Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Date : 20061214

Dossier : IMM-1740-06

Référence : 2006 CF 1494

Vancouver (Colombie-Britannique), le 14 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER

 

ENTRE :

IRAJ GHAHREMANI

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Iraj Ghahremani sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l’agent qui a évalué sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR).

 

[2]               M. Ghahremani a soulevé trois questions distinctes dans ses observations écrites, mais son avocat a clairement indiqué à l’audience que la Cour devait se concentrer sur un point. Le demandeur soutient qu’il y a eu déni de justice naturelle du fait de l’incompétence des deux consultants en immigration qui l’ont aidé dans le processus.

[3]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la Cour a conclu que le demandeur n’a pas établi son allégation d’incompétence et n’a pas produit d’éléments de preuve convaincants qu’il existe une possibilité raisonnable qu’il ait subi un préjudice par suite des actes et omissions dont il se plaint maintenant.

 

[4]               Le demandeur est un citoyen iranien de 69 ans, qui vit à North Vancouver depuis son arrivée au Canada en avril 1999. Sa demande de statut de réfugié a été rejetée en 2000. Il était alors représenté par un avocat.

 

[5]               En ce qui concerne sa demande d’ERAR, il a été aidé par un consultant en immigration qui, est-il allégué, s’est fait passer pour un avocat.

 

[6]               En janvier 2005, ce consultant a préparé des observations assez détaillées sur les risques allégués auxquels s’exposait le demandeur. Cependant, M. Ghahremani affirme maintenant que le consultant n’a pas joint deux lettres indiquant qu’il souffrait d’une dépression grave et prenait du Prozac en 2003. De l’avis du demandeur, ces lettres étaient importantes pour établir l’élément subjectif de sa demande en vertu de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Selon lui, ces lettres auraient également aidé à expliquer son manque de concentration pendant l’entrevue à laquelle il s’est présenté en novembre 2005.

 

[7]               Enfin, selon M. Ghahremani, malgré la demande qu’il lui avait faite, son consultant ne l’a pas accompagné à l’entrevue. M. Ghahremani s’est plutôt présenté à l’entrevue en compagnie d’un ami. Il fait valoir que cet ami ne connaissait pas le dossier et qu’il n’a donc pas pu lui donner le soutien approprié lors de l’entrevue.

 

[8]               Il n’est pas nécessaire de faire une analyse fonctionnelle et pragmatique pour établir la norme de contrôle applicable à la question soulevée en l’espèce. En effet, il est clair qu’en présence d’un déni de justice naturelle, la Cour doit intervenir pour annuler la décision (Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 100; GRK Fasteners c. Leland Industries Inc., 2006 CAF 118, au paragraphe 6).

 

[9]               Il est clairement établi en droit que l’incompétence d’un avocat ou d’un consultant en immigration peut, dans certains cas particuliers, être d’une importance telle qu’elle constitue un déni de justice naturelle. Toutefois, les tribunaux ont généralement fait preuve d’une grande prudence, car il est trop facile de dire qu’on a perdu sa cause par la faute de son avocat ou de son consultant. Par conséquent, une telle conclusion exige une preuve claire et convaincante de l’incompétence de l’avocat ou du consultant et un fondement factuel précis établissant le préjudice résultant de cette incompétence (Sheikh c. Canada [1990] 3 C.F. 238 (C.A.)).

 

[10]           Cette position semble raisonnable, la Cour suprême du Canada ayant confirmé que le demandeur est tenu, même dans les affaires pénales, d’établir que les actes et omissions reprochés à l’avocat ne découlent pas simplement de l’exercice d’un jugement professionnel raisonnable et qu’il en est résulté une erreur judiciaire. La Cour suprême a également souligné que la sagesse rétrospective n’a pas sa place dans cette appréciation (R. c. G.D.B., [2000] 1 R.C.S. 520, aux paragraphes 26 et 27).

[11]           La Cour fédérale s’est également montrée peu disposée à traiter des allégations d’incompétence sans qu’un avis approprié de ces allégations soit donné à l’ancien avocat et au barreau dont il est membre ou, dans le cas d’un consultant en immigration, au consultant ainsi qu’à la Société canadienne de consultants en immigration (Shirvan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1509; Bader c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 304; Nduwimana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1387; Nunez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 555 (QL)).

