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Date : 20061222

Dossier : IMM-1265-06

Référence : 2006 CF 1554

Vancouver (Colombie-Britannique), le 22 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER

 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

BIROUT WAHAB

(alias VICTOR FEOKTISTOV)

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté sa demande d’annulation de la décision reconnaissant à Birout Wahab la qualité de réfugié au sens de la Convention.

 

[2]               Le ministre allègue que la SPR a commis une erreur dans son application de l’analyse en deux étapes qui est prévue aux paragraphes 109(1) et (2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Ces deux paragraphes décrivent la procédure selon laquelle le ministre peut présenter une demande en vue de faire annuler une décision ayant accueilli une demande d’asile parce que le demandeur a fait des présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent ou a fait preuve de réticence sur ce fait. En l’espèce, le ministre allègue en particulier que la SPR a commis une erreur en examinant un nouvel élément de preuve dont ne disposait pas le décideur initial au moment où celui-ci a rendu sa décision en application du paragraphe 109(2) de la LIPR.

 

[3]               Subsidiairement, le ministre fait valoir que la SPR a mal compris la preuve soumise par le défendeur, qu’elle a fait abstraction de la preuve que lui-même a présentée à propos de la citoyenneté russe du défendeur et que ses motifs à l’égard de cette question sont inadéquats et insuffisants.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, la Cour conclut que la décision contestée doit être infirmée.

 

[5]               Il est question en l’espèce de l’application des paragraphes 109(1) et (2) qui soulève bel et bien une question d’intérêt général qu’il serait utile d’éclaircir. Surtout lorsque, comme c’est le cas en l’occurrence, les présentations erronées ont trait à une question de double citoyenneté qui est pertinente pour l’application de l’alinéa 96a). Il s’avère néanmoins que le règlement de cette question n’aurait pas l’effet déterminant requis pour trancher la présente affaire, car la Cour a conclu que la décision de la SPR contient d’autres erreurs susceptibles de révision. Aucune question ne sera donc certifiée.

 

I. Le contexte

[6]               Birout Wahab est Kurde de souche et citoyen de l’Irak. Il a fui ce pays en 1993 et s’est réinstallé dans un camp de réfugiés de l’ONU situé en Russie. Il a demandé le statut de réfugié plusieurs années après son arrivée en Russie (probablement en 1998). En 2002, sa demande a finalement été rejetée.

 

[7]               Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a ensuite recommandé que le défendeur soit réinstallé. En janvier 2004, après avoir interrogé ce dernier, un agent d’immigration affecté à l’ambassade du Canada à Moscou a fait droit à la demande d’asile du défendeur à titre de membre d’une catégorie spéciale (programme de réinstallation) sous le nom de Birout Wahab. Le défendeur est arrivé le 26 juillet 2004 à Toronto, où il a obtenu son visa de résident permanent. Lors de son entretien avec l’agent des visas, il a indiqué qu’il n’avait pas de famille en Russie[1] et qu’il n’avait la citoyenneté que d’un seul pays : l’Irak.

 

[8]               Plusieurs jours plus tard, le défendeur a fourni spontanément de nouveaux détails sur la présence d’une famille en Russie et sur diverses mesures qu’il avait prises pour obtenir frauduleusement la citoyenneté russe avant d’arriver au Canada.

 

[9]               Plus particulièrement, il semble maintenant qu’en 1996 le défendeur a versé un pot-de-vin à un fonctionnaire russe pour obtenir ce que la SPR appelle « un document indiquant qu’il était un citoyen russe ». Ce document a été établi au nom irakien du défendeur[2] et sur la foi d’une présentation erronée selon laquelle il avait épousé une citoyenne russe.

 

[10]           En 1999, le défendeur a obtenu que son nom soit légalement changé pour celui de Victor Vasil'evich Feoktistov, et c’est ce nom qui figure sur le passeport russe qui lui a été délivré en 2000.

 

[11]           La même année, il a épousé une femme originaire de l’Arménie avec laquelle il vivait depuis quelques années. Selon la SPR, cette femme avait « une forme de statut de résidente permanente en Russie, mais n’était pas citoyenne de la Fédération de Russie au moment où le demandeur a présenté sa demande ». Le couple avait deux enfants nés en Russie : une fille, en 1999, et un fils, en 2000.

