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Date : 20061221

Dossier : IMM-3084-06

Référence : 2006 CF 1540

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

TESFALEM MEKONEN WOLDESELASSIE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur dépose la présente demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant la décision rendue le 11 mai 2006 par Andrew Rozdilsky de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, dans laquelle la SAI maintient la décision d’une agente des visas qui a conclu que la fille illégitime du demandeur n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial en application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement), car le demandeur n’avait pas divulgué son existence, ni quand il a déposé sa demande, ni quand il est entré au Canada à titre de résident permanent. 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[2]               Indépendamment des trois questions différentes soulevées par le demandeur, les questions à trancher, à mon avis, peuvent être résumées ainsi :

1.                  La SAI a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit en appliquant l’alinéa 117(9)d) du Règlement en l’espèce?

2.                  Question constitutionnelle : L’alinéa 117(9)d) est-il trop général et contrevient-il au principe de primauté du droit en interdisant le parrainage de membres de la famille quand le parrain ignorait à l’époque en cause l’existence de la personne parrainée?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, il faut répondre par l’affirmative à la première question. La question constitutionnelle est un principe juridique établi. Par conséquent, la présente demande sera accueillie en raison de la première question.

 

LE CONTEXTE

[4]               Le demandeur, marié depuis 1984, est un citoyen canadien qui est né le 7 mai 1963 à Asmara, en Éthiopie (aujourd’hui en Érythrée). Il a fui l’Érythrée aux prises avec des désordres en 1986 et il s’est réfugié au Soudan. En 1989, le demandeur a quitté le Soudan et il s’est établi à Rome, en Italie, à titre de réfugié apatride. Son épouse l’a rejoint, également à titre de réfugiée apatride, en août 1990.

 

[5]               Au cours de cette période où il a été séparé de son épouse, le demandeur a eu une aventure à Rome, avec une jeune femme originaire de la même région que lui, en mars et en avril 1990. La jeune femme était enceinte quand elle a quitté Rome pour retourner chez elle, mais les amants l’ignoraient. Le 12 janvier 1991, la jeune femme a donné naissance à une fille, Helen Tesalem‑Mekonen, en Érythrée. Peu après la naissance, elle a emmené l’enfant chez la mère du demandeur, lui a annoncé qu’elle était sa petite‑fille et lui a demandé de l’élever. La mère du demandeur a élevé l’enfant, qui a maintenant 15 ans et qui fait l’objet de la demande de parrainage rejetée du demandeur.

 

[6]               Le 22 mai 1990, le demandeur a demandé la résidence permanente au Canada et a rempli le formulaire IMM8 intitulé Demande de résidence permanente au Canada. Le demandeur a inscrit son épouse, Haymanot Teklit Gezahegn, comme personne à charge. Le couple marié n’avait pas d’enfant. Le 14 janvier 1992, le demandeur et son épouse, ayant finalement obtenu des visas pour le Canada, sont tous deux devenus résidents permanents ce jour-là.

 

[7]               Après avoir tenté deux fois en vain d’obtenir un visa de touriste pour que sa fille puisse venir les visiter au Canada, le demandeur a reçu l’autorisation de la parrainer. Cependant, le 18 juillet 2005, il a été informé par le haut‑commissariat canadien à Nairobi, au Kenya, que sa fille, selon l’alinéa 117(9)d) du Règlement, ne pouvait être parrainée au Canada à titre de membre de la catégorie du regroupement familial, car elle n’avait pas fait l’objet d’un contrôle à l’époque où le demandeur avait déposé sa demande de résidence permanente et avait été accepté à titre de résident permanent du Canada.

 

[8]               Aucune preuve n’indique qu’il a été demandé à l’agente des visas ou à la SAI d’exercer son pouvoir discrétionnaire applicable dans des circonstances d’ordre humanitaire pour ne pas exclure la fille du demandeur en application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement.

 

LA DÉCISION À L’ÉTUDE

[9]               La question devant la SAI était de savoir s’il était interdit au demandeur de parrainer sa fille après avoir omis de divulguer son existence à l’époque où il avait demandé la résidence permanente au Canada. La SAI a conclu que le demandeur ne pouvait pas parrainer sa fille à titre de membre de la catégorie du regroupement familial, car il avait omis de divulguer son existence tant à l’époque où sa demande avait été examinée qu’à l’époque où il avait immigré à titre de résident permanent au Canada.

