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Date : 20061220

Dossier : T‑2149‑05

Référence : 2006 CF 1535

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROBERT L. BARNES

 

 

ENTRE :

GRANT R. WILSON

demandeur

et

 

REVENU CANADA et

SA MAJESTÉ LA REINE

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente affaire a été entendue à London, en Ontario, le 21 novembre 2006 et intéressait deux requêtes contradictoires. Le demandeur, Grant Wilson, demandait, en vertu de l’article 8 des Règles des Cours fédérales, une ordonnance lui accordant une prorogation du délai pour porter en appel l’ordonnance par laquelle la protonotaire Milczynski a rejeté son action contre les défendeurs. Les défendeurs ont présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, pour empêcher le demandeur de continuer la présente action ou d’engager d’autres instances contre eux, sauf avec l’autorisation de la Cour.

 

Historique de la procédure

[2]               M. Wilson a des démêlés avec Revenu Canada depuis longtemps. Le litige a pris naissance en 1991 après que Revenu Canada eut annulé un paiement de remboursement d’impôt de 495 159,06 $ et retiré ces fonds du compte que le demandeur avait à Canada Trust par voie de revendication en main tierce.

 

[3]               Revenu Canada a toujours maintenu que le paiement du remboursement avait été fait par erreur parce que M. Wilson devait une somme plus élevée en impôts impayés et qu’il n’avait donc droit qu’à l’imputation du paiement sur sa dette fiscale. M. Wilson était d’un autre avis mais ce n’est qu’en 1999 qu’il a intenté une action (l’action de 1999) contre Revenu Canada pour essayer de recouvrer le remboursement d’impôt, et pour demander des dommages‑intérêts de 60 000 000 $ pour entrave illégale aux intérêts financiers et des dommages‑intérêts exemplaires de 1 000 000 $. Dans la déclaration modifiée qu’il a produite dans le cadre de l’action de 1999, M. Wilson a allégué que la saisie du remboursement d’impôt effectuée en 1991 était illégale et qu’elle a effectivement entraîné la faillite de la société canadienne GRW Industries (1985) Limited dont il était propriétaire et la perte d’ [TRADUCTION] « actifs personnels importants ».

 

[4]               Je n’insisterai pas trop sur l’historique de l’action de 1999 parce que celui‑ci est bien documenté dans les décisions antérieures de la Cour. Il suffit de noter que cette action a été rejetée dans l’ordonnance que le juge James Hugessen a rendue le 16 juillet 2003, au motif que M. Wilson n’avait pas répondu convenablement aux questions ni respecté les engagements qu’il avait pris à l’interrogatoire préalable. En outre, il n’est pas contesté que M. Wilson n’a pas comparu à l’audience devant le juge Hugessen, même si les documents concernant la requête lui avaient été dûment signifiés. Le juge Hugessen a notamment tenu les propos suivants :

                        [TRADUCTION]

Le demandeur a à maintes reprises omis de répondre aux questions appropriées à l’interrogatoire préalable, de fournir des réponses convenables aux engagements et de produire les documents requis; les ordonnances de la Cour semblent ne pas avoir d’effet sur lui. La requête des défendeurs est par conséquent accueillie avec dépens à être taxés et l’action est rejetée avec dépens.

 

 

[5]               M. Wilson n’a pas immédiatement porté en appel l’ordonnance du juge Hugessen. Il a plutôt présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance de réexamen, mais il lui a fallu 14 mois pour se décider à le faire. Cette requête était fondée sur l’allégation suivant laquelle son omission de comparaître devant le juge Hugessen était imputable à une erreur de son avocat. La juge Anne Mactavish a entendu la requête de M. Wilson et l’a rejetée le 25 novembre 2004. Dans ses motifs, elle a qualifié de « long et tortueux » l’historique de l’affaire et elle a noté à juste titre l’omission de M. Wilson de répondre aux questions appropriées et de respecter les engagements qu’il avait pris à l’interrogatoire préalable. Elle a également noté son omission d’obéir aux ordonnances du protonotaire Robert Lafrenière lui enjoignant de répondre aux questions auxquelles il avait refusé de répondre au cours d’interrogatoires préalables précédents. Après avoir récapitulé l’historique des rapports de M. Wilson avec son avocat, la juge Mactavish a conclu que l’omission de M. Wilson de réagir à la requête en rejet présentée par les défendeurs n’était pas imputable à une erreur. De plus, elle a jugé que M. Wilson n’avait pas réussi à établir prima facie que l’ordonnance du juge Hugessen devait être annulée. Elle a estimé que l’examen du dossier révélait « un historique de retards, d’obstruction et de non‑respect des directives de la part de M. Wilson ».

