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Date : 20061219

Dossier : IMM-1155-06

Référence : 2006 CF 1528

OTTAWA (ONTARIO), le 19 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

 

ENTRE :

SHAHRYAR SHARIFI KALANGESTANI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Contexte

[1]               Shahryar Sharifi Kalangestani (le demandeur) est citoyen iranien. Il craint d'être persécuté en Iran du fait de ses opinions politiques.

 

[2]               Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) signé le 26 septembre 2005, le demandeur a déclaré que le gouvernement iranien voulait l'arrêter parce qu'il croyait qu'il se livrait à des activités politiques, que sa famille avait de nombreux problèmes avec le régime et que l'un de ses frères a été tué par des représentants du régime. Dans son second FRP, le demandeur allègue que, de 1991 à 2005, il a été harcelé par les autorités iraniennes et qu'il a dû subir des mesures répressives de leur part.

 

[3]               Le demandeur allègue que ses problèmes actuels ont commencé lorsqu'il a fourni une antenne parabolique à des personnes proches d'un opposant au régime, M. Hassan Massali. Plus tard, ces personnes auraient apparemment été arrêtées et accusées de diffuser des émissions antirévolutionnaires. Elles ont fourni des renseignements au sujet du demandeur, qui a ensuite été considéré comme un collaborateur et a été recherché par le ministère de l'Information et de la Sécurité. Craignant d'être arrêté et emprisonné, le demandeur a décidé de quitter l'Iran le 14 août 2005; il est venu au Canada en passant par la Turquie et par la France.

 

[4]               La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas crédible et a rejeté sa demande en raison des contradictions dans son témoignage ainsi que des omissions et divergences entre les déclarations qu'il a faites à l'agent d'immigration au point d'entrée, dans le formulaire de l'annexe 1 et dans ses deux FRP. La Commission a notamment mentionné que le demandeur a déclaré au point d’entrée n'avoir jamais été arrêté alors qu'il a affirmé avoir été arrêté quatre fois dans le second FRP.

 

Questions en litige

[5]               Le demandeur sollicite l'annulation de la décision de la Commission par la voie d'un contrôle judiciaire; il soulève à cet égard les trois points suivants :

a)      la lettre rédigée par M. Hassan Massali (la lettre de Massali), représentant du Front de l'Alliance nationale à l'étranger, n'aurait pas dû être rejetée;

b)      il était manifestement déraisonnable pour la Commission de conclure au manque de crédibilité en se fondant sur les différences existant entre les premier et second FRP étant donné qu'il a été expliqué que le frère du demandeur, qui maîtrise mal l'anglais, a préparé les FRP en utilisant les notes prises au point d’entrée;

c)      la traduction de l'entrevue au point d’entrée a été effectuée par téléphone et le formulaire une fois rempli n'a pas été lu et traduit de nouveau au demandeur au téléphone.

 

 

Norme de contrôle

[6]               Il est bien établi en droit que les conclusions que la Commission tire au sujet de la crédibilité d'un demandeur sont des conclusions de fait assujetties au contrôle judiciaire selon la norme de la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)).

 

[7]               À mon avis, la présente demande ne peut pas être accueillie pour les motifs énoncés ci‑après.

 

Point a) : La lettre de Massali

[8]               La partie essentielle de la lettre Massali est ainsi rédigée :

[traduction] On m'a informé que M. Shahryar Sharifi Kalangestani coopérait, à Gilan (dans le Nord de l'Iran), avec un groupe qui prônait la liberté et la démocratie et qui s'opposait à la dictature des mollahs en Iran. M. Shahryar Sharifi Kalangestani a appris que certaines « sources » avaient été arrêtées et que la sécurité de la République islamique d'Iran essayait de l'arrêter. À cause de la répression en Iran, M. Shahryar Sharifi Kalangestani a été forcé de quitter le pays. Il a demandé l'asile politique au Canada.

 

J'obtiens mes renseignements par l'entremise de notre organisation et de certaines sources.

(Dossier du demandeur, page 16)

 

[9]               Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en rejetant la lettre de Massali parce que, même si la preuve qu'il avait présentée a été jugée non crédible, la Commission était néanmoins tenue de déterminer si les documents justificatifs étaient crédibles.

