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Date :  20061222

 

Dossier : T-1169-06

 

Référence : 2006 CF 1548

 

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2006

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

 

AFFAIRE intéressant certaines cotisations établies par le ministre

du Revenu national en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, du Régime de pensions du Canada et de la Loi sur l'assurance‑emploi

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

 

défenderesse

 

et

 

 

MICHAEL (MALEK) CHAMAS

demandeur

 

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

1.         Introduction

[1]               Le demandeur, M. Michael Chamas, sollicite, conformément au paragraphe 225.2(8) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la LIR), la révision de l'ordonnance en date du 12 juillet 2006 par laquelle la Cour a autorisé le ministre du Revenu national (le ministre) à prendre immédiatement l'une quelconque des mesures mentionnées aux alinéas 225.1a) à g) de la LIR à l'égard d'avis de cotisation datés du 10 juillet 2006, ci‑après appelée l'ordonnance de recouvrement de protection.

2.         Les faits

[2]               Le 16 septembre 2005, le demandeur a reçu une lettre recommandée de l'Agence du Revenu du Canada (l'Agence) datée du 15 septembre 2005, lui demandant de rencontrer M. Martel, vérificateur au sein de l'Agence, en vue de discuter de son statut de résident au Canada et de ses différentes activités commerciales au Canada. La lettre disait également que, si le demandeur ne répondait pas dans un délai de 30 jours, l'Agence chercherait à déterminer son statut en se fondant sur les renseignements qu'elle avait à sa disposition et qu'elle appliquerait ensuite les dispositions de la LIR.

 

[3]               Sur réception de la lettre, le demandeur a communiqué avec M. Martel par téléphone; il affirme avoir informé M. Martel que, à cause de ses activités commerciales à l'étranger, il était rarement au Canada pendant le week‑end et que, lorsqu'il y était, c'était pour visiter ses enfants. Le demandeur a déclaré qu'il serait de retour quelques semaines plus tard et qu'il prendrait rendez‑vous à ce moment‑là.

 

[4]               M. Martel a témoigné que, pendant la conversation, il avait été convenu qu'ils se rencontreraient au retour du demandeur, le 5 octobre 2005. Le demandeur, qui était dans sa voiture à ce moment‑là et qui n'était pas en mesure d'écrire, a demandé à M. Martel de confirmer la rencontre par écrit. Après avoir tenté en vain de confirmer la rencontre par télécopieur, M. Martel a envoyé une lettre au demandeur le 19 septembre 2005.

 

[5]               En recevant la seconde lettre, le demandeur a censément communiqué avec M. Martel et l'a informé qu'il était prématuré de fixer une date et que ce n'était pas ce dont ils avaient convenu. Le demandeur affirme avoir également informé M. Martel à ce moment‑là qu'il résidait à Dubaï, aux Émirats arabes unis, et qu'il n'était pas un résident du Canada pendant les cinq années d'imposition en question. Il affirme également que M. Martel lui a demandé de produire une preuve de sa résidence à Dubaï. Le demandeur allègue avoir envoyé à l'Agence une copie de sa carte de résidence à Dubaï et avoir déposé une preuve de la transmission par télécopie. Le demandeur affirme également avoir par la suite eu une conversation téléphonique avec M. Martel pour confirmer la réception de la télécopie. M. Martel aurait censément déclaré que la carte était satisfaisante et que, si elle avait été remise plus tôt, l'affaire aurait pu être réglée plus rapidement.

 

[6]               Le demandeur affirme en outre que M. Martel ne lui a jamais fait savoir de quelque façon que ce soit qu'il y avait des questions ou des dettes fiscales non réglées, et qu'il lui avait donné l'impression que les questions concernant l'enquête avaient été réglées d'une façon favorable. Le demandeur déclare qu'avant le 17 juillet 2006 rien n'indiquait que l'Agence avait l'intention de lui réclamer quelque montant que ce soit et qu'il n'a jamais eu la possibilité de répondre.

