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Date : 20061211

 

Dossier : IMM-2250-06

Référence : 2006 CF 1474

Toronto (Ontario), le 11 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

 

ENTRE :

WILLIAMS, ELICIA NATASHA

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 19 avril 2006 d’une agente d'immigration (l’agente), qui a rejeté la demande de dispense de la demanderesse, fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, de l’obligation pour un étranger de demander depuis l’extérieur du Canada le statut de résident permanent, laquelle obligation est prévue au paragraphe 11(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               La demanderesse, âgée de 27 ans, est une citoyenne de Saint-Vincent. Elle est arrivée au Canada comme touriste le 1er mars 1999. Son statut de touriste a expiré le 31 août 1999 mais, depuis cette date, elle est demeurée et a travaillé au Canada, sans statut. Le 24 mai 2005, elle a sollicité le statut de résidente permanente, en alléguant des motifs d'ordre humanitaire.

 

[3]               Au soutien de sa demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire (la demande CH), la demanderesse a invoqué principalement ses liens étroits avec sa famille. Elle est orpheline depuis que sa mère est décédée en mai 1990. Elle a un frère et deux sœurs qui vivent au Canada comme résidents permanents. Son frère est au Canada depuis octobre 1994, et ses sœurs y sont depuis août 1991 et décembre 1993, respectivement. Trois autres sœurs et trois autres frères habitent Saint-Vincent. Son frère et l’épouse de celui-ci au Canada lui tiennent lieu de parents. La famille qu’elle a au Canada continue de subvenir à ses besoins et souhaite l’aider financement pour qu’elle poursuive ses études au Canada. Elle vit avec l’une de ses sœurs, Judita (qu’elle aide financièrement, affirme-t-elle aussi, puisqu’elles partagent les frais de subsistance et le loyer). La demanderesse a aussi insisté sur le fait qu’elle s’est établie et intégrée dans la société canadienne et qu’elle a travaillé comme gardienne d’enfants et employée de maison. Parmi ses documents justificatifs, elle a présenté des lettres de soutien de membres de sa paroisse qui font état de son rôle dans cette communauté.

 

[4]               Dans la décision contestée, l’agente relève que la demanderesse a trois frères et trois sœurs à Saint-Vincent. La demanderesse était âgée entre 13 et 16 ans lorsque son autre frère et ses deux autres sœurs sont partis pour le Canada, mais elle n’a pas prouvé qu’il existait entre elle et ceux qui sont partis un lien particulier, ni qu’ils l’avaient prise en charge et subvenaient à ses besoins. Elle a terminé ses études secondaires et accompli deux années d’études postsecondaires. La demanderesse présente un certain degré d’attachement à sa famille, mais elle n’a pas prouvé qu’une séparation temporaire entraînerait un préjudice pour elle-même ou les membres de sa famille. Elle n’est pas l’unique pourvoyeuse de sa famille au Canada et n’a pas de personnes à charge au Canada. Bien qu’elle partage les frais de subsistance avec sa sœur, c’est cette dernière qui assume la responsabilité du bail et des dépenses domestiques. L’agente mentionne aussi que, depuis que la demanderesse se trouve au Canada, elle a pris des mesures pour s’intégrer dans la société canadienne. Cependant, les raisons de son séjour au Canada dépendaient de son bon vouloir à elle, et elle n’a jamais pris de mesures pour régulariser sa situation auprès de Citoyenneté et Immigration Canada. La demanderesse n’a pas prétendu qu’elle serait exposée à un risque quelconque si elle devait retourner à Saint-Vincent. Finalement, l’agente écrit qu’elle a examiné le dossier complet pour s’assurer qu’il n’existait pas d’autres motifs d'ordre humanitaire pouvant justifier une demande CH. L’agente est donc arrivée à la conclusion que la demanderesse n’avait pas prouvé que l’obligation pour elle de présenter sa demande de résidence permanente depuis l’extérieur du Canada lui causerait des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives ».

 

[5]               La demanderesse soulève essentiellement deux arguments au soutien de sa demande de contrôle judiciaire. D’abord, elle prétend que les conclusions de l’agente concernant son degré d’attachement envers les membres de sa famille au Canada et les conséquences pour elle d’avoir à se séparer d’eux ne sont pas appuyées par la preuve et que ces conclusions sont donc arbitraires, abusives et irréfléchies. Dans ses arguments, la demanderesse évalue les conclusions de l’agente par rapport à la norme consistant à se demander si une personne raisonnable serait « incit[ée] […] à soulager les malheurs d’une autre personne » : Garceau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001), 17 Imm. L.R. (3d) 288 (Section d'appel de l'immigration). Selon la demanderesse, la preuve établit clairement qu’elle est orpheline et que son frère l’a prise à sa charge et a continué de subvenir à ses besoins, même après qu’il est parti pour le Canada. La demanderesse fait valoir qu’elle n’a pas de parents, pas de domicile, pas de soutien et peu de choses à retrouver à Saint-Vincent. Deuxièmement, elle dit que le risque auquel elle serait exposée en cas de retour à Saint-Vincent ne constitue pas l’une des conditions d’une demande CH et que l’agente a commis une erreur en en faisant état dans sa décision.

