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Date : 20061114

Dossier : T-1517-05

Référence : 2006 CF 1378

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2006

En présence de Monsieur le juge Simon Noël 

 

ENTRE :

Maurice Philipps

Demandeur

et

 

Bibliothécaire et Archiviste du Canada

Défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]   Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire du demandeur (Maurice Philipps) à l’encontre d’une décision du Bibliothécaire et Archiviste du Canada (défendeur), l’administrateur général de Bibliothèque et Archives Canada (BAC), datée du 8 août 2005 qui maintient des restrictions d’accès au fonds de Me Louis M. Bloomfield.

 

 

 


I.  Les Faits

 

[2]   Le fonds Louis M. Bloomfield (fonds Bloomfield) est une collection d’archives privées déposées entre 1979 et 1980 à BAC (anciennement Archives Canada) par Me Louis Mortimer Bloomfield (M. Bloomfield), un éminent avocat montréalais décédé en 1984. 

 

[3]   Dans une lettre du 24 février 1978, M. Bloomfield a posé comme condition à la cession de ses archives que les documents cédés soient retenus pour une période de vingt (20) ans après son décès avant que ce matériel (ou une partie de celui-ci) ne soit rendu public.    La lettre de

M. Bloomfield se lit comme suit :

February 24, 1978

Archives Canada,

Ottawa, Ontario

 

Attention : Lawrence Tapper.

 

Gentlemen :

 

The documents which you are taking from me to form a Bloomfield section of the archives are to be held for a period of twenty (20) years after my death before any of this material is made public.

My literary executrix will be my wife Mrs. Justine Stern Bloomfield and she will have access at all times to this material as well as the following persons:

 

1.      Myself

2.      My brother Bernard M. Bloomfield

3.      XXXX

4.      XXXX

 

Kindly confirm the above understanding,

 

Yours truly,

 

Louis M. Bloomfield

(Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 3)

 

Les noms apparaissant aux notes 3 et 4 ont été initialement exclus par BAC pour des raisons de droit à la vie privée.

 


[4]   Dans cette lettre, M. Bloomfield indique que son épouse, Mme Justine Stern Bloomfield (maintenant Mme Justine Stern Cartier) (Mme Bloomfield), soit nommée « exécutrice littéraire » (« literary executrix » en anglais) et qu’elle ait accès en tout temps aux documents du fonds Bloomfield avec certaines autres personnes de sa famille.  Dans une autre lettre datée du 30 juillet 1979, M. Bloomfield spécifie qu’aucune autre condition ne soit rattachée à la cession du fonds Bloomfield et il réitère à nouveau que les documents ne seront accessibles que vingt (20) ans après son décès sauf pour les personnes énumérées dans sa lettre du 24 février 1978 (Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 12).

 

[5]   M. Bloomfield est décédé le 19 juillet 1984. 

 

[6]   À la suite du décès de M. Bloomfield, le 7 novembre 1984, BAC communique avec

Mme Bloomfield afin d’informer cette dernière des termes de l’entente intervenue entre BAC et

M. Bloomfield concernant le fonds Bloomfield.  Le 19 novembre 1984, Mme Bloomfield répond à la lettre et confirme être d’accord avec les termes de l’entente.  La lettre du 19 novembre 1984 se lit comme suit :

Mr. Lawrence F. Tapper

Staff Archivist

Ethnic Archives

PUBLIC ARCHIVES

395 Wellington St.

Ottawa, Ontario K1A 0N3

 

Dear Mr. Tapper,

 

       I received your letter dated November 7, 1984 and further to our telephone conversation of November 16, 1984, as executrix for my husband, Louis M. Bloomfield, I agree that access to the collection of his personal papers (MG 31 E25) be restricted to researchers who have obtained my specific written permission.

 

 

 

 

 


       This is to be in effect for a period of twenty (20) years from the date of his death July 19, 1984.  Of course we will review this matter again at a future date. 

 

       In the event of my absence or incapacity, my sister will act in my stead:

 

Mrs. Stephanie Glaymon

28 Harbour Lane

Margate, New Jersey 08402

U.S.A.

Tel. No. 609-8224205

 

       I hope that I have answered your questions and that all is clear.

 

Sincerely yours,

 

Justine S. Bloomfield

 

(Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce P-1)

 

 

[7]   Maurice Philipps a pris connaissance de l’existence du fonds Bloomfield en 1996 par l’entremise de la base de données de BAC.  Celle-ci indiquait que le fonds Bloomfield était restreint pour une période de vingt (20) ans débutant le 19 juillet 1984 (Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce X – page 25). 

 

[8]   Le 10 août 2004 (soit plus de 20 ans après le décès de M. Bloomfield), le demandeur adresse par courriel le service de référence de BAC afin d’avoir accès au fonds Bloomfield (Dossier du demandeur, affidavit de Maurice Philipps, page 26, paragraphe 29). 

 

[9]   Le 3 septembre 2004, M. Daniel Somers (M. Somers) du service de référence de BAC répond au demandeur et lui indique que l’autorisation pour consulter le fonds Bloomfield était toujours nécessaire (Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 17).

 

 


 

 

[10]                       M. Lawrence Tapper (M. Tapper), archiviste de BAC, a reçu une lettre de Mme Bloomfield datée du 31 août 2004.  Dans cette lettre, Mme Bloomfield demande qu’une nouvelle restriction d’accès au fonds Bloomfield soit imposée pour une période ne se terminant que dix (10) ans après son propre décès, les raisons de cette demande d’extension étant des préoccupations de vie privée ainsi que la sauvegarde de la réputation de M. Bloomfield (Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 19).  Une décision par BAC fut prise en date du 8 septembre 2004 de prolonger la restriction d’accès au fonds jusqu’à dix (10) ans après le décès de Mme Bloomfield.

 

[11]                       Le 6 janvier 2005, le demandeur adresse M. Somers de BAC par courriel, lui demandant de confirmer que le fonds Bloomfield était maintenant ouvert au public (Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 22).  Par la suite, le 17  janvier 2005, le demandeur écrit à

M. Tapper par courriel, lui demandant formellement accès au fonds Bloomfield (Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 23).

 

[12]                       Le 17 janvier 2005, le demandeur, en réponse à ses courriels, reçoit un courriel de Normand Laplante (M. Laplante), Directeur des Archives sociales et culturelles de BAC, M. Laplante l’informa qu’une nouvelle restriction d’accès au fonds Bloomfield de dix (10) ans après le décès de Mme Bloomfield avait été imposée et ce, à la demande de celle-ci (Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 24).


 

[13]                       Le 18 janvier 2005, dans un second courriel, M. Laplante écrit au demandeur que la gestion des restrictions d’accès au fonds Bloomfield fut léguée à l’exécutrice littéraire du fonds,

Mme Bloomfield au décès de M. Bloomfield en 1984.  De plus, M. Laplante indique dans sa lettre qu’il a été convenu entre Mme Bloomfield et BAC, en 1984, que Mme Bloomfield et BAC peuvent revoir les restrictions d’accès du fonds Bloomfield ultérieurement (Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 25).

 

[14]                       Le 28 janvier 2005, le demandeur s’est adressé à l’archiviste en chef, Ian E. Wilson, dans une lettre de cinq (5) pages afin de lui demander de réviser la décision d’imposer une nouvelle restriction d’accès au fonds Bloomfield et de communiquer la documentation à la base de l’extension de la restriction d’accès (Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 27). 

 

[15]                       Le 16 février 2005, le défendeur fait parvenir au demandeur une réponse dans laquelle il dit avoir revu le processus de décision concernant l’accès au fonds Bloomfield (Dossier du demandeur,

Affidavit de Maurice Philipps, pièce 28).  Le défendeur réitère ce que M. Laplante a écrit en ce qui a trait à la gestion des restrictions d’accès au fonds Bloomfield et justifie la nouvelle restriction d’accès au fonds Bloomfield comme découlant d’une entente conclue avec Mme Bloomfield. 