 

[10]           En ce qui concerne la pertinence de la lettre et l'importance qu'il faut lui accorder, il convient d'établir quelques règles générales. Premièrement, les procédures engagées devant la Commission sont d'une nature particulière, de sorte que la seule preuve dont dispose la Commission est celle qui est soumise par le demandeur. L'alinéa 170g) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, prévoit que la Section de la protection des réfugiés « n'est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve ». Deuxièmement, au paragraphe 20 de la décision Hamid c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1293 (C.F. 1re inst.) (QL), le juge Nadon a conclu qu'une fois que la Commission décide que le demandeur n'est pas crédible, il s'ensuit logiquement qu'elle n'accordera pas beaucoup de valeur probante aux documents fournis par celui‑ci. Le juge Nadon dit au paragraphe 20 :

[20]         Par conséquent, à mon avis, la prétention du requérant voulant que la Commission soit tenue d'analyser la preuve documentaire "indépendamment du témoignage du requérant" doit être examinée dans le contexte des procédures informelles qui s'appliquent devant la Commission. Lorsqu'une commission, comme vient de le faire la présente, conclut que le requérant n'est pas crédible, dans la plupart des cas, il s'ensuit nécessairement que la Commission ne donnera pas plus de valeur probante aux documents du requérant, à moins que le requérant ne puisse prouver de façon satisfaisante qu'ils sont véritablement authentiques. En l'espèce, la preuve du requérant n'a pas convaincu la Commission qui a refusé de donner aux documents en cause une valeur probante. Autrement dit, lorsque la Commission estime, comme ici, que le requérant n'est pas crédible, il ne suffit pas au requérant de déposer un document et d'affirmer qu'il est authentique et que son contenu est vrai. Une certaine forme de preuve corroborante et indépendante est nécessaire pour compenser les conclusions négatives de la Commission sur la crédibilité.

[Non souligné dans l'original.]

 

 

[11]           La décision Hamid montre clairement qu'il faut une certaine « forme de preuve corroborante et indépendante », mais ce n’est pas le cas de la lettre de Massali. Nous n'avons que la parole du demandeur lui‑même qui déclare que la lettre est authentique.

 

[12]           De plus, peu importe que la lettre de Massali ait été prise en considération ou non, cela n'aide pas le demandeur parce que les renseignements que possède M. Massali au sujet des événements mentionnés dans les deux FRP lui viennent de tiers et ne sont pas corroborés, c’est-à-dire que rien n'indique, d'une façon ou d'une autre, de qui les renseignements ont été obtenus. La lettre ne révèle pas que ces événements se sont réellement produits, mais uniquement qu'il s'agit de renseignements que M. Massali a pu obtenir de sources non précisées. En fait, le seul renseignement que la lettre de Massali a permis d'établir était que le demandeur [traduction] « coopérait avec un groupe, à Gilan (dans le Nord de l'Iran) ».

 

Point b) : Les FRP

[13]           La Commission a conclu que le demandeur a modifié presque entièrement son FRP en y ajoutant des renseignements qu'il n'avait pas mentionnés à l'agent d'immigration. Le demandeur affirme que la conclusion défavorable quant à la crédibilité était manifestement déraisonnable étant donné qu'il a été expliqué que son frère, qui maîtrisait mal l'anglais et qui n'était pas conseiller juridique, avait préparé le premier FRP à l'aide des notes prises au point d’entrée. Étant donné que son frère n'est pas un conseiller d’expérience, le demandeur n'a peut‑être pas obtenu de conseils adéquats au sujet de ce qui devait être déclaré dans le FRP (Yilmaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1498). Toutefois, cela n'expliquerait que des variantes mineures, mais non des changements majeurs, comme c'est ici le cas.

 

[14]           Le demandeur affirme qu'il y a des incohérences parce que son [traduction] « frère semble avoir utilisé les renseignements tels qu'ils étaient consignés dans les notes prises au point d’entrée pour remplir le FRP » (dossier du demandeur, page 85). Toutefois, cela n'est pas nécessairement vrai. Ainsi, selon les notes de l'agent d'immigration, le demandeur aurait répondu « non » à la question de savoir s'il avait déjà été arrêté ou détenu par la police ou par l'armée dans un pays quelconque. Pourtant, dans le premier FRP, il est clairement indiqué qu'en fait, le demandeur avait été recherché, arrêté ou détenu par la police ou par l'armée. Par conséquent, cela n'explique pas suffisamment l'incohérence.

