapport d’enquête.

 

2.       La norme de contrôle ‑ Généralités

 

[41]           Les parties sont en net désaccord sur la norme de contrôle applicable ici. Comme d’habitude, le demandeur croit que la décision de la Commission ne commande que peu de retenue et que la Cour devrait appliquer la norme de la décision correcte; le défendeur, quant à lui, croit que la décision commande le niveau maximal de retenue, concrétisé dans la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[42]           Plusieurs précédents de la Cour et de la Cour d’appel fédérale ont porté sur la norme de contrôle devant s’appliquer à la décision de la Commission de renvoyer ou de ne pas renvoyer une plainte au Tribunal pour examen, et certains de ces précédents semblent porter sur le point de savoir si la question en litige est une question de fait, une question de droit ou une question mixte de droit et de fait.

 

[43]           Dans l’arrêt Sketchley, la Cour d’appel fédérale a souligné qu’une analyse pragmatique et fonctionnelle devrait être entreprise pour chaque décision soumise à un contrôle, même si la même question ou une question similaire a été tranchée dans une affaire antérieure. Le juge Linden s’est explicitement référé aux précédents contradictoires portant sur la question de savoir quelle norme de contrôle est dictée par le paragraphe 44(3) de la Loi, précédents dont j’examine quelques‑uns ci‑après, et il déclarait, au paragraphe 45, que, « puisque des décisions différentes commandent un niveau de déférence différent, il n’est pas étonnant que la Cour d’appel fédérale ait appliqué diverses normes de contrôle à diverses décisions prises en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne ».

 

[44]           Dans l’arrêt Sketchley, le juge Linden a conclu, au paragraphe 59, que, dans une plainte donnée, la question de savoir si une discrimination apparente a été établie sera, dans certains cas, une question mixte de droit et de fait et, dans d’autres, une question de droit. Il évoquait, au paragraphe 60, plusieurs facteurs, que j’examinerai plus loin, qui permettent de déterminer si une question est une pure question de droit ou plutôt une question mixte de droit et de fait.

 

[45]           L’arrêt rendu en 1998 par le juge Décary dans l’affaire Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113, est fréquemment citée à l’appui de la proposition selon laquelle les décisions de la Commission de renvoyer une plainte au Tribunal ou de la rejeter purement et simplement appellent à tout le moins une certaine retenue. Cependant, le juge Décary a souligné que la décision de la Commission de renvoyer ou non une plainte au Tribunal pouvait comporter, à divers degrés, des questions de droit ou de fait, ce qui permet d’affirmer que, dans certains cas, la question pourrait être une pure question de droit. Au paragraphe 38 de l’arrêt Bell Canada, le juge Décary s’exprime ainsi :

La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable au moment de la réception d’un rapport d’enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 41 et 44 regorgent d’expressions comme « à son avis », « devrait », « normalement ouverts », « pourrait avantageusement être instruite », « des circonstances », « estime indiqué dans les circonstances », qui ne laissent aucun doute quant à l’intention du législateur. Les motifs de renvoi à une autre autorité (paragraphe 44(2)), de renvoi au président du Comité du tribunal des droits de la personne (alinéa 44(3)a )) ou, carrément, de rejet (alinéa 44(3)b)) comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d’opinion (voir Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.), à la page 698, le juge Le Dain), mais on peut dire sans risque de se tromper qu’en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape. (Non souligné dans l’original)

 

[46]           Par ailleurs, ainsi que l’écrivait le juge Linden dans l’arrêt Sketchley, aux paragraphes 79 et 80, la décision de la Commission appellera une retenue moindre s’il s’agit d’une décision de rejeter une plainte en application de l’alinéa 44(3)b) et que la décision en cause détermine des droits. Dans l’arrêt Larsh c. Canada (P.G.) (1999), 166 F.T.R. 101, à la page 107, 49 Imm. L.R. (2d) 2, au paragraphe 36 (CAF), le juge Evans écrivait quant à lui que la décision de la Commission de rejeter une plainte devrait être l’objet d’un examen plus poussé que la décision de renvoyer une plainte au Tribunal, et cela parce qu’un rejet constitue une décision définitive. Cependant, dans le jugement Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), [2006] 3 R.C.F. 283, 2005 CF 1297, le juge de Montigny écrivait, aux paragraphes 26 et 27, que le juge Evans n’avait nulle part dit, dans l’arrêt Larsh, que la décision de la Commission de rejeter une plainte devrait toujours être évaluée selon la norme de la décision correcte (le juge Evans a en fait appliqué la norme de la décision raisonnable dans l’arrêt Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général) (2005), 332 N.R. 60, 2005 CAF 113, voir ci‑après) et que ses propos étaient largement tributaires des circonstances de cette affaire. Dans l’affaire Larsh, la demanderesse avait avancé un argument singulier, affirmant qu’il y avait eu désaccord fondamental sur les circonstances se rapportant à un point important, et que la Commission ne devrait pas pouvoir rejeter une plainte simplement parce qu’il n’y avait pas de témoin indépendant apte à confirmer ce que la demanderesse avait dit.

 

[47]           En revanche, plusieurs précédents ont déjà porté sur la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission de ne pas renvoyer une plainte au Tribunal pour examen, et les précédents en question privilégient en général la norme de la décision raisonnable parce que les décisions de la Commission en ces matières font intervenir des questions mixtes de droit et de fait.

 

[48]           Ainsi, dans le jugement Bastide c. Société canadienne des postes, [2006] 2 R.C.F. 637, 2005 CF 1410, 2005 CF 1414, le juge de Montigny semble arriver à la conclusion, au paragraphe 32, que toutes les demandes adressées à la Commission pour qu’elle décide si l’examen d’une plainte par le Tribunal est justifié font intervenir des questions mixtes de droit et de fait, parce que la Commission doit déterminer si l’examen de la plainte par le Tribunal serait justifié en raison de l’application des normes juridiques à la preuve (paragraphe 33). C’est ce qu’a effectivement confirmé le juge de Montigny dans la décision Niaki, où il concluait ainsi, au paragraphe 31 :

[traduction] Il ne fait aucun doute que des décisions différentes appellent des niveaux de retenue différents. Par principe, la juridiction qui contrôle une décision rendue conformément au paragraphe 44(3) de la Loi doit procéder à nouveau à l’analyse pragmatique et fonctionnelle au lieu de s’en remettre à des précédents. Cela dit, plusieurs de mes collègues, de même que la Cour d’appel fédérale, se sont livrés à cet exercice dans un passé récent, et il est largement admis que la norme générale de contrôle à appliquer dans un cas comme celui‑ci est la norme de la décision raisonnable.

 

[49]           Le juge O’Keefe est arrivé à une conclusion semblable dans la décision MacLean c. Marine Atlantic (2003), 243 F.T.R. 219, 2003 CF 1459, aux paragraphes 41 et 42, et lui aussi a jugé que la norme de contrôle devant s’appliquer était celle de la décision raisonnable.

 

[50]           Dans la décision Bastide, le juge de Montigny énumère aussi plusieurs précédents récents où la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont toutes deux jugé que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (paragraphes 34 et 35). Ainsi, dans l’arrêt Tahmourpour, le juge Evans a estimé, sans cependant effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle, que la norme de la décision raisonnable s’appliquait dans le cas d’une plainte qui comportait notamment une allégation de harcèlement (paragraphe 6).

 

[51]           Le défendeur a quant à lui signalé plusieurs précédents, dont les décisions Horn c. Canada (Procureur général) (2005), 274 F.T.R. 254, 2005 CF 726, Pezzente c. Rogers Communications Inc., 2005 CF 953 et McConnell c. Canada (Commission des droits de la personne), 2004 CF 817, conf. 2005 CAF 389, précédents dans lesquels les juges ont conclu que la norme de contrôle applicable était celle de la décision manifestement déraisonnable. À mon avis cependant, ces précédents semblent être l’exception plutôt que la règle; dans aucun d’eux une analyse pragmatique et fonctionnelle n’a été effectuée.

 

[52]           Sur cette toile de fond, je suis d’avis que la Cour d’appel fédérale a donné, dans l’arrêt Sketchley, aux paragraphes 44 à 51, des indications générales sur la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer aux décisions de la Commission en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi :

...

 

Les avocats ont attiré l’attention de la Cour d’appel sur des décisions apparemment contradictoires qu’elle a rendues concernant la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission de renvoyer ou non une plainte à un tribunal conformément au paragraphe 44(3) de la Loi. La norme de la décision raisonnable simpliciter a été appliquée dans certaines décisions (Bradley c. Canada (Procureur général) (1999), 238 N.R. 76, au paragraphe 9 (C.A.F.), Gee c. Canada (Ministre du Revenu national) (2002), 284 N.R. 321, 2002 CAF 4, au paragraphe 13 (C.A.F.), Singh c. Canada (Procureur général) (2002), 291 N.R. 365, 2002 CAF 247, au paragraphe 7 (C.A.F.) [Singh], Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général) (2005), 332 N.R. 60, 2005 CAF 113, au paragraphe 6 (C.A.F.) [Tahmourpour], et Gardner c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 284, au paragraphe 21), mais la norme de la décision manifestement déraisonnable a été appliquée dans un grand nombre d’autres décisions (Bell Canada, précité, au paragraphe 37, St‑Onge c. Canada, [2000] A.C.F. no 1523, au paragraphe 1 (QL), Murray c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 2003 CAF 222, au paragraphe 4 [Murray], Elkayam c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 101, au paragraphe 4). Cette apparente incohérence est un résultat prévisible de l’application de l’analyse pragmatique et fonctionnelle.

 

Puisque des décisions différentes commandent un niveau de déférence différent, il n’est pas étonnant que la Cour d’appel fédérale ait appliqué diverses normes de contrôle à diverses décisions prises en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. D’ailleurs, c’est l’unanimité sur la norme à appliquer qui serait étonnante. Si la même norme avait toujours été appliquée, cela pourrait indiquer une application servile des précédents, plutôt qu’une application réfléchie et nuancée de l’approche pragmatique et fonctionnelle, cas par cas. D’ailleurs, quelle que soit la norme adoptée en l’espèce, les cours de révision qui auront dans l’avenir à examiner des décisions prises en vertu du paragraphe 44(3) devront, à chaque fois, reprendre l’analyse pragmatique et fonctionnelle.

