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Date : 20061222

Dossier : IMM-1644-06

Référence : 2006 CF 1549

ENTRE :

MOHAMED ZIAR JAOUADI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE BLANCHARD

1.         Introduction

[1]               Le demandeur Mohamed Ziar Jaouadi sollicite le contrôle judiciaire de la décision défavorable qui a été rendue le 1er mars 2006 à l’issue d’un examen des risques avant renvoi (l’ERAR).

 

2.         Les faits

[2]               Le demandeur, un citoyen tunisien âgé de 28 ans, est arrivé au Canada le 2 août 2000; il faisait partie d’un groupe de plus d’une centaine de jeunes touristes tunisiens. À l’époque, le demandeur souffrait de troubles psychotiques passagers et de dépression. Il est encore traité à l’aide d’antidépresseurs pour ces problèmes.

 

[3]               Le 11 août 2000, le demandeur a demandé l’asile en alléguant avoir été arrêté et torturé à plusieurs reprises par la police qui l’a pris pour cible parce qu’il pratique l’islamisme et qu’il n’était pas membre d’une organisation d’étudiants connue sous le nom de « Parti de l’union des étudiants Rassemblement constitutionnel démocratique », une organisation de jeunes associée au parti au pouvoir. Le demandeur a soutenu avoir été arrêté pour la première fois lors d’une manifestation étudiante, le 7 avril 1999, et avoir été détenu et battu pendant trois jours. Deux semaines plus tard, il a encore une fois été détenu, entre le 27 et le 28 avril 1999, et il a été torturé. Le demandeur a allégué avoir été sous surveillance administrative jusqu’en septembre 1999, et il a affirmé que, pendant cette période, son courrier a été intercepté et examiné. Le demandeur a été emprisonné et torturé une dernière fois pendant une semaine, après avoir été arrêté par la police le 26 avril 2000.

 

[4]               À l’audience devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) le 20 juillet 2001, le demandeur a affirmé être un sympathisant d’Ennhada, une organisation terroriste connue, et connaître plusieurs membres de cette organisation, notamment son chef, Rachid Ghannouchi, qui lui aurait apparemment trouvé un emploi à l’« École professionnelle du Barreau ». Le demandeur a également affirmé être un « réfugié sur place » à cause de son adhésion, au Canada, à plusieurs organisations et, entre autres, à l’Association des jeunes Tunisiens au Canada (l’AJTC) et à l’Association des victimes de la torture en Tunisie (l’AVTT).

 

[5]               Après avoir été mise au courant de l’association du demandeur à Ennhada, la CISR a ajourné l’audience et a demandé au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration d’intervenir.

 

[6]               À la reprise de l’audience devant la CISR le 15 janvier 2003, le demandeur a apporté des changements majeurs à la version des faits qu’il avait fournie le 20 juillet 2001. Il affirme maintenant qu’il n’était pas membre d’Ennhada et qu’il avait simplement rencontré par hasard l’un des membres de cette organisation. Il dit qu’un ami et son ancien avocat lui ont conseillé de falsifier sa version des faits au sujet des liens qu’il entretenait avec Ennhada. Il déclare maintenant craindre de retourner en Tunisie à cause de ses activités politiques au Canada.

 

[7]               Le demandeur a également changé d’avocat après avoir allégué que son premier avocat lui avait conseillé de falsifier sa version des faits; le nouvel avocat a présenté une requête en récusation des commissaires. Les membres de la CISR ayant refusé de se retirer de l’affaire, l’avocat a présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de ce refus. La demande a été rejetée au motif que l’attitude du demandeur devant la Cour n’était pas irréprochable. La Cour n’a pas cru la première version des faits du demandeur en ce qui concerne son association à Ennhada.

 

[8]               Toutefois, dans sa décision du 15 décembre 2004, la CISR a décidé de croire la première version des faits du demandeur et elle a rejeté la demande d’asile au motif que l’appartenance du demandeur à Ennhada, une organisation terroriste, contrevenait à l’alinéa1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la CISR.

 

[9]               La demande de contrôle judiciaire a été rejetée le 16 septembre 2005. La Cour a statué qu’il était loisible à la CISR de retenir la première version des faits du demandeur plutôt que la seconde.