 

[6]               M. Wilson n’a rien fait pendant plus de cinq mois, mais il a finalement trouvé le moyen de présenter une requête en réexamen de l’ordonnance de la juge Mactavish fondée sur un élément de preuve prétendument nouveau. Encore une fois, la juge Mactavish a rejeté la requête de M. Wilson et conclu que le soi‑disant « nouvel » élément de preuve avait déjà été en la possession de M. Wilson. Elle a jugé que, même si cette preuve avait été perdue, comme M. Wilson le prétendait, il ne pouvait raisonnablement s’agir d’une preuve impossible à découvrir. Elle a ensuite poursuivi en affirmant que le « nouvel » élément de preuve n’aurait pas changé sa décision antérieure même s’il avait été porté à sa connaissance à l’époque de l’instruction de la première requête en réexamen.

 

[7]               M. Wilson a ensuite demandé une prorogation du délai pour porter en appel la décision rejetant l’action de 1999. Cette requête a été rejetée avec dépens dans une ordonnance rendue par le juge Gilles Létourneau de la Cour d’appel fédérale le 8 décembre 2005. Les motifs de l’ordonnance décrivaient notamment la conduite de M. Wilson devant la Cour comme [TRADUCTION] « un abus de la procédure de la Cour fédérale » qui [TRADUCTION] « ne devrait pas être toléré ».

 

[8]               Le dossier se rapportant à l’action de 1999 fait également état d’une litanie de problèmes liés à la signification des documents à M. Wilson qui étaient attribuables en grande partie à de nombreux changements d’adresse, à l’utilisation d’une adresse de réexpédition et à des changements fréquents d’avocats. Il avait également plusieurs ordonnances de dépens impayées découlant de cette procédure.

 

[9]               Au moment où l’action de 1999 touchait presque à sa fin, M. Wilson a intenté une seconde action contre les défendeurs le 13 novembre 2005 (l’action de 2005). Tout comme ce fut le cas dans les actes de procédure produits dans le cadre de l’action de 1999, la déclaration relative à l’action de 2005 s’articulait principalement autour de la saisie du remboursement d’impôt de M. Wilson en 1991. Les deux ensembles d’actes de procédure comportaient une demande de recouvrement des fonds et décrivaient la mesure de saisie prise par les défendeurs comme étant illicite, injustifiée, illégale ou contraire à la loi. Dans les deux actions, la demande de M. Wilson en vue d’obtenir des dommages‑intérêts exemplaires ou punitifs se fondait sur des allégations d’entrave délictueuse ou illégale à ses intérêts financiers résultant de la saisie en 1991 de son remboursement d’impôt.

 

[10]           Les seules différences importantes qu’on peut déceler entre les actes de procédure produits dans le cadre des deux actions consistent en de vagues allégations nouvelles concernant un avis de cotisation émis par Revenu Canada en juin 2005 et en des allégations de déclarations trompeuses attribuées aux défendeurs, ou à leurs avocates, qui auraient été faites devant la Cour dans le contexte de l’action de 1999.