 

[7]               La défenderesse donne une version différente des faits se rapportant à la rencontre et à la transmission de la télécopie. Lorsque le vérificateur, M. Martel, a cherché à discuter de la question de la résidence avec le demandeur, ce dernier n'était pas disponible pour le rencontrer. M. Martel a témoigné avoir tenté à quatre reprises d'organiser une rencontre. Le demandeur a donné les raisons suivantes afin d'expliquer pourquoi il ne pouvait pas se présenter aux rendez‑vous. La première fois, il retournait à Dubaï ; la deuxième fois, il était malade; la troisième fois, il célébrait une fête juive; et la quatrième fois, il devait encore une fois se rendre à Dubaï et à Zurich. M. Martel atteste qu'après la quatrième tentative le demandeur a promis de le rappeler pour fixer un rendez-vous, mais qu'il ne l'a pas fait. M. Martel atteste en outre ne pas avoir reçu la carte de résidence du demandeur des Émirats arabes unis et que son dossier montre que, le 23 septembre 2005, aucune télécopie correspondant à la description et à l'heure figurant sur la feuille de transmission censément envoyée par le demandeur n'avait été reçue sur son télécopieur.

 

[8]               L'Agence a ensuite préparé des avis de cotisation pour les années d'imposition 2001 à 2005 en utilisant la « méthode de la valeur nette », ce qui a donné un montant de 952 355,36 $ en tout, plus les intérêts. Les avis étaient tous datés du 10 juillet 2006, et le 12 juillet 2006 la défenderesse a obtenu une ordonnance de recouvrement de protection l'autorisant à saisir immédiatement les biens meubles et les biens immeubles aux fins du recouvrement du montant visé par la cotisation qui avait été établie contre le demandeur conformément aux avis de cotisation ou en vue de garantir le paiement de ce montant. L'ordonnance de recouvrement de protection a été signifiée au demandeur le 17 juillet 2006.

 

[9]               Un bref de saisie ayant été délivré, la défenderesse a pris les mesures de recouvrement suivantes à l'encontre des actifs du demandeur, le 17 juillet 2006 ou par la suite :

a)         saisie de la résidence située au 205, boulevard de Gaulle, à Lorraine, appartenant à Mme Garas, mère des enfants du demandeur;

b)         saisie de la plupart des biens meubles se trouvant dans la résidence susmentionnée;

c)         saisie de deux véhicules loués;

            d)         saisie des sommes détenues en argent américain dans un compte bancaire du demandeur à la CIBC, 299, boulevard Labelle, à Rosemère;

e)         saisie des sommes détenues dans un compte bancaire que le demandeur et Mme Garas avaient en commun à la CIBC, 299, boulevard Labelle, à Rosemère;

f)          saisie d'un bien immeuble situé au 24, rue Elm, à Laval;

g)         saisie d'un bien immeuble situé au 282, boulevard Kenna, à St‑Colomban;

h)         saisie d'un bien immeuble situé au 5, rue Légaré, à St‑Eustache;

i)          saisie d'un bien immeuble, situé au 41, rue Blainville ouest, à Ste‑Thérèse.

 

3.         Le point litigieux

La question suivante est soulevée dans le présent examen :

A.        Le demandeur a‑t‑il établi, selon toute probabilité, qu'il existait des motifs raisonnables de croire que le critère prévu au paragraphe 225.1(2) de la LIR n'avait pas été respecté?

 

4.         La loi

 

[10]           Les facteurs à prendre en considération en examinant une ordonnance de recouvrement de protection conformément au paragraphe 225.1(2) de la LIR ont été examinés par le juge François Lemieux dans la décision Canada (Ministre du Revenu national M.R.N.) c. Services M.L. Marengère, [1999] A.C.F. no 1840 (QL). Au paragraphe 63 des motifs de la décision, le juge a dit ce qui suit :


 

(1)

 

La disposition concernant le recouvrement de protection porte sur la question de savoir si le délai qui découle normalement du processus d'appel compromet le recouvrement. Il ressort du libellé de la disposition qu'il est nécessaire de montrer qu'en raison du délai que comporte l'appel, le contribuable sera moins capable de verser le montant de la cotisation. En d'autres termes, il ne s'agit pas de déterminer si le recouvrement lui-même est compromis, mais plutôt s'il est en fait compromis en raison du délai à la suite duquel il sera vraisemblablement effectué.