 

[10]           Le 12 décembre 2005, le demandeur a présenté une demande d’ERAR en alléguant qu’il risque d’être persécuté pour les motifs suivants :

a)         ses liens avec Ennhada

b)         le fait qu’il est un musulman pratiquant

c)         le fait qu’il a déjà été arrêté et qu’il a quitté la Tunisie pendant qu’il était encore sous surveillance administrative

d)         le fait qu’il a demandé l’asile au Canada

e)         ses liens notamment avec l’AJTC et l’AVTT.

 

[11]           Le demandeur affirme également que le stress que lui a causé le processus d’immigration au Canada et la crainte d’être persécuté par les autorités tunisiennes peuvent entraîner d’autres troubles psychotiques passagers et d’autres troubles dépressifs.

 

[12]           Le 1er mai 2006, l’agente chargée de l’ERAR a rendu une décision défavorable. La présente demande de contrôle judiciaire vise cette décision.

3.         La décision contestée

[13]           L’agente chargée de l’ERAR a dès le départ expliqué qu’étant donné que l’affaire avait pris naissance avant l’entrée en vigueur de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), et que la décision de la CISR était uniquement fondée sur l’article 96 de la Loi, elle était tenue d’examiner le dossier au complet pour déterminer si le demandeur était une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR. L’agente chargée de l’ERAR a également expliqué qu’elle n’était pas liée par la décision de la CISR.

 

[14]           L’agente chargée de l’ERAR a souligné que le demandeur avait changé sa version des faits à plusieurs reprises. Elle a également fait remarquer que le demandeur n’avait eu aucune difficulté à obtenir sa carte d’identité et son passeport et qu’il avait pu quitter la Tunisie sans problème. L’agente chargée de l’ERAR a conclu que le demandeur n’a été membre d’aucun parti politique et qu’il n’a pas non plus participé aux activités d’un groupe, quel qu’il soit, en Tunisie. En outre, elle a conclu que le demandeur ne pouvait pas être soupçonné d’être un sympathisant d’Ennhada puisqu’il avait pu mener une vie normale en Tunisie et, notamment, étudier, travailler et voyager. L’agente a dit que la simple adhésion à différents groupes comme l’AJTC au Canada ne serait pas perçue par les autorités tunisiennes comme une adhésion à des groupes subversifs.

 

[15]           L’agente chargée de l’ERAR a conclu que, même si les articles rédigés par le demandeur avaient été portés à l’attention des autorités tunisiennes, de nouvelles mesures avaient été annoncées en vue de promouvoir la liberté de la presse en Tunisie.

 

[16]           Quant à l’état de santé du demandeur, l’agente chargée de l’ERAR a conclu que le demandeur pourrait obtenir les soins médicaux nécessaires dans son pays.

 

[17]           L’agente chargée de l’ERAR a conclu que le demandeur ne serait pas personnellement ciblé s’il retournait en Tunisie. Elle a estimé que la Tunisie avait récemment fait des efforts pour améliorer la situation des journalistes et des ONG en leur accordant une plus grande liberté d’expression et en leur permettant d’exprimer leurs opinions politiques. Même si toutes les personnes qui retournent en Tunisie après une longue absence sont interrogées, cela ne constituait pas en soi un risque de persécution. Le demandeur n’a pas démontré qu’il serait identifié par les autorités tunisiennes pour avoir participé, au Canada, aux activités d’organisations telles que l’AJTC. Mais même s’il devait l’être, l’agente chargée de l’ERAR n’a pas jugé que l’on imputerait au demandeur des opinions contraires aux politiques du gouvernement tunisien de sorte qu’il serait en danger à son retour.

 

4.         Questions en ligige

A.        L’agente chargée de l’ERAR a‑t‑elle commis une erreur en n’accordant pas d’audience au demandeur?

B.         L’agente chargée de l’ERAR a‑t‑elle appliqué la mauvaise norme de preuve en examinant les risques?

C.        L’agente chargée de l’ERAR a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de la demande que le demandeur a présentée à titre de réfugié sur place?

