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Date : 20061218

Dossier : T-1858-05

Référence : 2006 CF 1511

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

FRED KOMBARGI

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE DÉVELOPPEMENT SOCIAL CANADA

(auparavant DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA)

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire attaque la décision d’un tribunal de révision constitué pour connaître des appels formés en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. 1985, ch. O‑9. Le litige sous-jacent entre le demandeur, Fred Kombargi, et le ministre de Développement social Canada (le ministère) concerne une décision du ministère de recouvrer le supplément de revenu garanti (SRG) payé en trop. La créance est née en 2001 après que la femme de M. Kombargi, Majdouline Kombargi, a encaissé un REER de 11 725,11 $. Le revenu additionnel réalisé par Mme Kombargi pour cette année d’imposition a entraîné l’inadmissibilité de M. et de Mme Kombargi à l’égard des prestations du SRG qu’ils avaient demandées ensemble en avril 2001 et que chacun a commencé à recevoir peu de temps après.

 

[2]               Lorsque le ministère a notifié à M. et à Mme Kombargi que les sommes versées en trop seraient recouvrées au moyen de retenues sur leurs prestations du SRG ultérieures, ceux-ci ont informé le ministère que leur mariage était rompu et qu’ils s’étaient effectivement séparés le 1er juin 2001. Ils ont soutenu que, Mme Kombargi ayant été la seule bénéficiaire du revenu provenant du REER, M. Kombargi n’était tenu à aucun remboursement de SRG. Pour dire les choses simplement, ils ont a fait valoir que le revenu du REER touché par Mme Kombargi n’aurait pas dû être traité par le ministère comme un revenu du ménage pour décider de l’admissibilité de M. Kombargi au SRG.

 

[3]               Le ministère a fait enquête sur la prétention de M. et Mme Kombargi selon laquelle ils étaient séparés depuis le 1er juin 2001 jusqu’à leur réconciliation en février 2004. M. et Mme Kombargi ont produit très peu d’éléments de preuve indépendants à l’appui de leur prétendue séparation et, selon toute apparence, ils ont continué de vivre ensemble comme mari et femme. Par conséquent, le ministère a maintenu sa décision touchant les sommes payées en trop à M. Kombargi. Mécontent de la décision, M. Kombargi a interjeté appel en vertu du paragraphe 28(1) de la Loi. Une formation de trois membres (le tribunal) a entendu l’appel le 26 juillet 2005. Le tribunal a rejeté l’appel de M. Kombargi qui, dans le cadre de la présente procédure, sollicite le contrôle judiciaire de cette décision en vue d’obtenir un redressement.


La décision du tribunal

[4]               L’unique question que devait trancher le tribunal était celle de savoir si M. et Mme Kombargi étaient séparés l’année où Mme Kombargi a retiré son REER. Le tribunal a conclu que M. Kombargi n’avait pas établi, selon la prépondérance de la preuve, que son mariage avait pris fin et que sa femme et lui s’étaient séparés. Le tribunal a dit que les éléments de preuve de la séparation produits par M. et Mme Kombargi étaient incohérents, insuffisants et incertains. Pour tirer cette conclusion, le tribunal a noté les éléments de preuve suivants :

i)                    Sauf un voyage de Mme Kombargi chez sa sœur à l’été 2001, le couple a continué d’habiter ensemble dans son appartement de Toronto.

ii)                   Quand Mme Kombargi s’est rendue aux États-Unis pour habiter avec sa sœur, elle acheté un billet aller-retour dans la perspective d’une réconciliation éventuelle.

iii)                 M. et Mme Kombargi ont déclaré qu’ils n’avaient pas informé les membres de leur famille ni leur médecin de leur séparation et leurs témoignages sont contradictoires quant à savoir s’ils en ont parlé à leurs amis.

iv)                 Aucun élément de preuve indépendant de la séparation n’a été produit sous forme, par exemple, d’entente de séparation, de changements importants à des arrangements financiers ou de confirmation par un tiers.

v)                  Dans leurs demandes de SRG et dans la déclaration de revenus de 2001 de Mme Kombargi, M. et Mme Kombargi ont tous les deux déclaré être mariés au cours de la période pertinente.

vi)                 Ce n’est qu’au moment où le ministère a avisé M. et Mme Kombargi qu’il entendait recouvrer les paiements de SRG effectués en trop que ceux-ci ont déclaré leur séparation.