 

 


 

 

 

[16]                       Le 20 avril 2005, BAC émet une nouvelle restriction faisant passer la restriction d’accès au fonds Bloomfield à vingt-cinq (25) ans après le décès de Mme Bloomfield (Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 33).  On ne retrouve au dossier aucune documentation pouvant nous permettre de comprendre le pourquoi de cette nouvelle extension de restriction.  Le demandeur prendra connaissance de cette nouvelle extension de restriction ultérieurement.

 

[17]                       Le 25 avril 2005, le demandeur demanda à nouveau au défendeur de réviser la décision d’imposer une restriction d’accès au fonds Bloomfield et de répondre à plusieurs questions reliées à certains documents qui lui furent communiqués mais avec plusieurs extraits n’y apparaissant pas pour des raisons de protection de renseignements personnels (Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 35). 

 

[18]                       Le 10 mai 2005, le défendeur répond au demandeur qu’il évaluait les arguments soulevés par celui-ci dans son envoi du 25 avril 2005 et qu’il considérait la possibilité de lui fournir accès au fonds Bloomfield (Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 36). 

 


[19]                       Le 8 août 2005, le défendeur avise le demandeur par lettre (lettre du 8 août 2005) qu’il maintenait « les restrictions » d’accès au fonds Bloomfield et que la décision est finale, ayant revu l’ensemble du dossier et consulté les services juridiques.  Il écrit ce qui suit:

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans le présent cas, jai revu les raisons invoquées à lappui dune prolongation et je suis convaincu quelle était pleinement justifiée.  Les restrictions daccès sont donc maintenues pour la période indiquée. 

(Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 37)

 

 

[20]                       Le demandeur demande le contrôle judiciaire de la décision du défendeur en date du 8 août 2005. 

 

II.  Questions en litiges

 

(1)   Mme Bloomfield, l’exécutrice littéraire du fonds Bloomfield, a-t-elle la capacité de réviser les restrictions d’accès au fonds Bloomfield?

(2)   La lettre du 8 août 2005 est-elle une décision susceptible de contrôle judiciaire?

(3)   Dans l’affirmative, quelle est la norme de contrôle applicable à la décision en question?

 

(4)   Est-ce que le demandeur aurait dû avoir accès au fonds Bloomfield en vertu de: la Loi sur l’accès à l’information; la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada; ou la Loi sur l’exportation et l’importation des biens culturels?


(5)   Le défendeur a-t-il erré en refusant la demande initiale du demandeur d’accès au fonds Bloomfield? 

(6)   Le défendeur a-t-il erré en décidant de prolonger la restriction d’accès au fonds Bloomfield?

 

 

 

 

III.  Analyse

(1)   Mme Bloomfield, l’exécutrice littéraire du fonds Bloomfield, a-t-elle la capacité de réviser les restrictions d’accès au fonds Bloomfield?

 

[21]                       M. Bloomfield fit une donation de ses documents personnels en deux étapes (1979 et 1980) à Sa Majesté la Reine.  Ses documents personnels furent évalués et une valeur leur fut attribuée, ladite valeur pouvant être utilisée pour des fins fiscales.  L’établissement désigné qui est devenu propriétaire des documents personnels sur réception de ceux-ci en 1979 et 1980 était les Archives publiques du Canada maintenant connu par le nom Bibliothèque et Archives Canada (Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièces 5, 9 et11).

 


[22]                       Le 24 février 1978, Louis Bloomfield a écrit une lettre à BAC pour leur annoncer que sa femme, Mme Bloomfield, sera l’exécutrice littéraire du fonds Bloomfield et qu’elle aurait accès aux documents avec d’autres personnes choisies par le donateur et que la restriction d’accès serait pour une période de vingt (20) ans débutant à son décès (Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 3).  Le 30 juillet 1979, M. Bloomfield précise qu’il n’y aura pas d’autres conditions sauf la restriction d’accès de vingt (20) ans et que certaines personnes auraient accès tel que mentionné dans la lettre du 24 février 1978 (Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 12).  Dans une lettre du 19 novembre 1984 à Lawrence Tapper, Mme Bloomfield confirme qu’elle acceptait le rôle d’exécutrice littéraire pour le fonds Bloomfield et que la restriction d’accès est de vingt (20) ans mais révisable à une date ultérieure : « Of course we will review this matter again at a future date. » (Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce P-1).

 

[23]                       Le demandeur soumet que M. Bloomfield, un éminent avocat, a clairement exprimé dans sa lettre datée du 30 juillet 1979, qu’aucune autre condition n’était rattachée à la transmission de ses documents à BAC.  Donc, le demandeur est de l’avis que même si M. Bloomfield a désigné

Mme Bloomfield à titre d’exécutrice littéraire du fonds Bloomfield, celle-ci n’a pas la capacité de prolonger les restrictions d’accès à ce fonds comme le soutient BAC.  Le demandeur soumet que Mme Bloomfield, en tant qu’exécutrice littéraire, n’avait que la capacité de donner un droit d’accès au fonds Bloomfield pendant la période de vingt (20) ans, un pouvoir prévu dans la lettre du

24 février 1978 de M. Bloomfield. 

 

[24]                       En contrepartie, le défendeur plaide que le rôle d’exécutrice littéraire assigné à

Mme Bloomfield lui donne une capacité totale d’assumer la gestion du fonds Bloomfield, un point de vue partagé par Mme Bloomfield dans sa lettre du 19 novembre 1984. 

 


[25]                       On sait qu’il y a eu transfert de propriété des documents en 1979 et 1980 à Archives Canada.  L’intention du donateur clairement exprimée est qu’il voulait que l’accès aux documents soit limité à certaines personnes dont son épouse, et que ladite restriction d’accès soit en vigueur pour une période de vingt (20) ans après son décès.  Il a pris la peine dans la lettre du 30 juillet 1979 de préciser: 

There will be no conditions attached to the deposit other than the original conditions that these documents be made available to the Public only twenty years after my death.  In the meantime they shall be available to the persons named in my original letter of instructions which I believe Mr. Tapper had received.

 

(Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 12) 

 

[26]                       Tenant compte de la claire intention du donateur, est-ce que Mme Bloomfield, exécutrice littéraire du fonds Bloomfield, peut ajouter des restrictions d’accès au-delà de la période prévue par le donateur soit vingt (20) ans suivant son décès?

 

[27]            Étant donné que le donateur était domicilié à Montréal, Province de Québec au moment de la donation, il va de soi que les règles de donation prévues au Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, aux articles 1806-1841, s’appliquent pour les fins de la présente question.  Les dispositions concernant le testament ou le mandat peuvent aussi être d’une certaine utilité.

 

[28]                       Le donateur a transféré en deux (2) étapes (1979-1980) à BAC des documents personnels et dès ce moment, il y a eu un transfert de propriété.  Il peut y avoir une charge associée à une donation (voir les articles 1806 et 1807 du Code civil du Québec).  Dans notre cas, il y en a une soit le non-accès pour une période de vingt (20) ans.  Il n’était pas prévu par le donateur que cette période soit révisable.


 

[29]                       Quant au rôle de l’exécutrice littéraire prévu par le donateur, elle a la responsabilité de contrôler l’accès pendant la période de restriction.  Elle ne peut pas avoir plus de pouvoirs que ceux que le donateur lui a attribués (voir les règles sur le mandat prévues au Code civil du Québec aux articles 2130-2185).  Son mandat se termine à la fin de la période de non-accès de vingt (20) ans.  Si le donateur avait voulu attribuer un pouvoir d’extension de la période de non-accès, il l’aurait prévu, ce qu’il n’a pas fait.  Au contraire, à deux reprises, le donateur a spécifié que la période de non-accès était de vingt (20) ans.