 

Un examen des principes qui sous‑tendent la détermination de la norme de contrôle dans ce contexte pourrait clarifier la question. Comme je l’explique un peu plus loin dans la présente section, la cour de révision doit effectuer de nouveau l’analyse pragmatique et fonctionnelle chaque fois qu’une instance administrative rend une décision et non seulement pour chaque type de décision que rend un décideur en particulier en vertu d’une disposition précise. L’analyse pragmatique et fonctionnelle ne s’applique toutefois pas aux allégations concernant l’équité procédurale qui font toujours l’objet d’un contrôle à titre de question de droit.

 

En règle générale, lorsqu’elle est appelée à prendre une décision en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi, la Commission doit trancher une question de fait ou une question mixte de droit et de fait. Comme la décision dépend énormément, dans de tels cas, des faits de l’espèce, elle n’aura qu’une faible valeur jurisprudentielle. Toutes choses étant égales par ailleurs, l’analyse pragmatique et fonctionnelle entraînera probablement dans de tels cas l’application de la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable ou celle de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, si, comme en l’espèce, la décision de la Commission soulève une question de droit qui a une valeur jurisprudentielle générale ou si elle soulève une question d’équité procédurale, la norme appropriée pourrait bien être celle de la décision correcte. Je vais maintenant effectuer cette analyse.

 

a)             La primauté de l’approche pragmatique et fonctionnelle

 

La Cour suprême du Canada a clairement dit que le juge de révision doit effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle « chaque fois que la loi délègue un pouvoir à une instance administrative décisionnelle » (Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19, au paragraphe 21 [Dr Q]). Il convient de rappeler que l’« objectif global [de l’approche pragmatique et fonctionnelle] est de cerner l’intention du législateur, sans perdre de vue le rôle constitutionnel des tribunaux judiciaires dans le maintien de la légalité » (Dr Q, précité, au paragraphe 26). L’analyse pragmatique et fonctionnelle doit donc avoir pour objet de trancher la question fondamentale qu’est le degré de déférence dont les tribunaux doivent faire preuve à l’égard d’une instance administrative décisionnelle.

 

Je souligne que, dans aucune des décisions invoquées par les parties pour déterminer la norme de contrôle applicable (y compris celle‑ci), la cour de révision n’a appliqué l’approche pragmatique et fonctionnelle qui doit l’être en l’espèce.

 

b)            L’importance de préciser la question en litige dans la décision visée par le contrôle

 

Premièrement, l’obligation d’effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle dans tous les cas fait ressortir l’importance de préciser la question en litige dans la décision visée par le contrôle. Comme l’a dit le juge Bastarache dans Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982 [Pushpanathan], « l’accent est [...] mis sur la disposition particulière invoquée et interprétée par le tribunal » (paragraphe 28, non souligné dans l’original). Les facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle sont spécifiques à l’affaire en cause et la Cour suprême du Canada a insisté sur l’importance de ne pas y voir un « rite vide de sens » ou « machinal » (Dr Q, au paragraphe 26). Par conséquent, aussi complexe soit‑elle, l’analyse doit être effectuée de nouveau pour chaque décision et non seulement pour chaque type général de décision d’un décideur en particulier en vertu d’une disposition législative précise. Même lorsque la décision semble avoir été réglée dans la jurisprudence « [les cours] ne doivent sauter aucune étape de l’analyse pragmatique et fonctionnelle » (Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, au paragraphe 21 [Ryan]).

 

Impossible donc de conclure qu’étant donné que, dans une affaire antérieure, une norme a été appliquée à une décision prise par la Commission en vertu du paragraphe 44(3), la même norme doit nécessairement s’appliquer lors de l’examen d’une autre décision de la Commission en vertu de la même disposition législative. Dans le même ordre d’idées, on ne saurait conclure que la même norme de contrôle s’appliquera nécessairement à tous les aspects d’une décision de la Commission, surtout si (comme en l’espèce) elle est saisie de plusieurs plaintes à la fois. Ce sont les caractéristiques propres à la décision en cause, dans une affaire donnée, qui régissent la norme de contrôle que doit appliquer la cour de révision.

 

[53]           Je déduis de l’arrêt Sketchley que mon rôle en tant que juge saisi d’une procédure de contrôle judiciaire requiert ici l’approche suivante :

1.                  je dois entreprendre une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la décision de la Commission, et je dois m’abstenir de m’en rapporter à telle ou telle conception générale de la décision du genre de celle qui a été prise;

2.                  en procédant à une analyse pragmatique et fonctionnelle, je dois définir clairement la question particulière qui est soulevée dans la décision de la Commission;

3.                  en procédant à l’analyse, je ne dois pas présumer que la même norme de contrôle s’appliquera nécessairement à tous les aspects de la décision de la Commission, parce que le demandeur a déposé plusieurs plaintes et que ce sont les détails de la décision de la Commission qui régissent la norme de contrôle qui devra être appliquée.

 

[54]           Selon moi, les circonstances de la présente affaire m’imposent d’effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle pour chacun des motifs de contrôle invoqués par le demandeur. Bien que le demandeur dise que l’unique point à décider est celui de savoir si la Commission a commis une erreur en disant que la preuve n’appuie pas les éléments de sa plainte, il soulève, à l’intérieur de cette erreur générale alléguée, des aspects particuliers qui m’obligent à adopter une approche nuancée pour déterminer la norme de contrôle applicable à chacune des erreurs recensées.

 

3.       La norme de contrôle ‑ Détails

 

[55]           S’agissant de chacun des aspects particuliers de la décision de la Commission pour lesquels le demandeur dit qu’il y a eu erreur susceptible de contrôle, mes conclusions sur la norme de contrôle à appliquer sont les suivantes :

 

a)         La différence préjudiciable de traitement

[56]           La question particulière dont il s’agit ici est de savoir si, en rechignant à offrir au demandeur un poste à durée indéterminée, ACC lui a fait subir une différence préjudiciable de traitement fondée sur sa déficience.

 

[57]           Le demandeur maintient que, s’agissant de ce point particulier, une analyse pragmatique et fonctionnelle conduit inévitablement à la conclusion selon laquelle la norme de contrôle devrait être celle de la décision correcte. Le défendeur arrive quant à lui à la conclusion que, après analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme devrait être celle de la décision manifestement déraisonnable. La raison principale pour laquelle le demandeur invoque que c’est la norme de la décision correcte est le fait que la question soulevée par cet aspect de la décision de la Commission fait intervenir une question de droit, ou à tout le moins une question mixte de droit et de fait à fort contenu juridique. Le défendeur analyse que cet élément de la décision de la Commission et maintient qu’il soulève des questions de fait, ou des questions mixtes de droit et de fait à fort contenu factuel, ce qui, après prise en compte des autres facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, suggère que la norme applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[58]           En l’espèce, la question particulière en cause pourrait comporter un éventail de constatations et de conclusions :

a)      des conclusions purement factuelles, par exemple que quelque chose a été dit ou fait par une personne en particulier à un certain moment;

b)      des attributions de sens à des conclusions purement factuelles, c’est‑à‑dire une évaluation sémantique du contexte global où s’est produit le fait en cause;

c)      des conclusions touchant des ensembles de tels faits et les significations qui leur sont attribuées, dont certaines peuvent appuyer une conclusion donnée et d’autres la réfuter;

d)      la recension des définitions et critères juridiques applicables aux faits et aux conclusions;

e)      une décision finale quant à savoir si des faits particuliers, des ensembles de faits ou des conclusions satisfont à la définition ou au critère juridique pertinent.

 

[59]           Pour être véritablement nuancée, une analyse pragmatique et fonctionnelle doit être sensible au moins à ces gradations à mesure qu’elles apparaissent pour l’élément particulier en cause. La jurisprudence parle souvent de décisions « à fort contenu factuel » ou « à fort contenu juridique ». Essentiellement, dans la présente affaire, le demandeur conteste à la fois les conclusions à laquelle arrive l’enquêteur sur la base d’ensembles de faits, et les constats de l’enquêteur selon lesquels lesdites conclusions ne contreviennent pas au critère juridique applicable.

 

[60]           Mes propres conclusions sur cet élément particulier sont les suivantes :

 

i)          La présence ou l’absence d’une clause privative ou d’un droit d’appel prévu par la loi

 

[61]           La Cour d’appel fédérale a fait une analyse détaillée de ce facteur dans l’arrêt Sketchley, au paragraphe 63, et il m’est impossible de voir pourquoi, au vu des faits qui ne sont pas présentés, une autre nouvelle analyse conduirait à une conclusion différente :

La Loi ne donne donc aucune directive concernant l’appel ou le contrôle de ce type de décision. Comme il a été souligné dans Dr Q, au paragraphe 27, « le silence est neutre et n’implique pas une norme élevée de contrôle » (citant Pushpanathan, précité, au paragraphe 30).

 

 

 

[62]           Sur ce seul fondement, ce facteur a une incidence neutre sur la norme de contrôle. Cela ne règle cependant pas la question parce que, comme le soulignait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sketchley, au paragraphe 64, « les dispositions législatives qui habilitent la Cour à contrôler les décisions de la Commission – à savoir les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales – sont également pertinentes ». L’effet de ces dispositions ne peut être mesuré avant que je décide si la question du genre de celle qui est soulevée dans la présente affaire est évoquée dans les articles 18 et 18.1 comme une question appelant l’application d’une norme. Je considérerai donc d’après ce facteur l’incidence de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, ci‑après, lorsque j’examinerai les dispositions législatives applicables.

 

ii)      L’expertise relative

 

[63]           La Cour d’appel fédérale exposait, au paragraphe 71 de l’arrêt Sketchley, ce que cette évaluation suppose :

L’évaluation du deuxième facteur, l’expertise relative, exige une analyse qui « comporte trois dimensions : la cour doit qualifier l’expertise du tribunal en question; elle doit examiner sa propre expertise par rapport à celle du tribunal; et elle doit identifier la nature de la question précise dont était saisi le tribunal administratif par rapport à cette expertise » (Pushpanathan, précité, au paragraphe 33, cité dans Dr Q, précité, au paragraphe 28).

 

[64]           S’agissant de cet élément, le point précis soumis à la Commission était de savoir si la preuve appuyait ou non l’affirmation du demandeur selon laquelle il avait subi une différence préjudiciable de traitement quand ACC avait tardé à lui offrir un poste à durée indéterminée. La Commission devait pour cela appliquer aux faits, et aux conclusions tirées de ces faits par l’enquêteur, la définition juridique de l’expression « différence préjudiciable de traitement ». Selon moi, cet exercice soulève des questions mixtes de droit et de fait. Il ne s’agit pas d’une pure question de droit, parce que les parties ne prétendent pas que la Commission ou l’enquêteur n’aurait pas appliqué la bonne définition juridique d’une « différence préjudiciable de traitement ». Ce que les parties contestent, c’est le point de savoir si l’enquêteur a tiré les bonnes conclusions, au vu des faits, et s’il a appliqué correctement le droit aux faits et à ses conclusions.