 

(2)

 

En ce qui concerne le fardeau de la preuve, la personne qui présente une requête en vertu du paragraphe 225.2(8) a le fardeau initial de prouver qu'il existe des motifs raisonnables de croire que le critère prévu au paragraphe 225.2(2) n'a pas été respecté, c'est-à-dire que l'octroi d'un délai pour payer le montant de la cotisation compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant. Toutefois, la Couronne a le fardeau ultime de justifier l'ordonnance de recouvrement de protection accordée sur une base ex parte.

 

(3)

 

La preuve doit démontrer que, selon toute probabilité, il est plus probable qu'autrement que l'octroi d'un délai compromette le recouvrement. Il ne s'agit pas de savoir si la preuve démontre au-delà de tout doute raisonnable que le délai accordé au contribuable compromettrait le recouvrement du montant en question.

 

(4)

 

Le ministre peut certainement agir non seulement dans les cas de fraude ou dans les situations qui s'y apparentent, mais aussi dans les cas où le contribuable risque de dilapider, liquider ou autrement transférer son patrimoine pour se soustraire au fisc : bref, pour parer à toute situation où les actifs d'un contribuable peuvent, à cause de l'écoulement du délai, fondre comme neige au soleil. Toutefois, le simple soupçon ou la simple crainte que l'octroi d'un délai puisse compromettre le recouvrement n'est pas suffisant en soi. Comme le juge Rouleau l'a dit dans la décision 1853-9049 Québec Inc., supra, il s'agit de savoir si le ministre a des motifs raisonnables de croire que le contribuable dilapiderait, liquiderait ou transférerait autrement son patrimoine, de façon à compromettre le recouvrement du montant qui est dû. Le ministre doit démontrer que les actifs du contribuable peuvent entre temps être liquidés ou faire l'objet d'une saisie de la part d'autres créanciers et ainsi lui échapper.

 

(5)

 

Une ordonnance de recouvrement ex parte est un recours exceptionnel. Revenu Canada doit faire preuve d'une extrême bonne foi et faire une divulgation franche et complète. Sur ce point, le juge Joyal a fait les remarques suivantes dans la décision Peter Laframboise c. La Reine, [1986] 3 C.F. 521, à la page 528 :

 

 

 

       L'argument des avocats du contribuable pourrait être défendable si les éléments de preuve dont je dispose se limitaient à ce seul affidavit. Mais, comme les procureurs de la Couronne me l'ont rappelé, j'ai le droit de prendre connaissance de tous les éléments que renferment les autres affidavits. Ceux-ci pourraient aussi faire l'objet d'une savante analyse quant aux motivations profondes du déposant, mais je trouve que, dans l'ensemble, les éléments essentiels que renferment ces affidavits ainsi que la preuve qu'ils apportent satisfont aux critères établis et sont suffisamment étayés pour justifier les mesures prises par le Ministre.

 

 

 

Dans la décision Duncan, supra, après avoir cité les remarques que le juge Joyal avaient faites dans la décision Laframboise, supra, le juge en chef adjoint Jérome a dit que le ministre doit faire une divulgation suffisante (raisonnable).

 

 

[11]           À mon avis, les opinions exprimées par le juge Lemieux indiquent avec exactitude l'interprétation qu'il convient de donner aux dispositions légales applicables et aux facteurs qu'un tribunal judiciaire doit prendre en considération en examinant une ordonnance de recouvrement de protection.

 

5.         Analyse

 

A.        Le demandeur a‑t‑il établi, selon toute probabilité, qu'il existait des motifs raisonnables de croire que le critère prévu au paragraphe 225.1(2) de la LIR n'avait pas été respecté?

 

[12]           Aux dires de la défenderesse, l’octroi d’un délai pour recouvrer le montant établi a pour effet de compromettre son recouvrement, et ce pour les motifs suivants :

(1)               Le demandeur a tardé à s'acquitter des obligations qu'il avait envers le fisc;

(2)               Le demandeur a fourni des renseignements faux et trompeurs aux établissements bancaires avec lesquels il traitait;

(3)               Le demandeur se hâtait habituellement pour virer de grosses sommes d'argent de ses comptes bancaires;

(4)               Un jugement existant rendu contre le demandeur en 2003, d'un montant de 37 500 $, n'a pas encore été exécuté.