 

[30]          La situation de faits décrite s’apparente à un mandat spécial et non à un mandat général car il y est pour un objectif précis, tel que l’a voulu le donateur.  Le mandat se termine par l’extinction du pouvoir qui lui a été octroyé.  Le terme de vingt (20) ans étant acquis, le pouvoir de contrôler l’accès se termine car le donateur a prévu que la restriction était pour vingt (20) ans et qu’il n’y avait aucun pouvoir de prolonger ce pouvoir au-delà du terme prévu par le donateur.  La jurisprudence québécoise énonce clairement que dans le contexte de donation et de mandat, de même que dans le contexte de testament, la volonté du donateur, mandant ou testateur respectivement, doit être respectée (dans le contexte de mandat voir la cause M.B. c. F.G., 2006 QCCS 3215 au para. 19; dans le contexte de donation et de testament voir Denis c. Denis, [1999] J.Q. no 6363 (Cour supérieure du Québec) au para. 21; et dans le contexte de testament voir les causes Centre hospitalier Baie-des-Chaleurs c. Hayes, 2006 QCCS 4697 aux paras. 42, 51; Bélanger c. Michaud (Succession de), 2002 IIJCan 18388 (QCCS) au para. 14; et Vout c. Hay, [1995] 2 R.C.S. 876 au para. 28).


 

[31]                       Il me semble à la lumière des règles de donation et du mandat du Code civil du Québec que lorsqu’un donateur a clairement établi une condition dans le cadre de la donation que celle-ci doit être respectée à moins que celle-ci soit assujettie à d’autres conditions, ce qui n’est pas le cas ici.  Encore plus, le donateur n’a pas prévu de pouvoirs généraux pour son exécutrice littéraire sauf celui de contrôler l’accès aux documents personnels pendant la période de restriction d’accès de vingt (20) ans. Donc, l’exécutrice littéraire a les pouvoirs que lui donne le donateur.  Il ne lui a pas attribué celui de prolonger la période de restriction d’accès.  Elle ne peut donc pas s’accaparer d’un pouvoir que le donateur ne lui a pas accordé.

 

(2)   La lettre du 8 août 2005 est-elle une décision susceptible de contrôle judiciaire?

 


[32]          Premièrement, le défendeur prétend que la lettre du 8 août 2005 n’est pas une décision susceptible de contrôle judiciaire, mais qu’elle est plutôt une lettre de courtoisie ou de politesse faisant suite au courriel de M. Laplante du 17 janvier 2005, refusant au demandeur l’accès au fonds Bloomfield.  Sur ce point, cette Cour a clairement établi qu’une lettre de politesse écrite en réponse à une demande de révision ou de réexamen ne constitue pas une décision ou une ordonnance au sens de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7, et par conséquent, ne peut pas être contestée par voie de contrôle judiciaire (Dhaliwal c. Canada (M.C.I.), [1995] A.C.F. no. 982; Moresby Explorers c. Réserve du Parc National de Gwaii Haanas, [2000] A.C.F. no. 1944; Hughes c. Canada, 2004 CF 1055, para. 6).  De fait, le juge Pelletier (maintenant juge de la Cour d’appel) dans l’affaire Moresby énonce ce qui suit (Moresby Explorers, ci-haut, au para. 12):

Dans le jugement Dumbrava c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1995), 101 F.T.R. 230, [1995] A.C.F. no 1238, le juge Noël (maintenant juge de la Cour d'appel) a examiné une série de décisions portant sur l'effet de la correspondance échangée avec l'auteur de la décision après que celle-ci a été prise. Dans ces décisions, le tribunal avait jugé qu'une «réponse faite par courtoisie» ne crée pas une nouvelle décision ouvrant droit à un contrôle judiciaire. Ainsi que le juge McKeown l'a déclaré dans le jugement Dhaliwal c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 982 : « un procureur ne peut reporter la date d'une décision en envoyant une lettre dans l'intention de susciter une réponse ». Avant qu'il y ait une nouvelle décision susceptible d'un contrôle judiciaire, il doit y avoir un nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire, tel que le réexamen d'une décision antérieure à la lumière de faits nouveaux.

 

[Je souligne]

 

[33]                       Dans le cas en espèce, je ne suis pas d’avis que la lettre du 8 août 2005 est une lettre de politesse.  Plutôt, il apparaît que le défendeur a décidé par sa lettre du 10 mai 2005, de réviser la décision de refuser au demandeur l’accès au fonds Bloomfield.  Ainsi, le défendeur a décidé par cette lettre d’utiliser son pouvoir discrétionnaire pour réviser la décision antérieure de refuser au demandeur l’accès au fonds Bloomfield.  La lettre du 10 mai 2005 énonce ce qui suit:

 

 

 

 

M. Philipps:

 

À la lumière des arguments que vous avez soulevé [sic] lors de votre récent courriel électronique (le 25 avril), nous examinons attentivement votre demande.  La situation est complexe.  Nous souhaiterions avoir un peu plus de temps afin de considérer la possibilité de fournir laccès à cette collection.  Soyez assuré quune réponse vous sera acheminée dans un proche avenir.

 

Veuillez agréer, Monsieur, lexpression de mes sentiments les meilleurs.

 

Ian E. Wilson, CM, D. Litt.,

Bibliothécaire et Archiviste du Canada

 

(Dossier du demandeur, affidavit de Maurice Philipps, page 36)

 

 


[34]                       À la lecture de cette correspondance et des nouveaux documents créés depuis le 17 janvier 2005 (voir notamment le Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps: Formulaire daté du 20 avril 2005 du BAC prolongeant la restriction de dix (10) à vingt-cinq (25) ans, pièce 33; Note de l’analyste ATIP datée du 25 avril 2005, pièce 34; Lettre du demandeur en date du 25 avril 2005 demandant une nouvelle décision à la lumière de nouvelles informations, pièce 36), on constate que le défendeur procède à une nouvelle évaluation de la situation en considérant les arguments soulevés par le demandeur.  Le défendeur exerce donc son pouvoir discrétionnaire pour rendre une nouvelle décision à l’égard de la restriction d’accès au fonds Bloomfield.  Ceci est confirmé par la lettre du 8 août 2005 envoyée par le défendeur au demandeur, presque trois (3) mois après que le défendeur ait indiqué qu’il examinerait attentivement la demande d’accès du demandeur.  Dans cette lettre le défendeur écrit:

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Our file/Notre dossier

127106/8310

Le 8 août 2005

 

Monsieur Maurice Philipps

1-1115, rue St-Georges #1

Longueuil, Québec

J4K3Z5

 

Monsieur Philipps,

 

Jaccuse réception de votre courriel du 28 juillet 2005 concernant laccès au fonds Louis M. Bloomfield (MG31E25). 

 


Comme je vous lindiquais précédemment, Bibliothèque et Archives Canada se voit dans limpossibilité de donner accès à ce fonds.  Après avoir de nouveau revu attentivement lensemble du dossier et consulté nos services juridiques, jen suis venu à la conclusion que les restrictions daccès à ce fonds ont été prolongées dans le respect intégral de la loi, à lintérieur des pouvoirs accordés à Bibliothèque et Archives Canada par sa loi constitutive et en conformité avec ses procédures normales.  Je comprends votre déception et je tiens à vous assurer que ni la gestion de ce dossier et ni votre demande daccès au fonds nont été traités de façon arbitraire ou discriminatoire.