 

[65]           S’agissant de l’aspect factuel de cet exercice, l’enquêteur est beaucoup mieux placé que la Cour pour tirer des conclusions factuelles. Cela suppose le niveau le plus élevé de retenue et l’application de la norme de la décision manifestement déraisonnable. En revanche, une fois les faits constatés par l’enquêteur, la Cour n’est pas moins qualifiée que lui, et elle l’est probablement davantage, pour savoir si les faits s’accordent ou non avec la définition d’une « différence préjudiciable de traitement ». Une retenue bien moindre s’impose donc alors.

 

[66]           S’agissant de ce facteur, ma conclusion est que, pour que l’analyse pragmatique et fonctionnelle demeure suffisamment nuancée, l’expertise relative se rapportant à la question de la différence préjudiciable de traitement dépendra de savoir où se situe l’élément en cause sur le continuum entre l’établissement des faits et l’application du droit. D’après mon examen de la preuve et du rapport d’enquête, il m’apparaît que l’expertise de l’enquêteur est contestée par le demandeur, parfois parce qu’il n’a pas tenu compte de la preuve pertinente, mais surtout en raison des conclusions de droit qu’il a tirées au regard des faits établis. Autrement dit, ce qui est capital ici, c’est l’expertise relative dans l’application d’une définition juridique à des faits établis et, à mon sens, cela signale une retenue judiciaire faible.

 

(iii)    L’objet de la loi dans son ensemble et de l’alinéa 44(3)a) en particulier

 

[67]           Dans l’arrêt Sketchley, la Cour d’appel fédérale a entrepris l’analyse de ces facteurs aux paragraphes 74 à 76, et je ne vois aucune raison de m’écarter de ses conclusions dans l’affaire dont je suis saisi :

...

 

L’objet de la Loi, décrit à l’article 2, est essentiellement d’empêcher les pratiques discriminatoires fondées sur une série de motifs de distinction illicite. La protection des droits humains et individuels est une valeur fondamentale au Canada et les institutions, organismes ou personnes qui ont reçu le mandat, en vertu de la loi, d’examiner ces questions sont assujettis à un certain contrôle de la part des autorités judiciaires.

 

La décision en cause relativement à la plainte concernant le CT a été prise dans l’exercice par la Commission de sa fonction d’examen en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi. Pour une plainte donnée, la décision prise par la Commission en vertu de l’article 44 constitue un seuil important pour avoir accès aux pouvoirs de redressement du Tribunal en vertu de l’article 54 : à cette étape, la décision de la Commission de ne pas traiter une plainte a pour effet de refuser au plaignant la possibilité d’obtenir une mesure de redressement en vertu de la Loi. Les activités de la Commission relativement à l’enquête concernant des plaintes individuelles ainsi que leur renvoi sélectif devant un tribunal touchent directement les droits individuels des parties relativement à une plainte en particulier. Cet aspect laisse à penser qu’il convient d’appliquer une norme qui commande une moins grande déférence.

 

Dans le même ordre d’idées, il est notoire que le nombre de plaintes que reçoit la Commission dépasse de loin le nombre de plaintes qu’elle peut, pour des raisons pratiques et pécuniaires, renvoyer devant un tribunal pour enquête supplémentaire. Comme l’a dit le juge Décary dans Bell Canada, précité, au paragraphe 38 :

 

La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable au moment de la réception d’un rapport d’enquête [...] Les motifs de renvoi à une autre autorité ( paragraphe 44(2)), de renvoi au président du Comité du tribunal des droits de la personne (alinéa 44(3)a)) ou, carrément, de rejet (alinéa 44(3)b)) le comportement, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d’opinion (voir Latif c. Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.), à la page 698, le juge Le Dain ), mais on peut dire sans risque de se tromper qu’en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape. (Non souligné dans l’original.)

 

En règle générale, du moins lorsqu’il s’agit de l’appréciation de questions pratiques et pécuniaires, la Commission est bien mieux placée que la Cour fédérale pour apprécier si une plainte en particulier devrait se rendre plus loin. Ce facteur penche donc en faveur d’une plus grande déférence.

 

[68]           Le dossier dont je suis saisi ne donne nullement à penser que la Commission ou l’enquêteur a pris en compte des considérations pratiques et pécuniaires pour cet aspect particulier de la décision, ni même pour l’un quelconque des points soulevés. Je ne puis donc arriver à aucune conclusion sur la manière dont les considérations pécuniaires et pratiques devraient influer sur cette analyse pragmatique et fonctionnelle.

 

[69]           Au vu des faits et de la décision au dossier, j’arrive donc à la conclusion que le caractère définitif et irrévocable de la décision, laquelle a pour effet de nier au demandeur son droit d’être entendu par un tribunal, de même qu’à un redressement possible en vertu de la Loi, signale pour ce facteur particulier « une moins grande déférence ».

 

(iv)  La nature du problème

 

[70]           Dans l’arrêt Sketchley, la Cour d’appel fédérale a exposé plusieurs points qui facilitent l’étude de ce facteur dans le cas qui nous concerne. Les observations pertinentes sont exposées aux paragraphes 77, 79 et 80 :

Comme l’a souligné le juge Sopinka dans SEPQA, précité, au paragraphe 27, à la fin du processus d’examen, la Commission doit déterminer si « la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante ». Pour l’essentiel, l’enquêteur a pour mission de découvrir les faits mais la Commission elle‑même, lorsqu’elle prend une décision en se fondant sur le rapport de l’enquêteur, applique néanmoins les faits dans le contexte des exigences de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La décision qui en résulte sera, en règle générale, une question mixte de fait et de droit qui appelle « une déférence plus grande si la question est principalement factuelle, et moins grande si elle est principalement de droit » (Dr Q, précité, au paragraphe 34).

 

[...]

 

Dans ce contexte, il est également important de faire une distinction entre la décision de la Commission, lors de l’examen, de rejeter une plainte en conformité avec l’alinéa 44(3)b), et la décision d’accueillir une plainte et de la renvoyer à un Tribunal en conformité avec l’alinéa 44(3)a). Dans ce dernier type de décision, la Commission n’est pas un organisme décisionnel qui se prononce sur la question de savoir si une plainte est fondée (Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, au paragraphe 54). Dans ces circonstances, les « présomptions juridiques adoptées par la Commission pour décider de demander la constitution d’un tribunal n’équivalent pas à des décisions sur l’état du droit applicable ou ses effets sur les intéressés » (Zündel c. Canada (Procureur général) (2000), 267 N.R 92, au paragraphe 4).

 

Toutefois, lorsque la Commission décide de rejeter une plainte, sa conclusion est « à proprement parler, une décision qui touche aux droits subjectifs » (Latif c. Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687, au paragraphe 24 (C.A.F.) [Latif]). Toutes les présomptions juridiques formulées par la Commission quand elle décide de rejeter une plainte seront définitives pour ce qui concerne leurs répercussions sur les parties. Par conséquent, dans la mesure où la Commission décide de rejeter une plainte en s’appuyant sur une conclusion qu’elle a tirée au sujet d’une question fondamentale de droit, le degré de déférence qui sera exercé dans le contrôle de la décision sera moins élevé.

 

[...]

 

 

[71]           Pour conclure donc, s’agissant de la décision de la Commission selon laquelle la lenteur d’ACC à accorder au demandeur un statut d’employé nommé pour une période indéterminée, la Cour se trouve devant une décision définitive et irrévocable qui consistait essentiellement à dire si les faits établis (et les conclusions tirées de ces faits) présentaient la qualification juridique d’une différence préjudiciable de traitement. Pour cet aspect de la décision, la spécialisation de la Cour n’est pas inférieure à celle de la Commission. À mon avis, cet aspect particulier se trouve donc à l’extrémité du registre à fort contenu juridique et, eu égard à l’ensemble des facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, il appelle ici l’application de la norme de la décision correcte. Je crois que cette conclusion est également appuyée par les dispositions applicables de la Loi sur les Cours fédérales, telles que les a analysées la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sketchley, aux paragraphes 64 à 70.

...

 

Toutefois, les dispositions législatives qui habilitent la Cour à contrôler les décisions de la Commission – à savoir les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale – sont également pertinentes. Le paragraphe 18.1(4) prévoit :

 

18.1(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

 

 

a) a agi sans compétence, outrepassé celle‑ci ou refusé de l’exercer;

 

 

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

 

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle‑ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

 

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

 

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

 

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

 

18.1(4) Grounds of Review ‑ The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

                     

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

 

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

 

 

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

 

 

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

 

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

 

(f) acted in any other way that was contrary to law.

 

 

Il convient de souligner que, même s’il existe six motifs de contrôle, les normes de contrôle à appliquer ne sont pas précisées, sauf en ce qui concerne les conclusions de fait erronées (alinéa 18.1(4)d)) qui font l’objet d’un contrôle si elles ont été tirées de façon abusive ou arbitraire. Il s’agit d’une norme de preuve qui s’apparente à celle de la décision manifestement déraisonnable. On a toujours considéré que les autres motifs énumérés, y compris notamment l’erreur de droit, étaient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Toutefois, le droit administratif canadien contemporain est fondé sur la reconnaissance ‑ comme l’indique l’approche pragmatique et fonctionnelle ‑ que la déférence judiciaire sera nécessaire, dans certaines circonstances, relativement à l’interprétation de certaines questions de droit faite par un tribunal administratif (S.C.F.P., Section locale 963 c. La Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, Union des employés de service c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, Pezim c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557, Pushpanathan, précité).

 

Dans Mugesera c. Canada (2005), 335 N.R. 229, 2005 CSC 40, un arrêt récent concernant le contrôle, sous le régime de la Loi sur la Cour fédérale, d’une décision dans laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Section d’appel) devait interpréter des dispositions du Code criminel, la Cour suprême du Canada, sans avoir analysé la jurisprudence antérieure, semble indiquer qu’elle est maintenant disposée à prêter une certaine influence, sinon une influence déterminante, aux termes utilisés par le législateur dans la Loi sur la Cour fédérale lorsqu’il s’agit de déterminer la norme de contrôle applicable aux questions de droit. La Cour suprême a écrit :

 

37. L’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale régit la demande de contrôle judiciaire visant une décision administrative rendue sous le régime de la Loi sur l’immigration. Les alinéas 18.1(4)c) et d) disposent plus particulièrement que les mesures prévues ne peuvent être prises que si l’office fédéral a commis une erreur de droit ou fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée. Pour les besoins de ces dispositions, la norme de révision de la décision correcte s’applique à l’égard des questions de droit. (Non souligné dans l’original.)

