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Date : 20061229

Dossier : IMM-999-06

Référence : 2006 CF 1557

Ottawa (Ontario), le 29 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

 

ENTRE :

MUHAMMAD NADEEM AKHTAR MUGHAL, SAIMA NADEEM, MAHEEN NADEEM et MUHAMMAD RAFAY NADEEM

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Contexte

[1]               Le 12 janvier 2006, une commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté les demandes d’asile, fondées sur les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi), de M. Mughal (ci‑après Nadeem), sa femme Saima et leur enfants, Maheen et Muhammad Rafay (ci‑après Rafay), qui sont, à l’exclusion de Maheen, des citoyens pakistanais dont la demande d’asile vise le Pakistan. Maheen est citoyenne des États-Unis et demande l’asile relativement à ce pays.

 

[2]               L’histoire des demandeurs d’asile commence avec le mariage secret de Nadeem et de Saima en août 1999, en dépit des fortes objections de leurs parents et en particulier du père de Saima, un fondamentaliste pur et dur, qui souhaitait que sa fille se marie à un dévot de leur communauté.

 

[3]               Les principaux événements de leur histoire se résument comme suit :

1.    En janvier 2000, Saima rejoint son mari en Arabie saoudite où il enseigne. Ce n’est qu’à ce moment que les deux familles ont appris qu’ils s’étaient mariés secrètement. Les familles étaient très mécontentes comme en fait foi une lettre écrite par le père de Nadeem à son fils en janvier 2000 dans laquelle il affirme que [TRADUCTION] « la vague de meurtres commencera à déferler » parce que sa femme avait déshonoré leurs familles.

 

2.    En juillet 2000, durant sa première grossesse, Saima retourne au Pakistan en restant cachée pendant une période de cinq mois où elle a tenté sans succès de se réconcilier avec sa famille. Des problèmes de santé et de visa ont été avancés pour justifier son retour au Pakistan.

 

3.    En novembre 2000, elle rejoint son mari en Arabie saoudite avec Rafay.

 

4.    En juillet 2001, munis de visas américains, les trois demandeurs se rendent aux États-Unis.

 

5.    En août 2001, Nadeem retourne au Pakistan prétendument pour rendre visite à sa grand‑mère souffrante et pour tenter de se réconcilier avec sa famille.

 

6.    Quelques mois plus tard, Nadeem rejoint sa famille aux États-Unis où Maheen est née.

 

7.    En janvier 2002, les demandeurs retournent au Pakistan pour emménager dans un logement séparé du complexe des parents de Nadeem, à Lahore, croyant qu’une réconciliation avait eu lieu, mais ils ont vite déchanté lorsque le père de Nadeem a vraisemblablement tenté d’empoisonner Saima et les enfants. De plus, le père de Saima, qui a appris qu’ils étaient de retour, a fait arrêter Saima et, à la suite de sa libération obtenue au moyen d’un pot‑de‑vin, il a organisé une attaque contre elle et une tentative d’enlèvement de son fils aîné.

 

8.    En mars 2002, les demandeurs sont allés se cacher dans une autre ville au Pakistan. En avril 2002, Nadeem est retourné aux États‑Unis pour gagner de l’argent afin que le reste de la famille puisse le rejoindre. Le père de Saima a découvert où elle se cachait et l’a fait attaquer.

 

9.    En juillet 2002, Saima et les enfants ont quitté le Pakistan et sont arrivés le 20 juillet 2002 aux États-Unis où ils sont restés jusqu’à ce qu’ils viennent au Canada au début de 2003. Ils ont revendiqué le statut de réfugié le 28 février 2003.

 

La décision de la Commission

 

[4]       La Commission a d’abord rejeté la demande d’asile de Maheen visant les États‑Unis qui avait été présentée en vertu de l’article 97 de la Loi, son retour aux États‑Unis sans ses parents faisant d’elle une personne à protéger. La Commission a conclu que rien dans la preuve n’indiquait que les autorités américaines lui feraient subir, intentionnellement ou par négligence, des traitements cruels et inusités, considérant la qualité des soins dont elle bénéficierait dans ce pays. Cette conclusion n’a pas été véritablement contestée par les demandeurs d’asile.