 

[6]               Le défendeur dit que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision raisonnable et qu’il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau le poids accordé aux divers facteurs dont l’agente a tenu compte pour décider s’il convenait ou non d’admettre la demande CH. Le défendeur fait valoir que la décision est raisonnable. Les motifs exposés par l’agente montrent d’ailleurs clairement qu’elle a fait porter son attention sur tous les facteurs pertinents et qu’elle les a soigneusement examinés avant de conclure finalement que la demanderesse n’avait pas réussi à avancer des motifs suffisants d’ordre humanitaire. Par ailleurs, la Cour a jugé que la procédure d’examen des demandes CH est conçue pour permettre à l’étranger d’échapper aux « difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives » que lui causerait l’obligation de quitter le Canada pour pouvoir demander le statut de résident permanent. Le fait de devoir quitter un emploi, une famille et un domicile ne suscite pas nécessairement des difficultés de cet ordre. En dernier lieu, s’agissant de l’argument de la demanderesse selon lequel l’agente n’aurait pas dû s’appuyer sur le fait que la demanderesse n’était exposée à aucun risque en cas de retour à Saint-Vincent, le défendeur relève que l’agente n’a jamais dit qu’un risque était requis, mais a plutôt simplement mentionné que la question ne se posait pas dans cette affaire.

 

[7]               Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4th) 193, la Cour suprême du Canada a jugé que la norme de contrôle applicable aux décisions rendues en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR est celle de la décision raisonnable simpliciter. Le poids qu’il convient d’accorder ou d’attribuer à tel ou tel facteur ou indice d’attachement est discrétionnaire. Appliquant la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit examiner la preuve pour déterminer si la décision contestée est motivée. Par conséquent, il ne nous appartient pas de réexaminer le poids accordé par l’agente d’immigration aux divers motifs d’ordre humanitaire invoqués. La Cour ne peut annuler une décision quand bien même aurait-elle apprécié les facteurs différemment et serait-elle arrivée à une conclusion contraire (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358, 2002 CAF 125, aux paragraphes 9 à 12; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 718, au paragraphe 7; Saliaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 39 Imm. L.R. (3d) 249, 2004 CF 499, aux paragraphes 6 et 7). Appliquant cette norme à la décision contestée, j’arrive à la conclusion que la présente demande ne peut pas être admise.

 

[8]               Je commencerai par dire que c’est à l’auteur d’une demande CH qu’il appartient d’établir qu’il remplit les conditions requises pour obtenir gain de cause (Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 3 C.F. 172, 2003 CFPI 94, au paragraphe 11). Pour qu’une demande CH soit admise, il faut habituellement que l’auteur de la demande prouve qu’il serait soumis à des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » s’il était tenu de présenter depuis l’extérieur du Canada sa demande de résidence permanente. Voir à ce sujet la section 6.5 du Guide de traitement des demandes au Canada, chapitre IP-5, « Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire », publié par Citoyenneté et Immigration Canada. Par conséquent, le critère n’est pas, contrairement à ce que prétend l’avocat de la demanderesse, de savoir s’il existe des facteurs susceptibles de faire naître chez une personne raisonnable le désir de « soulager les malheurs d’une autre personne ». La décision Garceau, précitée, n’est pas un précédent qui vient en aide à la demanderesse car il s’agit d’une décision de la Section d'appel de l'immigration rendue dans le cadre d’un appel formé en vertu du paragraphe 77(3) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, maintenant abrogée. Cette disposition autorisait l’auteur d’une demande de parrainage à faire appel du rejet de sa demande en alléguant des raisons d’ordre humanitaire qui justifiaient l’octroi d’une mesure spéciale. Le critère des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » a, quant à lui, été confirmé et appliqué d’une manière constante par la Cour, par la Cour d'appel fédérale et par la Cour suprême du Canada.