 

Malgré ce passage péremptoire et apparemment sans équivoque tiré de l’arrêt Mugesera, j’estime qu’il serait néanmoins sage, du moins jusqu’à ce que la question soit clarifiée, de continuer d’appliquer l’approche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable aux questions de droit lors d’un contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur la Cour fédérale. Il en est ainsi à cause des directives claires données par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dr Q, précité, selon lesquelles il faut appliquer l’approche pragmatique et fonctionnelle chaque fois qu’il faut déterminer la norme de contrôle.

 

Toutefois, le paragraphe 37 de l’arrêt Mugesera, précité, permet de penser que, lorsque la Loi sur la Cour fédérale s’applique, comme en l’espèce, il faudrait, à tout le moins, examiner les dispositions de cette loi dans le cadre de l’analyse pragmatique et fonctionnelle. Il est clair que la Loi qui confère compétence est pertinente en rapport avec les questions que soulève, en fin de compte, le contrôle judiciaire, c’est‑à‑dire, l’intention du législateur et la légalité (Dr Q, précité, au paragraphe 21).

 

Par conséquent, lorsque le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale s’applique, dans la mesure où la décision en cause est une question de droit, le premier facteur de l’analyse pragmatique et fonctionnelle donne à penser que la norme applicable est celle de la décision correcte. Toutefois, cette norme ne s’applique peut‑être pas automatiquement au contrôle de toutes les questions de droit, puisque d’autres facteurs pragmatiques et fonctionnels, notamment l’expertise relative, pourraient, dans certains cas, l’emporter.

 

En l’espèce, compte tenu de la nature abstraite du raisonnement de la Commission, la question de savoir si la preuve a établi une discrimination à première vue est très certainement une question de droit. Le présent contrôle relève du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale et c’est pourquoi, à mon avis, le premier facteur favorise l’application de la norme de la décision correcte.

 

b)         Le fait pour ACC de ne pas avoir procuré au demandeur un milieu de travail exempt de harcèlement

 

[72]           Si je procède pour ce moyen particulier à une analyse pragmatique et fonctionnelle, j’arrive aux mêmes conclusions, et pour les mêmes motifs, que celles auxquelles je suis arrivé ci‑dessus sur la question de la différence préjudiciable de traitement. Le demandeur attaque essentiellement la conclusion de l’enquêteur selon laquelle, en droit, il n’y avait pas distinction illicite d’après la Loi. L’exercice est essentiellement le même que celui qui fut évoqué par le juge Nadon dans la décision Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574, page 611, conf. (1996), 205 N.R. 382 (C.A.F.) :

Sur cette question, je dois exprimer mon désaccord avec la proposition de la requérante selon laquelle la conclusion relative au bien‑fondé de l’allégation de discrimination de la requérante est une question de fait, par opposition à une question de droit. Comme l’a écrit le professeur Wade (Administrative Law. 6e éd., aux pages 938 et 939) :

 

[traduction] Les questions de droit doivent être distinguées des questions de fait, mais c’est là un domaine où les règles ont pris diverses formes sous l’effet de l’interprétation judiciaire...

 

La doctrine la plus simple et la plus logique a été reconnue dans nombre de jugements. Elle veut que les questions de fait soient les principaux faits de l’espèce qui doivent être établis avant que le droit ne puisse s’appliquer, les « faits qui sont observés par les témoins et prouvés par témoignage », auxquels il faudrait ajouter tout fait de notoriété publique, dont la cour peut prendre connaissance d’office sans que preuve doive en être faite. La question de savoir si ces faits, dès qu’ils ont été établis, satisfont à une définition ou à un critère légal doit constituer une question de droit, puisqu’il s’agit alors de se demander comment interpréter la loi et l’appliquer à ces faits établis.

 

[73]           Par conséquent, je suis d’avis que cet aspect de la décision de la Commission commande peu de retenue et que c’est la norme de la décision correcte qui est applicable.

 

c)         Le fait pour ACC de ne pas avoir pris de mesures spéciales

 

[74]           Après examen de la décision de la Commission se rapportant à cet aspect, il m’apparaît que le demandeur entend surtout contester les constatations factuelles de l’enquêteur et les conclusions qu’il en a tirées.

 

[75]           S’agissant d’une analyse pragmatique et fonctionnelle, rien ne change par rapport aux deux premiers éléments susmentionnés, si ce n’est que, lorsque la contestation porte sur des faits constatés et sur les conclusions qui en sont tirées, la Cour doit montrer beaucoup plus de retenue, et la norme de la décision correcte ne devrait pas être appliquée. Après examen de cet aspect de la décision de la Commission, il m’apparaît que la contestation du demandeur porte principalement sur des faits. Par conséquent, après analyse pragmatique et fonctionnelle pour cet aspect particulier de la décision de la Commission, il m’apparaît que la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

Le fond de la décision

 

            Le seuil du renvoi d’une plainte au Tribunal

 

[76]           Les principes généraux régissant le seuil à partir duquel il convient de renvoyer une plainte au Tribunal en application de l’article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1986, ch. H‑6 (la Loi), ont été établis par le juge Sopinka dans l’arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 (l’arrêt SEPQA). Selon l’avis exprimé par le juge Nadon dans le jugement Slattery, aux paragraphes 72 à 78, jugement confirmé : (1996), 205 N.R. 383, le juge Sopinka avait souligné, dans l’arrêt SEPQA, que la décision de rejeter une plainte ou de la renvoyer au Tribunal pour examen est intimement rattachée à la manière dont la Commission juge le bien‑fondé de la plainte. Ce raisonnement demeure applicable à la nouvelle version du texte du paragraphe 44(3). Le juge Sopinka déclare ce qui suit, dans l’arrêt SEPQA, à la page 899 :

[...] Le but n’est pas une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires. La Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante. L’intention n’était pas non plus de tenir une audience en règle avant de décider de l’opportunité de constituer un tribunal. Au contraire, le processus va du stade de l’enquête au stade judiciaire ou quasi judiciaire dès lors qu’est rempli le critère énoncé dans [la Loi]. (Non souligné dans l’original)

 

[77]           Le juge Linden a cité et appliqué, dans l’arrêt Sketchley, au paragraphe 77, la portion soulignée de ces propos du juge Sopinka.

 

[78]           Le juge LaForest, s’exprimant pour la Cour suprême du Canada, a plus tard développé les principes de l’arrêt SEPQA dans l’arrêt Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, 204 N.R. 1, au paragraphe 53. Selon le juge LaForest, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu’un juge effectue dans une enquête préliminaire, et il a estimé qu’il n’appartient pas à la Commission de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, compte tenu de l’ensemble des faits, une enquête est justifiée, et à vérifier s’il existe une preuve suffisante. Le juge LaForest a confirmé et appliqué les principes de l’arrêt SEPQA.

 

[79]           Dans l’arrêt Bell Canada, au paragraphe 35, le juge Décary écrivait qu’il s’agissait là d’un seuil peu élevé.

 

[80]           Finalement, dans le jugement Wang c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) (2005), 272 F.T.R. 208, 2005 CF 654, au paragraphe 26, le juge Beaudry a conclu que c’est l’ensemble de la preuve qui importe pour l’enquête :

La Commission ne peut tenir compte d’un seul aspect de la preuve; elle doit considérer l’ensemble de la preuve, « compte tenu des circonstances relatives à la plainte ». Dans Tan c. Société canadienne des postes, [1995] A.C.F. no 899 (1re inst.) (QL), la Cour fédérale a déclaré au paragraphe 25 :

 

[...] s’il est clair que la Commission ne peut se dissocier entièrement du bien‑fondé d’une plainte en déterminant de ne pas donner suite à l’affaire, il est inconcevable que, dans son rôle d’appréciation des faits, elle ne puisse tirer de conclusions au sujet de la valeur probante de certains éléments de preuve ou de la possibilité qu’en raison d’une faiblesse inhérente, certaines plaintes ne valent pas la peine d’être poursuivies au‑delà de l’étape de l’enquête. Tant que la Commission ne décide pas de ne pas donner suite à l’affaire en négligeant de prendre en considération les preuves importantes dont elle est saisie, il n’existe aucun motif d’intervention judiciaire au stade du contrôle.

 

[81]           Le seuil du renvoi d’une plainte au Tribunal semble donc relativement peu élevé : compte tenu de toutes les circonstances, y avait‑il lieu, au vu de la preuve, de passer à l’étape suivante?

 

1.      La différence préjudiciable de traitement – Lenteur d’ACC à accorder au demandeur un poste à durée indéterminée

 

Les faits constatés

 

[82]           Le demandeur a reçu des prestations de la CAT au titre du SSPT dont il est atteint, et il a été accepté en septembre 2001 comme bénéficiaire d’une priorité à la CFP en raison de sa déficience. Conformément à l’article 36 du Règlement, un employé nommé pour une durée indéterminée qui devient invalide et qui remplit les conditions du Règlement est fondé à un statut prioritaire. Un tel employé a droit à une affectation prioritaire, sans concours, dans un poste que la CFP juge indiqué.

 

[83]           En mars 2002, la CFP a communiqué avec le demandeur pour l’informer qu’un poste de conseiller de secteur était ouvert au bureau de Victoria d’ACC.

 

[84]           Le 8 mars 2002, le demandeur a reçu un courrier électronique l’informant qu’il avait été présélectionné dans le concours pour le poste de conseiller de secteur. Il a subi un test et passé une entrevue pour ce poste. Il a reçu confirmation de sa nomination à ce poste le 5 avril 2002. Une communication ultérieure a confirmé sa nomination.

 

[85]           Après s’être vu offert le poste de conseiller de secteur auprès d’ACC, le demandeur a informé Susan Dayton, gestionnaire de l’équipe des services à la clientèle, qu’il ne pouvait pas travailler à temps plein, mais devait être réintégré dans le lieu de travail. Il a rencontré Ken Parkinson (directeur de district) et Beverly Greig (chef des services à la clientèle) d’ACC les 17 et 24 avril 2002 pour discuter avec eux d’un régime de la CAT qui prendrait en charge un programme de retour progressif au travail. Le 26 avril 2002, une entente a été rédigée concernant le retour progressif du demandeur au travail, exercice qui devait débuter le 1er mai 2002 et s’achever le 23 juillet 2002.