 

[13]           Le demandeur conteste la version des faits donnée par la défenderesse et tente d'expliquer les incohérences de la preuve. Il affirme que son comportement n'est pas celui d'un homme qui cherche à éviter ses responsabilités et que la preuve dépeint la situation sous un angle tout à fait différent de celle que l'Agence a dépeinte. Le demandeur critique la façon dont l'enquête a été menée, en alléguant que l'Agence a procédé à une enquête secrète, en violation des règles d'équité procédurale et des principes de transparence. Il allègue que les circonstances ne permettent pas de conclure à l'existence de motifs raisonnables permettant de croire que l’octroi d’un délai pour recouvrer le montant établi aurait pour effet de compromettre le recouvrement de tout ou partie de ce montant.

 

[14]           À l'appui de sa prétention, le demandeur signale les facteurs suivants :

(1)        Contrairement à la prétention de la défenderesse, certains éléments de preuve montrent qu'il effectue des placements au Canada en achetant des propriétés et en déposant d'importantes sommes d'argent dans des comptes bancaires canadiens;

(2)        Aucun élément de preuve ne donne à entendre qu'il a essayé de dilapider ses biens ou d'en disposer. Au contraire, il affirme avoir augmenté ses actifs au Canada en achetant des propriétés;

(3)        La preuve montre qu'il a déposé d'importantes sommes d'argent dans des comptes bancaires canadiens même après avoir appris que l'Agence enquêtait sur lui.

Selon le demandeur, ce comportement ne correspond pas à celui d'une personne qui essaie de disposer en secret de ses actifs.

 

[15]           Le demandeur déclare en outre avoir pris des mesures précises pour établir sa résidence au Canada et passer plus de temps avec sa fille, âgée de cinq ans, et son fils, âgé de dix ans, qui sont tous deux inscrits dans une école privée au Québec pour l'année à venir. Le demandeur affirme avoir l'intention de rendre officielle la relation qu'il entretient avec Mme Garas, mère de ses enfants, et qu'il s'est engagé à parrainer Mme Garas aux fins de l'immigration.

 

[16]           Le demandeur affirme que, après sa dernière discussion avec M. Martel, il avait l'impression que, une fois sa preuve de résidence à Dubaï établie, l'affaire serait réglée. Il maintient que, après avoir envoyé par télécopieur une copie de sa carte de résidence, il pouvait raisonnablement conclure qu'il serait mis fin à l'enquête. Étant donné que ni M. Martel ni l'Agence n'avaient fait d'autres tentatives pour communiquer avec lui avant la signification de l'avis de cotisation, le demandeur ne jugeait pas nécessaire de se renseigner plus amplement.

 

[17]           J'examinerai maintenant la preuve par rapport aux quatre moyens que la défenderesse a invoqués à l'appui de l'ordonnance de recouvrement de protection.

 

[18]           Le demandeur n'a pas produit de déclaration de revenus pour la période ici en cause, que ce soit à titre de résident ou de non‑résident. La preuve établit également que les sociétés canadiennes dont le demandeur était administrateur ou actionnaire et qui gagnaient des revenus au Canada n'ont pas non plus produit de déclarations de revenus. Ces mêmes sociétés n'ont pas versé à l'Agence les sommes retenues à la source de leurs employés comme l'exige la loi. Le demandeur ne conteste pas avoir omis de se conformer aux obligations de production imposées par la LIR.

 

[19]           Quant à la version contradictoire des événements qui se sont produits entre M. Martel et le demandeur après l'envoi de la lettre recommandée initiale, le 15 septembre 2005, je préfère retenir la version de M. Martel, et ce pour les motifs ci‑après énoncés.