 

[11]           Compte tenu du recoupement important des allégations formulées par M. Wilson dans les actions de 1999 et de 2005, les défendeurs ont présenté une requête en radiation de la déclaration de 2005, en vertu de l’article 221, au motif que l’acte de procédure était frivole et vexatoire, qu’il constituait un abus de procédure et qu’il soulevait des questions déjà tranchées (à savoir le principe de l’autorité de la chose jugée). La requête a été examinée sur dossier par la protonotaire Milczynski qui a motivé sa décision en ces termes :

                        [TRADUCTION]

Le juge Hugessen a rejeté cette première action par ordonnance datée du 16 juillet 2003. Diverses requêtes en réexamen et une tentative d’appel de ce rejet ont été entamées, toutes sans succès. J’estime à cet égard toutefois que le fond de la première action est essentiellement repris dans la présente instance. Par conséquent, le défendeur allègue que la doctrine de la chose jugée s’applique et qu’il ne devrait pas se trouver dans une position où il aurait à débattre de la même affaire. Il allègue de plus que, en tout état de cause, la demande est dénuée de toute possibilité de succès parce que la plupart des mesures de réparation sollicitées par le demandeur dans la présente action relèvent de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt. Dans la mesure où la demande concerne une cotisation d’impôt sur le revenu pour laquelle le délai d’appel est expiré, le défendeur a raison. En outre, la mesure de réparation demandée dans la présente action, à savoir une ordonnance de mandamus en vue du paiement d’un remboursement d’impôt, est une mesure de réparation qui ne peut être sollicitée que par voie de demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, la présente requête doit être accueillie et l’action doit être rejetée.

 

 

[12]           M. Wilson n’a pas accepté le rejet de l’action de 2005 et a porté en appel la décision de la protonotaire Milczynski. Toutefois, comme dans nombre de ses initiatives judiciaires antérieures, M. Wilson n’a pas interjeté appel dans le délai de dépôt prévu par le paragraphe 51(2) des Règles. En conséquence, il a présenté la présente requête en prorogation du délai en vertu de l’article 8. Nul besoin de dire que les défendeurs non seulement s’opposent à la demande de réparation présentée par M. Wilson, mais sollicitent aussi une ordonnance en vertu de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, précitée, pour empêcher M. Wilson de continuer son action en réparation et d’engager d’autres actions contre eux sans d’abord en obtenir l’autorisation. Les défendeurs affirment que M. Wilson est un plaideur vexatoire et que la présente action l’est tout autant.

 

Analyse

La Cour devrait‑elle accorder à M. Wilson une prorogation de délai pour lui permettre de porter en appel l’ordonnance par laquelle la protonotaire Milczynski a rejeté l’action de 2005?

 

[13]           Même si la prorogation d’un délai par la Cour pour permettre à une partie d’engager une procédure hors délai repose sur l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, elle demeure néanmoins assujettie à l’application, le cas échéant, de plusieurs considérations déterminées.

 

[14]           Dans Jakutavicius c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 1488, 2004 CAF 289, la Cour d’appel fédérale a confirmé les cinq facteurs usuels à prendre en compte dans une requête comme celle en l’espèce. Ces facteurs sont les suivants :

1.                  Le demandeur avait‑il l’intention d’engager l’instance dans le délai prescrit par les Règles et a‑t‑il toujours eu cette intention par la suite?

2.                  Quelle est la longueur de la période pour laquelle la prorogation est demandée?

3.                  Dans quelle mesure, le cas échéant, la prorogation du délai causera‑t‑elle préjudice à la partie adverse?

4.                  Le demandeur peut‑il justifier son retard?

5.                  Existe‑t‑il des motifs justifiant l’annulation de l’ordonnance que le demandeur veut contester?

 

[15]           Dans la présente requête, les défendeurs reconnaissent que le délai était court et, en fait, ne s’étendait que sur quelques jours. De plus, les défendeurs ne prétendent pas que M. Wilson n’a pas toujours eu l’intention d’interjeter appel ni n’affirment que la prorogation leur causera un préjudice grave. Ils allèguent cependant que M. Wilson n’a pas fourni d’éléments de preuve pour justifier le fait qu’il n’avait pas interjeté appel dans le délai prescrit de 10 jours et, bien entendu, ils font valoir avec insistance l’absence de cause défendable susceptible de permettre au défendeur d’avoir gain de case dans son appel à l’encontre de l’ordonnance de la protonotaire Milczynski. Au sujet de cette dernière question, ils affirment que permettre à M. Wilson d’interjeter appel reviendrait à donner une autre vie à ce qui est déjà très clairement un litige vexatoire.