 

[86]           Le demandeur a commencé de travailler pour ACC le 1er mai 2002. Il affirme que Mme Greig et M. Parkinson ont déclaré n’avoir pas été informés, au moment de son recrutement, qu’il était censé revenir progressivement au travail alors qu’ils voulaient quelqu’un qui fût en mesure de travailler à temps plein, outre qu’ils ne savaient pas qu’il était traité activement pour son SSTP. Il y eut plusieurs rencontres, dont le demandeur dit qu’elles ont été stressantes et empreintes d’acrimonie.

 

[87]           Le 3 juillet 2002, M. Parkinson a informé le conseiller en réadaptation professionnelle de la CAT, Lee Dennis, que le travail du demandeur s’améliorait et qu’il serait recruté pour une période à durée indéterminée à la fin du programme de retour au travail. Cependant, M. Parkinson a alors demandé que le programme de retour progressif au travail soit prolongé de trois semaines, c’est‑à‑dire jusqu’au 13 août 2002, ce qui fut fait.

 

[88]           Au cours d’une conférence téléphonique tenue le 31 juillet 2002, ACC a officiellement demandé que le programme de retour au travail soit prolongé de trois mois. Le 31 juillet 2002, un représentant de la CAT a signalé, au cours d’échanges avec Mme Robin Hounslow, de la CFP, que le retour progressif du demandeur au travail se déroulait de façon très inhabituelle. Le défendeur maintient que, même si une nomination pour une période déterminée est inhabituelle, elle peut être nécessaire lorsqu’un ministère ne sait pas si un candidat est qualifié pour le poste. Cependant, le demandeur avait été accepté pour le poste.

 

[89]           Par lettre en date du 1er août 2002, M. Parkinson a fait connaître à la CAT les multiples raisons justifiant sa demande de renouvellement du programme de retour du demandeur au travail. Plusieurs de ces raisons étaient directement rattachées à la déficience du demandeur.

 

[90]           Le 8 août 2002, le demandeur s’est vu offrir une nomination d’une durée de trois mois. Le 12 août 2002, Jodi Rai (directrice régionale intérimaire des ressources humaines d’ACC) écrivait au psychologue du demandeur pour lui poser des questions sur la déficience de celui‑ci et le prier d’évaluer son aptitude au travail. Le médecin du demandeur a déclaré le 27 août que le demandeur était apte à faire son travail, à condition qu’il ait la possibilité une fois par semaine de subir une thérapie, qu’il soit autorisé à commencer plus tard le matin et que son bureau soit positionné de manière à ne pas se trouver dans le corridor de circulation, lui donnant ainsi la possibilité de voir les gens s’approcher et de conserver une certaine distance entre lui et ceux qui entraient.

 

[91]           Le demandeur a écrit à Mme Rai, en date du 20 août 2002, une lettre dans laquelle il écrivait qu’on ne lui avait pas accordé un poste à durée indéterminée et que cela constituait une discrimination.

 

[92]           Un poste à durée indéterminée a été offert au demandeur le 4 septembre 2002.

 

Le rapport d’enquête

 

[93]           Les divers documents mentionnés dans le dossier ont été examinés, et les entrevues suivantes ont été menées par l’enquêteur :

[traduction]

J’ai interrogé Robin Hounslow et sa directrice, Bonnie Blenkinsop (de la CFP), pour savoir s’il est habituel qu’un poste à durée déterminée soit attribué à un candidat. Elles ont répondu que, si le ministère n’est pas certain que le candidat possède les qualités requises, il peut faire une nomination pour une période déterminée, jusqu’à ce que le candidat ait les qualités requises. Cependant, cela  ne se fait en principe que pour les bénéficiaires d’une priorité qui ont droit à un recyclage, et uniquement durant la période du recyclage. Mme Hounslow a déclaré que l’attribution au demandeur d’un poste à durée déterminée ne correspondait pas à la norme, parce qu’il n’était pas admissible à un recyclage. Mme Blenkinsop a déclaré que la CAT avait offert à ACC trois mois de paiement, étant entendu que le demandeur serait nommé pour une période indéterminée après que la période de trois mois aurait été achevée avec succès. Mme Blenkinsop a affirmé que la nomination, après cela, d’un candidat pour une période déterminée était une chose inhabituelle. L’enquêteur a noté ce qui suit : « mais elle a dit que le ministère avait des doutes sur la possibilité pour lui d’accepter un retour progressif au travail, et les doutes ont été exprimés par Ken Parkinson lorsque le demandeur leur fut présenté » (paragraphe 29).

 

Le protocole d’accord entre la CAB de la Colombie‑Britannique et le défendeur confirmait que le demandeur commencerait le 1er mai 2002 un programme de retour progressif au travail, programme qui s’achèverait le 23 juillet 2002, et qu’il se verrait offrir un poste à durée indéterminée lorsque la période en question aurait pris fin.

 

Une lettre datée du 3 juillet 2002 précisait que la CAT avait prolongé de trois semaines le programme de retour au travail, c’est‑à‑dire jusqu’au 12 août 2002.

 

Les courriers électroniques suivants ont été échangés entre le demandeur et Robin Hounslow, de la CFP :

 

Le demandeur a prié M. Parkinson de faire déplacer son bureau et il a eu le sentiment que, si M. Parkinson a demandé une prorogation de la période couverte par la CAT, c’est que « sa demande indiquait que mon SSPT risquait de quelque manière de nuire à mon travail ». Le demandeur a ajouté que « c’est ma déficience qu’ils ne semblent pas pouvoir admettre, et ils ont par conséquent refusé d’honorer l’engagement qu’ils avaient pris envers Lee et moi‑même de m’offrir un poste à durée indéterminée ».

 

Mme Hounslow a dit que le ministère pouvait le nommer pour une période déterminée, mais que, avant de se dire incapable de lui offrir une quelconque nomination, il lui faudrait apporter la preuve que le demandeur ne pouvait pas accomplir ses tâches pour une raison non rattachée à sa déficience.

 

M. Parkinson a écrit une lettre dans laquelle il sollicitait un renouvellement de trois mois du programme de retour au travail. L’enquêteur constate que plusieurs raisons invoquées dans la lettre sont directement rattachées à la déficience du demandeur.

 

Une entrée de registre téléphonique provenant d’une conférence téléphonique entre le demandeur et M. Parkinson, Susan Vegton, Bev Greig, Jodi Ryan (tous représentant le défendeur) et Lee Dennis, de la CAT, portait sur l’éventuelle nomination d’une durée de trois mois. M. Parkinson a été prié de dire pourquoi il avait changé d’avis sur l’idée d’offrir au demandeur un poste à durée indéterminée. D’après les notes, M. Parkinson n’a pas donné de raison pour expliquer ce changement de point de vue, si ce n’est pour dire qu’il n’était pas tout à fait à l’aise. On lui a demandé si cela avait quelque chose à voir avec le SSPT du demandeur, et il a donné très peu « d’éclaircissements ». M. Parkinson a dit que, selon lui, la question de l’emplacement du bureau montrait que le SSPT nuisait au travail du demandeur. Finalement, le responsable du dossier à la CAT a noté ce qui suit : « j’ai l’impression que cet employeur voit d’autres difficultés qui compliquent cette situation. Je me demande si ce qui leur cause le plus de difficulté ne serait pas le fait que la raison pour laquelle le demandeur reçoit une indemnité est son état psychologique ».

 

ACC a envoyé une lettre au psychologue du demandeur le 12 août 2002 pour le prier d’évaluer l’aptitude du demandeur à travailler. Le psychologique a répondu le 27 août 2002 que le demandeur était apte à occuper le poste. Le 4 septembre 2002, le demandeur se voyait offrir un poste à durée indéterminée.

 

L’enquêteur a aussi examiné l’argument du défendeur selon lequel le calendrier de réintégration progressive du demandeur, outre les absences du demandeur pour raisons médicales, rendait difficile pour la direction d’évaluer son rendement durant la période initiale. La demande de renouvellement avait pour objet de permettre une évaluation complète de son rendement. À l’expiration de la deuxième entente datée du 3 juillet 2002, le demandeur fut recruté pour une période indéterminée.

 

M. Parkinson a été interrogé et a déclaré que les raisons qu’il avait données à la CAT pour expliquer son hésitation à embaucher le demandeur pour une période indéterminée « [...] étaient liées au rendement. Son retour progressif au travail était structuré d’une manière qui ne facilitait pas l’apprentissage ». M. Parkinson a aussi relevé qu’il n’avait pas été informé que le demandeur allait devoir revenir au travail d’une manière progressive. Il voulait engager quelqu’un à temps plein, parce que le ministère était à court de personnel. Il n’éprouvait pas de ressentiment à l’idée d’engager le demandeur, mais une préférence. Il exprimait une préférence lorsqu’il a écrit à la CAT. L’enquêteur relève que les doutes qu’il avait soulevés se rapportaient à la déficience du demandeur, qui s’était dit inquiet de l’emplacement physique et du positionnement de son bureau, à ses difficultés d’apprentissage (que M. Parkinson rattache aux médicaments que prend le demandeur) et au fait que, puisque le demandeur est encore activement traité pour son SSPT, un renouvellement de trois mois est une mesure « prudente et appropriée ».

 

[94]           L’enquêteur concluait qu’ACC avait accepté le demandeur comme employé, qu’il avait connaissance de sa déficience et qu’il savait qu’il ne pouvait travailler que sur la base d’un retour progressif au travail. Après que le psychologue ait conclu que le demandeur était apte à s’acquitter des tâches du poste, on lui a offert un poste à durée indéterminée. En conséquence de ces constatations, l’enquêteur a conclu que le demandeur n’avait pas subi une différence préjudiciable de traitement fondée sur sa déficience.

 

Conclusions

 

 

[95]           La disposition de la Loi que la Commission devait considérer pour statuer sur cette question est l’alinéa 7b) :

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

 

[...]

 

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

 

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

 

 

 

...

 

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee, on a prohibited ground of discrimination.