 

[5]       Quant aux demandes des autres membres de la famille qui visaient le Pakistan, la décision de la Commission s’articulait autour de la question de la crédibilité. La Commission n’a pas cru qu’ils étaient persécutés par des personnes n’agissant pas au nom de l’État, à savoir leurs parents. Les conclusions relatives à la crédibilité se fondaient principalement sur :

                        1. les réclamations répétées de la protection de l’État pakistanais;

                        2. le fait que les demandeurs ont tardé à quitter le Pakistan alors qu’ils
                        disposaient de visas américains valides en 2002;

                        3. le défaut de demander l’asile aux États‑Unis.

 

[6]       La Commission a conclu en ces termes à l’égard des trois facteurs ci‑dessus :

La conduite des demandeurs d’asile porte gravement atteinte à la crédibilité de leur crainte alléguée de persécution.

 

[7]       En ce qui a trait à la crédibilité des demandeurs d’asile, la Commission a fait état des autres facteurs suivants :

[…] le témoignage des demandeurs d’asile comportait des incohérences, des omissions et des invraisemblances troublantes qui n’ont pas été expliquées de façon satisfaisante.

 

[8]       La Commission a conclu en ajoutant ceci :

 

[…] je conclus que les demandeurs d’asile n’ont pas présenté une preuve crédible et digne de foi à l’appui de leurs demandes d’asile.

 

 

[9]       En ce qui a trait aux dossiers médicaux produits par les demandeurs d’asile pour corroborer les attaques et l’empoisonnement allégués, la Commission a demandé et obtenu le consentement des demandeurs d’asile pour les faire vérifier par la mission canadienne à Islamabad, parce que « c’est un fait très déplorable que des documents frauduleux sont présentés de façon régulière à l’appui des demandes d’asile de ressortissants pakistanais ».

 

[10]     Comme les résultats n’avaient pas encore été reçus après un an et demi d’attente, les demandeurs d’asile ont demandé, le 2 novembre 2005, que leurs demandes soient tranchées sans autre délai. La Commission a accepté et a pris sa décision en tenant compte exclusivement de la preuve communiquée pendant l'audience.

 

 

[11]     La Commission a articulé ses longs motifs autour des faits suivants :

1.    la réclamation de la protection de l’État en juillet 2000;

2.    la nouvelle réclamation de la protection de l’État en avril [sic] 2001;

3.    le défaut de demander l’asile aux États-Unis en 2001;

4.    la nouvelle réclamation de la protection de l’État en janvier 2002;

5.    le fait que les demandeurs d’asile ont tardé à quitter le Pakistan en 2002;

6.    le défaut de demander l’asile aux États-Unis en 2002‑2003;

7.    les autres doutes quant à la crédibilité.

 

[12]     En ce qui a trait à la réclamation de la protection de l’État en janvier 2000 par Saima, la Commission a dépeint le contexte en disant que son retour au Pakistan « était un acte dangereux » en raison de l’opposition des parents au mariage. Elle a rejeté les motifs avancés pour justifier la réclamation de la protection de l’État : sa santé et des problèmes de visa. La Commission a tranché qu’aucun élément de preuve ne corroborait les explications initiales données pour justifier son retour au Pakistan, à savoir des problèmes de santé liés à sa grossesse. La Commission a souligné que, dans son affidavit, leur ami ne faisait nullement état de la santé ou de la grossesse de Saima et que le médecin saoudien lui avait simplement dit que [traduction] « l'air du Pakistan lui ferait du bien ».

 

[13]     La Commission a écarté les problèmes de visa en faisant remarquer que le FRP n’en faisait pas mention initialement et en se disant d’avis que « les personnes à charge de ressortissants non saoudiens, y compris les Pakistanais, sont autorisées à résider en Arabie saoudite. Les écoles où travaillait le demandeur d’asile servent justement cette communauté. Dans les circonstances, j’estime peu plausible que la demandeure d’asile se soit vu refuser le renouvellement de son visa de visiteur ou la délivrance d’un permis de résidence ».