 

[16]           Compte tenu de la conclusion que j’ai tirée sur la question du bien‑fondé de l’appel éventuel de M. Wilson, il ne m’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si celui‑ci a produit une preuve suffisante pour justifier son retard dans le dépôt de l’appel.

 

[17]           Compte tenu du fait que l’ordonnance de la protonotaire Milczynski dans la présente affaire était une décision définitive mettant fin à l’action, je conviens qu’un juge chargé de la révision devrait examiner l’affaire de novo. En d’autres termes, une évaluation indépendante de la preuve et de ses conséquences juridiques serait nécessaire si la décision faisait l’objet d’un appel. Néanmoins, je ne vois rien dans la décision de la protonotaire Milczynski qui pourrait être qualifié d’erreur. En outre, je n’arrive pas à déceler de fondement probatoire ou juridique qui permettrait au juge chargé de la révision de parvenir à une conclusion différente.

 

[18]           Il est assez évident que les actes de procédure produits dans le cadre de l’action de 2005 répètent essentiellement les allégations et les demandes de réparation énoncées dans la déclaration produite dans le cadre de l’action de 1999. La loi prévoit très clairement qu’un demandeur ne peut remettre en cause une affaire lorsque l’action connexe a été rejetée en raison de manquements graves à la procédure ou d’une conduite répréhensible devant la Cour.

 

[19]           M. Wilson a soutenu qu’il n’a jamais eu droit à une décision sur le fond de sa plainte en justice. Il dit que le principe de l’autorité de la chose jugée s’applique seulement lorsqu’une décision sur le fond a été rendue antérieurement. M. Wilson a raison lorsqu’il affirme qu’il existe une jurisprudence qui limite l’application du principe de la chose jugée à une situation où une décision sur le fond a été rendue dans le passé. Il est toutefois bien établi que la doctrine de l’abus de procédure est une doctrine auxiliaire et complémentaire par rapport au principe de l’autorité de la chose jugée, et qu’elle empêche elle aussi la remise en cause dans certaines circonstances, son but étant de préserver l’intégrité du système judiciaire : voir Toronto (Ville) c. Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.), section locale 79, [2003] A.C.S. no 64, 2003 CSC 63, au paragraphe 38.

 

[20]           La question en l’espèce est de savoir s’il devrait simplement être fait abstraction, dans le cadre de la présente action, des inobservations répétées et flagrantes des règles et de la procédure de la Cour par M. Wilson, lesquelles ont entraîné le rejet de l’action de 1999. Il m’apparaît inconcevable que la Cour puisse un jour raisonnablement tolérer pareil aboutissement parce que cela encouragerait le mépris de la notion d’application régulière de la loi et porterait sérieusement atteinte aux intérêts et aux attentes raisonnables de la partie adverse.

 

[21]           Il s’agit d’une situation où la doctrine de l’abus de procédure interdisant la remise en cause s’applique clairement. En effet, les faits de la présente affaire sont presque identiques à ceux exposés dans la décision du juge François Lemieux dans Sauve c. Canada, [2002] A.C.F. no 1001, 2002 CFPI 721. Cette décision portait sur une tentative du demandeur de remettre en cause une affaire, alors qu’il avait déjà été débouté de sa demande en raison du non‑respect des directives de procédure de la Cour et de retards. La cause d’action et les faits substantiels invoqués par le demandeur dans la seconde action ont été décrits comme étant presque identiques à ceux qu’il a fait valoir dans la première action. En rejetant la seconde action comme un abus de procédure, le juge Lemieux a décrit les principes juridiques applicables dans l’extrait suivant tiré des paragraphes 16 à 22 de ses motifs :

16        Dans l’arrêt Lifeview Emergency Services, précité, la requête du demandeur a été radiée au détriment de celle des défendeurs en vertu d’une disposition des Règles de l’Alberta qui exigeait que des démarches pertinentes soient entreprises dans le cadre d’une action en justice. En d’autres mots, la requête a été rejetée pour défaut de poursuite. Le demandeur a plus tard abandonné l’action en justice contre les autres défendeurs mais a intenté une nouvelle action devant la Cour fédérale portant essentiellement sur les mêmes questions en litige que la Cour de l’Alberta avait été appelée à trancher.