 

[12]           En l’espèce, il n’y a absolument aucune preuve ni aucune indication que le demandeur a informé ses anciens consultants en immigration des allégations d’incompétence qu’il soulève dans la présente demande. Rien n’indique qu’il s’est plaint au Barreau de la Colombie‑Britannique du fait que son premier consultant se serait fait passer pour un avocat ou qu’il a communiqué avec la Société canadienne des consultants en immigration au sujet de la question soulevée en l’espèce.

 

[13]           De plus, le demandeur n’explique pas comment le consultant en immigration s’est fait passer pour un avocat devant lui. Le demandeur n’est pas analphabète. Il a travaillé comme secrétaire juridique en Iran pendant plusieurs années avant de venir au Canada. Le papier à lettre à en-tête utilisé par le consultant dans ses communications avec l’agent d’ERAR identifiait clairement celui-ci comme « consultant en immigration ». Quoi qu’il en soit, comme les consultants en immigration sont dûment autorisés à représenter des clients tels que le demandeur dans les demandes d’ERAR, on ne voit pas bien comment cette fausse déclaration aurait causé un préjudice au demandeur en l’espèce.

[14]           M. Ghahremani affirme que son consultant en immigration avait discuté avec lui des raisons justifiant de ne pas inclure les deux lettres dans ses observations. Le consultant était d’avis que les lettres n’étaient pas pertinentes en l’espèce. Cette décision semble constituer un jugement professionnel plutôt qu’un acte ou une omission découlant de la négligence.

 

[15]           La première lettre est datée du 9 janvier 2003. L’auteur de la lettre est le médecin qui traitait le demandeur depuis 1999. Il indique que le demandeur souffrait d’une dépression grave et de fréquents cauchemars. Ces cauchemars [traduction] « reprennent des événements traumatisants du passé, notamment des retours en arrière sur des événements antérieurs à la fuite de M. Ghahremani hors des frontières iraniennes ». Bien qu’il dise que le demandeur prenait du Prozac depuis quelques années, le médecin ne précise pas la concentration du médicament ni l’effet qu’il aurait pu avoir sur la capacité du demandeur de fonctionner correctement au cours d’une entrevue ou dans un contexte analogue.

 

[16]           La seconde lettre est datée du 23 janvier 2003. Elle provient d’un psychologue avec lequel le demandeur avait communiqué pour la première fois quelques semaines auparavant. Le psychologue indique qu’il croit que le demandeur souffre d’une dépression grave et d’anxiété et qu’il nécessite donc du counseling et un traitement psychologiques de nature plus globale. Cette lettre fait référence à des événements stressants dans la vie actuelle du demandeur, en particulier l’état de santé de sa femme, une Canadienne, et de son père, qui vivait alors à Vancouver. La lettre se termine par une recommandation suggérant que les organismes appropriés assument les coûts de séances ultérieures de counseling.

 

[17]           À mon avis, il n’était pas déraisonnable pour le consultant en immigration de conclure que cette correspondance avait une valeur limitée.

 

[18]           Dans sa décision, l’agent d’ERAR a conclu, après un examen de l’ensemble du dossier et une entrevue avec le demandeur, qu’il y avait une simple possibilité seulement que le demandeur s’expose à un risque s’il rentrait en Iran. Cette conclusion reposait principalement sur le fait que le demandeur n’avait pas produit d’éléments de preuve oraux ou documentaires crédibles à l’appui de la prétention selon laquelle il avait vu un membre d’un groupe de renseignements iranien hors-la-loi quitter la maison d’un dissident iranien après le meurtre de celui‑ci. La conclusion reposait aussi sur le fait que M. Ghahremani n’avait pas produit d’éléments de preuve crédibles établissant que les autorités iraniennes avaient délivré un mandat d’arrêt contre lui ou l’avaient jugé coupable par contumace d’espionnage contre la République islamique d’Iran. Le décideur a aussi conclu que la preuve documentaire produite, notamment les lettres que le demandeur prétendait écrites par son ex‑femme et par sa fille, qui vivent toujours en Iran, manquaient de crédibilité du fait qu’elles n’étaient pas datées et ne contenaient pas de détails. De plus, l’agent a estimé que le comportement du personnel de sécurité décrit par l’ex-femme n’était pas crédible. Il a noté plus loin qu’à la lumière de la documentation de la SPR versée au dossier indiquant que les jugements par contumace sont courants en Iran et doivent être publiés dans les journaux, le demandeur n’avait pas produit d’éléments de preuve suffisants pour établir qu’un jugement de cette nature avait été rendu contre lui.