 

[20]           La preuve du demandeur n'est pas conforme aux probabilités en ce qui concerne l'ensemble de l'affaire. Les explications que le demandeur a données pour avoir omis de rencontrer M. Martel n'étaient pas convaincantes, et il est selon moi fort peu probable que M. Martel eût soudainement mis fin à une telle enquête sur réception d'une télécopie d'une carte de résidence étrangère, comme l'allègue le demandeur. En outre, la preuve qui sera ci‑dessous examinée dans les présents motifs établit que le demandeur a démontré qu'il est bien capable d'induire en erreur et de ne pas dire la vérité afin d'atteindre un objectif.

 

[21]           M. Martel, qui était vérificateur auprès de l'Agence, n'avait aucun intérêt financier ou personnel dans l'issue de l'affaire. Sa version des événements sonne juste et je conclus qu'elle est compatible avec la nature de l'enquête et avec la demande figurant dans la lettre initiale envoyée au demandeur. Autrement dit, la version de M. Martel est conforme à la prépondérance des probabilités qu'une personne informée et dotée de sens pratique reconnaîtrait volontiers comme raisonnable à cet endroit et dans ces conditions.

 

[22]           À mon avis, la preuve étaye la prétention de la défenderesse selon laquelle le demandeur s'est montré évasif lorsqu'on a initialement tenté de communiquer avec lui et selon laquelle l'Agence n'a jamais reçu la carte de résidence censément envoyée par le demandeur.

 

[23]           La preuve à l'appui du deuxième moyen invoqué par la défenderesse à l'égard de l'ordonnance de recouvrement de protection, à savoir que le demandeur a fourni des renseignements faux et trompeurs à une institution financière afin d'obtenir du crédit, est convaincante. Le dossier montre que le demandeur a fourni de faux renseignements à « la Banque Laurentienne » afin d'obtenir une ligne de crédit, au mois de mars 2005. Le demandeur a soumis une lettre d'une de ses sociétés, C=B02 Inc., en vue de confirmer qu'il était employé depuis 1997 et qu'il gagnait 93 600 $ par année. Il a également fourni un état de la rémunération payée frauduleux (feuillet T‑4), censément délivré par C=B02 Inc. pour l'année 2004, lequel est incompatible avec les relevés d'emploi que la société a déposés auprès de l'Agence.

 

[24]           Plus tard ce mois‑là, le demandeur a demandé à la même banque une carte de crédit « Visa ». Dans sa demande, il alléguait être employé par « MCCA Zurich » à titre d'administrateur depuis l'année 2002 et gagner 93 600 $ par année. La demande ne mentionne pas son emploi auprès de C=B02 Inc. au cours de la même période au sujet duquel il a fait une déclaration antérieure. Ces versions contradictoires des antécédents professionnels du demandeur servent à mettre en question sa crédibilité.

 

[25]           Enfin, le 6 avril 2006, le demandeur a demandé un prêt hypothécaire auprès des « Caisses populaires Desjardins ». Dans la demande de crédit, il déclarait être cadre chez « MCCA Ltée » et gagner 328 000 $ par année. Cette société canadienne n'a jamais produit de déclaration auprès de l'Agence. La preuve établit également que, contrairement aux renseignements contenus dans la demande de crédit, le demandeur ne détient pas de régime enregistré d'épargne‑retraite (REER).

 

[26]           Quant à la demande du mois de mars 2005 visant l'obtention d'une ligne de crédit, le demandeur ne nie pas avoir obtenu du crédit en soumettant les documents contestés à la banque. Il explique qu'il n'était pas au courant du contenu de la demande de crédit, et ce même s'il l'avait signée et même s'il l'avait personnellement remise à la banque. L'explication donnée par le demandeur n'est tout simplement pas crédible.

 

[27]           Je conclus que la preuve susmentionnée concernant les demandes de crédit et de prêt du demandeur étaye la prétention de la défenderesse selon laquelle le demandeur est capable de falsifier des documents et de faire de fausses déclarations au sujet de sa situation afin d'arriver à ses fins.