 

[9]               La manière dont l’agente a évalué les liens de la demanderesse avec les membres de sa famille au Canada ne devrait pas ici être remise en cause. L’auteur d’une demande CH a le droit de présenter tout fait qu’il juge pertinent. Dans cette affaire, la demanderesse a abondamment invoqué, au soutien de sa demande, la relation qu’elle entretient avec les membres de sa famille au Canada. D’abord, il est clairement établi en droit que les difficultés résultant d’une séparation d’avec la famille ne suffiront pas nécessairement à remplir les conditions d’une demande CH. Le fait que l’on doive quitter des amis ou des parents, un emploi ou un domicile, ou que l’on doive supporter le coût ou les inconvénients d’un retour dans son pays pour y demander, selon la procédure normale, le statut de résident permanent ne suffirait pas en général à constituer le niveau requis de difficultés et donc à justifier une décision favorable à l’égard d’une demande CH (Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2000), 10 Imm. L.R. (3d) 206 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 12). Ainsi que l’écrivait le juge Russell dans la décision Pashulya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 257 F.T.R. 143, 2004 CF 1275, au paragraphe 43, un demandeur est astreint à un niveau élevé de preuve lorsqu’il sollicite une dispense d’application de la LIPR : « Le fait que le demandeur doive vendre une maison ou une voiture ou quitter un emploi ou sa famille n’entraîne pas nécessairement des difficultés indues ou excessives; il s’agit plutôt d’une conséquence du risque pris par le demandeur en restant au Canada sans avoir un droit d’établissement […] ».

 

[10]           L’agente a manifestement pris en compte le fait que la demanderesse travaille au Canada. Par ailleurs, l’agente était fondée à prendre acte de ce que, même si la demanderesse s’était établie au Canada, elle n’avait pas régularisé son statut, ce qu’il était en son pouvoir de faire. C’est là un facteur dont il est légitime de tenir compte. La jurisprudence de la Cour le confirme également. Voir par exemple la décision Chau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2002), 26 Imm. L.R. (3d) 100, 2002 CFPI 107, aux paragraphes 15 et 16. S’agissant des autres facteurs avancés par la demanderesse pour prouver son degré d’établissement, l’agente était fondée à considérer, entre autres choses, si la demanderesse avait un emploi ou des proches à Saint-Vincent (voir la décision Kawtharani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 162, au paragraphe 17).

 

[11]           J’ai également examiné la preuve que la demanderesse a soumise à l’agente. La plupart des déclarations et lettres produites visent à confirmer la bonne moralité de la demanderesse, ce qui n’est pas contesté. La preuve démontre que la demanderesse souhaite poursuivre ses études au Canada, qu’elle a des liens étroits avec sa famille au Canada, qu’elle a un emploi et qu’elle est travailleuse, enfin qu’elle contribue, avec sa sœur, aux dépenses domestiques et au loyer. Elle a aussi montré qu’elle est un membre respecté de sa communauté paroissiale. Cependant, aucun des éléments soumis par la demanderesse à l’agente ne me permet de dire ici qu’il était déraisonnable pour l’agente de conclure que la demanderesse n’atteignait pas le seuil requis de difficultés qui aurait pu la soustraire aux conditions générales de la LIPR l’obligeant à présenter depuis l’extérieur du Canada sa demande de résidence permanente. Au vu de la preuve, l’agente pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse n’avait pas prouvé le niveau requis de soutien financier ou affectif entre elle-même et les membres de sa famille et qu’elle ne subirait pas un préjudice notable si elle devait quitter le Canada pour présenter sa demande de résidence permanente.

 

[12]           En l’espèce, la demanderesse voudrait essentiellement que la Cour attribue à la relation qu’elle entretient avec sa famille au Canada davantage de poids que ne l’a fait l’agente. Les motifs exposés par l’agente montrent clairement que, pour rendre sa décision, elle a passé en revue la totalité de la preuve et apprécié tous les facteurs pertinents intéressant la relation de la demanderesse avec sa famille, ainsi que les autres facteurs concernant son degré d’établissement au Canada. L’agente a expressément considéré la relation et le niveau de soutien, tant affectif que financier, entre la demanderesse et sa famille. Comme je l’ai dit plus haut, l’agente a aussi pris en compte le fait que la demanderesse a de la famille à Saint-Vincent. En arrivant à sa décision, l’agente n’a tout simplement pas été persuadée par la preuve de la demanderesse selon laquelle l’obligation pour elle de présenter depuis l’extérieur du Canada sa demande de résidence permanente atteignait le niveau de difficultés qui justifiait une dispense.

 

[13]           S’agissant du second motif de contrôle, le risque auquel serait exposé un demandeur à son retour dans son pays d’origine est un facteur qui est souvent pris en compte dans l’examen des demandes CH. La manière dont ce facteur est évoqué dans les motifs de l’agente ne permet pas d’affirmer que l’agente estimait que l’absence de risque militait de quelque façon contre la dispense sollicitée par la demanderesse. L’agente a simplement dit que ce facteur ne se posait pas dans l’affaire qui lui était soumise.

[14]           Aucune question grave de portée générale n’est soulevée ici.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2250-06

 

INTITULÉ :                                       Williams, Elicia Natasha c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 6 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 11 DÉCEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marc Gruszczynsky                                                                  POUR LA DEMANDERESSE

 

Suzanne Trudel                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Marc Gruszczynsky                                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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