 

5.         Analyse

A.        L’agente chargée de l’ERAR a‑t‑elle commis une erreur en n’accordant pas d’audience au demandeur?

[18]           La première question nécessite l’application des facteurs énoncés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), aux faits de l’affaire, et il s’agit donc d’une question mixte de fait et de droit. La cour saisie de la demande contrôle doit décider de la norme de contrôle applicable à l’égard de chaque décision que rend une instance administrative et non seulement pour chaque type de décision que rend un décideur en vertu d’une disposition précise. Voir Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404, au paragraphe 46. Cela étant, je ferai à l’égard de cette première question une analyse pragmatique et fonctionnelle dans le cadre de laquelle il faut tenir compte des éléments suivants : (i) la présence ou l’absence d’une clause privative, (ii) l’expertise relative de l’agente chargée de l’ERAR, (iii) l’objet de la loi dans son ensemble et (iv) la nature de la question (Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226).

 

[19]           La Loi ne comporte aucune clause privative. Les articles 72 à 75 de la LIPR prévoient expressément le contrôle judiciaire par la Cour fédérale des décisions en matière d’interdiction de territoire; pourtant, il ne s’agit pas d’un contrôle de plein droit étant donné qu’une autorisation est requise. De plus, les pouvoirs d’une cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire sont plus restreints que dans le cas d’un appel. En outre, l’appel devant la Cour d’appel fédérale n’est pas non plus reconnu de plein droit : une question grave de portée générale doit avoir été certifiée. Ces facteurs militent en faveur d’un certain degré de retenue de la part de la Cour.

 

[20]           Trois facteurs sont pertinents lorsqu’il s’agit de déterminer l’expertise relative d’un agent chargé de l’ERAR (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 33). Il s’agit des facteurs suivants :

a)         l’expertise de l’agent

b)         la propre expertise de la Cour par rapport à celle de l’agent

c)         la nature de la question précise soulevée devant l’agent par rapport à l’expertise de la Cour.

 

[21]           L’agent chargé de l’ERAR doit avoir une connaissance approfondie de la situation du pays étant donné que son travail comporte l’évaluation de cette situation dans le contexte des présumés risques auxquels un demandeur serait exposé s’il retournait dans ledit pays. À cet égard, les agents chargés de l’ERAR ont une plus grande expertise que la Cour et ce facteur milite donc en faveur d’un plus grand degré de retenue. Toutefois, il arrive souvent que les agents chargés de l’ERAR n’aient pas de formation juridique; leur connaissance de la loi portera donc uniquement sur la LIPR et sur ses règlements d’application, tels qu’ils se rapportent à leurs fonctions. La Cour possède une expertise en ce qui concerne le droit et son application, et elle fera donc preuve de peu de retenue à l’égard de la décision rendue sur une question de droit par un agent chargé de l’ERAR.

 

[22]           Je vais maintenant examiner l’objet de la loi dans son ensemble. L’objet de la Loi est énoncé au paragraphe 3(2). Son principal objet est de reconnaître que le programme pour les réfugiés vise « à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution ». Les alinéas 3(2)d) et 3(2)e) de la Loi sont particulièrement pertinents en ce qui concerne le travail d’un agent chargé de l’ERAR. Ils sont rédigés comme suit :

 

d) d’offrir l’asile à ceux qui craignent avec raison d’être persécutés du fait de leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques, leur appartenance à un groupe social en particulier, ainsi qu’à ceux qui risquent la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités;

 

e) de mettre en place une procédure équitable et efficace qui soit respectueuse, d’une part, de l’intégrité du processus canadien d’asile et, d’autre part, des droits et des libertés fondamentales reconnus à tout être humain;

(d) to offer safe haven to persons with a well-founded fear of persecution based on race, religion, nationality, political opinion or membership in a particular social group, as well as those at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment;

 

(e) to establish fair and efficient procedures that will maintain the integrity of the Canadian refugee protection system, while upholding Canada’s respect for the human rights and fundamental freedoms of all human beings;

 

 