 

[10]           Pour en venir à sa décision, la SAI a pris en considération la preuve qui avait été soumise à l’agente des visas, dont le certificat de baptême de la fille, des photographies, des preuves faisant état de communications comme des factures de téléphone, ainsi que des états financiers montrant que le demandeur avait soutenu financièrement l’enfant. La SAI a également pris en considération le fait que la mère de l’enfant avait accepté que sa fille vienne habiter avec son père au Canada. L’identité du père de l’enfant n’est pas en cause. Finalement, la SAI disposait des notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (notes du STIDI), où l’agente des visas avait exposé comment elle avait procédé à l’évaluation et pris sa décision.

 

[11]           Dans son témoignage à l’audience tenue le 12 avril 2006, le demandeur a affirmé qu’il avait été interrogé et informé de l’approbation de sa demande de résidence permanente avant la naissance de son enfant le 12 janvier 1991 et qu’il n’a appris l’existence de l’enfant qu’après son arrivée au Canada. Le demandeur a témoigné que, lorsque lui et son épouse sont arrivés au Canada, ils sont entrés en contact avec quelqu’un à Asmara, la capitale, pour que cette personne informe sa famille qu’ils étaient en sécurité au Canada. À la suite de cet appel, il a pu parler à sa mère, qui lui a annoncé qu’il avait une fille.

 

[12]           Il n’est pas surprenant que la SAI ait conclu qu’on lui demandait de faire preuve de beaucoup de naïveté, en termes modérés, en acceptant que le demandeur ait ignoré l’existence de sa fille avant son installation au Canada puis qu’il ait attendu qu’elle soit adolescente avant de la parrainer pour qu’elle vienne au Canada. De plus, la SAI a conclu que, même si elle avait ajouté foi à la preuve du demandeur, l’appel ne pouvait pas être accueilli parce que le libellé du Règlement était clair. Le demandeur n’avait déclaré sa fille ni au moment où sa demande avait été examinée ni au moment où il était entré à titre de résident permanent au Canada. Puisque sa fille n’avait pas été nommée en tant que personne à charge dans la demande de résidence permanente du demandeur et puisqu’elle n’avait pas fait l’objet d’un contrôle, elle n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial. En conséquence, l’appel a été rejeté.  

 

LES DISPOSITIONS PERTINENTES

[13]           Les passages pertinents de la législation applicable sont rédigés ainsi :

117. Restrictions

117. Excluded relationships

(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

[. . .]

[. . .]

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

 

 

 

 

 

Analyse

La norme de contrôle

 

[14]           La principale question soulevée dans la présente demande porte sur l’interprétation qu’a faite la SAI des passages pertinents du Règlement et ensuite sur son application de ces dispositions aux faits en l’espèce. En conséquence, l’affaire porte donc sur des questions mixtes de fait et de droit. Comme l’a établi mon collègue le juge James Russell dans la décision Ly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 4 C.F. 658 (1re inst.), au paragraphe 20, la norme de contrôle applicable aux questions mixtes de fait et de droit est la décision raisonnable simpliciter.

 

[15]           La définition de la décision raisonnable a été donnée pour la première fois par le juge Iacobucci dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam, [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56, de la manière suivante :

[…] Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s’il en est, pourrait découler de la preuve elle‑même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n’avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l’encontre de l’essentiel de la preuve. Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable.

 

[16]           En outre, dans l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, le juge Iacobucci a précisé sa pensée quant à la décision raisonnable simpliciter. Je m’appuie entièrement sur les explications qu’il a fournies aux paragraphes 55 et 56 de l’arrêt Ryan, précité, reproduits intégralement ici :

La décision n’est déraisonnable que si aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait. Si l’un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n’est pas déraisonnable et la cour  de révision ne doit pas intervenir (Southam, par. 56). Cela signifie qu’une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux de la cour de révision (voir Southam, par. 79).

