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Date : 20061220

Dossier : IMM-7231-05

Référence : 2006 CF 1526

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2006

En présence de madame la juge Dawson

 

ENTRE :

 

LORENA PASTRANA VIAFARA

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Mme Lorena Pastrana Viafara est une citoyenne de la Colombie dont la demande d’asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Il s’agit en l’espèce d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision, et je conclus que la Commission a commis une erreur de droit en n’examinant pas si Mme Pastrana craignait avec raison d’être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social particulier : la conjointe de fait de M. Giovanni Andres Malagon Ortiz. Par conséquent, pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée au commissaire qui a examiné la demande de Mme Pastrana pour qu’il rende une nouvelle décision en tenant compte de la question de l’appartenance à ce groupe social.

 

Le contexte

[2]        La demande d’asile de Mme Pastrana a été entendue avec celle de son conjoint de fait, M. Malagon. La demanderesse et M. Malagon sont tous deux citoyens de la Colombie, mais ils ont fait connaissance aux États-Unis. Ils n’ont jamais été ensemble en Colombie.

 

[3]        M. Malagon soutient qu’il était visé en Colombie par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) en raison de son service militaire et de ses connaissances en matière d’armes et d’opérations militaires. La Commission a accueilli sa demande.

 

[4]        La demande de Mme Pastrana était essentiellement fondée sur le fait qu’elle craignait des membres de sa famille qui avaient agressé et menacé sa mère au sujet d’un héritage contesté. On a aussi laissé entendre que des membres des FARC avaient menacé son père et que les membres de la famille qui inspirent de la crainte à la demanderesse avaient un lien quelconque avec les FARC. La Commission a conclu que, bien qu’elle acceptât le témoignage de Mme Pastrana, ses preuves au sujet des FARC étaient trop vagues pour établir qu’elle craignait avec raison d’être persécutée en raison d’un des motifs visés par la Convention. (Dans la présente demande de contrôle judiciaire, l’avocat de Mme Pastrana a reconnu à juste titre que tout lien avec les FARC était trop conjectural au vu de la preuve qui avait été présentée.) La Commission a conclu que la crainte que Mme Pastrana disait éprouver envers des membres de sa famille n’était pas liée aux motifs visés par la Convention. De plus, la Commission a conclu que Mme Pastrana, qui était enfant lorsqu’elle a quitté la Colombie avec sa famille, n’avait pas obtenu suffisamment de renseignements de la part de ses parents pour prouver qu’elle serait exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels et inusités en Colombie. La Commission était d’avis que le fait que ses parents aient habité illégalement aux États-Unis pendant les 12 dernières années sans présenter de demande d’asile jettait le doute sur le fait qu’ils aient eu une crainte quelconque. La Commission a déclaré qu’il « ne semble pas qu’ils agissent comme des personnes qui ont peur d’être renvoyées en Colombie ».

 

Appartenance au groupe de la famille : conjointe de M. Malagon

[5]        À la décharge de la Commission, il faut dire que l’ancien avocat de Mme Pastrana n’avait pas fondé la demande d’asile précisément sur ce motif. En effet, l’ancien avocat de Mme Pastrana n’était pas intervenu lorsque le commissaire, au début de l’audience, avait avisé les parties que « chaque demande sera jugée sur le fond ». Le commissaire avait ensuite déclaré :

[traduction]

COMMISSAIRE :    Maintenant, pour que je puisse conclure que vous êtes des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger, je dois conclure qu’il existe plus qu’une simple possibilité que vous soyez persécutés pour un motif visé par la Convention, ou que vous soyez exposés à une menace à votre vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si vous retourniez en Colombie. Je dois évaluer toute la preuve, y compris votre témoignage d’aujourd’hui. Je dois être convaincu que la preuve est crédible et digne de foi. La crédibilité est une question soulevée dans toutes les demandes et elle sera soulevée pour votre demande aussi. La question de l’identité se pose aussi systématiquement. Cependant, vous nous avez présenté suffisamment de documents attestant que vous êtes bien qui vous déclarez être. La question principale qui ressort de vos deux demandes, bien qu’elles soient fondées sur des récits distincts et différents de ce qui s’est passé en Colombie, est le nombre d’années que vous avez passées aux États-Unis. [Non souligné dans l’original.]

 

[6]        Cependant, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux pages 745 et 746, la Cour suprême du Canada a confirmé que la Commission doit examiner tous les motifs de demande d’asile, même si les motifs n’ont pas été soulevés par le demandeur au cours de l’audience. Cette obligation découle de la directive, énoncée au paragraphe 67 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR), selon laquelle le demandeur n’a pas l’obligation de préciser les motifs pour lesquels il serait persécuté.