 

17        Le juge Rothstein a indiqué, au paragraphe 13 de l’affaire susmentionnée, que :

                [TRADUCTION]

 

[13] En ce qui concerne la question de savoir s’il s’agit d’un abus du droit au recours judiciaire lorsqu’une action est abandonnée devant une cour et qu’une nouvelle poursuite est intentée devant une autre cour ayant une juridiction concurrente, je ne crois pas qu’il existe une règle de droit générale à cet égard. Bien sûr, dans certaines causes, lorsqu’une action est abandonnée et qu’une poursuite est intentée de nouveau, on peut conclure qu’il s’agit d’une procédure abusive, que cette action soit intentée devant la même cour ou devant une autre cour. Cependant, une telle conclusion devrait être fondée sur les faits relatifs à l’affaire. De plus, il est possible, dans le cas d’un système législatif particulier ou d’un ensemble de règles de procédure particulières, qu’une deuxième action intentée devant une cour ayant une juridiction compétente soit rejetée si une partie a d’abord choisi de poursuivre devant une autre cour. [Souligné dans Sauve.]

 

18        Dans l’arrêt Babavic c. Babowech, [1993] C.C.‑B. no 1802, le juge Baker a énoncé le principe de l’abus du droit au recours judiciaire de façon quelque peu confuse et a indiqué que le pouvoir discrétionnaire dont les cours étaient investies afin de rejeter des actions pour le motif d’une procédure abusive s’étendait à toute circonstance où les procédures judiciaires sont employées à une fin abusive. Le juge Baker ajoute que les catégories de procédure abusive sont évidentes.

 

19        Comme je le constate, la jurisprudence a établi les paramètres suivants qui définissent la doctrine de l’abus du droit au recours judiciaire :

 

            (1)        il s’agit d’une doctrine souple qui ne se limite pas à l’une ou l’autre                                             des nombreuses catégories établies;

            (2)        elle vise l’ordre public sur lequel on a recours pour prononcer l’irrecevabilité de procédures qui ne sont pas conformes à cette fin;

            (3)        son application dépend des circonstances et est fondée sur les faits et le contexte;

            (4)        elle vise à protéger les plaideurs contre des procédures abusives, vexatoires et futiles, sinon à empêcher qu’une erreur judiciaire ne soit commise;

            (5)        un ensemble de règles de procédure particulière peut fournir un cadre particulier en vue de son application.

 

20            En appliquant ces principes à l’égard des circonstances particulières de l’affaire qui m’est soumise, je suis d’accord avec l’observation de l’avocat de la défenderesse selon laquelle le fait qu’il ait déposé de nouveau sa demande après son rejet en vertu des règles de la gestion de l’instance, en dépit du fait qu’elle n’a pas été admise sur le fond, constitue une procédure abusive. À mon avis, il avait toutes les possibilités raisonnables de présenter sa cause en vue d’obtenir une décision au fond. De plus, il a eu l’occasion de le faire sous ordonnance prononcée par le juge Dubé de la présente Cour, mais il n’a pas respecté cette ordonnance d’où le rejet de sa première action.

 

21        En confirmant le rejet de la première action du demandeur, le juge Sharlow a mis l’accent sur le fait qu’il avait omis, sans aucune justification, de se conformer à l’ordonnance prononcée par le juge Dubé, responsable de la gestion de l’instance. Si l’on se rappelle bien, cette ordonnance a fourni au demandeur une occasion d’instituer son action en produisant une réponse et en procédant conformément aux règles.