 

Les questions en litige

[5]               Les questions dont la Cour est saisie concernent le choix de la norme de contrôle appropriée, puis la question de savoir si le tribunal a commis des erreurs susceptibles de contrôle en concluant que M. Kombargi n’avait pas établi la séparation.

 

La norme de contrôle

[6]               L’avocat du ministère a soutenu que la Cour ne devrait pas intervenir dans la décision du tribunal à moins qu’elle la juge manifestement déraisonnable. Il a fait valoir que les facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle commandent tous un degré élevé de retenue et il a souligné que la nature de la question soulevée est principalement une affaire de preuve.

 

[7]               Bien qu’une conclusion de séparation soit principalement fondée sur des faits, elle exige aussi la prise en compte d’éléments juridiques. Il s’agit donc d’une question mixte de fait et de droit qui, généralement, donne lieu à une retenue moins grande qu’une conclusion de fait pure. J’incline à penser que la norme de contrôle en l’espèce est celle de la décision raisonnable simpliciter. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en sont arrivées la juge Judith Snider dans la décision Canada c. Leavitt, [2005] A.C.F. n° 824, 2005 CF 664, et la juge Carolyn Layden-Stevenson dans la décision Canada c. Chhabu, [2005] A.C.F. n° 1557, 2005 CF 1277. Chacune de ces décisions concernait le contrôle d’une décision du tribunal sur une question semblable à celle qui est soulevée en l’espèce. Néanmoins, quelle que soit la norme de contrôle applicable à la présente demande, j’ai conclu que la décision du tribunal résiste à l’examen et ne peut pas être jugée déraisonnable.

 

[8]               Selon la norme de la décision raisonnable, la décision du tribunal ne peut être annulée que s’il n’existe dans les motifs fournis aucun mode d’analyse qui pourrait raisonnablement avoir amené le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait. Si l’un ou l’autre des motifs étayant la conclusion se défend, dans la mesure où il résiste à un examen assez poussé, la décision ne sera pas considérée déraisonnable et la cour chargée du contrôle ne doit pas intervenir : voir l’arrêt Southam Inc. c. Directeur des enquêtes et recherches, [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56.

 

[9]               Il convient de répéter que, dans une demande de contrôle judiciaire de conclusions de fait ou de conclusion fondées sur les faits tirées par un décideur administratif, la Cour ne peut substituer son propre avis au seul motif qu’elle aurait pu en venir à une conclusion différente. En l’espèce, le tribunal a eu l’avantage d’entendre à l’audience M. et Mme Kombargi et d’apprécier leurs témoignages par rapport à la preuve documentaire versée au dossier. Le tribunal a eu l’avantage particulier d’être exposé directement aux éléments de preuve, avantage dont la Cour ne jouit pas lors d’un contrôle judiciaire. C’est là l’une des raisons importantes justifiant la retenue à l’égard de l’évaluation par le tribunal de la preuve concernant la séparation.

 

Analyse

[10]           M. Kombargi a eu du mal à préciser quelles sont les conclusions erronées du tribunal. Il a soutenu que la décision dans son ensemble était erronée et il a cherché à faire valoir de nouveau de nombreux points qui avaient été rejetés par le tribunal. Il a quand même identifié des éléments de preuve que, selon lui, le tribunal n’a pas examiné de façon appropriée, notamment l’acceptation ultérieure de sa déclaration de séparation par Revenu Canada et le défaut du tribunal d’examiner attentivement les arrangements financiers du ménage qui, selon lui, indiquaient la séparation. Il a également soutenu que le tribunal avait été indûment influencé par le fait qu’il continuait de cohabiter avec sa femme.