 

Cela ne signifie pas que chaque élément du raisonnement présenté doive passer individuellement le test du caractère raisonnable. La question est plutôt de savoir si les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision. Une cour qui applique la norme de la décision raisonnable doit toujours évaluer si la décision motivée a une base adéquate, sans oublier que la question examinée n’exige pas un résultat unique précis. De plus, la cour ne devrait pas s’arrêter à une ou plusieurs erreurs ou composantes de la décision qui n’affectent pas la décision dans son ensemble.

 

[17]           En conséquence, la Cour ne modifiera la décision de la SAI que si ses motifs ne sont pas étayés par la preuve dont elle disposait.

 

 

1.         La SAI a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit en appliquant l’alinéa 117(9)d) du règlement en l’espèce?

 

[18]           J’ai examiné attentivement les arguments du demandeur, ainsi que la décision de la SAI et le dossier de la preuve sur lequel elle a fondé sa décision. Je les ai mis en balance avec les arguments du défendeur. Les deux parties ont également présenté de nombreux précédents concernant tant l’interprétation de l’alinéa 117(9)d) que la distinction avancée par le demandeur entre la non‑divulgation innocente et la non‑divulgation frauduleuse de l’existence d’un membre de la famille n’accompagnant pas le répondant. À ce sujet, voir la décision de la Cour Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 678, [2005] A.C.F. n852 (C.F.) (QL), au paragraphe 10, où il est affirmé que ni la Loi ni le Règlement n’établissent de distinction entre les déclarations délibérément fausses et les déclarations inexactes faites innocemment.

 

[19]           Dans la décision De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. n1557 (C.F.) (QL), mon collègue le juge Michael Kelen clarifie l’objet du passage en cause du Règlement, au paragraphe 35, où il affirme :

Je suis convaincu que l’alinéa 117(9)d) du Règlement a pour objet la bonne administration de la législation canadienne en matière d’immigration. Il est raisonnable que la législation en matière d’immigration exige qu’un demandeur de résidence permanente divulgue, dans sa demande, l’existence de tous les membres de sa famille. Autrement, la demande de résidence permanente ne pourrait pas être évaluée correctement aux fins de la législation en matière d’immigration. Par conséquent, l’alinéa 117(9)d) du Règlement existe à des fins pertinentes, à savoir aux fins de prévenir la dissimulation frauduleuse de circonstances importantes qui peuvent empêcher le demandeur d’être admis au Canada.

 

 

 

[20]           Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale et la demande d’autorisation de pourvoi auprès de la Cour suprême du Canada a été rejetée. Les parties ont également porté à l’attention de la Cour plusieurs précédents, dont :

·        Akhter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 481, [2006] A.C.F. n607 (C.F.) (QL);

·        Azizi c. (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 406, [2005] A.C.F. n2041 (C.A.) (QL);

·        Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 678, [2005] A.C.F. n 852 (C.F.) (QL);

·        Chun Xiang Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] D.S.A.I. n30 (QL);

·        Collier c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1209, [2004] A.C.F. n1445 (C.F.) (QL);

·        Jean-Jacques c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 104, [2005] A.C.F. n131 (C.F.) (QL);

·        Natt c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. n997 (C.F.) (QL);

·        Preclaro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1063, [2005] A.C.F. n1313 (C.F.) (QL).

Ces décisions portent toutes sur l’application de l’alinéa 117(9)d). Je cite ces décisions uniquement parce que, dans chacune d’entre elles, le membre de la famille du répondant n’accompagnant pas le répondant était, au moment de la demande, une personne vivante que le répondant connaissait. En outre, dans ces affaires, un choix avait été fait, c’est‑à‑dire que la décision avait été prise, pour différentes raisons, de ne pas divulguer l’existence du ou des membres à charge de la famille n’accompagnant pas le répondant.

 

[21]           La présente affaire se distingue de ces nombreux précédents en ce que le membre de la famille n’accompagnant pas le répondant était en l’espèce un enfant à naître. De plus, les circonstances entourant la conception de ce membre de la famille qui était encore à naître et qui n’accompagnait donc pas le répondant sont telles que ni l’une ni l’autre des personnes engagées dans cette liaison ne savaient qu’elles attendaient un enfant. En effet, le demandeur a affirmé que sa brève relation avec la jeune femme avait duré environ deux mois, de mars à avril 1990, juste avant qu’elle retourne en Érythrée.