 

22        Je suis également d’accord avec l’observation de l’avocat de la défenderesse selon laquelle, si l’on tient compte des circonstances de cette affaire, en permettant au demandeur d’instituer une deuxième action qui, en fait, n’est que le simple reflet de sa première action, cela tournerait en dérision les Règles de la gestion de l’instance.

 

 

[22]           Je suis convaincu que la déclaration de M. Wilson produite dans le cadre de l’action de 2005 constitue presque essentiellement une tentative de débattre à nouveau de questions qui ont été tranchées de manière définitive par le rejet de l’action de 1999 ou que, comme la protonotaire Milczynski l’a à juste titre affirmé, [TRADUCTION] « le fond de la première action est essentiellement repris dans la présente instance ». Dans la mesure où ces actions se recoupent, les actes de procédure de 2005 constituent, de toute évidence, une remise en cause équivalant à un abus de la procédure de la Cour, et il n’existe donc pas de fondement plausible qui permette de les admettre. En conséquence, j’ai conclu que, dans la mesure où les deux actions se recoupent, l’appel éventuel de M. Wilson à l’encontre de la décision de la protonotaire Milczynski, n’a aucun fondement juridique et absolument aucune chance de succès.

 

[23]           Dans les arguments qu’il a présentés à la Cour, M. Wilson n’a pas nié que les principales allégations avancées dans les actions de 1999 et de 2005 se recoupaient considérablement. Cependant, il a attiré l’attention de la Cour sur de nouvelles allégations que comporte la déclaration de 2005, lesquelles ne se trouvaient pas dans les actes de procédure qu’il a produits en 1999. La déclaration actuelle fait effectivement état d’un avis de cotisation pour 2005 que le demandeur cherche à faire annuler. Toutefois, dans les arguments qu’il a présentés devant la Cour, M. Wilson n’a pas contesté le bien‑fondé de la décision de la protonotaire Milczynski suivant laquelle il s’agit d’une question qui relève de la compétence exclusive de la Cour de l’impôt. M. Wilson a attribué cette situation particulière à une insuffisance de ses connaissances personnelles au sujet des compétences respectives de la Cour fédérale et de la Cour de l’impôt. La décision de la protonotaire Milczynski de radier cette partie de la déclaration de 2005 ne comporte donc rien qui puisse être qualifié d’erreur.

 

[24]           Les seules autres questions soulevées dans la déclaration de 2005 qui ne se trouvaient pas dans les actes de procédure de 1999 sont de vagues allégations de déclarations trompeuses attribuées aux défendeurs. Ces allégations sont les suivantes :

                        [TRADUCTION]

4.         Le 17 janvier 1989, après l’expiration du délai de prescription, les défendeurs font et continuent de faire des déclarations trompeuses devant la Cour d’appel fédérale (dossier A5‑78‑96) le 16 mars 2001, en invoquant deux arguments voulant qu’il n’ait pas été fait état : (1) de la saisie‑arrêt de Chrysler au montant de 85 372,46 $; (2) de la loi applicable en matière de prescription. Cela n’est pas vrai puisque les deux ont été signalées au procès et dans les documents d’appel.

 

5.         En janvier 2003, l’avocate du défendeur a déclaré de manière inexacte à la Cour que les règlements de médiation au montant de 100 000 $ n’avaient pas été acceptés, ce qui avait entraîné le retrait de l’avocat du demandeur qui devait être présent aux interrogatoires préalables des 16 et 17 janvier 2003.

 

6.         Le 29 septembre 2005, l’avocate du défendeur a déclaré de manière inexacte à la Cour que madame la juge Mactavish n’avait pas reçu l’addenda au dossier de la requête soumis par le demandeur ou n’avait pas été informée de sa production.

 

 

La déclaration de 2005 ne fait pas état de mesures de réparation particulières demandées relativement à ces allégations de déclarations trompeuses, et aucune cause d’action manifeste fondée en droit n’est soulevée dans les paragraphes reproduits ci‑dessus.