 

[28]           Quant au troisième moyen invoqué par la défenderesse à l'appui de l'ordonnance de recouvrement de protection, la preuve montre que le demandeur a de nombreux comptes bancaires qu'il utilise pour virer d'importantes sommes d'argent. Il n'est pas nécessairement inhabituel de virer d'importantes sommes d'argent, mais certaines pratiques bancaires du demandeur peuvent être qualifiées pour le moins d'inhabituelles. Ainsi, le demandeur a personnellement encaissé de gros chèques payables à sa société. De fait, le dossier montre que « La Banque Laurentienne » a envoyé une lettre au demandeur au sujet d'un compte bancaire pour lequel il était signataire autorisé. La lettre informait le demandeur que ce compte serait fermé dans toutes les succursales parce que la Banque n'était pas satisfaite de la nature des transactions effectuées dans les comptes et que des vérifications récentes avaient révélé « des opérations inhabituelles ».

 

[29]           En outre, le dossier établit également que, lorsqu'il a été interrogé au sujet d'un retrait de 300 000 $ au cours d’un même mois, le demandeur a expliqué que presque tout l'argent avait servi [traduction] « à l'achat d'une propriété ou à l'achat d'une autre voiture ». Toutefois, la preuve révèle que toutes les acquisitions immobilières du demandeur avaient été effectuées avant le retrait et que toutes les voitures de luxe du demandeur étaient louées.

 

[30]           Le dossier établit également que le demandeur a eu recours aux services de « l'agence Arylo », qui fournit du crédit à court terme, pour négocier le virement d'importantes sommes en espèces de comptes étrangers. Ces virements s'élevaient en tout à plus de 600 000 $.

 

[31]           Je conclus donc que la preuve étaye la prétention de la défenderesse, lorsqu'elle dit que le demandeur était capable de virer rapidement d'importantes sommes d'argent. La preuve démontre également que le demandeur s'est livré à des pratiques bancaires inhabituelles.

 

[32]           Enfin, le quatrième moyen sur lequel la défenderesse s'appuie se rapporte à un jugement daté du 30 avril 2003, enregistré à « la Cour du Québec » contre le demandeur, au montant de 37 500 $, pour des honoraires professionnels non gagnés. Le montant n'a pas encore été payé, et la preuve montre que le créancier judiciaire, TÉ‑BÉ Inc., n'a pas réussi à le recouvrer parce qu'elle ne pouvait pas trouver le demandeur. Le demandeur déclare que ce renseignement n’est pas « pertinent » dans le contexte de l'ordonnance de recouvrement de protection. Je ne suis pas d'accord. À mon avis, il s'agit de l'élément de preuve le plus convaincant à l'appui de l'argument de la défenderesse selon lequel l’octroi d’un délai pour recouvrer le montant établi compromet son recouvrement. Même si le demandeur possède plusieurs propriétés et malgré la capacité démontrée du demandeur d'avoir accès à d'importantes sommes d'argent, surtout en espèces, au cours de la période qui a suivi l'enregistrement du jugement à son encontre, le demandeur a néanmoins omis de payer la somme due en vertu du jugement existant. En outre, le montant du jugement est relativement peu élevé s'il est considéré dans le contexte des sommes auxquelles le demandeur a accès selon la preuve.

 

[33]           Dans ces conditions, le fait que depuis 2003 le demandeur a omis d'acquitter une dette de 37 500 $ laisse planer un doute sur ses intentions en ce qui concerne ses obligations financières futures. À mon avis, le fait que le demandeur n'a pas payé la somme due en vertu de ce jugement existant démontre qu'il ne paierait probablement pas non plus le montant établi s'il était en fin de compte décidé qu'il doit ce montant.

 

[34]           La capacité démontrée du demandeur de faire de fausses déclarations au sujet de sa situation, ses pratiques bancaires inhabituelles, l'omission de s'acquitter des obligations que lui impose la LIR, ses longues absences du pays qui font qu’il est difficile de le joindre, son comportement à l'égard du jugement existant enregistré contre lui, et ses relations passées avec l'Agence servent dans tous les cas à démontrer que, selon toute probabilité, l’octroi d’un délai aurait pour effet de compromettre le recouvrement des montants établis pour les années d'imposition 2001 à 2005.