 

[22]           En conséquence, quand le demandeur a demandé la résidence permanente au Canada et a rempli le formulaire IMM8 intitulé Demande de résidence permanente au Canada, le 22 mai 1990, la jeune femme entamait le premier trimestre de sa grossesse. Non seulement la grossesse ne présentait aucun signe visible à ce stade, mais en plus la jeune femme avait quitté Rome en avril, ignorant elle‑même qu’elle était enceinte. Aussi, sur le plan pratique, la jeune femme n’était pas l’épouse du demandeur, de sorte que celui‑ci n’entretenait pas avec elle une relation à long terme qui l’aurait préparé à s’attendre à cette nouvelle.

 

[23]           Pourtant, l’agente des visas s’est servie de ce même formulaire IMM8, la demande de résidence permanente au Canada, pour rejeter la demande de l’enfant parrainé. Il convient de noter le contenu des notes du STIDI relatives à la déclaration de l’enfant :

[traduction]

17 mai 2005

Bonjour Rome! Je travaille actuellement sur la sélection sur documents d’une demande de RF3 que nous avons reçue à Nairobi. J’essaie de confirmer si le parrain dans mon dossier a déclaré ou non la DP quand il a lui‑même fait l’objet d’un examen par votre bureau pour entrer au Canada en tant que RC3. Pourriez-vous vérifier si vous avez le formulaire IMM8 pour votre dossier B021108485, qui serait au nom de WOLDESELASSIE, Tesfalem Mekonnen (né le 7 mai 1963, à Asmara, Éthiopie). M. WOLDESELASSIE est entré au Canada en qualité de résident permanent le 14 janvier 1992. Notre DP RF3 est née en janvier 1991. J’aimerais que vous confirmiez si vous avez ou non le formulaire IMM8 que je demande. Si vous l’avez, veuillez m’en envoyer une copie par télécopieur au […] ou m’en envoyer une copie numérisée par courriel.

 

17 mai 2005

J’ai maintenant reçu la copie numérisée de l’IMM8 du parrain, tel qu’on me l’a envoyée par Demandes-IMM8 […] L’IMM8 du parrain a été signé le 22 mai 1990 et la présente DP n’est pas nommée comme personne à charge […] cet IMM8 date d’avant la naissance de la DP.

 

12 juillet 2005

-L’examen continue :

-Comme je l’ai indiqué plus haut, nous avons une copie de l’IMM8 au dossier du parrain et il n’a pas déclaré cette personne à charge.

-Ainsi, il ne répond pas aux exigences de l’alinéa 117(9)d) du Règlement.

-La demande est refusée.

 

13 juillet 2005

-Ébauche de la lettre de refus au dossier.

 

18 juillet 2005

-Lettre de refus signée.

 

 

[24]           Les motifs du refus sont exposés ainsi :

[traduction]

Madame Mekonen,

 

J’ai maintenant terminé l’examen de votre demande de visa de résident permanent à titre de membre de la catégorie du regroupement familial, la catégorie dans laquelle vous avez fait votre demande. J’ai conclu que vous ne satisfaites pas aux critères pour immigrer au Canada.

 

[. . .]

 

Votre parrain a omis de vous nommer comme personne à charge dans sa demande de résidence permanente au Canada. Il n’a pas inscrit votre nom là où il devait écrire les renseignements personnels de toutes les personnes à sa charge dans son formulaire de demande. En conséquence, j’ai conclu que vous n’appartenez pas à la catégorie du regroupement familial.

 

 

[25]           L’agente des visas a de toute évidence commis une erreur en ne mentionnant pas un élément important qui a joué un rôle dans sa décision de rejeter la demande. Sans aucun doute, il était déraisonnable pour l’agente des visas de ne pas tenir compte du fait que l’enfant parrainée était née près de huit mois après que le formulaire IMM8 eut été rempli, ce qui faisait qu’elle n’aurait pas pu être incluse comme personne à charge.

