Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20061218

Dossier : T-2004-05

Référence : 2006 CF 1513

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARRY STRAYER

 

 

ENTRE :

JULIA GRACEFFA et

CARMELLO GRACEFFA

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE DÉVELOPPEMENT

SOCIAL CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue au nom du ministre de Développement des ressources humaines Canada (maintenant le ministre de Développement social Canada) (le ministre) en date du 6 octobre 2005. La décision communiquée par lettre portait que le ministre avait conclu, selon la prépondérance de la preuve, qu’il n’y avait pas eu avis erroné ou erreur administrative dans le traitement d’une demande de prestations d’invalidité présentée par la demanderesse, Julia Graceffa, et que, par conséquent, le ministre n’exercerait pas le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 66(4) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (le RPC). Ce paragraphe est ainsi conçu :

66. (4) Dans le cas où le ministre est convaincu qu’un avis erroné ou une erreur administrative survenus dans le cadre de l’application de la présente loi a eu pour résultat que soit refusé à cette personne, selon le cas :

 

a) en tout ou en partie, une prestation à laquelle elle aurait eu droit en vertu de la présente loi,

 

b) le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension en application de l’article 55 ou 55.1,

 

c) la cession d’une pension de retraite conformément à l’article 65.1,

 

le ministre prend les mesures correctives qu’il estime indiquées pour placer la personne en question dans la situation où cette dernière se retrouverait sous l’autorité de la présente loi s’il n’y avait pas eu avis erroné ou erreur administrative.

 

66. (4) Where the Minister is satisfied that, as a result of erroneous advice or administrative error in the administration of this Act, any person has been denied

 

 

(a) a benefit, or portion thereof, to which that person would have been entitled under this Act,

 

(b) a division of unadjusted pensionable earnings under section 55 or 55.1, or

 

 

(c) an assignment of a retirement pension under section 65.1,

 

the Minister shall take such remedial action as the Minister considers appropriate to place the person in the position that the person would be in under this Act had the erroneous advice not been given or the administrative error not been made.

 

 

[2]               Dans une demande de prestations d’invalidité, Julia Graceffa a indiqué qu’elle avait un diplôme de douzième année et avait travaillé comme secrétaire à Burlington (Ontario), de 1976 à 1984. Elle a présenté une première demande de prestations d’invalidité en vertu du RPC le 26 août 1987, disant qu’elle avait été blessée dans un accident d’automobile le 11 novembre 1984. Dans son cas, l’admissibilité à la pension d’invalidité nécessite qu’elle ait cotisé au RPC pendant cinq des dix années précédant la date de son invalidité. Le délai de l’admissibilité est appelé la période maximale d’admissibilité (PMA). Toutefois, il est possible pour un demandeur d’augmenter le nombre de ses années de cotisation reconnues s’il déclare qu’il recevait des paiements d’allocations familiales et s’occupait de ses enfants à charge de moins de sept ans. À cette fin, il doit déposer une déclaration dite clause d’exclusion pour élever des enfants (CEEE), point qui sera examiné plus loin. La demanderesse a déposé cette déclaration au Centre de service à la clientèle de Hamilton à l’égard de sa demande du 26 août 1987. Sa PMA a alors été fixée au 31 décembre 1989. Le défendeur a conclu que la demanderesse ne présentait pas une invalidité selon la définition du RPC. Le 11 juin 1991, la demanderesse a présenté une deuxième demande de prestations d’invalidité, attribuant son invalidité, si je comprends bien, aux effets prolongés de l’accident d’automobile. Cette demande était accompagnée d’une autre demande d’application de la CEEE. Pour le traitement de cette demande, sa PMA a été prolongée de décembre 1989 à décembre 1997 en raison de l’application de la prolongation de ses années de cotisation reconnues du fait de la CEEE. Le défendeur a de nouveau rejeté la demande au motif que la demanderesse n’avait pas établi l’invalidité. La demanderesse a présenté un avis d’appel au tribunal de révision, avis qui a été transmis le 17 septembre 1993. Le tribunal de révision n’a entendu l’appel que le 11 octobre 1995 et il a rejeté celui-ci.

 

[3]               Dans l’intervalle, son mari, le demandeur Carmello Graceffa, a présenté une demande de prestations d’invalidité le 29 septembre 1993. Il a rempli la déclaration de CEEE avec sa femme, y affirmant qu’il était le mari d’une prestataire d’allocations familiales, qu’il était resté à la maison pour s’occuper des enfants et qu’il était toujours resté à la maison entre la naissance des enfants énumérés et leur septième anniversaire pour s’occuper d’eux. Julia Graceffa a signé la déclaration suivante :

[traduction] Je déclare que, pour tout enfant inscrit ci-dessus, je n’ai pas fait et je ne ferai pas de demande en vertu de la clause d’exclusion pour élever des enfants pour les périodes attribuées à mon époux.