 

[19]           On voit mal comment les deux lettres de nature médicale mentionnées aux paragraphes 13 et 14 ci-dessus auraient pu avoir quelque effet sur ces conclusions.

 

[20]           À l’entrevue, le demandeur a informé l’agent d’immigration qu’il prenait des médicaments qui affectaient sa concentration. Il a ajouté qu’il les prenait depuis plusieurs années en raison de ses cauchemars [traduction] « de torture et d’emprisonnement ».

 

[21]           Il ressort des notes prises par l’agent que ce dernier a tenu compte de ces renseignements dans son évaluation. Encore une fois, la Cour n’est pas convaincue qu’il est raisonnablement possible que les lettres auraient ajouté quoi que ce soit. En fait, la lettre du 9 janvier 2003 aurait même pu affaiblir la crédibilité du demandeur, son médecin affirmant qu’il prenait ces médicaments en raison de ce qui lui était [traduction] « arrivé » en Iran avant son départ. Il n’y a absolument aucune indication selon laquelle M. Ghahremani aurait été torturé ou emprisonné.

 

[22]           Pour ce qui est du fait que le consultant en immigration n’a pas accompagné le demandeur à l’entrevue, rien n’indique les raisons de cette absence. Le consultant en immigration doit certainement avoir donné une raison pour ne pas accompagner son client. Était-ce parce que M. Ghahremani ne lui avait pas payé ses honoraires ou parce que le consultant avait un autre rendez-vous et que le demandeur n’a pas voulu reporter l’entrevue? En l’absence d’éléments factuels précis, la Cour ne peut pas conclure à la négligence ou à l’incompétence.

 

[23]           M. Ghahremani ne s’est pas présenté seul à l’entrevue. Comme il l’a mentionné dans son affidavit, il était accompagné d’un ami. Ce qu’il ne dit pas dans son affidavit, c’est que l’ami en question était un consultant en immigration dûment enregistré. La Cour estime préoccupant que le demandeur n’ait pas mentionné ce fait. L’avocat du demandeur a été obligé de l’admettre à l’audience parce que la qualité véritable de l’ami, notamment son numéro d’enregistrement à titre de consultant, est mentionnée dans l’affidavit de l’agent d’immigration. Le demandeur ne pouvait pas ne pas être au courant de la situation et sa preuve par affidavit, à mes yeux, est trompeuse, du moins en partie.

 

[24]           Cela dit, la Cour note que le demandeur affirme maintenant que le second consultant en immigration connaissait mal son dossier et n’a donc pas pu l’aider.

 

[25]           La Cour a examiné avec attention les questions et les réponses données par le demandeur au cours de son entrevue. Rien n’indique dans les éléments de preuve dont je suis saisie que le demandeur dispose d’autres renseignements pertinents qui auraient pu être fournis au sujet des questions soulevées par l’agent, notamment à l’égard des lettres de son ex-femme et de sa fille.

 

[26]           Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que le demandeur ne s’est tout simplement pas acquitté du lourd fardeau de preuve qui lui incombait en l’espèce.

 

[27]           Aucune partie n’a proposé de question à certifier et la Cour est convaincue que l’issue de l’affaire repose sur les faits particuliers de l’espèce. La demande est rejetée.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

 

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-1740-06

 

INTITULÉ :                                             IRAJ GHAHREMANI

                                                                  c.

                                                                  MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     Le 12 décembre 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                            Le 14 décembre 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shane Molyneaux

 

POUR LE DEMANDEUR

Sandra Weafer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.