 

[96]           Il ne semble pas exister de critère précis permettant de dire si une action ou omission donnée contrevient ou non à l’alinéa 7b). Cependant, selon la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien‑être social) (re Chopra) (1998), 146 F.T.R. 106, [1998] A.C.F. n° 432, au paragraphe 11 (C.F.) (QL), conf. (1999), 235 N.R. 195, lorsque c’est un cas de discrimination directe qui est en cause, il n’est pas nécessaire d’établir que le motif de distinction illicite était l’unique facteur, ni même le facteur prépondérant, pour conclure à la discrimination. Il suffit que le motif illicite soit l’un des facteurs qui ont conduit à la décision d’appliquer une différence de traitement. Ce point particulier semblerait soulever une question de discrimination directe, parce que la question est de savoir si c’est à cause de la déficience du demandeur qu’ACC a rechigné à lui accorder un poste à durée indéterminée.

 

[97]           Selon le demandeur, en application des règlements et politiques applicables aux affectations prioritaires, il aurait dû recevoir en avril 2002 une offre d’emploi à durée indéterminée. Le demandeur relève que la CFP a affirmé qu’il n’y avait pas en général de période d’emploi à l’essai. Finalement, le demandeur dit que les questions se rapportant à sa déficience auraient dû être résolues à la faveur de mesures spéciales.

 

[98]           Le défendeur dit que les circonstances ont changé après le recrutement du demandeur et que cela a empêché ACC d’évaluer pleinement son aptitude au travail. Le demandeur a commencé de souffrir d’anxiété et d’insomnies, et il a commencé de prendre des médicaments. Le défendeur admet que les affectations prioritaires à durée déterminée ne sont pas courantes, mais il dit que, selon la CFP, elles ne sont pas non plus contre‑indiquées, et que l’on peut y recourir lorsqu’un employeur n’est pas certain qu’un candidat est qualifié pour le poste. Le défendeur affirme que M. Parkinson a demandé le renouvellement du délai initial pour des raisons liées au rendement et que, dès qu’ACC a conclu que le demandeur était apte au travail il a été nommé pour une durée indéterminée.

 

[99]           La question de savoir si la Commission a commis une erreur sur cet aspect semble dépendre de la manière dont la preuve est perçue quant à savoir si le demandeur fut invité à accepter un poste à durée déterminée à cause de sa déficience ou parce que les circonstances entourant son emploi à l’époque pertinente n’avaient pas permis une évaluation adéquate de son travail. Ainsi, ACC a‑t‑il demandé un poste à durée déterminée en raison de doutes à propos du rendement du demandeur, ou en raison d’éléments liés à sa déficience?

 

[100]       Selon la norme de la décision correcte, je crois que la Commission a commis une erreur en ne renvoyant pas la plainte au Tribunal sur cette question, eu égard au seuil de faible niveau, évoqué précédemment, qui préside au renvoi des plaintes au Tribunal. Selon moi, il existe dans la preuve un fondement raisonnable qui justifiait le passage à l’étape suivante. M. Parkinson avait soulevé des questions de rendement lorsqu’il avait sollicité le renouvellement du programme de retour du demandeur au travail, un renouvellement qui se rapportait expressément à l’impossibilité pour le demandeur de travailler comme prévu à l’origine dans l’accord de retour au travail; et, une fois le demandeur déclaré apte au travail, on lui a offert un poste à durée indéterminée. Toutefois, il y a aussi plusieurs facteurs qui donnent clairement à penser que le demandeur a subi une différence de traitement en raison de sa déficience. D’abord, nombre des points soulevés par M. Parkinson et par ACC dans la correspondance échangée avec la CFP et la CAT intéressent directement la déficience du demandeur et le sentiment d’ACC que, en raison de sa déficience, le demandeur ne serait pas en mesure de fonctionner dans le poste d’une manière aussi efficace que les autres employés. Les mesures proposées qu’ACC a demandées étaient inhabituelles, et en contradiction avec son plan initial décrit dans le protocole d’accord. Le demandeur avait déjà été présélectionné pour le poste et il n’était pas en stage probatoire. Pareillement, si le demandeur ne pouvait pas travailler comme prévu à l’origine, c’était parce qu’il présentait des symptômes rattachés à sa déficience. Comme l’a noté l’enquêteur, ACC savait que le demandeur souffrait d’une déficience et qu’il allait devoir bénéficier de mesures spéciales prenant la forme d’un programme de retour au travail. En somme, vu le seuil peu élevé du renvoi d’une plainte au Tribunal, et vu le caractère rigoureux de la norme de contrôle, je suis d’avis que la Commission a commis une erreur sur ce point. Par ailleurs, même si j’appliquais la norme plus accommodante de la décision raisonnable, ma conclusion resterait la même quant à cet aspect de la décision de la Commission.

 

2.                  Le fait pour ACC de ne pas avoir offert au demandeur un lieu de travail exempt de harcèlement – La séance de médiation

 

Les faits constatés

 

[101]       Le 1er avril 2003, le demandeur a assisté à une réunion (la réunion du 1er avril). Au cours de la réunion du 1er avril, il a élevé la voix et injurié un collègue. Il dit qu’il s’est rendu compte que, à cause d’un certain état de manque résultant d’un changement de médicaments, son SSPT s’aggravait. Il s’est excusé auprès des gens présents à la réunion du 1er avril et leur a expliqué le problème. Il n’y avait pas eu d’autres accès de colère durant la réunion du 1er avril.

 

[102]       En raison des difficultés médicales qu’il connaissait, le demandeur n’est pas retourné au travail le lendemain de la réunion du 1er avril.

 

[103]       Le 7 avril 2003, le demandeur a été informé qu’une enquête serait entreprise sur son comportement à la réunion du 1er avril. Il a été aiguillé vers le Programme d’orientation et d’aide établi par la direction. Le demandeur dit que, lorsqu’une autre conseillère de secteur, Mary Causton‑Budac, a demandé à M. Parkinson si elle pouvait produire une lettre de soutien pour le demandeur, M. Parkinson a refusé. En raison de son état de santé, le demandeur n’était pas encore, à l’époque, retourné au travail. Le 15 avril 2003, le demandeur a reçu instruction de ne pas revenir au travail jusqu’à ce que la direction reçoive du Programme d’orientation la confirmation qu’il était apte à retourner au travail.

 

[104]       Le 22 avril 2003, le demandeur a envoyé à M. Parkinson une lettre où il déclarait que ses médicaments lui causaient des difficultés, et où il disait sa déception de constater que personne n’avait communiqué avec lui pour obtenir sa version des faits au sujet de l’incident survenu lors de la réunion du 1er avril. Le 25 avril, M. Parkinson lui a répondu, affirmant que l’enquête relative à la réunion du 1er avril était suspendue jusqu’à son retour.

 

[105]       Le 4 mai 2003, le demandeur écrivait qu’il voulait que l’enquête soit menée à terme. Durant cette période, on l’a informé que l’on s’inquiétait de constater que d’autres employés le trouvaient intimidant.

 

[106]       Le 19 novembre 2003, le médecin traitant du demandeur a déclaré qu’il était apte à retourner au travail à mi‑temps, à compter du 1er décembre 2003.

 

[107]       Le 24 novembre 2003, le demandeur a sollicité la tenue d’une séance de médiation entre lui‑même et les employés préoccupés par son comportement lors de la réunion du 1er avril. Il fut informé qu’il pouvait, en application de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21, avoir accès aux lettres des employés qui s’étaient déclarés préoccupés par son comportement.

 

[108]       La date de retour du demandeur au travail fut fixée au 8 décembre 2003, mais il devait officiellement revenir au travail après la médiation. Le 9 décembre, il a assisté à une rencontre avec ses superviseurs.

 

[109]       La médiation, qui a eu lieu les 11 et 12 décembre 2003, était dirigée par M. Pat Aylward, médiateur auprès du Bureau pour une résolution rapide des conflits (BRRC), qui fait partie d’ACC. Lors de la première rencontre du demandeur avec le médiateur, il lui a dit sa déception de constater que les personnes présentes comprendraient divers membres d’une clique qui l’avaient traité médiocrement. Il était aussi préoccupé par le nombre de gens concernés dans le processus ainsi que par la longueur de la médiation, qui devait durer toute la journée. Le médiateur a informé le demandeur qu’il allait falloir évoquer sa déficience durant la réunion. En réponse aux inquiétudes du demandeur, le médiateur l’a informé qu’il y avait, pour la médiation, deux personnes neutres, afin d’assurer un équilibre, et qu’il consulterait le demandeur avant d’aller de l’avant pour la journée tout entière. Le demandeur affirme que le médiateur s’était engagé à le consulter en privé.

 

[110]       Le demandeur affirme que les participants à la séance de médiation ont pu librement exprimer leurs inquiétudes à propos du demandeur et de son SSPT. Il dit que le comportement de certains d’entre eux était menaçant et grossier et que des pressions ont été exercées sur lui pour que la médiation se poursuive durant un jour et demi. Le demandeur affirme aussi que, à cause de la séance de médiation et de son impact sur lui, il n’a pas été en mesure de travailler, il a dû se remettre à prendre des médicaments et il n’est pas encore retourné au travail. Le défendeur affirme que la séance de médiation s’est déroulée dans un climat de courtoisie, de respect et d’urbanité, ajoutant que, dans toute médiation, qui se veut efficace la franchise est de mise.

 

Le rapport d’enquête

 

[111]       Les divers documents mentionnés dans le dossier ont été examinés, et les entrevues suivantes ont été menées par l’enquêteur :

[traduction]

J’ai interrogé Mary Causton‑Budac pour examiner avec elle l’affirmation du demandeur selon laquelle M. Parkinson avait refusé de l’autoriser à produire une lettre de soutien pour le demandeur. Durant l’entrevue, Mme Causton‑Budac a dit qu’elle avait tenté d’exposer son point de vue à M. Parkinson, mais qu’il n’avait pas semblé vouloir l’entendre. Il lui a dit qu’elle pouvait lui envoyer un courriel, mais elle ne l’a pas fait parce qu’elle n’avait aucune plainte à formuler au sujet du demandeur et que « j’avais l’impression que beaucoup de choses nous échappaient et étaient de travers dans ce qui était arrivé, et il ne voulait pas en entendre parler ».

 

Le demandeur a également développé son témoignage. Il a dit qu’il avait accepté sans enthousiasme de parler de sa déficience, si cela pouvait contribuer à apaiser les inquiétudes de ses collègues. Il a prétendu qu’on l’avait contraint à se soumettre à une séance d’une journée entière. Il a affirmé que seule une personne avait été effectivement choisie comme observateur neutre. L’autre, Mme Causton‑Budac, s’était présentée de sa propre initiative. Selon le demandeur, son témoignage et celui de Mme Causton‑Budac à propos de ce qui était arrivé au cours de la séance contredit le reste des témoignages, en raison de la collusion de la clique.