 

[14]     En ce qui a trait à la nouvelle réclamation de la protection de l’État en août 2001 par Nadeem, la Commission a conclu que la décision de retourner au Pakistan alors qu’il se trouvait aux États‑Unis « est tout aussi déraisonnable. En dépit de tout ce qui s’était passé, y compris les menaces claires et explicites que la mère de la demandeure d’asile aurait proférées seulement quelques mois auparavant, le demandeur d’asile est retourné au Pakistan pour tenter de se réconcilier avec les familles parce que, paraît‑il, la demandeure d’asile se sentait [traduction] “très mal à l’aise, malheureuse et isolée du reste de ma famille” ».

 

[15]     Selon la Commission, « [c]ette première explication n’est guère logique dans le contexte des allégations faites par les demandeurs d’asile selon lesquelles leur vie était en danger […] mais rien ne prouve que quoi que ce soit ait changé dans l’intervalle ou que le risque à l’endroit des demandeurs d’asile ait diminué ». La Commission était d’avis qu’« [i]ls auraient pu projeter d’autres moyens, moins risqués, afin de tenter une réconciliation (par exemple par l’entremise d’amis ou de représentants respectés de la communauté ou encore par lettre ou par téléphone) avant de prendre le risque de retourner non seulement dans le pays de persécution, mais encore dans le lieu de résidence d’un des agents de persécution allégués. La décision n’est ni raisonnable ni raisonnablement expliquée ».

 

[16]     La Commission a écarté le second motif invoqué pour justifier son retour, à savoir la maladie de sa grand‑mère. Elle était d’avis qu’« [i]l n'était pas raisonnable que le demandeur d’asile retourne au Pakistan pour voir sa grand‑mère, ce qui le mettait en présence de sa famille ». La Commission a tenu compte particulièrement de la lettre de menaces graves que Nadeem a reçu de son père en Arabie saoudite en janvier 2000. Selon la Commission, la preuve ne permettait pas d'établir que les risques avaient diminué en avril 2001. Dans les circonstances, elle estimait que son retour au Pakistan en 2001 était incompatible avec une véritable crainte subjective et, « encore ici, fai[sait] grandement douter de la crédibilité des allégations ».

 

[17]     En ce qui a trait au défaut de demander l’asile aux États‑Unis en 2001, la Commission a parlé du témoignage de Nadeem suivant lequel la famille n’avait pas demandé l’asile à son arrivée aux États-Unis en 2001 parce qu’il avait un bon emploi en Arabie saoudite et qu’il comptait retourner dans ce pays. La Commission lui a demandé d’expliquer pourquoi son historique d’emploi indiquait que son emploi en Arabie saoudite s’était terminé en juillet 2001 et qu’une période de travail indépendant avait commencé en août 2001 au Pakistan et « le demandeur d’asile a déclaré qu’il avait perdu son passeport et ses billets d’avion pendant son voyage au Pakistan de 2001 et que, par conséquent, il ne pouvait pas rentrer en Arabie saoudite conformément aux conditions de son visa ». La Commission a affirmé que le passeport en question avait été produit sous la cote R-2 et que « [s]uite à des questions à ce sujet, le demandeur d’asile a tenté de modifier son récit : un résident de la maison aurait caché son passeport dans le coffre de son père, et le passeport en question n’aurait été retrouvé qu’en septembre ou octobre. Suite à des questions à ce sujet, la demandeure d’asile a déclaré que les parents du demandeur d’asile ont pris le passeport et ont dit à son mari qu’ils le lui rendraient s’il la quittait. »

 

[18]     La Commission a également noté que le demandeur d’asile avait « oublié » de mentionner cette information dans le FRP ou dans les diverses modifications apportées au FRP. La Commission était d’avis que l’explication de cette omission n’était pas raisonnable et était incompatible avec l’historique d’emploi décrit dans le FRP de Nadeem. La Commission a noté que les demandeurs d’asile n’avaient pas fourni d’éléments de preuve provenant de l’employeur en Arabie saoudite pour corroborer la perte du visa ou confirmer le licenciement au lieu d’une démission.

 

[19]     La Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que « les demandeurs d’asile ont menti en ce qui a trait à leur intention de retourner en Arabie saoudite et planifiaient soit de rester aux États-Unis, soit de retourner au Pakistan après la naissance de leur deuxième enfant. Les éléments de preuve sur ce point ont une incidence importante et négative sur leur crédibilité globale ».