 

La pratique en vigueur dans linstitution, lorsquune restriction vient à échéance, est de contacter le donateur ou son exécuteur littéraire, normalement à loccasion dune demande daccès, pour lui signaler la fin de la restriction et le consulter sur déventuelles circonstances qui exigeraient leur prolongation ou modification.  Je tiens à vous assurer que lintérêt public et la mission de linstitution de donner le plus large accès possible au patrimoine documentaire du Canada sont toujours considérés lors de ces discussions.  Les conventions avec les donateurs sur les restrictions temporaires vont dans le sens de cette mission et de lintérêt public en ce quelles permettent à Bibliothèque et Archives Canada dacquérir, pour traitement immédiat, de fonds darchives privés importants qui autrement risqueraient de nêtre traités que beaucoup plus tard, retardant ainsi leur diffusion, ou même de rester à tout jamais hors datteinte des Canadiens. 

 

Dans le présent cas, jai revu les raisons invoquées à lappui dune prolongation, et je suis convaincu quelle est pleinement justifiée.  Les restrictions daccès sont maintenues pour la période indiquée.  Elles constituent une entente contractuelle qui lie Bibliothèque et Archives Canada. 

 

Veuillez prendre note que cette décision est finale et que la présente lettre constitue la réponse plus détaillée mentionnée dans ma lettre du 20 juillet 2005. 

 

La seule personne autorisée à lever cette restriction et à donner accès au fonds Bloomfield est son exécutrice littéraire et si vous désirez nous pouvons faire une demande en ce sens en votre nom.  Si tel est le cas, veuillez contacter par écrit Robert McIntosh, Directeur général, Direction des archives canadiennes et des collections spéciales, 344, rue Wellington, Ottawa, K1A 0N4, robert.mcintosh@lac-bac.gc.ca

 

Veuillez agréer, Monsieur Philipps, lexpression de mes sentiments distingués.

 

Ian E. Wilson 

 

c.c. :    Lhonorable Liza Frulla, Ministre du Patrimoine canadien

Monsieur Maka Kotto, Député de Saint-Lambert

 [Je souligne]

(Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 37) 

 

[35]                       Pour en arriver à une telle décision « finale », le défendeur consulta le dossier, les documents ainsi que les services juridiques et conclua que la période d’extension de restriction (maintenant de vingt-cinq (25) ans depuis le 20 avril 2005) a été décidée dans le respect intégral de la loi, à l’intérieur des pouvoirs accordés à BAC et en conformité avec les procédures normales. 

 


[36]                       Ce sont là des constatations qui me permettent de conclure que la décision du 8 août 2005 prise par le défendeur est susceptible de contrôle judiciaire par cette Cour, le tout conformément aux principes mis de l’avant dans l’arrêt Moresby, précité.  En effet, il s’agit d’un nouvel exercice de pouvoir discrétionnaire à la lumière de faits nouveaux et elle est « finale ».

 

(3)   Dans l’affirmative, quelle est la norme de contrôle applicable à la décision en question?

 

[37]                       Selon le test pragmatique et fonctionnel qui a été accepté sans équivoque par la Cour suprême du Canada afin de déterminer la norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions administratives, la Cour doit examiner quatre (4) facteurs: le mécanisme de contrôle prévu par la loi; l’expertise relative de l’organisme décisionnel; l’objet de la loi et la nature du problème (Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982; Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226).   Dans les prochains paragraphes, j’analyse le présent dossier à la lumière des facteurs mentionnés au présent paragraphe.

 

 

 

 

a.  Le mécanisme de contrôle prévu par la loi


[38]                       En l’espèce, la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada, L.C. 2004, ch. 11 (Loi), qui confère au défendeur la discrétion de prendre toute mesure pour protéger les documents en possession de BAC et de fournir tous les services permettant d’avoir accès au patrimoine documentaire canadien est muette sur le mécanisme de contrôle.  Ce facteur est donc neutre.

b.  L’expertise relative du décideur

 

[39]                       Dans le cas présent, le défendeur a une expertise en ce qui a trait aux questions de faits relatives aux mesures pour réaliser la mission de BAC.  Pour les questions de droit pur et les questions mixtes de droit et de fait, cette Cour a une expertise plus élevée que le défendeur.  Conséquemment, un degré de déférence devrait être accordé au défendeur pour toutes questions de faits relatives à l’administration de BAC.

 

c.  L’objet de la loi

 

[40]                       La Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada et les directives émises sous l’égide de la loi confère un vaste pouvoir discrétionnaire au défendeur pour garantir que BAC puisse conserver le patrimoine canadien.  Selon l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S 817 au paragraphe 56, ceci justifie une norme de contrôle moins exigeante et conséquemment pour ce qui est de ce facteur, un degré de déférence plus élevé devrait être accordé au défendeur.   

 

d.   Nature du problème


 

[41]                       L’objet du contrôle judiciaire en question comporte deux (2) analyses distinctes: la première consiste à déterminer si Mme Bloomfield, dans sa capacité d’exécutrice littéraire, a le pouvoir de restreindre l’accès au fonds Bloomfield, ce qui est une question de droit; la deuxième question consiste à déterminer si le défendeur a erré en refusant au demandeur l’accès au fonds Bloomfield, ce qui est une question mixte de faits et de droit.  Conséquemment, pour ce qui est de ce facteur, un degré de déférence moins élevé devrait être accordé au défendeur. 

 

e.   Conclusion

 

[42]                       Dans le présent cas, une analyse pragmatique et fonctionnelle indique que la norme de contrôle applicable à la décision du défendeur est celui de la décision raisonnable, car les facteurs du test pragmatique et fonctionnel indiquent des degrés de déférence différents pour ce qui est des divers facteurs du test.  Toutefois, la norme de la décision correcte sera celle utilisée pour les questions de droit.  Ainsi, les questions 1, 4 et 5 sont assujetties à la norme de la décision correcte tandis que les autres questions seront assujetties à la norme de la décision raisonnable.

 

(4)   Est-ce que le demandeur aurait dû avoir accès au fonds Bloomfield en vertu de: la Loi sur l’accès à l’information; la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada; ou la Loi sur l’exportation et l’importation des biens culturels?

 


 

(a)   Accès au fonds en vertu de la Loi sur l’accès à l’information

 

[43]                       La Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, c. A-1 (amendée en 2004 par les articles 22-24 de la Loi sur la bibliothèque et les Archives du Canada), est un code complet de procédure ayant comme but la sauvegarde du droit d’accès aux documents en possession des institutions fédérales (St-Onge c. Canada, (1995) 62 C.P.R. (3d) 303 (C.A.F.) au para. 3).  En outre, la Loi sur l’accès à l’information prévoit expressément à son paragraphe 68c) que certains documents déposés à BAC sont soustraits au régime juridique prévu par ladite loi.   

68. La présente loi ne sapplique pas aux documents suivants :

c) les documents déposés à Bibliothèque et Archives du Canada, au Musée des beaux-arts du Canada, au Musée canadien des civilisations, au Musée canadien de la nature ou au Musée national des sciences et de la technologie par des personnes ou organisations extérieures aux institutions fédérales ou pour ces personnes ou organisations.

[Je souligne]

 

68. This Act does not apply to

(c) material placed in the Library and Archives of Canada, the National Gallery of Canada, the Canadian Museum of Civilization, the Canadian Museum of Nature or the National Museum of Science and Technology by or on behalf of persons or organizations other than government institutions.

 

[Emphasis added]

 

[44]                       En adoptant le paragraphe 68c), le législateur fédéral a témoigné de sa volonté de traiter différemment, en matière d’accès à l’information, les documents qui se trouvent en possession de certaines institutions fédérales comme BAC, si ces documents ont été déposés par une personne ou un organisme extérieur à l’administration fédérale.