[23]           Par conséquent, l’agent chargé de l’ERAR est tenu d’évaluer le risque auquel serait exposé le demandeur s’il retournait dans son pays, l’objectif étant de protéger cette personne contre la torture, une menace à sa vie ou le risque de traitements ou peines cruels et inusités. L’examen des risques est directement lié à la situation personnelle de chaque demandeur et à la situation particulière existant dans le pays en question au moment pertinent. L’objet de la Loi n’exige pas que le décideur se prononce sur des objectifs politiques opposés ou sur les intérêts de diverses communautés et qu’il les soupèse. Les caractéristiques législatives ne sont pas de nature « polycentrique ». Les dispositions législatives visent plutôt essentiellement à permettre de déterminer les droits des parties par suite de la détermination des faits. Cela étant, la cour saisie de la demande de contrôle fait preuve de moins de retenue.

 

[24]           Le quatrième facteur exige l’examen de la nature de la question qui se pose. Il s’agit de savoir si l’agente chargée de l’ERAR a commis une erreur en décidant qu’il n’était pas nécessaire dans les circonstances de tenir une audience, ce qui comporte l’application aux faits de l’espèce des facteurs énoncés à l’article 167 du Règlement. Il s’agit d’une question mixte de droit et de fait qui justifie une moins grande retenue de la part de la cour saisie de la demande de contrôle.

 

[25]           Après avoir examiné les facteurs susmentionnés, je conclus qu’il convient d’appliquer la norme de la décision raisonnable simpliciter à une question comportant l’application des facteurs énoncés à l’article 167 à la décision de tenir ou non une audience dans le cadre de l’ERAR. À l’appui de cette conclusion, mentionnons les décisions de mes collègues dans les affaires suivantes : Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437, aux paragraphes 8 à 22; Beca c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 566, au paragraphe 9.

 

[26]           La procédure d’ERAR n’est pas un mécanisme d’appel, ni un palier de révision des décisions de la CISR. L’ERAR vise à évaluer les risques auxquels une personne pourrait être exposée à la suite de son renvoi dans son pays d’origine, à la lumière de faits nouveaux qui seraient survenus depuis que la décision sur la demande d’asile a été rendue. Voir Alvarez c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 143, au paragraphe 6.

 

[27]           En général, l’examen des risques est effectué sans qu’une audience soit tenue et sur la base des nouveaux éléments de preuve qui ont été soumis depuis le rejet de la demande d’asile. La procédure est régie par les alinéas 113a) et b) de la Loi :

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

 

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

[28]           Les facteurs qu’il faut prendre en considération pour décider si la tenue d’une audience est requise sont énumérés à l’article 167 du Règlement :

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

Ces facteurs sont cumulatifs.

 

[29]           Le demandeur affirme que l’agente chargée de l’ERAR a tiré une conclusion indépendante quant à la crédibilité en décidant, contrairement à ce qu’avait conclu la CISR, que les autorités tunisiennes ne le soupçonneraient pas d’entretenir des liens avec Ennhada. Le demandeur affirme que cela déclencherait l’application de l’alinéa 167a) du Règlement, car cela soulève une question importante en ce qui concerne sa crédibilité. Étant donné que les conclusions concernant ses liens avec Ennhada sont importantes pour la prise de la décision, le demandeur affirme qu’il est satisfait aux autres facteurs énoncés à l’article 167 du Règlement. C’est pourquoi il prétend qu’une audience aurait dû être tenue.

 

[30]           À mon avis, il était loisible à l’agente chargée de l’ERAR de retenir une version des faits du demandeur plutôt que l’autre. Les première et seconde versions ont été données devant le tribunal et faisaient partie du dossier; elles faisaient donc également partie du dossier de la demande d’ERAR. Il s’ensuit que les faits en question ne sont pas nouveaux et que le tribunal les avait déjà pris en considération. Je souscris donc à l’argument du défendeur selon lequel la tenue d’une audience n’aurait pas été requise pour décider de la crédibilité de tout nouvel élément de preuve dont ne disposait pas la CISR. À mon avis, l’agente chargée de l’ERAR n’a pas commis d’erreur en n’accordant pas d’audience au demandeur.