 

 

Carmello Graceffa, le demandeur, a signé la déclaration suivante :

[Traduction] Je comprends que toute déclaration fausse ou trompeuse dans la présente déclaration constitue une infraction. Par les présentes, je déclare que tous les renseignements donnés ici sont, selon moi et au mieux de ma connaissance, exacts et complets.

 

 

Ce formulaire comporte également en en-tête une explication de la clause d’exclusion pour élever des enfants, formulée comme suit :

[traduction] s’applique au prestataire d’allocations familiales ou à l’époux d’un prestataire d’allocations familiales qui est resté à la maison pour élever des enfants de moins de sept ans, mais ne s’applique pas aux deux.

 

 

M. Graceffa a remis sa déclaration en personne au Centre de service à la clientèle de Hamilton. Mme Graceffa ne l’a pas accompagné. Le dépôt de demande de CEEE avec la demande de M. Graceffa a eu pour effet que ce dernier a été considéré comme la personne qui était restée à la maison pour s’occuper de ses enfants à charge de moins de sept ans. Même s’il n’avait pas besoin d’une prolongation de sa PMA pour avoir droit aux prestations, sa période de cotisation a par conséquent été estimée plus longue et il a obtenu une prestation d’invalidité plus élevée.

 

[4]               Mme Graceffa a présenté une troisième demande de prestations d’invalidité en novembre 1996. Elle a rempli sa demande, qui a été transmise par courrier, comme si elle avait été la personne responsable des soins donnés aux enfants au cours de la période visée, ce qui aurait prolongé sa PMA jusqu’en décembre 1997. Sa demande a été examinée dans cette perspective, mais le défendeur l’a rejetée au motif de l’absence d’éléments de preuve établissant une blessure ouvrant droit à des prestations. Cette décision a été confirmée par le tribunal de révision et Mme Graceffa a alors obtenu de la Commission d’appel des pensions l’autorisation d’interjeter appel devant elle. Lors du traitement de l’appel, le personnel du défendeur a mis en corrélation sa demande avec celle de M. Graceffa (ce qui est autorisé par la loi dans le cas d’un appel interjeté devant la Commission d’appel des pensions) et a conclu que M. Graceffa avait demandé et obtenu l’application de la CEEE à l’égard de sa demande de septembre 1993 et que Mme Graceffa avait signé une renonciation à la CEEE à l’appui de la demande de son mari. Le défendeur a alors considéré qu’étant donné qu’un seul des deux époux peut revendiquer l’application de la CEEE et que M. Graceffa en bénéficiait déjà, Mme Graceffa ne pouvait pas réclamer la CEEE et que sa PMA avait donc pris fin, comme on l’avait calculé au départ, le 31 décembre 1989.

 

[5]               Par la suite, Mme Graceffa a demandé au ministre d’exercer les pouvoirs que lui confère le paragraphe 66(4) pour conclure qu’elle et son mari avaient reçu un avis erroné et pour recalculer sa PMA selon le terme de décembre 1997. Elle se plaint essentiellement du fait que son mari a été mal conseillé au moment où il a présenté, en son absence, sa demande en 1993 au Centre de service à la clientèle de Hamilton. Elle soutient que la réponse que M. Graceffa a donnée à la question 15 du questionnaire qu’il a rempli, soit qu’une demande avait été faite au nom de ses enfants par sa femme, aurait dû éveiller l’attention du personnel et pousser celui-ci à vérifier les demandes antérieures qu’elle avait faites. Cette vérification aurait pu établir que Mme Graceffa avait déposé une demande d’application de la CEEE avec chacune de ses demandes, où elle déclarait être la personne responsable des soins donnés aux enfants jusqu’à l’âge de sept ans, ce qui aurait indiqué que son mari ne pouvait pas effectuer pareille demande. Comme M. Graceffa n’avait pas besoin des avantages de la CEEE pour avoir droit à des prestations, il aurait dû être avisé de ne pas faire remplir par sa femme une demande de CEEE où elle attestait que son mari, et non elle‑même, avait été responsable des soins donnés aux enfants.