 

[45]                       Les documents du fonds Bloomfield sont le type de documents visés par le paragraphe 68c) de la Loi sur l’accès à l’information.  Par conséquent, le demandeur ne peut avoir accès aux documents du fonds Bloomfield en vertu d’une demande sous ladite loi. 


 

(b)   Accès au fonds en vertu de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada

 

[46]                         La Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada n’adresse pas de façon directe le dépôt de documents privés à BAC ou les termes d’accès aux documents en possession de BAC.  Toutefois, l’objectif de rendre accessible le patrimoine documentaire est clairement exprimé par le législateur dans le préambule de la loi :

Attendu qu'il est nécessaire :

a) que le patrimoine documentaire du Canada soit préservé pour les générations présentes et futures;

b) que le Canada se dote d'une institution qui soit une source de savoir permanent accessible à tous et qui contribue à l'épanouissement culturel, social et économique de la société libre et démocratique que constitue le Canada;

c) que cette institution puisse faciliter au Canada la concertation des divers milieux intéressés à l'acquisition, à la préservation et à la diffusion du savoir;

d) que cette institution soit la mémoire permanente de l'administration fédérale et de ses institutions,

[Je souligne]

 

WHEREAS it is necessary that

(a) the documentary heritage of Canada be preserved for the benefit of present and future generations;

(b) Canada be served by an institution that is a source of enduring knowledge accessible to all, contributing to the cultural, social and economic advancement of Canada as a free and democratic society;

(c) that institution facilitate in Canada cooperation among the communities involved in the acquisition, preservation and diffusion of knowledge; and

(d) that institution serve as the continuing memory of the government of Canada and its institutions;

[Emphasis added]

 

 

[47]                       En outre, la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada définit le « patrimoine documentaire du Canada » à l’article 2 comme suit :

2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« patrimoine documentaire » Les publications et les documents qui présentent un intérêt pour le Canada.

2. The definitions in this section apply in this Act

documentary heritage means publications and records of interest to Canada.

 


Les documents du fonds Bloomfield peuvent donc être considérés comme faisant partie du patrimoine documentaire du Canada. 

 

[48]                       L’article 5 de la loi permet au Gouverneur en conseil de nommer à titre amovible l’administrateur général de BAC :  

5. (1) L'administrateur général, dont le titre est « bibliothécaire et archiviste du Canada » , est nommé, à titre amovible, par le gouverneur en conseil et a rang et pouvoirs d'administrateur général de ministère.

5. (1) The Governor in Council shall appoint an officer, to be called the Librarian and Archivist of Canada, to hold office during pleasure and to have the rank and powers of a deputy head of a department.

 

[49]                       L’article 7 de la loi explique la mission de BAC.  Cet article spécifie notamment que :

7. Bibliothèque et Archives du Canada a pour mission :

a) de constituer et de préserver le patrimoine documentaire;

b) de faire connaître ce patrimoine aux Canadiens et à quiconque s'intéresse au Canada, et de le rendre accessible;

[Je souligne]

 

7. The objects of the Library and Archives of Canada are

(a) to acquire and preserve the documentary heritage;

(b) to make that heritage known to Canadians and to anyone with an interest in Canada and to facilitate access to it;

[Emphasis added]

 

 

[50]                       L’article 7 ne précise pas les moyens que peut utiliser BAC pour remplir sa mission.  Ces moyens sont plutôt spécifiés à l’article 8 qui identifie de façon concrète les pouvoirs de l’administrateur général de BAC : 



8. (1) L'administrateur général peut prendre toute mesure qui concourt à la réalisation de la mission de Bibliothèque et Archives du Canada et, notamment :

 

a) acquérir des publications et des documents ou en obtenir la possession, la garde ou la responsabilité;

b) prendre toute mesure de catalogage, de classement, de description, de protection et de restauration des publications et documents;

c) compiler et maintenir des sources d'information et notamment une bibliographie et un catalogue collectif nationaux;

d) fournir des services d'information, de consultation, de recherche et de prêt, ainsi que tous autres services permettant d'avoir accès au patrimoine documentaire;

e) mettre en place des programmes visant à faire connaître et comprendre le patrimoine documentaire et encourager ou organiser des activités - notamment des expositions, des publications et des spectacles - à cette fin;

f) conclure des accords avec d'autres bibliothèques, archives ou institutions au Canada ou à l'étranger;

g) conseiller les institutions fédérales sur la gestion de l'information qu'elles produisent et utilisent et leur fournir des services à cette fin;

h) déterminer les orientations des services bibliothécaires des institutions fédérales et, à cette fin, fixer des lignes directrices;

i) apporter un appui professionnel, technique et financier aux milieux chargés de promouvoir et de préserver le patrimoine documentaire et d'assurer l'accès à celui-ci;

j) s'acquitter de toute autre fonction que lui confie le gouverneur en conseil.

 

[Je souligne]

8. (1) The Librarian and Archivist may do anything that is conducive to the attainment of the objects of the Library and Archives of Canada, including

 

(a) acquire publications and records or obtain the care, custody or control of them;

(b) take measures to catalogue, classify, identify, preserve and restore publications and records;

(c) compile and maintain information resources such as a national bibliography and a national union catalogue;

(d) provide information, consultation, research or lending services, as well as any other services for the purpose of facilitating access to the documentary heritage;

(e) establish programs and encourage or organize any activities, including exhibitions, publications and performances, to make known and interpret the documentary heritage;

(f) enter into agreements with other libraries, archives or institutions in and outside Canada;

(g) advise government institutions concerning the management of information produced or used by them and provide services for that purpose;

(h) provide leadership and direction for library services of government institutions;

(i) provide professional, technical and financial support to those involved in the preservation and promotion of the documentary heritage and in providing access to it; and

(j) carry out such other functions as the Governor in Council may specify.

 

[Emphasis added]

 

[51]                       Selon le paragraphe 8(1)h) de la loi, BAC a fixé des lignes directrices.  On y retrouve les « lignes directrices et procédures relatives à l’établissement de la gestion des conditions d’accès aux fonds conservées à la division des manuscrits » (lignes directrices) qui furent émises en 1995 (lignes directrices).  Elles ont pour objectif d’expliquer la gestion des conditions d’accès.  À nouveau, celles-ci exemplifient l’objectif du législateur de « rendre accessible » le patrimoine documentaire.  Il y est même précisé que l’accès aux documents est l’une des principales responsabilités des Archives nationales du Canada (maintenant BAC).  Toutefois, il y a aussi un souci fort légitime de s’assurer que l’objectif d’accès ne doit pas empêcher la collection de documents privés et qu’il y a consultation avec les donateurs pour élaborer les restrictions d’accès tout en tenant compte des besoins des chercheurs.  Il y a donc une pondération à être faite dans de telles circonstances.  Pour les fins de la présente, je cite certains passages des lignes directrices:

 

 

 


 

 

 

 

PRINCIPES FONDAMENTAUX

 

Les principes fondamentaux relatifs aux conditions daccès à la Division des manuscrits peuvent être énoncés comme suit :

 

1.                  La Division des manuscrits reconnaît la nécessité des restrictions d’accès liées aux documents privés de nature délicate et reconnaît que, dans bien des cas, son désir de restreindre l’accès facilite l’acquisition de documents privés d’importance nationale.

2.                  Même si la Division reconnaît la nécessité des restrictions d’accès et sa propre responsabilité en la matière, son objectif ultime consiste à accroître et à élargir l’accès lorsque cela est possible.  C’est pourquoi elle fait tout son possible pour éviter les restrictions d’une durée indéfinie et pour prévoir le réexamen régulier des restrictions imposées.