 

B.         L’agente chargée de l’ERAR a-t-elle appliqué la mauvaise norme de preuve en examinant les risques?

 

[31]           Le demandeur soutient qu’en concluant qu’il devait établir selon la prépondérance de la preuve qu’il s’exposait à un risque et que le gouvernement tunisien était au courant de ses activités, l’agente chargée de l’ERAR lui a imposé une charge de preuve trop exigeante. Il affirme que la charge de preuve, en ce qui concerne la connaissance que les autorités ont, devrait être plus souple et qu’il devrait s’agir de savoir si les autorités [traduction] « sont au courant ou peuvent être au courant » de ses activités. L’application de la norme de preuve appropriée est une question de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[32]           En décidant si une personne est une personne à protéger, au sens de l’article 97 de la LIPR, l’agente chargée de l’ERAR a énoncé, à la page 14 de ses motifs, la norme de preuve qu’il convient d’appliquer, à savoir la prépondérance de la preuve. Cette norme a été confirmée à maintes reprises par la jurisprudence de la Cour. Voir Li c. Canada (MCI), 2005 CAF 1, [2005] 3 R.C.F. 239 (C.A.), aux paragraphes 9, 28 et 29, 39; Selliah c. Canada (MCI), 2005 CAF 160, (2005) 339 N.R. 233 (C.A.F.).

 

[33]           Toutefois, au dernier paragraphe de ses motifs, l’agente chargée de l’ERAR semble avoir appliqué une norme de preuve différente. Elle a écrit : « Je ne puis affirmer qu’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant soit exposé personnellement à un risque de torture, de menace à sa vie, de traitement ou peine cruels et inusités en retournant dans son pays d’origine, la Tunisie ». Les parties ne contestent pas que cette norme est moins exigeante que celle de la prépondérance de la preuve. Je suis d’accord. Dans ses motifs, l’agente chargée de l’ERAR a énoncé la mauvaise norme de preuve sur ce point. Même si je reconnaissais que l’agente a commis une erreur en imposant cette norme de preuve au demandeur, l’erreur ne porterait pas à conséquence quant à la question de la détermination du risque. Même si une norme de preuve moins exigeante que celle qui est prescrite par la loi est exigée du demandeur, celui‑ci ne subit aucun préjudice et le résultat ne changerait pas. Si le demandeur n’était pas en mesure de satisfaire à cette norme moins exigeante, il est clair qu’il ne pourrait pas non plus satisfaire à la norme plus exigeante. Quoi qu’il en soit, après avoir lu la décision dans son ensemble, je suis convaincu que l’agente chargée de l’ERAR a appliqué la norme de preuve appropriée en arrivant à sa décision. Je conclus donc que l’agente chargée de l’ERAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle pour ce qui est de la norme de preuve applicable.

C.        L’agente chargée de l’ERAR a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de la demande que le demandeur a présentée à titre de réfugié sur place?

 

[34]           Enfin, l’agente chargée de l’ERAR devait déterminer si le demandeur est une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR. Lorsqu’elles sont considérées « globalement et dans leur ensemble », de telles décisions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. Voir Demirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 1284, au paragraphe 23; Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437, aux paragraphes 8 à 22; Herrada et al. c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 1004, au paragraphe 24; Yousef c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 864, au paragraphe 17.

 

[35]           Dans sa décision, l’agente chargée de l’ERAR a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que les activités ou les convictions politiques du demandeur seraient, ou risquaient d’être, portées à l’attention des autorités tunisiennes. Elle a estimé que l’AJTC en particulier ne s’oppose pas au gouvernement tunisien, mais cherche plutôt à aider les jeunes Tunisiens au Canada. En outre, l’agente a dit que la participation aux activités de divers groupes comme l’AJTC au Canada ne constitue pas un comportement subversif de la part du demandeur. L’agente chargée de l’ERAR a conclu que les répercussions des activités et déclarations politiques du demandeur au Canada étaient mineures et opportunistes et qu’elles n’étaient pas subversives au point d’attirer l’attention du gouvernement tunisien.