 

[20]     En ce qui a trait à la nouvelle réclamation de la protection de l’État en janvier 2002, la Commission a mentionné que « [l]es parents du demandeur d’asile auraient finalement convenu d’accepter la demandeure d’asile en janvier 2002, parce que la famille vivrait un jour ou l’autre au Pakistan ». La Commission a ajouté qu’« [e]ncore une fois, sans l’explication de la perte de l’emploi en Arabie saoudite, ce n’était pas nécessairement le cas en janvier 2002 ». La Commission a conclu en ces termes :

Il n’existe aucun justificatif vraisemblable permettant d’expliquer le changement d’attitude des parents à l’endroit des demandeurs d’asile, en particulier compte tenu de l’explication de la demandeure d’asile relativement à la dissimulation du passeport du demandeur d’asile. Le sentiment de sécurité des demandeurs d’asile à l’égard de la famille de la demandeure d’asile n’a nullement été motivé. Pour les motifs qui précèdent, je n’ajoute pas foi à ces éléments de preuve et je conclus que la décision de réclamer de nouveau la protection de l’État est incompatible avec une véritable crainte subjective.

 

 

[21]     En ce qui concerne le fait que les demandeurs d’asile ont tardé à quitter le Pakistan en 2002, alors qu'ils disposaient de visas américains, la Commission ne comprenait pas pourquoi ils n’étaient pas partis après l’empoisonnement allégué et l’arrestation alléguée de Saima. La Commission a noté que sa famille savait où elle se trouvait et que son père aurait exploité ses relations avec la police pour la faire arrêter et avait apparemment des agents un peu partout au Pakistan. La Commission a conclu que « [s]’il y a quoi que ce soit de vrai dans ces affirmations, ce dont je doute, il n’était pas raisonnable que la famille ne quitte pas immédiatement le Pakistan. La décision subséquente du demandeur d’asile de laisser son épouse et ses enfants derrière alors qu'il retournait aux États‑Unis est encore moins raisonnable, surtout qu'elle était plus que jamais exposée à des représailles ».

 

[22]     Qui plus est, la Commission ne comprenait pas l’assertion suivant laquelle des difficultés financières avaient empêché un départ hâtif de toute la famille. La commissaire ne comprenait pas pourquoi Saima avait déclaré qu’elle était en train de chercher un logement à louer à Sialkot, estimant que « [s]i les fonds étaient suffisants pour un logement, je n’accepte pas qu’ils fussent insuffisants pour permettre à la famille de rejoindre le demandeur d’asile aux États-Unis. Plus encore, si l’intention était de quitter le pays une fois les fonds nécessaires accumulés, il était illogique d’investir dans un logement locatif et de quitter la maison d’un ami qui offrait une certaine sécurité. J'estime que le report du départ du Pakistan est incompatible avec une véritable crainte subjective ».

 

[23]     Finalement, en ce qui concerne le défaut de demander l’asile aux États‑Unis en 2002‑2003, les demandeurs d’asile ont allégué que ce défaut était attribuable au fait qu'ils craignaient d’être renvoyés au Pakistan. Selon la Commission, « [c]ette explication est absurde » parce que les demandeurs d’asile étaient aux États‑Unis avec des visas valides et avaient un statut juridique leur permettant de séjourner dans ce pays pendant six mois après leur arrivée. La Commission a ajouté : « Ils n’ont jamais tenté de demander l’asile ou, s’ils étaient si convaincus de l’issue défavorable aux États-Unis, de venir au Canada aussitôt que possible pour y présenter une demande d’asile. » Elle a conclu encore une fois que le comportement des demandeurs d'asile était incompatible avec une véritable crainte subjective et minait leur crédibilité.

 

[24]     Les doutes suivants au chapitre de la crédibilité ont également été soulevés :

1.  La Commission n’arrivait pas à concilier l’attitude du père à l’égard des femmes avec le fait que Saima avait fait des études supérieures, qu’elle avait été sur le marché du travail et qu’elle n’était pas mariée à l’âge de 22 ans.

 

2.    Son témoignage quant à la façon dont elle avait obtenu la lettre d’emploi était incompatible avec la preuve selon laquelle elle avait été enfermée dans sa chambre après avoir annoncé son désir d’épouser Nadeem.