 

[26]           J’ai examiné les nombreux précédents présentés par le défendeur à la SAI, qui portent sur la divergence entre les décisions de la Cour au sujet de la définition ou de la signification des expressions « à la suite d’une demande » (en anglais, « made an application ») et « à l’époque où cette demande a été faite ». D’une part, il y a les décisions qui suivent les conclusions tirées par mon collègue le juge Sean Harrington dans Dela Fuente c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 992, [2005] A.C.F. n1219 (C.F.) (QL), pour qui, selon son interprétation du Règlement, faire une demande renvoie à l’acte de soumettre la demande à l’ambassade du Canada.

 

[27]           L’autre courant de jurisprudence suit l’interprétation adoptée par la juge Carolyn Layden‑Stevenson dans la décision Dave c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 510, [2005] A.C.F. n686 (C.F.) (QL). Dans cette affaire, M. Dave s’était marié entre le moment où il avait soumis sa demande de résidence permanente et le moment où il avait reçu son visa. N’ayant pas nommé son épouse dans sa demande de résidence permanente, tant l’agent des visas que la SAI l’avaient empêché, en application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement, de la parrainer en tant que membre de la catégorie du regroupement familial. La Cour avait conclu au paragraphe 12 :

[…] L'expression « à l'époque où cette demande a été faite » comprend la période qui va de la présentation de la demande jusqu'à l'octroi de la résidence permanente. S'il en était autrement, tout demandeur pourrait contourner les dispositions législatives en remplissant et en présentant simplement sa demande avant de se marier.

 

[28]           Cette divergence entre les décisions de la Cour sur la signification du mot demande a été résolue récemment par la Cour d’appel fédérale, qui a infirmé la décision du juge Harrington dans Dela Fuente c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CAF 186, [2006] A.C.F. n774 (C.A.) (QL), et a conclu en faveur de Dave, aux paragraphes 37 à 40 :

Le différend dont la Cour est saisie ne concerne pas le sens des mots « cette demande ». L’intimée n’en disconvient pas, au paragraphe 67 de son exposé des faits et du droit. Toutes les décisions rendues à ce jour par la Cour fédérale l’ont d’ailleurs été sur le fondement selon lequel les mots « cette demande » dans l’expression « l’époque où cette demande a été faite » s’entend de la demande de résidence permanente, qui débute par le dépôt du formulaire autorisé auprès du bureau des visas désigné.

 

Le point qu’il faut éclaircir, c’est le sens du mot « époque » employé dans l’expression « à l’époque où cette demande a été faite ». S’agit‑il de l’époque où la demande est déposée au bureau des visas comme l’a dit le juge de première instance, ou s’agit‑il de l’époque qui va du dépôt de la demande jusqu’au jour où l’étranger devient résident permanent, selon la décision Dave?

 

Reconnaissant que l’expression peut légitimement être interprétée des deux manières, je suis arrivé à la conclusion que l’interprétation proposée dans la décision Dave doit l’emporter, pour les raisons suivantes.

 

Ainsi que le faisait observer la juge Layden‑Stevenson dans la décision Dave, et comme le montre la présente affaire, limiter la portée de la disposition à l’époque où le répondant dépose la demande au bureau des visas reviendrait à permettre aux étrangers de contourner tout simplement l’alinéa 117(9)d) en modifiant leur situation matrimoniale après avoir demandé un visa de résident permanent.

 

 

[29]           En appliquant ce principe à la décision rendue par la SAI, je suis d’avis que la SAI a omis de corriger l’erreur commise par l’agente des visas à l’époque où la demande a été soumise. La SAI a ensuite affirmé au paragraphe 9 de ses motifs :

Le tribunal conclut qu’il est très peu probable que, pendant qu’il attendait sa réinstallation au Canada avec son épouse, l’appelant ait eu une brève liaison avec une très jeune femme de sa ville natale en Érythrée, qu’elle soit tombée enceinte, qu’elle ait porté sa fille sans qu’il ne le sache, qu’elle ait ensuite donné sa fille à la mère de l’appelant, qui l’a élevée pratiquement de sa naissance jusqu’à son adolescence, et que l’appelant n’ait été mis au courant de son existence que peu de temps après son arrivée au Canada, mais qu’il ne l’ait pas parrainée avant qu’elle n’atteigne l’adolescence.