 

[36]           En outre, l’agente chargée de l’ERAR a conclu que tout risque que pouvait courir le demandeur est réduit puisque, selon certains éléments de preuve récents, les autorités tunisiennes ont annoncé des mesures visant à promouvoir la liberté d’expression. L’agente chargée de l’ERAR a également conclu qu’il était peu probable que le demandeur soit identifié par les autorités tunisiennes étant donné qu’il avait un nom répandu. Cette conclusion reposait essentiellement sur le fait que le demandeur a pu quitter la Tunisie sans problème.

 

[37]           Selon le défendeur, il ressort clairement de la décision détaillée de l’agente chargée de l’ERAR que celle‑ci a tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait, même si elle n’a pas analysé expressément tous ces éléments dans ses motifs. Le défendeur fait valoir qu’il était loisible à l’agente de rendre cette décision et que celle-ci était raisonnable.

 

[38]           Le demandeur soutient que l’agente chargée de l’ERAR n’a pas tenu compte de la preuve pour conclure que le gouvernement tunisien ne s’intéressait pas à ses activités politiques et n’était pas au courant de celles‑ci. Selon le demandeur, il existe de nombreux éléments de preuve au sujet de l’attitude critique qu’il a adoptée envers le gouvernement tunisien dans des publications qui sont sur Internet et auxquelles le gouvernement tunisien aurait accès. Il affirme également que l’agente chargée de l’ERAR reconnaît elle‑même que le gouvernement tunisien s’inquiète des critiques formulées à son encontre sur Internet. Selon lui, il est donc probable que le gouvernement tunisien s’intéresse à lui et soit renseigné sur lui, de sorte qu’il est particulièrement en danger et que l’agente a commis une erreur susceptible de contrôle en ne tenant pas compte de cet élément de preuve.

 

[39]           La preuve sur la situation dans le pays montre que le gouvernement tunisien ne tolère pas les critiques publiques et a recours à l’intimidation, aux enquêtes criminelles, au système judiciaire, aux arrestations arbitraires, aux assignations à résidence et au contrôle des déplacements afin de décourager les critiques de la part des défenseurs des droits de la personne et des opposants au régime. Les prisonniers politiques et les islamistes qui sont arrêtés et emprisonnés seraient assujettis à un traitement plus dur que celui réservé aux prisonniers ayant commis un crime de droit commun. La preuve documentaire montre également que les forces de sécurité ont régulièrement recours à la violence contre les islamistes, les activistes et les dissidents, et qu’elles torturent les détenus afin de soutirer des aveux et les prisonniers politiques afin de décourager la résistance. Dans ses motifs, l’agente chargée de l’ERAR a reconnu que le régime ne tolère pas les critiques. Elle a écrit : « Les documents de référence indiquent que le gouvernement de la Tunisie contrôle le pays et est peu réceptif à la critique ou aux partis d’opposition. »

 

[40]           La preuve documentaire établit en outre que le gouvernement tunisien bloque l’accès à de nombreux sites Web, notamment presque tous les sites des groupes du pays qui défendent les droits de la personne, ceux de l’opposition et ceux des groupes islamistes. La preuve montre que le gouvernement a récemment permis l’accès à plusieurs sites Web étrangers qui avaient antérieurement été bloqués, comme Al‑Jazeera, « Reporters sans frontières » et Hotmail, mais un rapport sur la « cyberliberté » classait néanmoins la Tunisie au dernier rang de onze pays arabes pour ce qui est de la liberté d’accès à Internet. Étant donné cette preuve, il est raisonnable de conclure que les autorités tunisiennes ont intérêt à surveiller le contenu de divers sites cruciaux d’Internet. Dans ces conditions, l’agente chargée de l’ERAR a convenu que le site Web de l’AJTC est probablement disponible et accessible en Tunisie. Dans ses motifs, elle a fait la remarque suivante : « Considérant cet état de fait, il est raisonnable de penser que les écrits de l’AJTC au Canada, soient accessibles en Tunisie. »

 

[41]           En ce qui concerne les ressortissants tunisiens qui reviennent de l’étranger, les rapports sur la situation du pays montrent que les autorités tunisiennes effectuent régulièrement des contrôles de sécurité à l’égard des ressortissants qui ont longtemps été absents du pays. L’agente chargée de l’ERAR l’a d’ailleurs reconnu dans ses motifs : « Les personnes retournant en Tunisie après un certain temps à l’extérieur du pays sont questionnées pour fin d’identité et de sécurité, cette règle s’applique à tous les citoyens de Tunisie. »

 

[42]           Quant aux activités du demandeur au Canada, le dossier a établi que le demandeur a formulé de nombreuses critiques à l’encontre des autorités tunisiennes. Cette preuve n’est pour l’essentiel pas contredite. J’examinerai ci‑dessous des exemples des activités et déclarations du demandeur au Canada.