 

[25]           À mon avis, même si les allégations mentionnées ci‑dessus étaient suffisantes pour constituer une cause d’action distincte (une proposition douteuse dans le meilleur des cas), elles seraient également assujetties à l’application de la préclusion fondée sur l’identité de la cause d’action ou de la doctrine de l’abus de procédure, ou des deux. Si M. Wilson avait des griefs justiciables qui ont pris naissance au cours de l’action initiale engagée devant la Cour, il avait l’obligation de les soulever dans le cadre de cette dernière. À cet égard, il convient de noter que sa dernière requête en réexamen du rejet de l’action de 1999 n’a été rejetée par une ordonnance de la Cour que le 29 septembre 2005 et que les plaintes dont il est actuellement question sont toutes antérieures à cette décision. Les allégations de déclarations trompeuses auraient été faites par les défendeurs dans le contexte de la première procédure auraient dû être soulevées comme il se doit par M. Wilson dans le cadre de cette procédure et, en particulier, dans les requêtes en réexamen. D’ailleurs, dans sa dernière allégation de déclarations trompeuses, M. Wilson évoque le comportement des défendeurs devant la juge Mactavish lors de l’instruction de la seconde requête en réexamen. Si M. Wilson croyait que les défendeurs, ou leurs avocates, avaient fait des déclarations trompeuses importantes à la Cour en 2005, c’est à ce moment‑là et à cet endroit‑là qu’il devait en faire état et non par le biais d’une procédure indirecte comme celle en l’espèce. À cet égard, je ferais miennes les remarques de la juge L’Heureux‑Dubé dans Roberge c. Bolduc (1991), 78 D.L.R. (4th) 666 (C.S.C), à la page 686, lorsqu’elle a affirmé : « C’est à la partie intéressée à se prévaloir de ces nullités en temps opportun, au moyen d’un des recours que la loi lui donne : ce serait saper en sa base toute la théorie sur laquelle est fondée la présomption de la chose jugée que de permettre la réouverture du débat dans ces circonstances. »

 

[26]           M. Wilson a également allégué que la protonotaire Milczynski a outrepassé sa compétence en rejetant l’action de 2005 parce que l’article 50 des Règles des Cours fédérales ne confère pas au protonotaire le pouvoir d’entendre une requête en jugement sommaire dans les actions dans lesquelles la réclamation s’élève à plus de 50 000 $. Lorsqu’on lui a mentionné que la protonotaire avait rendu son ordonnance en vertu de l’article 221 des Règles (requête en radiation) et non en vertu de l’article 50 des Règles, M. Wilson a fait remarquer qu’il avait demandé un jugement sommaire dans la déclaration de 2005. Considérant cet argument, M. Wilson dit que la protonotaire n’aurait pas dû entendre les requêtes des défendeurs en vue de faire rejeter son action, peu importe la règle invoquée. Cet argument est manifestement mal fondé parce que l’ordonnance de la protonotaire n’a pas été rendue en vertu de l’article 50 des Règles qu’il n’y a donc pas lieu de remettre en question sa compétence.

 

[27]           Compte tenu de tout ce qui précède, j’ai conclu que M. Wilson n’a pas réussi à établir qu’il avait des motifs défendables pour faire annuler l’ordonnance par laquelle la protonotaire Milczynski a rejeté la présente action, et sa requête en prorogation du délai d’appel est donc rejetée.

 

La Cour devrait‑elle prononcer une ordonnance en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales pour empêcher M. Wilson d’engager d’autres instances devant elle?

 

[28]           La Couronne a présenté une requête en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée, en vue d’empêcher M. Wilson d’introduire d’autres instances devant la Cour, sauf avec l’autorisation de cette dernière. Je conviens que ce type de réparation est exceptionnel et ne doit être accordé qu’avec la plus grande prudence. La gravité de cette demande se reflète en partie dans l’exigence voulant que le procureur général du Canada donne son consentement avant qu’une ordonnance aux termes de l’article 40 ne puisse être prononcée. Dans la présente affaire, le consentement requis a été produit devant la Cour.