 

[12]           Il semble aussi que le défendeur s’est servi de son passeport russe pour voyager avant d’arriver au Canada. Par exemple, il s’est rendu en Turquie et, peut-être, en Irak.

 

[13]           En novembre 2005, le défendeur a obtenu de l’ambassade de Russie un document de voyage spécial parce qu’il voulait se rendre au chevet de son enfant malade en Russie et que son passeport russe était expiré. Il a plus tard obtenu une prorogation du délai de validité de son passeport jusqu’en 2010. Il a bel et bien utilisé ses documents russes pour se rendre en Russie à cette époque-là.

 

[14]           En octobre 2004, le ministre a demandé que la décision soit annulée en application de l’article 109 de la LIPR, et cette demande a donné lieu à une série d’audiences judiciaires.

 

[15]           Tout d’abord, en avril 2005, le défendeur a exposé une série d’arguments préliminaires contestant la validité constitutionnelle de l’article 109 de la LIPR. Son argument principal était le suivant : dans la mesure où l’on interprète les paragraphes 109(2) et (3) de façon à pouvoir rejeter la demande d’asile du demandeur sans déterminer s’il courait des risques dans la Fédération de Russie, ces dispositions violeraient les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) [3].

 

[16]           La SPR a ajourné l’audience et, en septembre 2005, elle a rendu une décision portant que les articles 7 et 12 de la Charte n’entraient pas en jeu parce qu’il n’y avait aucune demande que le demandeur d’asile aurait pu déposer contre la Fédération de Russie pendant son séjour en Russie, ou maintenant qu’il se trouve au Canada. La SPR a également conclu que le demandeur d’asile avait obtenu illégalement son statut en Russie et qu’il y avait un risque de déconsidérer l’administration de la justice si elle venait à trancher une demande d’asile fondée sur une revendication de citoyenneté inventée. Cette décision n’a pas été contestée.

 

[17]           En janvier 2006, la SPR a entendu la preuve concernant les présentations erronées que le défendeur avait censément faites, ainsi que les arguments relatifs au paragraphe 109(2). Dans une décision modifiée rendue le 17 mars 2006, la Commission a conclu que même s’il y avait d’importantes présentations erronées, le dossier comportait suffisamment de preuves pour qu’il soit justifié de tirer une conclusion d’asile. Elle a rejeté la demande du ministre.

 

[18]           L’analyse qui est exposée dans la décision est succincte (environ deux pages et demie de longueur). Elle comporte deux sections. Sous la rubrique « Première étape », la SPR cite le paragraphe 109(1) et ajoute ensuite que « il est évident que l’intimé [le défendeur en l’espèce] n’a pas divulgué [...] un fait important quant à un objet pertinent ». Après avoir examiné si le ministre devait prouver que l’agent avait pris sa décision « en raison » de la présentation erronée ou, plutôt, s’il était suffisant que cette présentation « ait pu mener » à une telle décision, la SPR conclut en disant ce qui suit :

Cela dit, le ministre a prétendu à première vue que la présentation erronée ou l’omission de divulgation de l’intimé a effectivement mené à la décision initiale prise par les autorités canadiennes.

 

[19]           Ensuite, sous la rubrique « Deuxième étape », la SPR indique ceci : « [i]l faut maintenant passer à la deuxième partie de l’examen, c’est-à-dire déterminer si "suffisamment d’éléments de preuve" avaient été présentés au tribunal initial pour "justifier l’asile". » Bien que la SPR signale que cet exercice ne peut être fait qu’en tenant compte des renseignements dont disposait l’agent initial, elle ajoute néanmoins que la réponse à cette question dépendra du fait de savoir si le défendeur avait la citoyenneté russe ou un statut semblable au moment où sa demande a été évaluée.

 

[20]           Le paragraphe suivant de la décision est un sommaire des arguments du ministre, à savoir que non seulement le défendeur a obtenu la citoyenneté russe en 1996, mais il aussi bénéficié de ce statut et a été traité comme citoyen depuis ce temps. En terminant, d’après le ministre, tant que cette citoyenneté russe n’est pas révoquée par un jugement d’un tribunal russe, conformément à la législation russe, le défendeur demeure citoyen russe.