 

[43]           Lors d’une interview radiodiffusée à Radio Centre Ville à Montréal, le 6 mai 2003, le demandeur, en sa qualité de président de l’AJTC, a accusé les autorités tunisiennes de se livrer à des abus en matière de droits de la personne. Il a dit : « La personne est décédée sous la torture, sa famille n’a jamais eu aucune idée sur son arrestation ou même elle n’a pas pu voir le corps…. Et puis maintenant, le gouvernement tunisien nie l’existence complète de ce jeune homme, de Maher Osmani. »

 

[44]           Le demandeur confirme qu’il a également aidé l’AJTC à organiser une vigile, qui a eu lieu le 31 octobre 2002, en vue de protester contre le fait que 14 Tunisiens s’étaient noyés en tentant de chercher asile en Italie. Il affirme avoir lancé et publié sur le site Web de l’AJTC une invitation générale à assister à la vigile pour le compte de l’Association, dans laquelle il a dit ceci :

L’AJTC lance un cri de détresse et fait appel à tous les organismes gouvernementaux et non-gouvernementaux qui s’occupent de l’aide et la protection de la jeunesse de se mobiliser et de donner la main aux jeunes tunisiens en situation alarmante outre que demander aux autorités concernées dans tous les pays du monde entier de faire ouvrir leurs portes aux demandeurs d’asile tunisiens et de traiter plus sérieusement leurs dossiers, ainsi qu’oublier l’ancienne face connue de la Tunisie et de l’y classer parmi les pays les plus dangereux qui ne respectent jamais les droits de la personne.

 

 

[45]           Dans sa preuve par affidavit, le demandeur confirme que l’AJTC a également participé à l’organisation d’un rassemblement contre l’emprisonnement de M. Jebali, un dirigeant d’Ennhada, et de M. Yahyaoui, administrateur du site Web TUNeZINE, un site Web dissident publié depuis la France. Le rassemblement a eu lieu devant l’ambassade de la Tunisie à Montréal, le 30 janvier 2003, et un article sur le rassemblement a paru dans le quotidien « La Presse » le lendemain. La participation du demandeur à titre d’organisateur est reconnue sur le site Web de l’AJTC et son nom figure dans la liste des participants. La participation du demandeur au rassemblement est également signalée dans la publication « The Observer » et dans le site Web « Réveil tunisien ».

 

[46]           À mon avis, il était déraisonnable pour l’agente chargée de l’ERAR de conclure que les activités du demandeur au Canada n’étaient pas subversives et n’intéresseraient pas les autorités tunisiennes. La preuve documentaire établit indéniablement que ceux qui critiquent le régime tunisien ne sont pas tolérés, qu’ils sont surveillés et qu’ils sont traités durement. L’agente chargée de l’ERAR a accepté et a reconnu cette preuve dans les motifs de sa décision. La preuve concernant le demandeur établit qu’il s’est livré à des activités et a fait des déclarations au Canada à l’encontre du gouvernement tunisien. Cette preuve n’est pas contredite. Conclure que l’AJTC est une organisation qui cherche simplement à aider les jeunes Tunisiens au Canada, c’est ne pas tenir compte de la preuve. La preuve établit clairement que l’AJTC se livre à des activités remettant en question le régime. Considérer que les activités et les déclarations du demandeur ne sont pas subversives n’est pas non plus compatible avec les nombreux éléments de preuve montrant que le demandeur a critiqué le gouvernement tunisien. À mon avis, étant donné la preuve dont disposait l’agente, les deux conclusions sont déraisonnables en ce sens qu’elles ont été tirées sans qu’il soit tenu compte de la preuve.