 

[7]        En l’espèce, la Commission a accepté que Mme Pastrana était la conjointe de fait de M. Malagon, que ce dernier était un ancien conscrit de l’armée et que les FARC « sont présentées comme une organisation brutale et omniprésente qui exerce des pressions sur les jeunes gens pour les forcer à rejoindre ses rangs, et qui a recours aux menaces, à l’intimidation, à l’extorsion et à l’enlèvement pour atteindre ses objectifs ».  La preuve documentaire dont la Commission était saisie comprenait un document de mars 2005 préparé par l’HCNUR qui s’intitule [traduction] « Principes directeurs sur la protection internationale au sujet des demandeurs d’asile et des réfugiés Colombiens ». Dans ce document, l’HCNUR notait que [traduction] « dans le contexte des violations généralisées des droits de la personne et du droit international humanitaire, certains groupes de personnes [en Colombie] sont plus souvent ciblés que d’autres. » Dans ces groupes se trouvaient [traduction] « [les] ancien[s] conscrit[s] ou d’anciens soldats ou policiers, ainsi que leurs familles. »

 

[8]        À mon humble avis, cette preuve, combinée à la possibilité que M. Malagon puisse décider de retourner en Colombie avec Mme Pastrana, était suffisante pour que la Commission ait à examiner si Mme Pastrana craignait avec raison d’être persécutée parce qu’elle est la conjointe de fait de M. Malagon.

 

Les autres erreurs alléguées

[9]        On a allégué, au nom de Mme Pastrana, deux autres erreurs susceptibles de révision (le reste des arguments présentés dans son exposé écrit des arguments soit ont été abandonnés, soit n’ont pas été poursuivis sérieusement pendant le témoignage). La première erreur alléguée porte sur le fait que la Commission n’a pas tenu compte de certaines preuves; la deuxième, sur le fait que la Commission a commis une erreur en introduisant dans une demande d’asile présentée en vertu de l’article 97 de la Loi, l’exigence d’une crainte subjective de persécution.

 

[10]      En ce qui a trait à la première erreur alléguée, je conviens que lorsque la Commission a dit que « [t]outes les informations que vous possédez ne sont que des ouï-dire, à l’exception, bien sûr, de l’accident automobile dans lequel votre famille a été impliquée », elle n’a pas tenu compte de la preuve de Mme Pastrana selon laquelle elle avait vu l’un des membres de la famille de sa mère la frapper au visage. Mme Pastrana a aussi témoigné que ce membre de la famille s’était ensuite tourné vers elle, l’avait retenue par les cheveux et jetée au sol en menaçant sa mère que les choses iraient mal pour sa famille si elle ne cessait pas de s’interposer et qu’elle n’abandonnait pas l’héritage.

 

[11]      Je suis cependant convaincue que cette erreur n’était pas importante. La Commission a simplement voulu démontrer que Mme Pastrana ne savait à peu près rien des raisons pour lesquelles sa famille avait quitté la Colombie. Une vérification attentive du formulaire de renseignements personnels de Mme Pastrana et de la transcription de l’audience devant la Commission confirme ce point de vue. Bien que la généralisation excessive de la Commission fût malheureuse, il ne s’agit pas d’une erreur importante.

 

[12]      Quant à la deuxième allégation, une fois de plus, je ne relève pas d’erreur susceptible de révision. Je crois que le point que la Commission faisait valoir lorsqu’elle a mentionné l’absence de crainte subjective de la part des parents de Mme Pastrana était que, bien que Mme Pastrana n’eût connu que très peu de choses au sujet de la situation de ses parents en Colombie, la réalité de sa crainte (qui découlait directement de cette situation) était minée par le fait que ses parents n’avaient pas agi comme des personnes qui avaient peur d’être renvoyées en Colombie.

 

Le recours approprié

[13]      Je suis d’avis que la seule erreur susceptible de révision est le fait que la Commission n’ait pas examiné un motif visé par la Convention qui n’avait pas été expressément soulevé. Par conséquent, je conclus qu’il est approprié de renvoyer l’affaire devant le commissaire qui a examiné la demande de Mme Pastrana avec la directive qu’il examine si Mme Pastrana craint avec raison d’être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social particulier en tant que conjointe de fait de M. Malagon.

 

[14]      Si le commissaire qui a entendu l’affaire est dans l’impossibilité de réexaminer la demande, un autre commissaire peut s’en charger.

 

[15]      Aucune question n’a été énoncée pour la certification et je suis d’avis que l’affaire n’en soulève aucune.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie en ce que l’affaire est renvoyée au commissaire qui l’a examiné, avec la directive qu’il examine si Mme Pastrana craint avec raison d’être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social particulier en tant que conjointe de fait de M. Malagon.

 

2.         Si le commissaire qui a entendu l’affaire est dans l’impossibilité de réexaminer la demande, un autre commissaire peut s’en charger.

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7231-05

 

INTITULÉ :                                       LORENA PASTRANA VIAFARA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 DÉCEMBRE 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 20 DÉCEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

CLIFFORD LUYT                                                                  POUR LA DEMANDERESSE

 

LINDA CHEN                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

PATRICIA ANN RITTER                                                       POUR LA DEMANDERESSE

CZUMA, RITTER

AVOCATS

TORONTO (ONTARIO)

 

JOHN H. SIMS, c.r.                                                                POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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