3.                  L’identification des exigences d’accès est considérée comme une partie importante des fonctions d’acquisition et de contrôle, alors que la gestion subséquente de l’accès fait intégralement partie du service public.

4.                  Les archivistes doivent élaborer des restrictions d’accès en consultation avec les donateurs, tout en répondant aux besoins des chercheurs et en assumant les responsabilités de la Division telles que définies par les textes officiels et les documents de référence indiqués précédemment.

5.                  L’accès aux documents privés appartenant à l’État et déposés dans un établissement public est considéré comme un service public qui doit, dans la mesure du possible, être fourni également à tous les clients (y compris par les employés).  Les restrictions qui s’appliquent à un groupe de chercheurs et non à d’autres doivent être évitées si possible.  Alors que les donateurs ou leurs représentants peuvent contrôler l’accès pendant une période donnée, les archivistes doivent collaborer avec les donateurs afin de tenter d’obtenir une approche équitable en matière de prise de décisions relatives à l’accès. 

….

[Je souligne]

 

 

ANALYSE SUBSÉQUENTE AU TRAITEMENT

 

Analyse plus détaillée des documents de nature délicate afin de déterminer les catégories spécifiques en cause et les restrictions d’accès recommandées.  Le personnel chargé d’analyser des documents du Cabinet et l’information gouvernementale classifiée doit avoir la cote de sécurité appropriée.

 

C’est également à cette étape que les archivistes doivent consulter le dossier SNAP relativement au fonds et examiner la correspondance et les ententes préalables susceptibles davoir une incidence sur la question de laccès.

[Je souligne] 

 

 

EXAMEN, RÉVISION ET RETRAIT DES RESTRICTIONS D’ACCÈS

 

Dans la majorité des cas, les documents dont l’accès est interdit ou restreint pendant une période donnée doivent être mis à la disposition des chercheurs le 1er janvier de l’année où l’interdiction de consultation cesse.  Par exemple, les dossiers remontant à 1965, dont l’accès est interdit pendant 30 ans, doivent être accessibles le premier jour de 1995.  Si un examen ou une révision des documents s’impose, il faut y procéder avant l’échéance.

 


Les documents dont l’accès est interdit pendant une période indéfinie (habituellement, par suite d’une recommandation ministérielle) doivent être examinés régulièrement tous les dix ans (habituellement, par des agents de l’examen de l’accès).

 

 

Le système Trakker comprend un système de rappel que la Division doit utiliser pour garantir que les restrictions d’accès sont régulièrement mises à jour ou réexaminées.  Au moment d’attribuer un code d’accès du système Trakker à un volume de documents à accès restreint, les archivistes doivent indiquer une date de rappel, à laquelle la Division de la garde des fonds préviendra les chefs de section de revoir les restrictions applicables à un volume de documents.  (La date d’examen des documents à accès interdit ou à accès restreint pendant une période donnée doit être une année complète avant l’expiration de la restriction).  Les chefs de section doivent à leur tour assigner les documents à examiner aux archivistes.

 

Lorsque les restrictions d’accès exigent une révision et qu’elles ne sont pas entièrement enlevées, l’archiviste doit prévenir la Division de la garde des fonds des éventuels changements liés aux codes du système Trakker, en fonction des dispositions énoncées ci-dessus.  L’archiviste doit également remplir une nouvelle FFR, en suivant les étapes exposées ci-dessous (voir « préparation d’une formule des fonds réservés ».

 

Lorsque toutes les restrictions d’accès liées à un fonds sont périmées, l’archiviste devrait réviser l’inventaire en indiquant que le code d’accès O (champ C180) s’applique dorénavant au fonds.  Une copie de la Formule des fonds réservés désignée « maintenant ouvert » devrait être annexée à la FCI révisée. »

 

(Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 18, lignes directrices 4 et 5)

 

[52]                       En somme, le législateur confie à l’administrateur général de BAC le pouvoir discrétionnaire de prendre les mesures appropriées pour permettre à BAC d’atteindre les objectifs fixés par l’article 7.  À la lecture des articles 7 et 8 de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada on constate que le législateur fédéral a voulu laisser à l’administrateur général une certaine liberté pour concrétiser la mission de BAC.  En effet, bien que l’un des objectifs de BAC soit de permettre au public l’accès au patrimoine documentaire, il y a aussi une préoccupation compréhensible de prendre en considération les volontés du donateur.  Il doit donc y avoir un exercice de pondération entre l’objectif d’accès et les conditions de la donation et autres considérations légitimes.  Les lignes directrices démontrent cette préoccupation. 

 


 

 

[53]                       En l’espèce, puisqu’aucune disposition de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada n’enfreint la liberté accordée à l’administrateur général pour réaliser la mission de BAC et plus spécifiquement le contrôle de l’accès aux documents privés conservés par BAC, je suis de l’avis que le demandeur n’a pas un droit d’accès inconditionnel sans restriction aux documents personnels de M. Bloomfield.  Selon la loi et les lignes directives, BAC doit exercer une pondération entre l’accès, les conditions de la donation et les considérations légitimes de l’organisme.  Un tel exercice doit se faire par analyse démontrant une pondération entre les intérêts en jeu et la justification pour la conclusion.

 

(c)    Accès au fonds en vertu de la Loi sur l’exportation et l’importation des biens culturels

 

[54]                         En 1978, lorsque M. Bloomfield a déposé ses documents privés à BAC, il a bénéficié de certains avantages fiscaux en vertu de la Loi sur l’exportation et l’importation des biens culturels, L.R. 1975, C-50.

 


[55]                       La Loi sur l’exportation et l’importation des biens culturels aux articles 26 et 27 demande que les biens culturels aliénés sous ladite loi soient aliénés de façon irrévocable pour bénéficier des avantages fiscaux prévus par la loi.  En effet, il y est prévu que l’établissement désigné devient propriétaire au plus tard le dernier jour de l’année civile suivant celle où le certificat fiscal visant des biens culturels est délivré.  Dans notre cas, les certificats visant les documents ont été émis le 5 juillet 1979 et le 28 mars 1980.   Selon le demandeur, l’imposition d’une nouvelle restriction d’accès aux documents Bloomfield par Mme Bloomfield est en effet une tentative de contrôle de la propriété des documents du fonds Bloomfield qui ont été transférés irrévocablement et que cette tentative de contrôle est à l’encontre de ladite Loi.

 

[56]                        Je suis d’avis que le fait que les documents du fonds Bloomfield ont été aliénés de façon irrévocable ne donne pas au public un accès inconditionnel aux documents.  En tenant compte de l’ensemble de la preuve déposée par les parties, il s’ensuit que Mme Bloomfield n’a pas tenté de reprendre possession des documents ou d’annuler le transfert irrévocable à BAC du fonds Bloomfield.  Le fait que BAC a conclu une entente avec Mme Bloomfield pour restreindre l’accès du public au fonds Bloomfield ne change en rien la nature de la propriété des documents constituant le fonds.  Par conséquent, le demandeur n’a aucun droit d’accès aux documents Bloomfield en raison des avantages fiscaux réalisés par l’aliénation des documents du fonds Bloomfield sous la Loi sur l’exportation et l’importation des biens culturels.    

 

(5)   Le défendeur a-t-il erré en refusant la demande initiale du demandeur d’accès au fonds Bloomfield? 

 

[57]                         M. Bloomfield est mort le 19 juillet 1984.   À titre de rappel, ce dernier a cédé les documents qui constituent le fonds Bloomfield sous condition qu’ils ne soient rendus public que vingt (20) ans après sa mort. 