 

3.    Dans leur FRP, les demandeurs d’asiles ont précisé qu’ils avaient reçu les premiers soins dans une clinique locale par suite, en février 2002, de l’attaque et de la tentative d’enlèvement dont le père de Saima était l’instigateur. Toutefois, ils ont fourni une preuve documentaire provenant non pas d’une clinique mais bien d’un hôpital pour corroborer l’attaque. La Commission a conclu, à la page 15, que « [l]es rapports d’hôpital ne comportent aucun détail sur l’empoisonnement allégué permettant d’étayer la conclusion que l’empoisonnement soupçonné découlait d’un acte criminel et qu’il ne s’agissait pas simplement d’un simple incident d’intoxication alimentaire ». Elle a également souligné que les rapports d’hôpital « ne sont pas des rapports médico‑légaux officiels du genre de ce qu’exigent les causes d’actes criminels soupçonnés ». Elle était également préoccupée par le témoignage de Nadeem suivant lequel le personnel de l’hôpital croyait qu’il s’agissait d’un cas d’empoisonnement intentionnel, parce qu’il n’avait pu expliquer pourquoi l’hôpital n’avait pas communiqué avec la police dans ces circonstances. Elle a poursuivi en disant : « En ce qui concerne les rapports des laboratoires et d’autres documents corroborants qui auraient été égarés, son explication n'est pas digne de foi. » L'absence d'un rapport médico‑légal officiel l'a amenée à conclure que l’empoisonnement, s’il avait véritablement eu lieu, ne semblait pas avoir été causé par un acte criminel aux yeux des médecins traitants.

 

4.    La Commission a appliqué le même raisonnement au rapport de l’hôpital de Sialkot qui précisait que les blessures « n[e] sont pas associées à une agression physique; elles sont tout à fait compatibles avec les blessures découlant d’une chute; et aucun rapport médico‑légal n’a été présenté ».

 

5.    Quant à la note médicale d’un hôpital américain concernant le fils, la Commission était d’avis que ce document n’aidait pas à corroborer les allégations des demandeurs d’asile.

 

Les questions en litige des demandeurs d’asile

[25]     Les demandeurs d’asile ont soulevé les questions suivantes dans leur contestation de la décision de la Commission :

1. La Commission a manqué aux principes de justice naturelle en entravant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire dans l’application des Directives no 7 du président concernant l’ordre des interrogatoires.

 

2.    La Commission avait l’obligation de fournir un fondement probant clair à l’appui de ses principales conclusions en matière de crédibilité et n’a pas réussi à le faire et, en particulier, elle a omis de se conformer à l’article 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés qui exige que la Commission avise les parties avant d’utiliser un renseignement ou une opinion qui est du ressort de sa spécialisation afin de leur donner la possibilité de faire des observations sur la fiabilité et l’utilisation du renseignement ou de l’opinion et de fournir des éléments de preuve à l’appui de leurs observations. L’allégation de manquement vise particulièrement l’utilisation de connaissances spécialisées de la Commission concernant la question de savoir si les ressortissants non saoudiens étaient autorisés à résider en Arabie saoudite ou pouvaient obtenir des visas de visiteur pour le faire.

 

3.    La Commission a dénaturé la preuve à plusieurs reprises, particulièrement en ce qui a trait à ses conclusions portant sur la diminution des risques de représailles par la famille en avril 2001.

 

4.    La Commission n’a pas apprécié la preuve dans son ensemble de manière raisonnable parce que les demandeurs d’asile lui avaient fourni une foule de documents à l’appui de leurs demandes. Les demandeurs d’asile allèguent que la Commission a rejeté une grande partie de la preuve de manière abusive et manifestement déraisonnable.

 

Analyse

(i) Norme de contrôle

 

[26]     Les conclusions relatives à la crédibilité sont des conclusions de fait; elles sont donc susceptibles de révision suivant la norme prévue à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales qui énonce que la Cour ne devrait pas intervenir à moins que la Commission n’ait rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

 

[27]     La Commission a tiré bon nombre de ses conclusions relatives à la crédibilité en s’appuyant sur des inférences faites à partir de la preuve. À cet égard, je cite les propos du juge Décary dans Aguebor cMinistre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 N.R. 315, au paragraphe 4 :

4     Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n’a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d’une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d’un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l’être. L’appelant, en l’espèce, ne s’est pas déchargé de ce fardeau. [Non souligné dans l’original.]