 

[11]           En dépit des arguments de M. Kombargi, la conclusion du tribunal ne peut pas être qualifiée de déraisonnable. S’il est vrai qu’il aurait été possible au tribunal de tirer une conclusion différente, il y avait de nombreux éléments de preuve étayant sa conclusion que M. Kombargi n’avait pas établi la séparation. En effet, le fait que M. et Mme Kombargi se soient à de multiples reprises déclarés mariés à l’époque pertinente – au moins jusqu’à la demande du ministère à l’égard des sommes payées en trop – constitue une preuve solide étayant la décision du tribunal. M. Kombargi avait déclaré que ces affirmations concernant leur mariage étaient de simples erreurs et il a repris le même argument devant la Cour. Toutefois, il était raisonnable pour le tribunal de rejeter l’explication de M. Kombargi, compte tenu en particulier des nombreuses occasions qu’ont eues M. et Mme Kombargi de déclarer leur séparation avant que le ministère leur demande de rembourser les sommes versées en trop. En outre, comme M. et Mme Kombargi ont continué d’habiter sous le même toit et ont fourni très peu d’éléments de preuve indépendants pour établir leur séparation, la décision du tribunal est certainement raisonnable, pour ne pas dire convaincante.

 

[12]           Je n’accepte pas non plus la plainte de M. Kombargi selon laquelle le tribunal n’a pas examiné de façon appropriée les éléments de preuve. Il est bien établi qu’un décideur n’est pas tenu de faire référence à tous les éléments de preuve dont il est saisi : voir l’arrêt Kellar c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [2002] A.C.F. n° 732, 2002 CAF 204, au paragraphe 6, et la décision Gavoci c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 249, 2005 CF 207, au paragraphe 7.

Bien que Revenu Canada n’ait pas mis en doute la déclaration postérieure de séparation de M. et Mme Kombargi, cela ne prouve pas qu’ils étaient effectivement séparés. De la même manière, les relevés bancaires faisant état de paiements de Mme Kombargi à M. Kombargi pour sa « part » du loyer et des dépenses du ménage n’indiquent pas sans conteste une séparation, vu en particulier que ces arrangements semblent avoir duré même après leur réconciliation. Il est peut-être bon de signaler aussi que de nombreux couples mariés maintiennent un certain degré d’indépendance financière et que pareille situation ne permet pas de conclure raisonnablement à la mésentente conjugale. Il ne s’agit pas d’éléments de preuve ayant une valeur probante significative et le tribunal n’a pas commis d’erreur en n’y faisant pas référence dans sa décision.

 

[13]           Enfin, tout en convenant avec M. Kombargi qu’il est légalement possible pour un mari et une femme de vivre chacun de son côté sous le même toit, je ne puis rien trouver dans la décision du tribunal qui laisse entendre le contraire. Si le tribunal avait dit qu’il ne pouvait jamais y avoir de séparation dans de telles circonstances, je n’hésiterais pas à annuler sa décision. Cependant, le tribunal ayant examiné tous les éléments de preuve concernant la situation conjugale de M. et Mme Kombargi, on peut conclure qu’il n’a pas considéré leur cohabitation comme un élément décisif ou un élément clé de la question de la séparation. Il y a certainement des exemples d’époux séparés qui vivent sous le même toit, mais ces arrangements ne sont vraisemblablement pas la norme et quand ces cas se présentent, le fardeau d’établir la séparation en est rendu d’autant plus difficile. M. Kombargi devait avancer des arguments beaucoup plus convaincants que ceux qu’il a soumis pour prouver que son mariage était vraiment terminé. En fin de compte, le tribunal n’a pas été convaincu de ce fait et il n’y a aucun fondement juridique qui m’autorise à annuler sa décision.

 

[14]           Aucune des parties n’a demandé les dépens et, dans les circonstances, aucun dépens ne sont adjugés.

 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE QUE la demande est rejetée, sans dépens.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                       T-1858-05

 

 

INTITULÉ :                                      FRED KOMBARGI

                                                           c.

                                                           LE MINISTRE DE DÉVELOPPEMENT SOCIAL CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :              LE 13 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                             Le juge Barnes

 

DATE DES MOTIFS :                    Le 18 décembre 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Fred Kombargi

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Joël Robichaud

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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