 

[21]           La SPR examine ensuite la preuve de l’intimé. Elle déclare que « l’intimé [le défendeur en l’espèce] a déclaré qu’il n’était pas citoyen russe et que le document qu’il avait obtenu était frauduleux ». Elle explique ensuite pourquoi elle juge ce témoignage digne de foi (il a spontanément donné cette information; il n’a menti que parce qu’il craignait d’être expulsé en Irak; il a poursuivi sa demande d’asile auprès de la Fédération de Russie; etc.). La SPR conclut ensuite sa décision en ces termes :

Je conclus donc que l’intimé disait la vérité lorsqu’il a déclaré qu’il n’avait pas la citoyenneté russe. La conseil du ministre n’a fourni aucune preuve du contraire. Elle s’est fondée sur l’affaire Zheng, selon laquelle un passeport est une preuve suffisante à première vue de la citoyenneté d’une personne. Dans cette affaire – la République dominicaine – a été consultée au sujet de la question et a confirmé que le demandeur d’asile en question était un citoyen de ce pays. Ce n’est pas le cas ici; cette question précise n’a pas été posée au gouvernement russe.

 

En droit, non seulement un passeport est considéré comme une preuve suffisante à première vue de la citoyenneté d’une personne, mais le témoignage de cette personne est également présumé vrai. Quel élément de preuve l’emporte? Selon le tribunal, le témoignage de l’intimé l’emporte, sauf si on prouve qu’il n’est pas crédible. Dans la présente affaire, le tribunal conclut que, même si l’intimé a menti aux autorités canadiennes sur certains points, en ce qui concerne l’authenticité de sa citoyenneté russe, son témoignage l’emporte pour les motifs mentionnés ci-dessus.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

II. La législation pertinente

 

Loi sur l’immigration et la  protection des réfugiés


Immigration and Refugee Protection Act

109. (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

 

109. (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

 

(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

(2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2

Immigration Act, R.S.C., 1985, c. I-2

69.2 [...]

69.2...

(2) Avec l’autorisation du président, le ministre peut, par avis, demander à la section du statut de réexaminer la question de la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention accordée en application de la présente loi ou de ses règlements et d’annuler cette reconnaissance, au motif qu’elle a été obtenue par des moyens frauduleux, par une fausse indication sur un fait important ou par la suppression ou la dissimulation d’un fait important, même si ces agissements sont le fait d’un tiers.

(2) The Minister may, with leave of the Chairperson, make an application to the Refugee Division to reconsider and vacate any determination made under this Act or the regulations that a person is a Convention refugee on the ground that the determination was obtained by fraudulent means or misrepresentation, suppression or concealment of any material fact, whether exercised or made by that person or any other person.

[...]

...

69.3 [...]

 

69.3...

 

(5) La section du statut peut rejeter toute demande bien fondée au regard de l’un des motifs visés au paragraphe 69.2(2) si elle estime par ailleurs qu’il reste suffisamment d’éléments justifiant la reconnaissance du statut.

 

(5) The Refugee Division may reject an application under subsection 69.2(2) that is otherwise established if it is of the opinion that, notwithstanding that the determination was obtained by fraudulent means or misrepresentation, suppression or concealment of any material fact, there was other sufficient evidence on which the determination was or could have been based.

 

 

III. La norme de contrôle applicable

[22]           Dans la décision Sethi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 A.C.F. no 1443; 2005 CF 1178, la juge Danièle Tremblay-Lamer a appliqué l’analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer les normes de contrôle qui s’appliquent aux décisions rendues en vertu des paragraphes 109(1) et (2) de la LIPR.

 

[23]           S’agissant des conclusions relatives au fait de savoir si des présentations erronées ont été faites ou non, elle a conclu que de telles questions de fait, qui comportent l’évaluation de la preuve produite par le ministre et de celle présentée par le demandeur d’asile, sont soumises à la norme de la décision manifestement déraisonnable. Je suis d’accord et je souscris à son raisonnement à cet égard.

 

[24]           Je souscris également à son opinion selon laquelle une décision rendue en application du paragraphe 109(2) de la LIPR (qui consiste à déterminer si les éléments de preuve non viciés par les présentations erronées sont néanmoins suffisants pour accorder le statut de réfugié) requiert un degré moindre de déférence car elle ne dépend pas, notamment, de l’évaluation du réfugié faite par la SPR lors de l’audience. À l’instar de ma collègue, je conclus qu’une telle évaluation est soumise à la norme de la décision raisonnable simpliciter.