 

[35]           Le demandeur invoque deux autres arguments. En premier lieu, il affirme que l'Agence a procédé à une enquête secrète, en violation des règles d'équité procédurale et des principes de transparence. En second lieu, il allègue que l'Agence n'a pas fait preuve d'une extrême bonne foi et qu'elle n'a pas fait une divulgation franche et complète à la Cour lorsqu'elle a demandé l'ordonnance de recouvrement de protection. Je traiterai de chacun de ces arguments l'un à la suite de l'autre.

 

[36]           En ce qui concerne la conduite de l'enquête, la preuve n'étaye pas la prétention du demandeur concernant une [traduction] « enquête secrète ». Le demandeur a été avisé par courrier recommandé qu'une enquête avait été entamée. Dans la lettre initiale du 15 septembre 2005, on demandait une rencontre pour discuter de son statut de résident et de ses différentes opérations commerciales au Canada. Le demandeur a également été avisé que, s'il ne répondait pas dans un délai de 30 jours, l'affaire serait réglée sans qu'il y participe, conformément à la LIR. Puisqu'il a été conclu que la version des événements donnée par M. Martel doit être préférée à celle du demandeur, il n'existe tout simplement aucun élément de preuve à l'appui de l'allégation du demandeur. Le demandeur a amplement eu la possibilité de participer, et il a simplement décidé de ne pas le faire. L'Agence n'a pas violé les principes d'équité procédurale et de transparence dans les circonstances.

 

[37]           Quant au second argument que le demandeur a invoqué au sujet de l'obligation de divulgation qui incombait à l'Agence lorsqu'elle a demandé l'ordonnance de recouvrement de protection, le droit impose une obligation d'extrême bonne foi à l'Agence lorsqu'elle présente pareilles demandes ex parte. Compte tenu des effets dévastateurs que pourrait avoir l'exécution d'une ordonnance de recouvrement de protection sur certains types de biens, l'Agence doit faire en sorte qu'une divulgation franche et complète soit effectuée. La jurisprudence établit que, dans de telles circonstances, la divulgation doit être « suffisante » ou « raisonnable » : voir Marengère, précité.

 

[38]           Il est allégué que M. Martel, même s'il a révélé qu'il n'avait pas réussi à rencontrer le demandeur, a omis de divulguer des faits importants qui auraient aidé le demandeur et qui auraient contredit l'allégation selon laquelle ce dernier n'avait pas coopéré et s'était montré évasif, en particulier, quant à la version des faits contestés donnée par le demandeur à l'égard des conversations qu'il avait eues avec M. Martel au sujet de son statut de résident et de la transmission de sa carte de résidence. Le demandeur allègue que l'omission d'inclure ce renseignement dans la divulgation indique que la défenderesse n'était pas de bonne foi et que la divulgation n'était pas complète, qu'elle n'était pas équitable et qu'elle n'était pas franche.

 

[39]           Ci-dessus dans les présents motifs, j'ai tranché en faveur de la défenderesse la question de la preuve contradictoire se rapportant au fait que le demandeur s'était montré évasif ainsi qu'à sa carte de résidence. J'ai retenu la preuve soumise par M. Martel. Compte tenu de la preuve que j'ai reconnue comme crédible, je conclus que rien ne permet d'étayer l'argument du demandeur. Dans ces conditions, je conclus que la communication était suffisante et raisonnable. L'Agence a satisfait aux obligations qui lui incombaient sur le plan de la divulgation lorsqu'elle a demandé l'ordonnance de recouvrement de protection.

 

6.         Conclusion

[40]           Pour les motifs susmentionnés, la requête sera rejetée.


 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.         La requête en révision, présentée conformément au paragraphe 225.2(8) de la Loi de l'impôt sur le revenu, à l'égard de l'ordonnance rendue par la Cour le 12 juillet 2006 est rejetée.

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1169-06

 

INTITULÉ :                                                   SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                        c.

                                                                        MICHAEL (MALEK) CHAMAS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 4 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 22 DÉCEMBRE 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher Mostovac

(514) 397-0013

POUR LE DEMANDEUR

 

Véronica Romagnino

(514) 496-2562

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Christopher Mostovac

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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