 

[29]           Pour rendre une ordonnance aux termes de l’article 40, la Cour doit être convaincue que M. Wilson a de façon persistante introduit des instances vexatoires devant elle ou a agi de façon vexatoire au cours de la présente instance et des instances connexes. J’ai conclu qu’il est approprié en l’espèce de prononcer pareille ordonnance parce que la conduite de M. Wilson au cours du litige a été vexatoire de façon persistante et qu’elle a été qualifiée d’abus de procédure de la Cour à plusieurs reprises.

 

[30]           La jurisprudence a interprété le terme « vexatoire » comme étant de façon générale synonyme de la notion d’abus de procédure : voir Foy c. Foy (1979), 102 D.L.R. (3d) 342 (C.A. Ont.). Il n’est donc pas surprenant que l’une des caractéristiques notables d’un plaideur vexatoire soit sa propension à la remise en cause d’affaires qui ont déjà été tranchées en sa défaveur : Vojic c. Canada (Ministre du Revenu national), [1992] A.C.F. no 902 (1re inst.).

 

[31]           Parmi les autres indices de comportement vexatoire, on trouve l’introduction d’actions ou de requêtes frivoles, la formulation d’allégations non fondées reprochant à la partie adverse, aux avocats ou à la Cour d’avoir posé des actes irréguliers, le refus ou l’omission de se conformer aux règles ou aux ordonnances de la Cour, l’emploi d’un langage scandaleux dans les actes de procédure ou devant la Cour, l’omission ou le refus de payer les dépens adjugés dans les instances antérieures et l’omission d’intenter des poursuites en temps opportun : Vojic, précitée; Canada c. Warriner (1993), 70 F.T.R. 8, [1993] A.C.F. no 1007; Canada c. Olympia Interiors Ltd., [2001] A.C.F. no 1224, 2001 CFPI 859; Mascan Corp. c French (1988), 49 D.L.R. (4th) 434, 64 O.R. (2d) 1 (C.A.); Foy, précité; Société canadienne des postes c. Varma (2000), 192 F.T.R. 278, [2000] A.C.F. no 851; Nelson c. Canada (Ministre de l’Agence des douanes et du revenu), [2002] A.C.F. no 97, 2002 CFPI 77.

 

[32]           À divers degrés, le comportement de M. Wilson devant la Cour peut être associé à chacune des caractéristiques du comportement vexatoire énoncées précédemment. M. Wilson est également extrêmement procédurier, et je n’ai aucun doute que, en l’absence d’une ordonnance lui interdisant d’instituer de nouvelles actions contre la Couronne, il continuera de faire avancer sa cause sans fondement devant la Cour. En conséquence, M. Wilson se verra interdire d’engager d’autres instances devant la Cour, sauf avec l’autorisation de cette dernière. La Couronne aura droit aux dépens dans les deux requêtes, pour un montant total de 1 000 $ payable immédiatement.

 


ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que la requête du demandeur visant à obtenir la prorogation du délai pour porter en appel l’ordonnance de la protonotaire Milczynski soit rejetée.

 

            LA COUR ORDONNE ÉGALEMENT qu’il soit interdit au demandeur d’engager d’autres instances devant la Cour, sauf avec l’autorisation de la Cour.

 

LA COUR ORDONNE ÉGALEMENT que le demandeur soit condamné à payer aux défendeurs des dépens au montant de 1 000 $ payable immédiatement.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                             T‑2149‑05

 

INTITULÉ :                                                           GRANT R. WILSON

                                                                                c.

                                                                                REVENU CANADA ET SA MAJESTÉ                         LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     LONDON (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE MARDI 21 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                           LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 20 DÉCEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Grant R. Wilson                                                        POUR LE DEMANDEUR

 

Wendy Linden                                                          POUR LES DÉFENDEURS

Maria Vujnovic

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

562, rue Waterloo                                                    POUR LE DEMANDEUR

London (Ontario) N6B 2P9

 

John H. Sims, c.r.                                                     POUR LES DÉFENDEURS

Sous‑procureur général du Canada

 

 

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