 

S’agissant du fond de la médiation, le demandeur a dit que sa déficience avait été examinée d’une manière qui donnait à entendre qu’il n’était pas maître de son comportement. Certains des points soulevés étaient incongrus. Par exemple, il a déclaré qu’on lui avait dit de chercher un autre emploi, et d’autres employés avaient évoqué le cas d’employés qui arrivent sur les lieux de travail avec des armes à feu et tiraient sur leurs collègues. Il a allégué un parti pris de la part du médiateur, qui était un employé d’ACC. Il a déclaré que personne n’était intervenu pour l’aider alors qu’il était dans une détresse évidente.

 

Le défendeur a déclaré qu’ACC, en réaction à la requête du demandeur, avait sollicité l’assistance du BRRC, qui fait partie d’ACC. Dans une note de service, toute personne ayant des points à soulever avait été priée de se présenter. Ceux qui avaient été choisis pour participer à la médiation étaient tous ceux qui s’étaient portés volontaires (quatre qui avaient exprimé des préoccupations et deux qui ne l’avaient pas fait), ainsi que Mme Greig et Mme Ariello.

 

Le défendeur a déclaré que, à plusieurs reprises, M. Aylward s’était informé auprès des participants pour s’assurer qu’ils se sentaient à l’aise, et le demandeur n’avait jamais dit qu’il était en détresse. Il était là le premier jour, et il est revenu le lendemain. Finalement, une entente a été élaborée et signée par tous, ce qui donne à penser que la séance de médiation avait été constructive et coopérative.

 

L’enquêteur a rencontré en entrevue sept des collègues du demandeur qui avaient assisté à la séance, ainsi que le médiateur. Ils ont reconnu que nombre d’entre eux avaient exprimé leur crainte, au cours de la médiation, à travailler dans le voisinage du demandeur. Nombre d’entre eux ont déclaré être inquiets à cause de son tempérament et des risques qu’il pouvait présenter, mais ont exprimé l’avis que nul n’avait tenté de le blâmer ou de l’humilier. Mme Greig a dit : « certainement, cela a été difficile pour Randal. Il est difficile pour quiconque d’entendre à son sujet des choses qui ne sont pas favorables. Mais, il s’agissait de son comportement, et non de savoir s’il souffre du SSPT ».

 

Mme Causton‑Budac a trouvé que la médiation s’était déroulée d’une manière polie, mais a dit comprendre que le demandeur ait pu se sentir humilié et déshonoré, parce que les personnes présentes faisaient comme s’il était énervé et imprévisible, ce qui n’était pas vrai. Invitées à donner des exemples de leur crainte, elles ont évoqué ce que feraient en général des gens atteints de stress post‑traumatique, et non lui en particulier, par exemple entrer dans un magasin avec une arme à feu, et elles ont rattaché ce comportement au SSPT. Elle a été choquée de voir que des gens puissent dire ce qu’ils pensaient de lui, alors que lui n’était pas autorisé à s’interposer. Elle a exprimé ses inquiétudes au médiateur, qui a refusé de modifier la formule. Après le déjeuner, le demandeur a dit qu’il ne se sentait pas bien. Personne n’avait en main le déroulement de la réunion.

 

Kathy McRoberts a trouvé que la médiation s’était bien déroulée, mais elle savait que le demandeur se sentait mal à l’aise. Cependant, selon elle, on avait discuté de son comportement et non de sa déficience. Elle a reconnu que c’était elle qui avait évoqué le cas d’employés qui arrivent au travail munis d’armes à feu, et elle aussi qui lui avait suggéré de trouver un autre poste. Elle a dit que, si elle avait fait cette suggestion, c’était parce que leur bureau se trouvait tout près de la Commission des libérations conditionnelles, proximité qui rendait le demandeur très émotif lorsqu’il en parlait. Elle a dit que la réunion du 1er avril avait déclenché chez elle le souvenir d’un incident avec une arme à feu dont elle avait été témoin.

 

Garth Reid, le membre neutre, a dit que le débat avait fini par porter sur la déficience du demandeur et que le demandeur avait été humilié. Il avait trouvé qu’il était inopportun de demander à quelqu’un de s’excuser pour quelque chose qui relève de sa déficience. Il a aussi relevé que le demandeur avait commencé de dire ce à quoi ressemblait le fait de vivre avec le SSPT, mais Donna Kirk l’avait interrompu par les mots « je n’ai pas besoin du cours élémentaire sur le SSPT », et il n’avait pas eu la possibilité de répondre.

 

L’enquêteur a interrogé le médiateur, Pat Aylward. Le médiateur a dit qu’il était nécessaire pour le demandeur de parler de sa déficience et des médicaments qu’il prenait, et cela afin de faire face à ce qui avait causé l’emportement du demandeur et son absence du travail. Il a relevé que Garth Reid l’avait appelé pour lui demander si le demandeur comprenait ses droits en matière de vie privée et qu’il n’était pas tenu d’aller au‑delà de son propre niveau d’aisance. M. Aylward avait donc téléphoné au demandeur chez lui pour lui expliquer ses droits en matière de vie privée. Selon M. Aylward, le demandeur lui a dit qu’il savait qu’il lui faudrait parler de sa déficience et que cela ne le dérangeait pas.

 

M. Aylward a maintenu qu’il ne savait pas que le demandeur avait été humilié. Il lui était apparu que toutes les parties présentes avaient échangé des propos respectueux sur une question difficile. Il avait eu l’impression que, le deuxième jour, le climat n’était plus un climat de crainte, mais de soutien, le demandeur s’étant exprimé sur chacune des préoccupations de ses collègues. Un plan de mise en œuvre a été élaboré, et le demandeur a participé au processus. Il n’a pas été signé parce qu’une personne a eu le sentiment que ce n’était pas une bonne méthode (Mme Causton‑Budac). M. Aylward a exprimé sa surprise en apprenant que le demandeur avait souffert d’une rechute.

 

[112]       L’enquêteur a conclu que les participants à la médiation (qui avait duré un jour et demi) avaient été invités à exprimer librement leurs impressions concernant le demandeur. Il a jugé que la déficience du demandeur et son comportement au travail avaient été débattus. Cependant, il a conclu que, même si la séance de médiation avait été difficile, et même si le demandeur avait pu se sentir humilié, il n’y avait pas eu harcèlement ni différence préjudiciable de traitement fondée sur la déficience.

 

Conclusions

 

[113]       Outre l’article 7 de la Loi, le demandeur fait surtout valoir que la conduite manifestée tout au long de la séance de médiation contrevenait à l’article 14 de la Loi et à l’obligation de protection contre le harcèlement :

14. (1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

 

a) lors de la fourniture de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public;

 

b) lors de la fourniture de locaux commerciaux ou de logements;

 

 

c) en matière d’emploi.

 

14. (1) It is a discriminatory practice,

 

 

 

 

(a) in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public,

 

(b) in the provision of commercial premises or residential accommodation, or

 

(c) in matters related to employment, to harass an individual on a prohibited ground of discrimination.

 

[114]       Le harcèlement n’est pas défini dans la Loi. Selon le site Web de la Commission, le harcèlement est tout geste ou propos inapproprié qui a pour effet d’offenser ou d’humilier. Il peut s’agir de menaces, d’intimidation ou d’insultes.

 

[115]       Un incident unique peut constituer un harcèlement. Selon l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées), [1999] 3 C.F. 653, 167 F.T.R. 216, aux paragraphes 43 à 46, il y a une relation proportionnelle entre la répétition et la gravité du harcèlement en cause. En général, plus l’incident est grave, moins la répétition est nécessaire pour constituer un harcèlement et, dans certains cas, un incident unique suffira à instaurer un climat malsain.

 

[116]       Selon la décision Kotyk c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration) (1983), 4 C.H.R.R. D/1416 (Trib. can.), conf. 5 C.H.R.R. D/1985, Trib. rév. can., demande de contrôle judiciaire rejetée, 6 C.H.R.R. D/2929, sub nomine Chuba c. Canada (Commission des droits de la personne) (C.A.F.), un employeur a l’obligation légale d’offrir un lieu de travail qui soit exempt de harcèlement, ou même de crainte de harcèlement. Par ailleurs, en rapport avec l’alinéa 7b), la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, 75 N.R. 303, au paragraphe 17, a jugé, par une interprétation large et libérale de la Loi, que les employeurs répondent des actes discriminatoires de leurs employés lorsque tels actes ont lieu dans l’exercice de leurs fonctions.

 

[117]       Selon le demandeur, la séance de médiation réunissait de nombreux employés qui l’avaient critiqué et avaient exprimé crainte et anxiété à propos de sa déficience. Il s’est senti humilié. Il dit n’avoir reçu aucun soutien ni eu l’occasion de réagir. Vu la gravité du harcèlement, le demandeur dit que cet incident unique suffit à constituer une contravention aux normes énoncées dans la Loi.

 

[118]       Selon le défendeur, les éléments qui ressortent de la séance de médiation attestent que le demandeur n’a montré aucun signe de détresse ou d’humiliation durant la médiation et que, pour la majorité des personnes présentes, la séance s’était déroulée d’une manière polie, respectueuse et convenable. Le défendeur dit que cet événement n’est pas assez significatif pour constituer du harcèlement et qu’une communication honnête fait nécessairement partie intégrante du processus de médiation.

 

[119]       La preuve semble être contradictoire à propos du déroulement effectif de la séance de médiation. La Cour d'appel fédérale, dans l’arrêt Bourgeois c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, [2000] A.C.F. n° 1655, au paragraphe 6 (QL), déclare que la Commission est fondée à examiner des preuves contradictoires et à préférer le témoignage d’une personne à celui d’une autre. Dans cet arrêt, le juge Décary écrivait qu’« un examen complet aurait peut‑être entraîné une conclusion différente, mais il s’agit d’un risque inhérent à toute procédure d’examen préalable ».