 

[25]           La question de savoir si la SPR a commis une erreur de droit en prenant en considération les nouveaux éléments de preuve des deux parties concernant le statut du défendeur en Russie tout en exerçant son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 109(2) est, à mon avis, soumise à la norme de la décision correcte. En fait, il est évident que la SPR n’a pas d’expertise spéciale à cet égard.

 

[26]           Enfin, en ce qui concerne le caractère suffisant des motifs, il n’est pas nécessaire d’appliquer l’analyse pragmatique et fonctionnelle. La Cour infirmera la décision si la SPR a manqué à son obligation d’agir équitablement (Canada (PG) c. Sketchley, 2005 CAF 404).

 

IV. Analyse

[27]           Dans les arrêts Coomaraswamy c. Canada, 2002 CAF 113, [2002] 4 C.F. 501, et Annalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 281, [2002] A.C.F. no 971, la Cour d’appel fédérale a examiné quels éléments de preuve la SPR (autrefois, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié) pouvait prendre en considération au moment de prendre les décisions prescrites par les paragraphes 62.2(2) et 62.3(5) de l’ancienne Loi sur l’immigration. Ces dispositions sont essentiellement les mêmes que les paragraphes 109(1) et (2) de la LIPR, ce qui fait que la Cour est liée par ces décisions.

 

[28]           La Cour doit également examiner avec soin les autres décisions jurisprudentielles concernant les anciens paragraphes 62.2(2) et 62.3(5), ainsi que d’autres aspects du processus qu’ils comportaient.

 

[29]           J’ai examiné les deux décisions susmentionnées de la Cour d’appel fédérale, de même que les arrêts Mahdi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 32 Imm. L.R. (2d) 1, 191 N.R. 170 (C.A.F.); Hassan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 A.C.F. 1359, au paragraphe 16; Maheswaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 A.C.F. no 1768; Aleman c. Canada, 2002 CFPI 710; [2002] A.C.F. no 955; Parvanta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1146, [2006] A.C.F. no 1435, au paragraphe 23; et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Yakoob, 2005 CF 1017, [2005] A.C.F. no 1260; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Pearce, 2006 CF 492, [2006] A.C.F. no 646. La Cour considère, à la suite de cet examen, qu’il convient d’appliquer les principes suivants lors du contrôle d’une demande d’annulation semblable à celle dont il est question en l’espèce :

a)         Selon le paragraphe 109(1), pour déterminer si la décision initiale résulte, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait, la SPR doit prendre en considération tous les nouveaux éléments de preuve que soumettent le ministre et le demandeur d’asile.

b)         La mens rea, ou l’intention du demandeur d’asile, n’est pas pertinente pour la conclusion à tirer en vertu du paragraphe 109(1).

c)         Étant donné que l’ampleur et la nature des présentations erronées ou de la réticence sur des faits particuliers peuvent être pertinentes pour sa capacité d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 109(2) de la LIPR, la SPR doit fournir dans ses motifs suffisamment de détails sur celui ou ceux de ces faits qu’elle juge importants, et par rapport à quel objet pertinent. Ces conclusions détaillées lui permettront d’examiner si un demandeur d’asile particulier est, par exemple, exclu en application de l’article 98 de la LIPR. Cette décision doit être prise avant de passer à la seconde étape indiquée au paragraphe 109(2), et elle consiste à examiner l’ensemble des éléments de preuve figurant dans le dossier, de même que les nouveaux éléments de preuve produits par les deux parties.

d)         La SPR ne doit procéder à l’analyse prévue au paragraphe 109(2) (la deuxième étape) que si elle est convaincue que le demandeur d’asile n’est pas exclu en application de l’article 98 de la LIPR.

e)         Lorsqu’elle procède à l’analyse prévue au paragraphe 109(2), la SPR peut se reporter aux conclusions qu’elle a tirées en vertu du paragraphe 109(1), mais uniquement pour déterminer quels « anciens » éléments de preuve ne sont pas viciés par la réticence ou les présentations erronées. La SPR ne peut pas réévaluer les « anciens » éléments de preuve à la lumière des nouveaux éléments de preuve produits par le ministre ou le demandeur d’asile en vertu du paragraphe 109(1). La SPR ne peut accorder aucun poids aux nouveaux éléments de preuve produits par l’une ou l’autre partie, ni même les prendre en compte, lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe 109(2).