 

Analyse

[6]               Dès le départ, le défendeur a soulevé une objection, faisant valoir que le mari, Carmello Graceffa, ne devrait pas être partie à la présente demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre de ne pas exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 66(4) en faveur de Julia Graceffa. La demande de redressement en vertu de ce paragraphe a été produite au nom de Mme Graceffa et, par conséquent, le défendeur estime qu’elle seule a qualité pour demander le contrôle judiciaire du refus du ministre. Compte tenu du caractère non officiel du processus qui permet d’invoquer le paragraphe 66(4), du fait que l’avis erroné faisant l’objet de la plainte aurait été donné à M. Graceffa et que ce dernier a offert d’abandonner avec effet rétroactif les prestations supplémentaires qu’il a reçues en se prévalant des avantages de la CEEE, j’estime qu’il est indiqué que M. Graceffa soit partie au contrôle judiciaire de la décision du ministre.

 

[7]               En l’espèce, la question soulevée semble être une question de fait. Il s’agit de savoir si la décision de refuser l’application de la CEEE à Mme Graceffa a été la conséquence d’un avis erroné. Les parties conviennent que la norme de contrôle devrait être le caractère manifestement déraisonnable de cette conclusion. J’en conviens également. Tout indique au paragraphe 66(4) que la retenue s’impose à l’égard de la décision du ministre. Ce paragraphe demande que le ministre soit « convaincu » de l’existence d’une situation de fait donnée. Il n’y a pas de clause privative. L’objet du paragraphe semble être de donner au ministre un large pouvoir discrétionnaire en matière de redressement et de conclusion de fait informelle. Ce point de vue est également en conformité avec les arrêts de la Cour d’appel fédérale Leskiw c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. n° 803 (C.A.), et Kissoon c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [2004] A.C.F. n° 1949.

[8]               Si j’applique cette norme, je ne peux pas affirmer que la décision du ministre en l’espèce était manifestement déraisonnable. Le délégué du ministre disposait des affirmations de Mme Graceffa selon lesquelles ni elle ni son mari n’avaient été avisés des répercussions qu’aurait le dépôt d’une demande de CEEE avec la demande de prestations de M. Graceffa. Par ailleurs, le délégué du ministre connaissait la pratique normale en vertu de laquelle les demandeurs présentent en personne les demandes de prestations en vertu du RPC : en l’occurrence, ils sont reçus en entrevue et les formulaires leur sont expliqués. Il n’y a aucune preuve précise qu’un avis erroné a été donné. Le délégué du ministre était saisi de deux déclarations de CEEE antérieures à la demande de M. Graceffa, signées par Mme Graceffa à l’égard de ses propres demandes de prestations d’invalidité, dans chacune desquelles elle affirmait avoir été la personne qui était restée à la maison pour s’occuper des enfants, ce qui lui conférait le droit à la période d’admissibilité supplémentaire. Par ailleurs, elle avait signé à l’appui de la demande de M. Graceffa en 1993 une déclaration où elle affirmait que celui‑ci avait été responsable des soins donnés aux enfants au cours de la période pertinente et qu’elle ne [traduction] « ferai[t] pas de demande en vertu de la clause d’exclusion pour élever des enfants pour les périodes attribuées à [s]on époux ». Mme Graceffa a fait sa douzième année. Elle a travaillé comme secrétaire pendant huit ans en Ontario. Le délégué du ministre a vraisemblablement pu conclure que Mme Graceffa était en mesure de comprendre des documents ordinaires, qu’elle connaissait bien ce formulaire et savait qu’un seul des deux époux pouvait demander les prestations liées à la CEEE. Compte tenu de ces considérations, il était certainement loisible au délégué du ministre de conclure que les demandeurs étaient conscients des conséquences de leurs actes et qu’ils n’ont pas été induits en erreur par un avis erroné. À tout le moins, on ne peut pas dire que cette conclusion n’était manifestement pas une conclusion qu’aurait pu tirer une personne raisonnable.

 

Dispositif

[9]               Par conséquent, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire, sans dépens.

 

 

JUGEMENT

            LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

 

 

 

« B. L. Strayer »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              T-2004-05

 

INTITULÉ :                                             JULIA GRACEFFA et al.

                                                                  c.

                                                            LE MINISTRE DE DÉVELOPPEMENT SOCIAL CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     Le 4 décembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE STRAYER

 

DATE DES MOTIFS :                            Le 18 décembre 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

C. Michael Ollier

 

POUR LES DEMANDEURS

James Gray

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MCQUESTEN LEGAL & COMMUNITY SERVICES

Hamilton (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.