 

 

[30]           Toutefois, le certificat de naissance de la fille du demandeur et la preuve faisant état de l’arrivée de son épouse à Rome en août 1990 montrent que le demandeur n’a pas eu sa brève liaison pendant qu’il attendait de se réinstaller au Canada avec son épouse. À l’époque en question, l’épouse était une réfugiée au Soudan qui attendait d’être transférée à Rome pour y rejoindre son mari. La preuve révèle que la jeune femme avec qui le demandeur a eu une liaison a quitté Rome vers la fin d’avril, bien avant qu’elle puisse obtenir une confirmation médicale de sa grossesse, et bien encore plus avant qu’elle soit en mesure de l’apprendre au demandeur.

 

[31]           La SAI n’a tiré aucune conclusion quant à la crédibilité du demandeur ni mis en question la véracité de son témoignage quand il a expliqué pourquoi il ne savait rien de la grossesse ni de la naissance de sa fille avant qu’il arrive au Canada avec son épouse. En particulier, le demandeur a témoigné ainsi : 

[traduction]

Q.        Quand avez-vous découvert que vous aviez une fille?

 

R.         Je l’ai appris juste après mon arrivée au Canada. Quand j’ai appelé chez moi, ma mère m’a dit que j’avais une fille. Mais pendant que j’étais en Italie, je n’ai pas appelé, parce que c’est une petite ville. Il n’y avait pas de télécommunications à l’époque. Je l’ai appris quand je suis arrivé au Canada. Oui, il n’y a toujours pas de télécommunication, pas de communication par téléphone. 

 

Q.        Alors –

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Juste pour que ce soit clair, peut-on préciser l’endroit où il n’y avait pas de communication par téléphone, en Italie ou dans le pays où l’enfant est née?

 

R.         En 1991, il y avait une guerre entre l’Éthiopie et l’Érythrée. À cause de cette guerre, il y avait des télécommunications. Il n’y avait pas de communication (incompréhensible) par téléphone, ni par courrier, à cause de la situation à l’époque. Quand j’étais en Italie, aussi, même moi je ne pouvais pas communiquer assez avec ma famille en raison des problèmes du manque de communication, les problèmes de communication et de courrier.

 

[…]

 

Q.        Pouvez-vous seulement nous dire comment vous avez appris au sujet de votre fille? Commencez par ça. Dites-nous comment vous l’avez appris.

 

L’INTERPRÈTE : Vous voulez dire comment il a appris qu’il avait une fille?

 

M. OMONUWA : Oui.

 

R.         J’ai – pendant que j’étais ici, j’ai juste appelé ma famille et ils m’ont dit que j’avais une fille et je l’ai juste – appris ici, en fait. Et aussi les choses en – 

 

L’INTERPRÈTE : Laissez-moi juste le lui demander encore une fois.

 

R.         J’ai juste appris que j’avais une fille le jour où j’ai appelé d’ici, que j’avais une fille. C’est le seul moment où j’ai appris que j’avais une fille.

 

[32]           La SAI n’ayant pas mis en question les explications du demandeur concernant les conditions dans le pays et les problèmes de communication en Érythrée en 1991, à mon sens, il n’était pas raisonnable pour elle de simplement faire part de son étonnement relativement au récit du demandeur sans fournir de motifs étayant cette réaction. Parce que cette réaction a teinté sa décision et aussi parce que la crédibilité des autres documents à l’appui n’a pas été mise en cause, je conclus qu’il n’était pas raisonnable pour la SAI de maintenir la décision de l’agente des visas.

 

2.         Question constitutionnelle : L’alinéa 117(9)d) est-il trop général et contrevient-il au principe de primauté du droit en interdisant le parrainage de membres de la famille quand le parrain ignorait à l’époque en cause l’existence de la personne parrainée

 

[33]           Selon le demandeur, il faut considérer comme étant un élément constitutif de l’alinéa 117(9)d) la connaissance par le répondant de l’existence du membre de la famille ne l’accompagnant pas, sinon il serait illogique d’exiger du demandeur qu’il nomme un membre de sa famille qu’il ne connaît pas à l’époque où il a fait sa demande de résidence permanente. Le demandeur soutient qu’une personne ne peut divulguer que les renseignements qu’elle connaît. En conséquence, l’alinéa 117(9)d) ne devrait pas servir à fonder le refus d’une demande de parrainage quand le parrain ignorait l’existence de l’enfant à l’époque où il est devenu résident permanent du Canada.