 

[30]           Si l’on applique ces principes à la décision contestée, il est manifeste que la SPR n’a pas pris en compte la totalité des éléments de preuve produits par les parties avant de tirer sa conclusion en vertu du paragraphe 109(1). La SPR fait référence à une preuve suffisante à première vue du ministre, alors qu’il est clair que le défendeur, en ce qui concerne à tout le moins sa citoyenneté russe, avait produit une preuve qu’il était nécessaire d’évaluer. Il y avait aussi une preuve contradictoire sur le statut de l’épouse du défendeur en Russie et sur ce que ce dernier avait dit lorsqu’il avait été interrogé par des agents différents au Canada.

 

[31]           En outre, dans la partie de sa décision qui concerne le paragraphe 109(1), la SPR n'a pas expliqué la nature ou l’ampleur des présentations erronées qu’elle considérait comme importantes au moment de procéder à son analyse. La décision n’indique pas clairement, par exemple, si la SPR a souscrit à la position suivante du ministre : i) le changement de nom du défendeur était important dans la mesure où il pouvait, par exemple, être pertinent pour son contrôle de sécurité; ii) l’existence de l’épouse et des enfants du défendeur était importante et pertinente pour une évaluation de la possibilité d’un établissement durable au Canada. Dans le même ordre d’idées, il est impossible de déterminer si la SPR peut avoir adopté plutôt la position du défendeur selon laquelle aucun de ces renseignements n’était important pour déterminer son statut de réfugié au sens de la Convention. Le demandeur d’asile a certes fait valoir devant la SPR que, peu importe les renseignements au sujet desquels il a pu avoir fait preuve de réticence, il n’a jamais fait de présentation erronée lorsqu’il a déclaré qu’il était uniquement citoyen de l’Irak.

 

[32]           Quand la Cour lui a demandé d’expliquer quels étaient les faits importants qui, d’après la SPR, avaient été l’objet d’une présentation erronée ou d’une réticence, le défendeur a exprimé l’avis que, selon une interprétation juste de la décision dans son ensemble, la Cour devrait conclure que la SPR a admis qu’il avait dissimulé la totalité des renseignements inclus dans la preuve du ministre et que ces derniers étaient tous importants et pertinents au sens du paragraphe 109(1).

 

[33]           La Cour est d’avis qu’il serait également compatible avec une interprétation juste de la décision de conclure que la SPR n’a traité en fait que de la réticence du défendeur à fournir des renseignements relatifs à sa citoyenneté russe. Pour quelle autre raison ne parlerait-elle que d’une preuve suffisante à première vue et ne traiterait-elle de cette question qu’à la « deuxième étape »?

 

[34]           Il ne fait aucun doute que la SPR peut fournir des motifs succincts. Mais ces derniers, pour être suffisants, doivent remplir les fonctions pour lesquelles l’obligation de motiver a été imposée. Comme l’a signalé le juge Edgar Sexton dans la décision Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25, au paragraphe 22 :

On ne s’acquitte pas de l’obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion [...]. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions [...]. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l’examen des facteurs pertinents.

 

[35]           Après avoir lu la décision avec soin et à plusieurs reprises, la Cour se doit de conclure que les motifs ne sont pas suffisants par rapport aux conclusions tirées en vertu du paragraphe 109(1).

 

[36]           Il convient de signaler aussi que la SPR indique que le paragraphe 109(2) ne l’autorise pas à examiner de nouveaux éléments de preuve. Pourtant, dans la partie de sa décision qui se rapporte au paragraphe 109(2), c’est exactement ce qu’elle fait. Dans ce contexte, il est difficile de savoir si cette erreur est simplement une question de forme (la SPR a intégré son analyse des nouveaux éléments de preuve sous une mauvaise rubrique) ou si la SPR a commis en fait une erreur de droit fondamentale.

 

[37]           Cependant, même si l’on présume, pour le moment, que l’analyse des éléments de preuve concernant le statut du défendeur en Russie était destinée à faire partie de l’analyse menée en vertu du paragraphe 109(1), les conclusions de la SPR à cet égard sont encore lacunaires. En fait, il semble que cette dernière ait fait abstraction de certains des éléments de preuve présentés par le ministre ou qu’elle ait omis d’expliquer de quelle façon elle les a traités.

 

[38]           Il fallait que la SPR décide si le défendeur avait fait une présentation erronée en disant qu’il était uniquement citoyen de l’Irak, et cela était essentiel pour déterminer, à la « deuxième étape », s’il y avait suffisamment d’éléments de preuve dans le dossier.