 

[120]       Cela dit, me fondant sur la norme de la décision correcte, je suis d’avis que la Commission a commis une erreur en ne renvoyant pas cet aspect particulier de la plainte au Tribunal, pour examen. Des personnes présentes à la séance de médiation ont témoigné que la déficience du demandeur a été évoquée à maintes reprises, et la preuve permet de penser que le demandeur s’est trouvé exacerbé et dérangé par des attaques répétées. Il existe une preuve tangible qu’une personne présente à la séance a fait des observations inopportunes selon lesquelles le demandeur devrait trouver un autre emploi, et qu’il a été fait allusion au cas des employés qui arrivent armés sur leur lieu de travail. La preuve démontre que le médiateur a autorisé un débat assez libre sur la déficience du demandeur alors qu’il était difficile pour celui‑ci de s’exprimer. Là encore, même si je devais appliquer à cette question la norme moins rigoureuse de la décision raisonnable, je maintiendrais que l’enquêteur s’est fourvoyé et que la Commission aurait dû renvoyer cet aspect au Tribunal, compte tenu du seuil du renvoi d’une plainte au Tribunal évoqué plus haut.

 

3.         Le fait pour ACC de ne pas avoir pris de mesures pour répondre aux besoins du demandeur

 

Les faits constatés

 

[121]       Comme je l’ai dit plus haut, le 11 juillet 2002 le demandeur avait prié ACC de changer l’emplacement de son pupitre. La requête du demandeur a été confirmée par une lettre de son médecin portant la date du 7 août 2002. Le demandeur affirme que, lorsqu’il a quitté son travail le 1er avril 2003, sa requête était restée sans suite. Le défendeur soutient que les travaux de réaménagement du bureau ont débuté en août 2002, qu’ils étaient partiellement exécutés en janvier 2003, et totalement achevés en juin 2003.

 

Le rapport d’enquête

 

[122]       L’enquêteur a examiné les pièces mentionnées dans le dossier et mené les entrevues requises.

 

[123]       Le demandeur prétend que, toutes les fois qu’il s’informait auprès de M. Parkinson à propos de son bureau, M. Parkinson répondait par les mots : « vous ne voulez pas encore qu’on tourne votre pupitre ureau dans l’autre sens, dites‑moi? Vous n’êtes plus en prison ».

 

[124]       Le demandeur a aussi affirmé que l’autre emplacement choisi l’exposait à un passage trop fréquenté, ce qui le rendait anxieux et mal à l’aise.

 

[125]       L’enquêteur a relevé que Mme Greig avait, durant la séance de médiation, évoqué la nécessité pour le demandeur de faire modifier son espace de travail.

 

[126]       Le défendeur a dit qu’ACC a pris des mesures raisonnables en la matière. ACC a fait appel à un consultant, fait procéder à au moins deux consultations et produit plusieurs plans. Entre‑temps, le demandeur avait été temporairement installé dans une zone de travail plus appropriée.

 

[127]       L’enquêteur s’était entretenu avec Mme Greig, qui avait dit que le pupitre avait finalement été déplacé et installé au goût du demandeur, mais qu’il avait fallu quelque temps parce que le mobilier était modulaire et que le demandeur avait refusé le premier ensemble de plans. Il avait fallu quatre mois pour que l’installation soit finalement achevée.

 

[128]       Le défendeur a produit des copies de pièces de correspondance échangées avec le magasin de meubles, ainsi que divers plans. D’après les documents, les négociations ont débuté le 26 août 2002, et un poste temporaire fut installé en septembre 2002. D’autres changements furent apportés en janvier 2003, et les travaux furent complètement achevés en juin 2003.

 

[129]       L’enquêteur a estimé qu’il avait fallu un temps considérable pour préparer, revoir et mettre au point les plans, mais que le poste de travail avait été adapté aux besoins du demandeur. L’employeur avait donc pris des mesures qui répondaient aux besoins du demandeur.

 

Conclusions

 

[130]       La Loi ne prévoit aucune obligation explicite pour l’employeur de prendre des mesures spéciales pour répondre aux besoins d’un employé, mais, selon la jurisprudence, l’employeur a l’obligation de prendre de telles mesures tant qu’elles n’entraînent pas une contrainte excessive.

 

[131]       Lorsqu’il expose son cas, le demandeur doit établir qu’une règle ou une pratique, ou encore la conduite du défendeur, a eu sur lui un effet apparemment discriminatoire. Dans un cas comme celui‑ci, où il s’agit de savoir si le défendeur peut justifier l’effet préjudiciable que le poste de travail du demandeur entraîne pour lui en raison de sa déficience, le défendeur doit être en mesure de prouver que les besoins spéciaux du demandeur ont été satisfaits ou que la prise d’autres mesures spéciales entraînerait une contrainte excessive. La Cour suprême du Canada a jugé, dans l’arrêt de principe portant sur le sujet, Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Service Employees’ Union (BCGSEU), [1999] 3 R.C.S. 3, 244 N.R. 145 (le grief Meiorin), que la prise de mesures raisonnables est une exigence à prendre en compte dans toute situation de discrimination.

 

[132]       L’obligation pour un employeur de prendre des mesures spéciales pour répondre aux besoins d’un employé lui impose d’appliquer les mesures qui sont nécessaires pour permettre à ses employés de travailler au mieux de leurs aptitudes. Dans l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, 141 N.R. 185, la Cour suprême du Canada indiquait, au paragraphe 19, qu’il faut plus que de simples efforts négligeables pour remplir l’obligation en cause et que « l’utilisation de l’adjectif “excessive” suppose qu’une certaine contrainte est acceptable; seule la contrainte “excessive” répond à ce critère ». Pareillement, selon l’opinion exprimée par le juge McIntyre dans l’arrêt Ontario (Commission des droits de la personne) c. Simpson Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, 64 N.R. 161, un accommodement intégral n’est sans doute pas nécessaire, et il s’agit d’une obligation de prendre des mesures raisonnables pour répondre aux besoins du plaignant sans que cela n’entrave indûment l’exploitation de l’entreprise de l’employeur et ne lui impose des frais excessifs.

 

[133]       Il y a obligation pour un plaignant d’être raisonnable au regard des efforts authentiques qui sont faits pour répondre aux besoins entraînés par sa déficience (voir la décision Re Ivison and Bodner (1994), 26 C.H.R.R. D/505, [1994] B.C.C.H.R.D. No. 7 (QL), au paragraphe 46 (B.C.C.H.R.), une décision du Conseil des droits de la personne de la Colombie‑Britannique).

 

[134]       Le demandeur fait valoir qu’ACC n’a pas subi une contrainte excessive en cherchant à le réinstaller temporairement à un endroit plus adéquat et que l’employeur s’est abstenu de répondre à ses besoins spéciaux au cours de la période de neuf mois. Il dit que l’endroit où on l’a temporairement réinstallé ne convenait pas parce qu’il se trouvait à proximité d’un couloir très passant.

 

[135]       ACC fait valoir que toutes les mesures nécessaires ont été prises. Des mesures ont été prises peu après la requête du demandeur. En raison de la nature modulaire du bureau, la reconfiguration avait pris du temps. Il avait fallu faire appel à un consultant et, tout au long du processus, le demandeur avait été à même d’intervenir pour donner son avis.

 

[136]       Les principaux sujets d’inquiétude concernent le temps requis pour achever les travaux et la question de savoir si des dispositions acceptables avaient été prises dans l’intervalle. Selon la norme plus accommodante de la décision manifestement déraisonnable, ou même celle de la décision raisonnable, je suis d’avis que la Commission n’a pas commis d’erreur en décidant de ne pas renvoyer au Tribunal cet aspect de la plainte. Le défendeur a commencé, au plus tard en août 2002, les activités consistant à développer et construire un poste de travail qui convienne au demandeur (le premier rapport des entrepreneurs engagés pour construire le module fut présenté à la fin d’août). Le demandeur a été consulté et il a même apporté des changements aux propositions, ce qui évidemment a retardé les travaux. Par conséquent, même si les travaux ont nécessité beaucoup de temps, ACC a fait des efforts raisonnables pour que la réinstallation soit menée à bien. Le demandeur a reconnu dans sa lettre qu’il y avait des contraintes d’espace dans le bureau, et le défendeur lui a quand même trouvé un autre endroit temporaire, encore que, de l’aveu général, il soit difficile, au vu de la preuve, de savoir si l’endroit temporaire en question était satisfaisant. Il semblerait que les raisons qu’avait la Commission de ne pas renvoyer cet aspect de la plainte au Tribunal trouvent appui dans la preuve et que la décision de la Commission sur ce point pouvait se défendre au vu de la preuve produite. Par conséquent, selon moi, la Commission n’a pas commis d’erreur sur ce point.

 

 

CONCLUSIONS GÉNÉRALES

 

[137]       Comme je l’ai dit plus haut, le seuil du renvoi d’une plainte au Tribunal pour une enquête en règle est assez faible. En l’espèce, après examen du dossier complet dont l’enquêteur était saisi et examen du rapport d’enquête, je suis d’avis que la Commission a commis une erreur en ne renvoyant pas la plainte du demandeur au Tribunal pour deux des trois points soulevés dans cette demande de contrôle judiciaire. D’abord, la Commission a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas nécessaire de renvoyer au Tribunal pour examen le retard de l’employeur à offrir au demandeur un poste à durée indéterminée. Deuxièmement, la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas produit la preuve requise qui aurait justifié le renvoi au Tribunal de la question de savoir s’il avait été harcelé lors de la séance de médiation du 10 décembre 2003. S’agissant de la troisième question soulevée dans la demande, la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que, s’agissant de son obligation de répondre aux besoins spéciaux du demandeur, ACC s’en était acquitté en lui offrant un nouvel espace de travail et que, par conséquent, il n’était pas nécessaire de renvoyer au Tribunal cet aspect de la décision, pour examen.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire de la décision est accueillie en partie. Pour les motifs exposés, et s’agissant des aspects de la décision de la Commission qui concernent d’une part le retard de l’employeur à offrir au demandeur un poste à durée indéterminée (différence préjudiciable de traitement) et d’autre part la manière dont le demandeur avait été traité lors de la séance de médiation (harcèlement), je fais droit à la demande et j’ordonne à la Commission de renvoyer ces deux aspects au Tribunal, pour examen.

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.


                                                       COUR FÉDÉRALE

 

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                                             T‑1586‑05

 

INTITULÉ :                                                            RANDAL CLARK

                                                                                 c.

                                                                                 LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                      VICTORIA (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                    LE 14 SEPTEMBRE 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                   LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                           LE 5 JANVIER 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Catherine Boies‑Parker                                             POUR LE DEMANDEUR

 

Ward Bansley                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Underhill, Faulkner, Boies‑Parker  POUR LE DEMANDEUR

Victoria (Colombie‑Britannique)

 

John H. Sims, c.r.                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.