 

[28]     Je cite également ce que la juge L’Heureux-Dubé a dit sur ce point dans Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 cMontréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, au paragraphe 85 :

85        Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d’un tribunal administratif exige une extrême retenue : Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, le juge La Forest aux pp. 849 et 852. Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n’est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu’une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable, par exemple, en l’espèce, l’allégation suivant laquelle un élément important de la décision du tribunal ne se fondait sur aucune preuve; voir également : Conseil de l’éducation de Toronto, précité, au par. 48, le juge Cory; Lester, précité, le juge McLachlin à la p. 669. La décision peut très bien être rendue sans examen approfondi du dossier : National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, le juge Gonthier à la p. 1370. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[29]     Les erreurs de droit alléguées par l’avocate des demandeurs sont susceptibles de révision suivant la norme de la décision correcte (voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982).

 

 

(ii) Discussion

 

[30]     L’avocate des demandeurs a allégué que la Commission a mal interprété la preuve à maintes reprises, ce qui l’a amenée à ne pas tenir compte des explications données par les demandeurs ou, par ailleurs, à faire des inférences déraisonnables. Je cite les exemples suivants données à l’audience :

§       L’analyse de la Commission concernant les difficultés financières de la famille lorsqu’elle est allée se cacher à Sailkot a été ternie par le fait que Saima et les enfants n’ont jamais quitté la petite maison de leur ami.

 

§       Dans sa discussion sur la réclamation de la protection de l’État, la Commission ne tient pas compte du fait que les demandeurs avaient le profond désir de se réconcilier avec leurs parents.

 

§       Le raisonnement de la Commission concernant le défaut de demander l’asile aux États‑Unis en 2002‑2003 ne tient pas compte de la preuve au dossier suivant laquelle le traitement des demandes d’asile des citoyens pakistanais aux États-Unis après les événements du 11 septembre était difficile.

 

§       La Commission s’est trompée en affirmant qu’il y avait eu nouvelle réclamation de la protection de l’État en avril 2001.

 

§       La Commission a fait erreur en concluant que, en 2002, Saima et les enfants n’avaient pas quitté le complexe familial des parents de Nadeem.

 

§       Le raisonnement de la Commission s’est révélé illogique à maintes reprises sur des points importants.

 

[31]     Je suis d’accord avec l’avocate du défendeur pour dire que les observations des demandeurs sur ce point ne peuvent être retenues pour un certain nombre de raisons, à savoir :

1.     Les arguments reviennent à plaider que la Cour doit apprécier la preuve de nouveau, ce qu’elle ne peut pas faire.

 

2.    Les arguments sont fondés sur une interprétation microscopique des motifs. Si les motifs de la Commission sont considérés dans leur ensemble, comme il se doit, ils démontrent amplement qu’elle n’a pas dénaturé ou écarté la preuve.

 

3.    Le dossier de la preuve considéré dans son ensemble soutient les conclusions de la Commission en matière de crédibilité.

 

4.    Même s’il se peut que les motifs de la Commission comportent une ou deux erreurs, ces erreurs n’étaient pas déterminantes parce que la principale conclusion relative à la crédibilité était qu’elle n’avait pas cru que l’histoire des demandeurs – la persécution faite par leurs parents – était par ailleurs soutenable en droit.

 

5.    Les inférences faites n’étaient pas déraisonnables, et il n’a pas été démontré qu’elles n’étaient pas étayées par la preuve.

 

6.    La Commission avait le droit de rejeter les explications données par les demandeurs.

 

[32]     Je ne suis pas convaincu que la Commission a commis une erreur dans le traitement de la preuve documentaire soumise par les demandeurs. Elle a apprécié cette preuve, particulièrement les documents médicaux et l’affidavit de l’ami, et elle a expliqué dans ses motifs pourquoi elle n’avait pas accordé à la preuve toute l'importance que les demandeurs auraient voulu qu'elle reçoive.

 

[33]     La jurisprudence soutient les facteurs que la Commission a pris en compte pour en arriver à ses conclusions relatives à la crédibilité. Ces facteurs étaient, tel qu’il a été noté : la réclamation de la protection de l’État, le fait que les demandeurs ont tardé à fuir ceux qui les persécutaient et le défaut de demander le statut de réfugié dès que cela était raisonnablement possible.