 

[15]           En outre, comme cela a clairement été démontré à l'audience, c'était le demandeur qui avait préparé le premier FRP avec l'aide de son frère :

[traduction

 

Q. : Et les deux documents vous ont été traduits de l'anglais au farsi?

 

Le demandeur : Le second, oui. Celui que j'ai rempli avec l'aide de mon frère, le premier, je l'ai rempli avec l'aide de mon frère, et le second avec l'aide de l'interprète de mon avocat.

 

(Procès-verbal de l'audience tenue par la Section de la protection des réfugiés, Commission de l'immigration et du statut de réfugié, dossier du tribunal, page 160 [Non souligné dans l'original.]

 

 

[16]           Le demandeur n'a jamais dit qu'il n'était pas au courant des renseignements contenus dans le premier FRP lorsque ce document a été soumis. De plus, le demandeur ne conteste pas les autres incohérences au sujet de son adresse et de son emploi. La seule explication donnée était qu'il avait commis une erreur et qu'il ne comprenait pas qu'il était important d'être précis. Dans son premier FRP, le demandeur n'a pas mentionné qu'il était propriétaire d'un magasin où, soit dit en passant, il avait été arrêté pour avoir consommé de l’alcool.

 

[17]           Compte tenu de l'effet cumulatif des incohérences et des omissions ainsi que de la totalité de la preuve, il était raisonnable pour la Commission de conclure au manque de crédibilité en raison des incohérences existant entre les FRP (Mirza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 252).

 

Point c) : L'entrevue au point d’entrée

[18]           Le demandeur affirme qu'il ne faudrait pas tenir compte des incohérences découlant des déclarations qu'il a faites lors de l'entrevue au point d’entrée à cause des circonstances entourant l'interprétation. Le demandeur aurait dû soulever la question de la qualité de l'interprétation lors de l'entrevue au point d’entrée s'il s'agissait effectivement d'un problème qu'il fallait aborder à ce moment‑là.

 

[19]           Il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité compte tenu de l'incohérence entre la réponse donnée par le demandeur au point d’entrée, à savoir qu’il n'était pas recherché par la police ou par l'armée en Iran, et son témoignage oral et ses FRP, selon lesquels il était recherché par les services du renseignement et de la sécurité en Iran. Il était également raisonnablement loisible à la Commission de conclure au manque de crédibilité lorsque le demandeur a déclaré, lors de l'entrevue au point d’entrée, qu'il n'avait jamais été arrêté ou détenu par la police ou par l'armée, mais qu'il a ensuite admis qu'il avait effectivement été arrêté et détenu. Il s’agit clairement de déclarations incompatibles et le demandeur n'a fourni aucune explication que le tribunal a jugé raisonnable.

 

[20]           Les circonstances entourant l'interprétation n'aident pas le demandeur à renverser la conclusion défavorable quant à la crédibilité parce que, premièrement, il n'est pas contesté que des services de traduction ont été fournis. Deuxièmement, la question de savoir si le demandeur a été détenu ou recherché est assez simple. Or, le demandeur a répondu par la négative. Il m'est difficile de retenir la prétention du demandeur selon laquelle il s'agit de questions difficiles et complexes qui exigent les conseils d'un avocat pour qu'il soit possible d'y répondre ou que ces questions prêteront probablement à confusion lors de leur traduction. Il est préférable de relire le formulaire une fois traduit, mais l’omission de le faire n’aura pas pour effet de rendre une décision annulable.

 

[21]           À mon avis, il y avait de nombreux éléments de preuve étayant la conclusion tirée par la Commission quant à la crédibilité et je ne puis trouver dans la décision de la Commission aucun vice évident qui aurait pour effet de rendre cette décision déraisonnable, et encore moins de la rendre manifestement déraisonnable. Par conséquent, la demande ne peut pas être accueillie.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

 

 

« Konrad W. von Finckenstein »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1155-06

 

INTITULÉ :                                                   KALANGESTANI

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 14 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE von FINCKENSTEIN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 19 DÉCEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

POUR LE DEMANDEUR

 

Robert Bafaro

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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