 


 

 

 

[58]                       Comme nous l’avons vu précédemment au paragraphe 51 de la présente décision, sous la rubrique « Examen, révision et retrait des restrictions d’accès », les lignes directrices prévoient une procédure à suivre lors de l’échéance de la restriction d’accès.  En général, selon ces lignes directrices, un document avec restriction d’accès devient accessible au public le 1er janvier de l’année où cesse la restriction d’accès.  Dans notre cas, le terme de la restriction d’accès était le 19 juillet 2004, donc selon les lignes directrices, l’accès aux documents était en date du 1er janvier 2004, le tout sujet aux autres considérations découlant de la loi et des lignes directrices.

 

[59]                       Ces lignes directrices n’ont pas force de loi. Cependant, elles servent comme outils pour créer des pratiques générales.  En l’espèce les lignes directrices définissent une pratique au sein de l’administration de BAC.  Cependant, le fait que les lignes directrices suggèrent qu’un document avec restriction d’accès deviendra accessible au public le 1er janvier de l’année où cesse la restriction d’accès n’a aucun impact sur la compétence discrétionnaire de l’administrateur général de BAC de décider de rendre public les documents placés sous son contrôle.   Ces lignes directrices n’imposent pas d’obligations sur les épaules du défendeur.

 


[60]                       De plus, même si BAC a pour mission générale de rendre accessible le patrimoine documentaire canadien, ceci n’assujettit pas BAC ou son administrateur général à une obligation légale de rendre accessible chacun des documents en sa possession.  Le législateur fédéral n’a pas jugé bon de lui imposer une telle obligation, mise à part les dispositions applicables de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada. L’administrateur général de BAC a donc une obligation « de le rendre accessible » et « d’assurer l’accès » (voir les paragraphes 7b) et 8i) de la Loi).

[61]                       Le refus initial d’accès au fonds Bloomfield du 3 septembre 2004 était très succinct et ne contenait pas de motifs:  

Notre référence 2004-2005/14376

 

Maurice Philipps

 

Cher M. Philipps :

 

Réponse à votre demande du 10 août concernant les fonds Louis M. Bloomfield (MG 31, E 25), il faut noter que lautorisation pour consulter des fonds est toujours nécessaire de Mme Justine Cartier, 110 Bloor St. West, Apt 1105, TORONTO, ON M5S 2W7 (Tel. 416-922-2092).  Cet (sic) permission devrais (sic) être envoyer (sic) à M. Lawrence Tapper au (sic) Bibliothèque et Archives Canada, 395 rue Wellington, OTTAWA, ON K1A 0N3.  M. Tapper pourrait être rejoindre (sic) par courriel à Lawrence.Tapper@lac-bac.gc.ca.

 

Dan Somers

Division de Référence et Genealogie

Bibliothèque et Archives Canada

(613) 992-0452

 

(Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 17)

 

Ce premier refus ne présente aucun motif.  Ce n’est que par la suite que le défendeur justifia son refus.

 

[62]                       Premièrement, le 18 janvier 2005, M. Normand Laplante, le Directeur des Archives sociales et culturelles de BAC, écrit un courriel au demandeur expliquant les raisons pour lesquelles l’accès aux documents a été refusé:

Au décès de M. Bloomfield en 1984, la gestion des restrictions daccès à son fonds darchives aux Archives publiques du Canada a été léguée à son exécutrice littéraire, Mme Justine Cartier, avec laquelle les APC en ont venu à lentente suivante concernant les restrictions pour le fonds :

 


      Access to the collection is restricted for a period of twenty years from July 19, 1984 to researchers who have obtained the specific written permission of Mme Cartier

 

Cette entente se retrouve dans une lettre de Mme Cartier datée du 19 novembre 1984* où elle indique  également que ces restrictions daccès devront être revues à une date ultérieure.  Or, comme il est souvent la pratique à Bibliothèque et Archives Canada en raison du nombre considérable de fonds et de collections sous la responsabilité de linstitution, la révision des restrictions pour le fonds ne sest fait quà la fin de la période de vingt ans, cest-à-dire au cours de lété 2004.  Il a été convenu entre Mme Cartier et BAC à ce moment que la révision suivante serait apportée aux restrictions daccès pour le fonds Bloomfield :

 

Originals

Vols. 1-31         Restricted - Access is restricted until ten years after the death of Justine Stern Cartier

 

Les chercheurs qui désirent obtenir accès au fonds Bloomfield doivent obtenir la permission écrite de Mme Cartier.  Cette entente se retrouve dans une lettre de Mme Cartier à BAC datée du 31 août 2004.** Veuillez notez que nous ne pouvons vous fournir une copie de ces lettres qui contiennent de linformation protégée concernant les négociations du gouvernement fédéral avec un donateur. 

 

Il est important de noter que les restrictions daccès pour le fonds nont jamais expiré et que le fonds na jamais été ouvert à la consultation sans restriction.  Toutefois, je vous encourage à contacter Mme Cartier pour obtenir sa permission écrite pour consulter le fonds [1]

 

(Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 25)

 

[63]            Deuxièmement, dans une lettre datée du 16 février 2005 envoyée au demandeur par le défendeur, ce dernier explique les motifs pour lesquelles la demande d’accès au fonds Bloomfield a été refusée: 

Jai également revu le processus de décision concernant les restrictions daccès pour le fonds Louis M. Bloomfield.  Un des objectifs de Bibliothèque et Archives Canada dans lacquisition et la mise en disposition de fonds darchives dorigine privée est dassurer un équilibre entre notre mission de rendre accessible ces documents, notre responsabilité de protéger la vie privée des individus et de respecter nos ententes avec les donateurs de tels fonds.

 


Dans le case du fonds Bloomfield, la gestion des restrictions daccès avait été léguée, au décès de M. Bloomfield en 1984, à Mme Justine Cartier, lexécutrice littéraire, avec laquelle les Archives publiques du Canada avait convenu de la restriction de vingt ans jusquen été 2004.  Nous nous étions également entendus à leffet que cette restriction serait revue ultérieurement.  La revue des conditions daccès à un fond (sic) est pratique courante à BAC, elle permet de tenir compte de lévolution de la situation du donateur ou de ses représentants.  Cest lors de cet exercice de revue à la fin de lété 2004 que BAC et Mme Cartier ont convenu que le fonds serait restreint pour une période de 10 ans après le décès de cette dernière pour assurer la protection de la vie privée dindividus.  Cette révision des restrictions daccès à été faite selon les procédures institutionnelles établies pour les fonds et collections dorigine privée.

 

(Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 28)

 

 

[64]                       Troisièmement, dans la lettre du 8 août 2005 envoyée par le défendeur, ce dernier explique à la lumière de la nouvelle information et de la consultation faite, les raisons pour lesquelles l’accès au fonds Bloomfield a été refusé et qu’il s’agissait d’une décision finale, à savoir:

La pratique en vigueur dans linstitution, lorsquune restriction vient à échéance, est de contacter le donateur ou son exécuteur littéraire, normalement à loccasion dune demande daccès, pour lui signaler la fin de la restriction et le consulter sur déventuelles circonstances qui exigeraient leur prolongation ou modification.  Je tiens à vous assurer que lintérêt public et la mission de linstitution de donner le plus large accès possible au patrimoine documentaire du Canada sont toujours considérés lors de ces discussions.  Les conventions avec les donateurs sur les restrictions temporaires vont dans le sens de cette mission et de lintérêt public en ce quelles permettent à Bibliothèque et Archives Canada dacquérir, pour traitement immédiat, des fonds darchives privés importants qui autrement risqueraient de nêtre traités que beaucoup plus tard, retardant ainsi leur diffusion, ou même de rester à tout jamais hors datteinte des Canadiens. 

 

Dans le présent cas, jai revu les raisons invoquées à lappui dune prolongation et je suis convaincu quelle était pleinement justifiée.  Les restrictions daccès sont maintenues pour la période indiquée.  Elles constituent maintenant une entente contractuelle qui lie Bibliothèque et Archives Canada.

(Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 37)

 


[65]                       À la lumière de cette correspondance, il apparaît que BAC considère Mme Bloomfield comme étant la gestionnaire des restrictions de période d’accès et qu’à ce titre, sa décision est déterminante quant à une prolongation de la période de non accès.  Le donateur, M. Bloomfield, n’avait pas donné ce pouvoir de gestion à Mme Bloomfield.  À deux reprises, il avait précisé que la période de non accès était de vingt (20) ans.  Ceci était son intention et elle doit être respectée.  L’interprétation du rôle de Mme Bloomfield par le BAC est une erreur de droit.

 

(6)   Le défendeur a-t-il erré en décidant de prolonger la restriction d’accès au fonds Bloomfield?

 

 

 

 

[66]                       À l’expiration de la restriction d’accès au fonds Bloomfield imposée par M. Bloomfield, BAC a conclu, le 8 septembre 2004, une nouvelle entente avec Mme Bloomfield, l’exécutrice littéraire du fonds Bloomfield, imposant une nouvelle restriction d’accès au fonds Bloomfield afin que les documents ne soient pas rendus accessibles au public que dix (10) ans après la mort de Madame.  Par la suite, le 20 avril 2005, la nouvelle restriction d’accès au fonds Bloomfield fut prolongée à une période de vingt-cinq (25) ans après la mort de Mme Bloomfield.   On ne retrouve au dossier aucune explication pour cette extension et la lettre du 8 août 2005 est silencieuse à ce sujet.

 

[67]                       Les lignes directrices énoncent ce qui suit au sujet de la consultation avec les donateurs et d’autres responsables, en ce qui concerne les restrictions d’accès au fonds de BAC:

 

CONSULTATION AVEC LES DONATEURS ET DAUTRES RESPONSABLES

 


Lanalyse doit être suivie, si nécessaire, par la consultation du donateur, dautres responsables (comme les agents ministériels de lexamen de laccès) ou des collègues ayant lexpérience de documents semblables.  Comme nous lavons fait remarquer précédemment, dans le cas dinformation personnelle de nature délicate ou très délicate, les donateurs ou leurs représentants peuvent exiger lapplication de laccès avec autorisation ou dune interdiction de consulter plus longue que ne pourrait le recommander larchiviste.  Au moment de négocier ces restrictions, larchiviste doit faire léquilibre entre les droits légitimes du donateur et le désir des Archives nationales de faciliter laccès aux documents dans la mesure du possible.

 

(Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce 18) 

 

[68]                        De plus, l’administrateur général de BAC explique dans ses lettres au demandeur, la politique de consultation avec le donateur ou son représentant lorsqu’une restriction d’accès devient échue.  Par conséquent, on constate l’existence d’une pratique bien établie de BAC de consulter les donateurs et leurs représentants pour déterminer la longueur et les détails d’une restriction d’accès avant et après la cession des documents à BAC.  Il est important de noter que même si, en pratique, BAC négocie des restrictions d’accès avec les donateurs et leurs représentants, une fois les documents en possession de BAC, l’administrateur général a un pouvoir discrétionnaire de conclure des ententes de restrictions d’accès avec les donateurs et leurs représentants en vertu de la Loi et du mandat qui leur est accordé. 

 

[69]                       Bien que l’extension de la période de restriction à dix (10) ans en septembre 2004 est bien documentée, Mme Bloomfield ayant exprimé le désir que ladite extension soit prolongée de dix (10) ans après sa mort (voir dossier du demandeur, page 150) pour des raisons de vie privée et de réputation de son mari, il n’en va pas de même pour celle de vingt-cinq (25) ans, décision prise le


20 avril 2005 (voir dossier du demandeur, page 114).  Il n’y a aucune explication donnée pour comprendre un tel changement.  En plus, cette décision va à l’encontre des lignes directrices du BAC à l’effet que la révision d’une période de restriction se fait à l’échéance.  Il semble y avoir contradiction dans la lettre du 8 août 2005.  Le renouvellement de l’extension de la restriction a été fait en septembre 2004 pour une période de dix (10) ans, il n’y avait donc pas d’échéance car celle-ci ne pouvait survenir qu’en 2014.

 

[70]                       La décision du 8 août 2005 expliquant la période de restriction sans la dévoiler, n’est pas raisonnable dans les circonstances tenant compte des faits du dossier et de l’absence de motifs pouvant permettre cette nouvelle extension qui allait à l’encontre des lignes directrices.  Elle est donc révisable, n’étant pas correcte.

 

 

 

 

IV.  Conclusion

 

[71]                       Le demandeur demande des dommages intérêts.  La procédure est une demande de contrôle judiciaire et aucun dommage ne peut être accordé (voir le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales; De-Nobile c. Canada (Procureur-général), [1999] A.C.F. no. 1727).

 


[72]                       En plus, le demandeur demande une ordonnance d’accès sans restriction au fonds Bloomfield.  Tenant compte de la loi et des lignes directrices, il fut constaté que le BAC a une discrétion au sujet des demandes d’accès mais qu’il doit l’exécuter en tenant compte de l’objectif d’accès de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada, les conditions exprimées par le donateur des documents personnels et autres considérations légitimes.  Cet exercice doit être fait en tenant compte de la présente décision, de la loi et des lignes directrices.  Le dossier doit donc être retourné afin qu’il y ait une nouvelle étude de la demande d’accès.

 

V.  Les frais

 

[73]                       Étant donné le résultat auquel j’arrive, les frais sont en faveur du demandeur.

 

[74]                       Le demandeur demande les frais avocat-client.  Pour en arriver à une telle conclusion, la jurisprudence exige que la preuve démontre un comportement reprochable de la partie ayant la charge des dépens. (Balfour c. Norway House Cree Nation, 2006 FC 616 aux paras. 17-19; Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances) [2002] 1 R.C.S. 405 au para. 86).  Ce n’est aucunement le cas dans le présent dossier.

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

-     La demande de contrôle judiciaire de la décision du 8 août 2005 est accordée, le dossier doit retourner devant le décideur afin qu’une nouvelle décision soit prise tenant compte des motifs de la présente.

-     Les frais sont en faveur du demandeur.

 

« Simon Noël »

Juge



                                                      COUR FÉDÉRALE

                                                                       

                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

                                                                       

 

 

DOSSIER:                                         T-1517-05

 

INTITULÉ:                                       Maurice Philipps c.Bibliothécaire et Archiviste du Canada

 

LIEU DE L'AUDIENCE:               Montréal

 

DATE DE L'AUDIENCE:              Le 17 octobre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT:                        LHonorable Juge Simon Noël           

 

DATE DES MOTIFS:                      Le 14 novembre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Maurice Philipps (lui-même)                                              Pour le demandeur

 

Me Michel Pépin et

Me Anne-Marie Desgens                                                        Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. Maurice Philipps                                                                Pour le demandeur

 

 

John Sims

Montréal (Québec)                                                                  Pour le défendeur

 



[1] *Le dossier révèle le contenu de cette lettre à leffet que suite au décès de son mari, Mme Bloomfield (Mme Cartier) constate que la restriction sera de vingt ans mais que celle-ci sera révisé à une date ultérieure (voir Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce P-1)

 

**Il est important de noter que depuis, la lettre de Mme Bloomfield (Mme Cartier), en date du 31 août 2004, a été obtenue par le demandeur.  Elle explique que lextension de la restriction de 10 ans est justifiée pour des raisons de vie privée et de la réputation de Louis M. Bloomfield (voir Dossier du demandeur, Affidavit de Maurice Philipps, pièce P-2).

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