 

[34]     Une réclamation de la protection de l’État est une preuve de l'absence de crainte subjective (voir Nimour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.), [1999] A.C.F. no 1356).

 

[35]     Une réclamation de la protection de l’État est également une preuve de l’absence d’une crainte fondée de persécution : Caballero c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1993] A.C.F. no 483. Cette décision soutient également la proposition voulant qu’une erreur commise par la Commission, en présence d’une réclamation de la protection de l’État assimilée à l’absence de crainte fondée de persécution, soit sans conséquence.

 

[36]     La présentation tardive d’une demande du statut de réfugié est un facteur important que la Commission peut prendre en compte : Heer c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1988] A.C.F. no 330. Il faut également mentionné la décision Huerta c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 157 N. R. 225 (C.A.F.).

 

[37]     L’avocate des demandeurs a également allégué deux erreurs de droit, à savoir l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission dans l’application des Directives no 7 du président concernant l’ordre des interrogatoires des demandeurs et la violation de l’article 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés par la Commission lorsqu’elle a eu recours à ses connaissances spécialisées concernant la question du visa saoudien de Saima sans aviser les demandeurs de sorte qu’ils puissent présenter des observations sur ce point.

 

[38]     À supposer, sans en décider, qu’il s’agisse de deux erreurs de droit prenant la forme d’un déni de justice naturelle, à mon avis, ces erreurs n’amèneraient pas la Cour à intervenir pour annuler la décision de la Commission et renvoyer les demandes d’asile à un tribunal différemment constitué.

 

[39]     Un déni de justice naturelle ou un manquement aux règles de procédure ne justifie pas nécessairement l'intervention de la Cour (voir Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1994] A.C.F. no 949, et Gale c. Canada (Conseil du Trésor), [2004] CAF 13).

 

[40]     La Cour ne renverra pas l’affaire à un autre décideur s’il est démontré que les demandes d’asile sont sans espoir ou que le résultat du renvoi de l’affaire est inéluctable et serait le même que la décision à l’étude (voir Yassine, précité).

 

[41]     J’applique ce principe à l’affaire dont je suis saisi.

 

[42]     À mon avis, les conclusions relatives à la crédibilité fondées sur les réclamations répétées de la protection de l’État, sur le fait que les demandeurs ont tardé à fuir ceux qui les persécutaient et sur le défaut de demander l’asile aux États-Unis étaient très convaincantes parce qu’elles s’appuyaient sur bon nombre d'exemples de comportements des demandeurs qui étaient incompatibles avec une crainte fondée de persécution.

 

[43]     Si un ou deux de ces éléments devaient être éliminés en raison d’erreurs de droit, en l’espèce, il resterait un nombre considérable d’anomalies comportementales que la Commission pouvait prendre en considération et qui l’ont amenée à ne pas croire que les demandeurs avaient été persécutés par leurs familles parce que leurs explications n’étaient pas raisonnables.

 

[44]     Le juge MacKay, dans Hankali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.), [1996] A.C.F. no 339, est parvenu à une décision semblable en présence d’une conclusion suivant laquelle la crainte de persécution du demandeur n’avait aucun fondement objectif en raison de son témoignage sur son retour en Turquie, à quatre ou cinq reprises, après mission ou voyage à l'étranger.

 

 

 


JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Si les parties souhaitent formuler une question à certifier pour examen par la Cour, elles doivent le faire au moyen d’observations écrites signifiées et déposées au plus tard le 8 janvier 2007, et les observations rédigées en réponse devront être signifiées et déposées au plus tard le 15 janvier 2007.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                               IMM-999-06

 

INTITULÉ :                                                              MUHAMMAD NADEEM AKHTAR   MUGHAL, SAIMA NADEEM,    MAHEEN NADEEM et            MUHAMMAD RAFAY NADEEM

                                                                                   c.

                                                                                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                                    L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                       TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                      LE 5 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                    LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                                             LE 29 DÉCEMBRE 2006        

 

COMPARUTIONS :                       

 

Karina Thompson                                                        POUR LES DEMANDEURS

 

Margherita Braccio                                                      POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                  

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robert Blanshay Law Office                                      POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)                                            

 

John H. Sims, c.r.                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada                              

 

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