 

[39]           En l’espèce, cela aurait dû comporter deux conclusions de fait distinctes. Premièrement, la SPR devait décider si elle avait affaire soit à des documents étrangers (passeport et octroi de la citoyenneté) qui étaient faux, soit à des documents authentiques réellement délivrés au demandeur d’asile, mais sur la foi de présentations erronées.

 

[40]           À cet égard, la SPR a clairement accepté le témoignage du défendeur. Il lui était loisible de le faire et, en tout état de cause, il ne semble pas que le ministre ait contesté ce point.

 

[41]           Cela signifiait qu’il fallait ensuite que la SPR examine et évalue l’effet juridique de l’octroi de la citoyenneté obtenue par le défendeur en 1996, et ce, à l’époque où le décideur initial examinait sa demande. Là encore, cela comportait une conclusion de fait distincte, car la législation étrangère est également une question de fait. Et ce n’était pas la même chose que de décider si le défendeur se considérait comme citoyen de ce pays-là ou non. Il fallait nécessairement examiner les lois russes (pages 244 et suivantes du dossier du tribunal) que le ministre avait produites en preuve.

 

[42]           Même s’il n’a jamais été demandé au défendeur d’expliquer son interprétation de la législation russe et que ce dernier ne semblait avoir aucune connaissance spéciale lui permettant de donner son opinion sur une telle question, il était bel et bien loisible à la SPR d’accepter la position de ce dernier, à savoir qu’il était un « véritable » citoyen de l’Irak seulement. Cependant, la SPR devait certes expliquer de quelle façon elle avait traité les autres éléments de preuve qui contredisaient cette simple affirmation. En fait, elle dit que le ministre n’a fourni aucune preuve pour contredire le témoignage du défendeur selon lequel il n’avait pas la citoyenneté russe. Cela dénote que la SPR a mal compris la preuve ou qu’elle a omis de nouveau de s’acquitter de son obligation d’expliquer, par des motifs suffisants, la raison pour laquelle elle a fait abstraction des éléments de preuve étayant la position du ministre sur cette question cruciale.

 

[43]           En résumé, la Cour a conclu que les motifs de la SPR sont insuffisants dans la mesure où ils ne permettent pas de déterminer la nature de la ou des présentations erronées du demandeur d’asile et la mesure dans laquelle cette ou ces présentations étaient peut-être importantes. En outre, la SPR a tiré des conclusions en se fondant sur de nouveaux éléments de preuve en vertu du paragraphe 109(2) ou, à tout le moins, a rendu ses motifs de manière telle qu’il est impossible de déterminer si elle a commis ou non une telle erreur de droit. Enfin, le ministre a présenté des éléments de preuve sur la citoyenneté du demandeur d’asile dont la SPR n’a nullement traité.

 

[44]           Pour ces motifs, la décision doit être infirmée. Il faudra tenir une nouvelle audience afin qu’un tribunal différent puisse réexaminer la demande d’annulation du ministre.

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande est accueillie. La décision datée du 16 mars 2006 est infirmée.

2.         La demande d’annulation présentée par le ministre est renvoyée à un tribunal différent pour réexamen.

 

 

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1265-06

 

INTITULÉ :                                       MCI c. BIROUT WAHAB (alias VICTOR FEOKTISTOV)

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 13 DÉCEMBRE 2006

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 22 DÉCEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Caroline Christiaens

 

POUR LE DEMANDEUR

Robert Kincaid

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Robert J. Kincaid Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1] D’après les notes figurant à la page 202 de la transcription, il semble qu’il a peut-être mentionné qu’il avait vécu avec quelqu’un entre 1997 et 1999. On l’a expressément informé que s’il ne déclarait pas l’existence d’une épouse ou d’un membre de sa famille, il ne pourrait pas les parrainer plus tard.

[2]  Cependant, le nom irakien qui apparaît dans les documents russes n’est pas identique à celui qui est indiqué dans la demande du défendeur.

[3]  La Cour d’appel fédérale a analysé et rejeté un argument semblable au sujet de la version antérieure de ces dispositions (Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2) dans la décision Coomaraswamy c. Canada, (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 501. Cependant, le défendeur a fait valoir devant la SPR que cette décision était différente parce qu’il ne pouvait pas présenter une demande à l’encontre de la Russie pendant qu’il se trouvait dans ce pays-là.

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