 

[47]           De plus, j’estime qu’il était déraisonnable pour l’agente chargée de l’ERAR de conclure que les autorités ne pourraient pas identifier le demandeur parce que son nom était répandu. Je ne peux imaginer comment il pourrait en être ainsi puisque la preuve documentaire établit que les ressortissants qui retournent en Tunisie sont soumis à des contrôles de sécurité, en particulier ceux qui ont longtemps été absents du pays, comme l’a été le demandeur. L’identité du demandeur aurait été établie avant que celui‑ci quitte le pays afin de lui permettre d’obtenir un passeport ou d’autres titres de voyage. Il n’y a tout simplement aucun élément de preuve corroborant la conclusion de l’agente chargée de l’ERAR selon laquelle le fait que son nom était répandu permettrait au demandeur d’éviter d’être découvert à son retour. Cette conclusion repose sur des conjectures et elle est déraisonnable.

 

[48]           Compte tenu de la preuve, il était loisible à l’agente chargée de l’ERAR de conclure que l’adhésion du demandeur à Ennhada et son mode de vie en Tunisie n’intéressaient pas les autorités tunisiennes. Toutefois, j’estime que les activités du demandeur au Canada ne permettent pas une conclusion similaire. Il importe peu que les activités du demandeur au Canada soient opportunistes. La jurisprudence enseigne que, même si le demandeur se livre à ses activités dans l’espoir d’obtenir l’asile, l’analyse effectuée en vertu de l’article 97 doit tenir compte du préjudice auquel le demandeur pourra faire face à son retour à cause des activités politiques auxquelles il s’est livré à l’étranger, et ce, même si ces activités ne sont pas authentiques. Voir Ngongo c. Canada (MCI), [1999] A.C.F. no 1627 (QL).

 

[49]           À mon avis, l’agente chargée de l’ERAR a commis une erreur en évaluant la demande que le demandeur avait présentée à titre de réfugié sur place. Les conclusions erronées susmentionnées, considérées cumulativement, m’amènent à conclure que, compte tenu de la preuve dont elle disposait, l’agente chargée de l’ERAR a rendu une décision déraisonnable.

 

[50]           La preuve relative à la situation dans le pays montre que le gouvernement tunisien persécute ceux qui le critiquent, qu’il a recours à la violence contre ses opposants politiques et qu’il traite les islamistes d’une façon particulièrement dure. La preuve soumise par le demandeur, laquelle n’est pour l’essentiel pas contredite, montre que celui‑ci s’est livré au Canada à des activités qui peuvent uniquement être considérées comme une expression politique dénonçant le gouvernement tunisien, particulièrement sur Internet. La preuve établit également que le gouvernement tunisien serait probablement au courant des activités du demandeur puisque la preuve établit également que les autorités tunisiennes surveillent Internet pour y chercher l’information négative à son endroit.

 

[51]           Je suis obligé de conclure que l’agente chargée de l’ERAR a rendu sa décision sans tenir compte de la preuve. L’agente a donc commis une erreur susceptible de contrôle en se prononçant comme elle l’a fait sur les activités du demandeur au Canada et dans la conclusion qu’elle a tirée, en conséquence, au sujet des risques courus par le demandeur.

 

[52]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. J’ordonnerai que l’affaire soit renvoyée à un agent différent pour réexamen.

 

[53]           Les avocats devront signifier et déposer leurs observations relatives à la certification d’une question de portée générale, le cas échéant, dans les vingt (20) jours suivant la réception des présents motifs. Chaque partie disposera d’un délai additionnel de cinq (5) jours pour signifier et déposer une réponse aux observations de la partie adverse. À la suite de l’examen de ces observations, une ordonnance sera rendue afin d’accueillir la demande de contrôle judiciaire et de trancher la question grave de portée générale comme le prévoit l’alinéa 74d) de la LIPR.

 

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

Ottawa (Ontario)

Le 22 décembre 2006

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1644-06

 

INTITULÉ :                                                   MOHAMMED ZIAR JAOUADI

                                                                        c.

                                                                        MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 15 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 22 DÉCEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Shams

POUR LE DEMANDEUR

 

Normand Lemyre

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Saint‑Pierre Grenier

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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