 

[34]           Le demandeur soutient également que l’application « rigide » de l’alinéa 117(9)d), dans les affaires où la non‑divulgation était involontaire ou innocente (affaires où il y a ignorance), viole les principes de justice fondamentale garantis par l’article 7 de la Charte dans la mesure où elle limite sans motif valable son droit à parrainer un membre de sa famille et à être réuni avec lui.

 

[35]           Comme le souligne à juste titre le défendeur, l’alinéa 117(9)d) est constitutionnellement valable. La question a été posée à mon collègue le juge Kelen et il y a répondu dans la décision De Guzman, précitée, aux paragraphes 56 à 71. Il est important de reproduire les conclusions tirées par le juge Kelen aux paragraphes 70 et 71 :

Compte tenu de mes conclusions selon lesquelles il n’a pas été porté atteinte à l’article 7 de la Charte, je n’ai pas à examiner la question de savoir si, suivant l’article 1 de la Charte, une telle atteinte est justifiée à titre de limite raisonnable dans une société libre et démocratique. Cependant, j’énoncerai mon opinion à titre subsidiaire. La liberté, dans une société libre et démocratique, doit faire l’objet de limites raisonnables. Le droit d’une personne à la liberté est assujetti au droit du pays. À mon avis, la restriction prévue par l’alinéa 117(9)d) du Règlement, lorsqu’elle est associée à l’article 25 de la LIPR, est une limite raisonnable. C’est en outre une limite raisonnable des droits de la demanderesse garantis par l’article 7 de la Charte.

 

CONCLUSION

 

Pour les motifs énoncés, j’ai conclu que :

 

1. l’alinéa 117(9)d) du Règlement ne contrevient pas à la LIPR;

 

2. l’alinéa 117(9)d) du Règlement est rédigé dans un langage législatif simple et clair et n’est pas soumis à une interprétation suivant l’alinéa 3(3)f) de la LIPR dans le contexte des obligations internationales du Canada résultant des conventions portant sur les droits de l’homme;

 

3. l’alinéa 117(9)d) du Règlement est constitutionnel et compatible avec l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

[36]           La question ayant déjà été tranchée par la Cour, il n’est pas nécessaire de répondre à la contestation constitutionnelle de l’alinéa 117(9)d) du Règlement que soulève le demandeur.

 

[37]           Le demandeur propose que les deux questions suivantes soient certifiées :

[traduction]

1.  L’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés a-t-il pour effet d’exclure de la catégorie du regroupement familial les membres de la famille du répondant qui n’accompagnaient pas ce dernier et dont l’existence était inconnue de celui-ci à l’époque où il a fait sa demande de résidence permanente et où il s’est établi au Canada?

 

2.  Le cas échéant, l’alinéa 117(9)d) du RIPR est-il est inconstitutionnel étant donné qu’il prive le demandeur de son droit à la liberté et de son droit à la sécurité de sa personne d’une façon incompatible avec les principes de justice fondamentale, en contravention de l’article 7 de la Charte?

 

[39]      Le défendeur s’oppose à ces questions parce qu’elles ne transcendent pas les intérêts des parties au litige et n’abordent pas des considérations de grande portée ou d’application générale. Le défendeur soutient également que les questions proposées ne conviennent pas à la certification, car la Cour et la Cour d’appel fédérale y ont déjà répondu. Il ajoute que les deux questions ont été examinées en profondeur et ne doivent pas être certifiées.

 

[40]                                                                                          Je considère que seule la première question satisfait aux critères de la certification.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3084-06

 

INTITULÉ :                                                   TESFALEM MEKONEN WOLDESELASSIE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION                                                            

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 7 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 21 DÉCEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Odaro Omonuwa                                             POUR LE DEMANDEUR

                                                                                               

Omar Siddiqui                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Odaro Omonuwa                                             POUR LE DEMANDEUR

Winnipeg (Manitoba)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

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